D. LA DISCUSSION DE THÉMATIQUES SPÉCIFIQUES, SOUS L'ANGLE DES DROITS DE L'HOMME
S'appuyant sur un champ de compétences très vaste, l'Assemblée parlementaire investit de nombreux domaines de réflexion sous l'angle plus particulier des droits de l'Homme. Chaque semaine de session comporte ainsi des débats sur des sujets assez spécifiques, pour ne pas dire techniques. La session de printemps n'y a pas fait exception en donnant lieu à deux discussions sur les droits respectifs des parents, enfants nés de procréation médicalement assistée et donneurs de gamètes, d'une part, et sur les effets des médias sociaux à l'égard des droits humains, d'autre part.
1. Un sujet bioéthique : comment trouver un équilibre entre droits des donneurs de gamètes, des parents et des enfants nés de PMA ?
Lors de la séance du vendredi 12 avril 2019, l'APCE a approuvé, sur le rapport de M me Petra De Sutter (Belgique - SOC), au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, une recommandation sur le don de sperme et d'ovocytes, ainsi que sur l'équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants.
Lors de la discussion générale, la rapporteure a
rappelé que son travail
- adopté à
l'unanimité, le 21 janvier 2019 - résultait d'une
initiative prise en 2017, par M
me
Lahaye-Battheu, membre du groupe
ADLE, qui avait demandé que soient examinées les pratiques des
différents pays au sujet du don de gamètes et d'embryons
destinés à la procréation médicalement
assistée, l'objectif étant de trouver des solutions à la
pénurie de donneurs, d'améliorer la santé
génésique et de défendre les droits de toutes les
parties.
Elle a ensuite insisté sur la vulnérabilité des enfants conçus par don de gamètes, considérant que la seule façon de respecter l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant, aux termes duquel ceux-ci doivent avoir la possibilité de connaître leurs parents et d'être élevés par eux, était de lever l'anonymat des donneurs. Elle a plaidé, en cela, pour une consécration du droit à connaître ses origines, qui est lié au droit à l'identité et au développement personnel.
M me Petra De Sutter a jugé en outre important de lever l'anonymat des donneurs de gamètes parce que le contexte sociétal a changé, du fait d'Internet et des tests ADN notamment, qui rendent désormais illusoire le respect de ce principe. Elle a ajouté que les résultats constatés dans les pays qui ont fait évoluer leurs législations étaient positifs, citant à cet égard le cas de la Suède, depuis 1984, de l'Allemagne, de la Suisse, des Pays-Bas, de l'Autriche, de la Finlande, de l'Islande et du Royaume-Uni, le Portugal étant le dernier pays en date à l'avoir fait pour se conformer à une décision de son Tribunal constitutionnel.
Anticipant une baisse prévisible du nombre de donneurs de gamètes après une levée de l'anonymat, elle a fait valoir que, sur le long terme, la tendance devait s'inverser avec des donneurs au profil plus mûr. Elle a estimé que le respect des droits de l'Homme exigeait de trouver un équilibre entre les enfants, les donneurs, les parents juridiques, mais aussi les cliniques, les prestataires de services, la société dans son ensemble, ainsi que l'État, qui a aussi des obligations.
La rapporteure a défendu que, de ce point de vue, la solution optimale était que les enfants puissent connaître, à l'âge de 16 ou 18 ans via un registre national, les donneurs dans tous les États membres du Conseil de l'Europe, les donneurs devant quant à eux être protégés face à certaines exigences juridiques, financières ou parentales. Elle a soutenu également que les donneurs comme les enfants conçus par don de gamètes devaient recevoir des conseils et être orientés avant de décider de leur don ou de lever l'anonymat. Pour conclure, elle a laissé au Comité des Ministres le soin d'apprécier si la recommandation soumise au vote de l'Assemblée parlementaire sur le sujet devait devenir juridiquement contraignante, et dans l'affirmative à partir de quand.
M me Martine Wonner (Bas-Rhin - La République en Marche) , saisissant l'occasion de sa première intervention dans l'hémicycle de l'APCE depuis sa désignation comme membre de la délégation française, a souhaité faire part de sa joie de siéger dans cette enceinte, le Conseil de l'Europe incarnant à ses yeux, mieux que toute autre Organisation, la promesse de dialogue et de coopération entre les peuples.
Après avoir rendu hommage à l'association PMAnonyme, avec laquelle elle a beaucoup travaillé sur le sujet, elle a formé l'espoir qu'à l'occasion de l'examen par le Parlement français de la prochaine loi relative à la bioéthique, la France rejoigne la Suède, l'Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Portugal sur la voie du renoncement à l'anonymat des donneurs de gamètes. Elle a indiqué qu'elle avait personnellement préparé une proposition de loi en ce sens, à ce stade transmise au ministère des Solidarités et de la Santé.
M me Martine Wonner a jugé aisément compréhensible qu'un individu, une fois atteint l'âge adulte, ait envie, non par intérêt mais par besoin, de connaître ses origines biologiques pour se construire. Elle a rejoint, sur ce point, l'affirmation de la rapporteure selon laquelle la quête identitaire des personnes issues d'un don de gamètes n'était pas moins légitime que celles de personnes adoptées.
Elle s'est également déclarée en accord avec les constats justifiant des recommandations fortes et des évolutions en la matière, notamment s'agissant des avancées technologiques qui permettent déjà à des individus de se lancer sur Internet à la recherche de leurs origines. Elle a fait valoir à cet égard que, si les États ne se saisissaient pas de la question, il en résulterait le risque d'une marchandisation de cette quête, d'une mauvaise protection des données et d'une fragilisation accrue des personnes à la recherche de leurs origines.
Elle a conclu en soulignant que ce sujet n'était ni politique, ni idéologique, mais bien social, au sens où il permet à des individus, indépendamment de la protection des donneurs qui doit être naturellement garantie, de s'inscrire dans une généalogie, non pour des raisons biologiques ou filiales, mais pour se construire une personnalité.
2. Un sujet sociétal : les médias sociaux, créateurs de lien ou menaces pour les droits humains ?
En clôture de la session de printemps, l'Assemblée parlementaire a adopté, sur le rapport de M. José Cepeda (Espagne - SOC), au nom de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, une résolution sur les médias sociaux.
Après avoir insisté, lors du débat, sur l'importance que prend aujourd'hui l'intelligence artificielle, le rapporteur a indiqué que son travail portait plus particulièrement sur la défense des droits des usagers. Soulignant que ce vaste espace de communications engendre tout aussi bien des informations et connaissances que des fausses nouvelles, il a jugé indispensable de travailler sur le sujet au sein de l'Assemblée parlementaire, mais aussi des Parlements nationaux.
Pour expliciter le contenu de son rapport, M. José Cepeda est parti du constat de l'existence de systèmes informatiques qui, même sur les réseaux sociaux, observent et identifient les gens pour exploiter des informations pertinentes, à l'instar des chambres d'écho et des bulles de filtrage utilisées afin d'orienter les utilisateurs dans certaines directions. Il en a déduit, en corollaire, un fort risque de désinformation, notamment à l'occasion des campagnes électorales.
Il a alors détaillé les trois idées force servant de fil conducteur à sa réflexion.
Tout d'abord, il a appelé à la mobilisation des législateurs nationaux pour prendre des dispositions à l'encontre des filtres donnant une version tronquée de la réalité aux citoyens. En cela, il a espéré une ratification rapide, par les pays ne l'ayant pas encore fait, de la convention 108 modernisée pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.
En deuxième lieu, il a estimé indispensable de préserver la propriété des utilisateurs sur leurs données personnelles incluses dans leurs smartphones et ordinateurs, en prohibant la présence de systèmes ou d'algorithmes opaques. À l'appui de son propos, il a indiqué que Sir Berners-Lee, l'un des pères d'Internet ayant développé le protocole http, jugeait nécessaire de reprogrammer le Web pour renforcer le contrôle des utilisateurs sur leurs données et éviter qu'elles ne servent les intérêts de sociétés privées. Dans cette optique, il a plaidé en faveur d'une meilleure éducation dès le plus jeune âge à l'égard des dangers de la Toile.
Enfin, le rapporteur a considéré qu'un changement de modèle économique s'impose, sans que cela débouche pour autant sur une limitation des services proposés.
En conclusion, il a fait valoir que les utilisateurs des réseaux sociaux restent vulnérables. Mettant en balance la société de la connaissance avec la société de la désinformation, il a souhaité que les réseaux sociaux incarnent davantage leur dimension sociale pour l'ensemble des 800 millions de personnes vivant dans les États membres du Conseil de l'Europe.
Après avoir souligné l'importance que les médias sociaux ont prise au quotidien, M me Martine Leguille Balloy (Vendée - La République en Marche) a insisté sur les avantages, mais aussi les inconvénients de l'utilisation exponentielle de ces outils dans nos vies, tant privée que professionnelle, voire de citoyen. Elle a regretté que le rapporteur ne se soit pas suffisamment emparé du problème de la responsabilité des utilisateurs-diffuseurs. Illustrant son propos par un exemple personnel, elle a rappelé que les parlementaires français, après avoir adopté deux textes sur le glyphosate et sur la taxe carbone appliquée aux carburants, avaient reçu des dizaines, voire des centaines de messages d'insultes et des menaces, leurs proches étant également ciblés.
Ne souhaitant pas s'appesantir sur le désagrément, voire la crainte causée par de tels messages, elle a fait part de son étonnement de découvrir que nombre d'entre eux étaient anonymes et que les adresses IP étaient pour la plupart maquillées ou inexistantes.
Précisant qu'aux termes de la loi française, si les menaces peuvent constituer un délit, l'envoi d'insultes dégradantes, non réitérées par la même personne mais reprises par de multiples expéditeurs, n'était pas considéré comme du harcèlement et donc pas condamnable, elle s'est étonnée de cet état du droit car de tels comportements peuvent avoir des conséquences dramatiques sur des personnes fragiles. Elle a estimé que le plus grave était que les internautes, diffuseurs de tels messages, ne sont pas forcément conscients des dégâts qu'ils peuvent provoquer en écrivant, depuis leur ordinateur, bien cachés chez eux.
Elle a estimé que l'APCE, Assemblée des droits de l'Homme, pourrait utilement se saisir plus avant de cette question. Elle a suggéré à cet égard l'élaboration d'un protocole additionnel à la convention 108 qui, à l'instar des mentions portées sur les bouteilles d'alcool ou les paquets de cigarettes, obligerait les réseaux sociaux à diffuser un bandeau indiquant, par exemple : « Aucun écrit diffusé n'est anodin et chacun est toujours susceptible d'engager votre responsabilité, notamment pour les conséquences qu'il peut entraîner pour son destinataire ».
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - Les Républicains) a tout d'abord souhaité répondre à l'interrogation soulevée par le titre du rapport examiné, à savoir « les médias sociaux sont-ils créateurs de liens sociaux ou des menaces pour les droits humains ? », par ce trait d'humour : « Les deux, mon général ! ».
Constatant que les responsables politiques et les institutions, conscients des nouvelles pratiques, consultent les citoyens sur des plateformes numériques et communiquent via leurs pages Instagram ou Facebook, à l'instar du grand débat en France ou de la consultation sur le changement d'heure sur le site Web de l'Assemblée nationale, il s'est réjoui que les nouvelles technologies favorisent la liberté d'expression. Il a toutefois noté que le meilleur côtoie aussi le pire, ainsi que l'avait montré la tuerie de Christchurch, en Nouvelle Zélande, diffusée en direct sur Internet pendant 17 minutes, sans que Facebook ne réagisse et ne coupe la retransmission.
Après s'être interrogé sur le fait de savoir s'il fallait plutôt contrôler ou réguler le contenu des médias sociaux, il a considéré que les plateformes ont une responsabilité importante, en ce qu'il leur revient de réfléchir à un équilibre entre algorithmes et contrôle humain. Il a également plaidé pour que le législateur prenne sa place dans le dispositif, s'appuyant sur l'exemple de la loi « NetzDG » qui, en janvier 2018, a fait le grand ménage sur les réseaux sociaux allemands grâce à l'obligation pour les plateformes de supprimer sous 24 heures les contenus incitant à la haine ou visiblement illicites, avec des amendes dissuasives à la clé. Il s'est félicité que la France s'engage sur la même voie, tout en estimant nécessaire d'évaluer les résultats du dispositif qui sera retenu.
M. Frédéric Reiss a abondé dans le sens d'une inscription de l'utilisation des médias sociaux dans les programmes scolaires. Il a relevé que les jeunes, grands utilisateurs de médias sociaux, ne sont pas toujours conscients des dangers et des dérives de ces lieux d'expression et d'échange, de sorte que l'éducation aux médias sociaux pourrait permettre une meilleure protection contre le fléau du harcèlement numérique en milieu scolaire, source de déscolarisation, voire de suicide.
Jugeant la question de la gouvernance de l'Internet centrale pour les droits humains, il a indiqué travailler actuellement à la création d'un Ombudsman au niveau européen, une sorte de médiateur qui servirait aux utilisateurs du Net comme aux plateformes pour un meilleur respect des droits de l'Homme et du citoyen.