II. UN DISPOSITIF INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DES OUTRE-MER
1. L'emploi et la situation socio-économique de la jeunesse constituent une difficulté structurelle des outre-mer
Le service militaire adapté inscrit son action dans un contexte particulier, marqué par un ensemble de difficultés socio-économiques et sécuritaires.
Rassemblant plus de 2,7 millions d'habitants, soit un peu plus de 4 % de la population française, les outre-mer connaissent une situation économique et sociale très défavorable par rapport à la métropole. Cette situation est particulièrement sensible s'agissant de la situation socio-économique des jeunes.
Dans le domaine de l'éducation , par exemple, la part des jeunes de dix-huit ans en difficulté de lecture atteint, selon le ministère de l'éducation nationale, entre 30 % et 75 % dans les départements d'outre-mer, contre 10 % dans l'hexagone.
Le PIB par habitant correspond environ à près de 60 % de celui de la métropole, le taux de chômage se situant quant à lui en moyenne à 23 %, oscillant entre 17,8 % (en Martinique) et 26 % (à Mayotte) et. Par ailleurs 80 % de la population est éligible au logement social et près de 70 % au logement locatif très social. Les jeunes sont particulièrement touchés par ce phénomène.
Le chômage, particulièrement élevé, est d'abord structurel et donc relatif à des causes propres aux régions d'outre-mer. Au-delà de l'étroitesse des marchés du travail qui se caractérisent en outre par la faiblesse de l'activité, il est lié aux fortes augmentations de la population active et à l'important retard en termes de formation 5 ( * ) . Parmi les causes identifiées, le faible niveau de qualification arrive au premier rang, alors que les secteurs créateurs d'emplois requièrent des compétences spécifiques. Le manque d'emplois, par ailleurs, est à l'origine d'un recours massif aux minimas sociaux.
Le taux de chômage des 15-24 ans est ainsi supérieur à 50 % dans les départements d'outre-mer et atteignait près de 58 % en Guadeloupe contre 23,7 % en métropole en 2016. Réciproquement, le taux d'emploi des 15-24 ans était en moyenne deux fois inférieur en outre-mer à celui de la métropole (28,4 %).
Les mouvements sociaux survenus en mars 2017 en Guyane et en 2018 à Mayotte tirent leurs origines de ces fragilités économiques et sociodémographiques structurelles, qui viennent s'ajouter aux problèmes d'insécurité propres à ces territoires.
La participation du SMA à la lutte contre la délinquance juvénile Si le SMA n'a pas vocation, de par le statut militaire de ses volontaires, à traiter ou à être une réponse à la violence ou la délinquance des jeunes, voire à être une alternative à l'incarcération, il n'en demeure pas moins un acteur de prévention des comportements déviants ou illégaux. En effet, au-delà du cadre, des valeurs et du régime de vie militaire qu'il impose aux volontaires, le SMA conduit, en particulier lors du premier mois de formation, des actions de prévention souvent en partenariat avec des acteurs spécialisés : - en matière de prévention de la délinquance , des séances collectives sont conduites, au sein du régiment, sous forme d'informations en salle de cours ou sous forme d'ateliers participatifs. Elles sont en général conduites, dans le cadre d'un partenariat, par les brigades spécialisées de la gendarmerie nationale ou des associations reconnues localement pour leur action de prévention et de médiation vers les jeunes ; - en matière de prévention et suivi des comportements addictifs ; le service médical du régiment opère, pour chaque volontaire un dépistage urinaire se traduisant par la détection des inaptitudes définitives ou temporaires à suivre telle ou telle formation (tir, permis de conduire, travail en hauteur...), et un suivi spécifique individualisé par le médecin ; - en matière de connaissance et respect des droits individuels , des séances sont conduites, au sein du régiment, sous forme d'informations en salle de cours ou sous forme d'ateliers participatifs. Source : réponse aux questionnaires de la commission des finances du Sénat |
2. Un public particulièrement éloigné de l'emploi, conformément à l'objectif du dispositif
Le SMA se distingue par son mode de recrutement « par le bas », qui vise à sélectionner les profils les plus éloignés de l'emploi. Le respect de ce principe se matérialise principalement par la forte proportion de bénéficiaires en situation d'illettrisme et de non-diplômés . La féminisation des promotions constitue également un enjeu majeur du recrutement du SMA, les femmes connaissant un taux d'emploi inférieur à celui des hommes.
Le SMA est ainsi caractérisé par une importante représentation des non-diplômés parmi les volontaires stagiaires, qui représentent plus d'un tiers des promotions . Ces dernières années, les taux fluctuent en fonction des recrutements de plus en plus difficiles sur certains territoires, ce qui oblige à accueillir tous les jeunes qui se présentent, sans pouvoir privilégier le recrutement de ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi, donc non-diplômés (voir infra , 1 du I de la troisième partie). Ce phénomène explique par exemple les baisses constatées en Martinique et en Guadeloupe entre 2016 et 2017.
Taux de non-diplômés parmi les volontaires stagiaires
2016 |
2017 |
|
Martinique |
32,0 % |
29,0 % |
Guadeloupe |
29,0 % |
28,0 % |
Guyane |
35,0 % |
36,0 % |
La Réunion |
34,0 % |
29,0 % |
Mayotte |
33,0 % |
32,0 % |
Nouvelle-Calédonie |
30,0 % |
32,0 % |
Polynésie française |
36,0 % |
35,0 % |
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire
Pour autant, ces chiffres sont à mettre en perspective avec le taux d'illettrisme à l'entrée du SMA qui tend à se maintenir à un niveau élevé, voire à progresser.
En 2012, le SMA a ainsi fixé un objectif d'accueil d'au moins 30 % de personnes en situation d'illettrisme parmi les bénéficiaires du dispositif.
La lutte contre l'illettrisme au sein du SMA : le programme SMAlpha Depuis 2012, le SMA a marqué un effort spécifique dans le domaine de la lutte contre l'illettrisme, en concevant et conduisant le programme SMAlpha. Ce programme vise à faire acquérir les savoirs et compétences de base en intégrant des pédagogies, des expertises et des outils qui ont été adaptés au public SMA et au contexte spécifique des Outre-mer : - mise à disposition, par les rectorats et vice-rectorats, au sein des régiments du SMA d'une vingtaine de professeurs de l'Éducation nationale (2 à 3 par régiment) pour préparer les non diplômés au Certificat de formation générale (CFG) ; - déploiement dans tous les régiments d'un didacticiel numérique de remédiation cognitive développé par la société GERIP permettant d'inscrire la progression des bénéficiaires dans une démarche plus personnalisée. Cette action a été cofinancée durant les deux premières années par le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ) ; - mobilisation de la ressource des Engagés du Service civique dans le cadre du partenariat national SMA-Agence du Service civique ; - création de projets pilotes dans le domaine de l'expression orale et/ou écrite en partenariat avec des associations (Agir pour l'école, Labo des Histoires, atelier théâtre). Source : réponse aux questionnaires de la commission des finances du Sénat |
En 2013, le SMA a adopté dans tous les régiments le test d'évaluation de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) dorénavant passé par tous les volontaires lors du premier mois de formation.
En 2016, 37,8 % des volontaires stagiaires accueillis étaient considérés comme illettrés au test de l'ANLCI. En 2014, ce taux s'élevait à 19,2 % pour l'ensemble des départements d'outre-mer, contre 3,5 % en métropole (la moyenne nationale étant de 4,1 %) 6 ( * ) . La surreprésentation de ce public au sein des promotions du SMA apparaît conforme à l'objectif du dispositif.
Taux d'illettrisme à l'entrée des
volontaires stagiaires du SMA
et dans le territoire
concerné
2016 |
2017 |
Taux d'illettrisme dans le territoire (2014) 7 ( * ) |
|
Martinique |
36,1% |
44,3% |
16,3 % |
Guadeloupe |
35,4% |
34,4% |
16,1 % |
Guyane |
49,1% |
52,6% |
27,2 % |
La Réunion |
35,4% |
36,8% |
14,4 % |
Mayotte |
41,4% |
39,6% |
48,1 % |
Nouvelle-Calédonie |
38,0% |
38,0% |
|
Polynésie française |
33,9% |
31,3% |
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires et d'après la délégation interministérielle à la langue française pour la cohésion sociale
Les femmes connaissent, en outre-mer comme dans l'hexagone, un taux d'emploi inférieur à celui des hommes. C'est pourquoi, en 2013, année charnière de sa montée en puissance, le SMA s'était fixé l'objectif d'accueillir 30% de volontaires féminines. En 2016, en moyenne, 27% des volontaires sont des femmes, soit un quart des bénéficiaires. Ce taux de féminisation est près de trois fois supérieur à celui de l'armée de terre (10 % en 2015).
Évolution du taux de féminisation du SMA
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire
Le taux de féminisation varie selon les territoires. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, ce dernier dépasse les 40 % alors qu'il stagne à 15 % en Guyane. Ces situations sont très largement dues aux différences historiques et sociologiques entre ces territoires.
Taux de féminisation du SMA
Martinique |
34,1% |
Guadeloupe |
31,8% |
Guyane |
17,8% |
La Réunion |
21,7% |
Mayotte |
20,0% |
Nouvelle-Calédonie |
44,7% |
Polynésie française |
35,5% |
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire
Aucun filtre de sélection sur le sexe n'est opéré par les acteurs du recrutement. Celle-ci s'opère « naturellement » au regard du bassin de recrutement et des candidats au volontariat.
En effet, le SMA cherche en permanence à adapter ses modes d'action et son offre de formation aux réalités du marché de l'emploi. Le SMA fait évoluer son ingénierie de formation au regard des perspectives de débouchés professionnels propres à chaque territoire (cf. infra ). La mise en oeuvre de filières de formation plus attractives pour les femmes s'inscrit dans ce processus et non pas dans celui d'une « discrimination positive ». Dans ce cadre, de nouvelles filières qui attirent davantage de femmes ont été ouvertes ces dernières années 8 ( * ) .
L'analyse de la composition des promotions de volontaires stagiaires confirme donc une surreprésentation des publics éloignés de l'emploi. C'est à la lumière de cette donnée qu'il convient d'apprécier les résultats d'insertion du SMA, qui apparaissent particulièrement satisfaisants.
3. Malgré ces données socio-économiques défavorables, le SMA atteint des résultats d'insertion particulièrement satisfaisants
Le taux d'insertion 9 ( * ) des volontaires stagiaires, qui constitue le principal indicateur de performance du dispositif, atteint des niveaux particulièrement satisfaisants, entre 77 et 74 % sur les 7 dernières années, eu égard aux caractéristiques socio-économiques des outre-mer et des bénéficiaires. Le maintien d'un taux d'insertion élevé malgré l'augmentation continue des effectifs depuis 2010 traduit le bon fonctionnement général du SMA. Des disparités géographiques importantes subsistent toutefois, le plus fort taux d'insertion s'élevant ainsi à 93,5 % à Mayotte et le plus bas à 72,9 % en Nouvelle-Calédonie.
Taux d'insertion des volontaires stagiaires du SMA
(en %)
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires
Les résultats montrent une tendance à l'augmentation de la qualité de l'insertion révélée, dans la quasi-totalité des territoires, par la part croissante des emplois durables. Ainsi, la part des volontaires stagiaires bénéficiant d'un emploi durable dans les six mois suivant la fin de leur formation au SMA a augmenté de près de 20 points entre 2013 et 2016.
Part des volontaires stagiaires
insérés
par type d'insertion
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires
Ces dernières années, les besoins du ministère des Armées ont favorisé cette tendance. La part des volontaires stagiaires insérés au sein de ce dernier est ainsi passée de 2,7 % à 5,7 %.
Part des volontaires stagiaires insérés
dans un emploi
au ministère des Armées
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire
Vos rapporteurs spéciaux ont également pu constater, lors de leurs auditions, que le renforcement des emplois aidés a contribué à l'évolution positive du taux d'insertion. De tels constats restent toutefois difficiles à objectiver, puisque le SMA ne suit pas la répartition des insertions dans le secteur marchand et non marchand.
Malgré ces résultats d'insertion satisfaisants, les différentes unités peuvent connaître des situations contrastées. Ainsi, les difficultés de recrutement apparues dans les Antilles ont nécessité des redéfinitions des cibles de bénéficiaires pour permettre à l'ensemble du SMA d'atteindre ses objectifs. Ces difficultés se sont confirmées en 2018 et militent pour une nouvelle répartition géographique des bénéficiaires du SMA (voir infra , 1 du I de la troisième partie).
Pour les régiments du Pacifique, vos rapporteurs spéciaux constatent en Nouvelle-Calédonie une nette baisse de la poursuite de formation au profit de l'emploi, liée pour partie à une capacité d'absorption insuffisante des structures de formation du territoire mais aussi aux actions de l'encadrement en direction des employeurs. Néanmoins, la part de l'emploi durable y apparaît plus faible que sur les autres territoires. Pour la Polynésie française, après une année 2016 montrant une situation inverse à celle de l'ensemble du SMA, avec une nette baisse des parts de l'emploi durable et de l'emploi de transition, compensée par une forte augmentation des sorties positives (bénéficiaire en emploi ou en poursuite de formation), la part de l'emploi durable remonte.
4. Une offre de formation adaptée aux besoins locaux
Le SMA inscrit son action dans une démarche socio-économique fondée sur le développement et l'animation d'un réseau de partenaires institutionnels, privés et associatifs fortement sollicités. Dans ce domaine d'action prioritaire, les cadres du SMA entretiennent de manière permanente des liens de travail sur le développement des filières et les compétences à acquérir, avec leurs partenaires respectifs (ceux qui ont les besoins en ressources humaines à savoir les entreprises), mais aussi d'influence (syndicats, fédérations, chambres consulaires) et de compétences (centres de formation, Pôle emploi, organismes paritaires collecteurs agréés, conseils régionaux, conseils économique, social et environnemental régionaux).
De surcroît, dans les DROM et depuis 2014, chaque chef de corps du SMA siège, parmi les représentants permanents de l'État, au sein du Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (CREFOP) où il participe au diagnostic, à l'étude, au suivi et à l'évaluation des politiques nécessaires pour assurer la coordination entre les acteurs des politiques d'orientation, de formation professionnelle et d'emploi et la cohérence des programmes de formation dans la région.
Enfin, chaque formation du SMA anime annuellement et localement un Conseil de perfectionnement (CP), présidé par le préfet ou le haut-commissaire, en présence du représentant de la région (ayant compétence sur la formation professionnelle) et des acteurs de l'orientation, de la formation et de l'emploi 10 ( * ) . Chaque CP rend compte de la performance de la formation du SMA considérée, présente les perspectives d'évolution en particulier dans le domaine des filières professionnelles et formalise des propositions sous l'autorité du préfet ou du haut-commissaire qui sont ensuite portées à la validation du ministère des Outre-mer. Vos rapporteurs spéciaux ont ainsi pu assister à celui de Mayotte et constater la réelle volonté d'adaptation du SMA aux besoins et au tissu productif locaux, ainsi que la réelle implication des partenaires extérieurs concernés.
Répartition des volontaires
par domaines
professionnels en 2016
(en %)
Source : direction générale des outre-mer
* 5 Insee, Enquête emploi en continu en Guadeloupe - Le chômage diminue en 2017, 10 avril 2018.
* 6 Illettrisme, état des lieux : les données et chiffres clés, 2017, délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale
* 7 Ibid.
* 8 Ainsi, par exemple, en 2013, le SMA de Martinique a ouvert une filière « agent d'accueil touristique » et « hôtellerie » et celui de Guadeloupe, une filière « agent de propreté et d'hygiène ». En 2014, le SMA de Martinique a ouvert une filière « agent de propreté et d'hygiène » et celui de Mayotte, une filière « aide à la personne ». En 2015, une nouvelle offre de poursuite de formation en métropole a été mise en place avec l'ouverture d'une filière « assistant de vie aux familles » au détachement de Périgueux.
* 9 Nombre de volontaires insérés / nombre de volontaire formés. Un volontaire est considéré comme inséré s'il trouve un emploi rémunéré ou entre dans un dispositif qualifiant de formation professionnelle dans les six mois suivant la fin de la formation au SMA.
* 10 Les conseils de perfectionnement sont composés des services de l'Etat des domaines de l'emploi (Pôle emploi), de l'orientation (incluant les missions locales), du social, de l'éducation académique, de la formation professionnelle, de l'agriculture, de la forêt et de l'environnement, des affaires maritimes, des directions départementales, des conseils régionaux et départementaux ou gouvernement et assemblées de Provinces (NC et PF), du comité économique, social et environnemental, des chambres consulaires, des associations des maires, des organismes de formation professionnelle, des représentants locaux des OPCA, acteurs liés à la mobilité en métropole (LADOM). Les organisations syndicales professionnelles (MEDEF, CPME, MPI, TPE), les branches professionnelles (fédérations, unions...) et des organismes ou entreprises partenaires peuvent également y être invités.