II. CONSOLIDER L'ESPACE SCHENGEN PRÉALABLEMENT À TOUT NOUVEL ÉLARGISSEMENT

La commission d'enquête avait considéré que l'espace Schengen , qui comprend actuellement 26 pays, dont 22 États membres de l'Union européenne et 4 États associés (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein), ne devait pas connaître de nouveaux élargissements avant sa consolidation . En revanche, et alors que la Roumanie et la Bulgarie ont engagé un processus d'adhésion à Schengen après leur entrée dans l'Union européenne en janvier 2007, elle avait proposé de donner à ces deux pays un accès au système d'information sur les visas (VIS) en mode consultation de manière à garantir le bon fonctionnement du futur système entrée/sortie (SES). Elle avait ainsi approuvé l'orientation du non paper commun du 29 février 2016 par lequel la Bulgarie et la Roumanie, ainsi que la Croatie, avaient sollicité l'attribution d'un accès passif au VIS (en mode consultation) et la possibilité d'alimenter pleinement le système d'information Schengen (SIS).

Sur ces deux points, la commission d'enquête a été suivie .

• Selon les conclusions du Conseil du 9 juin 2011, la Roumanie et la Bulgarie présentent un niveau suffisant de préparation technique.

Toutefois, l'inscription à l'ordre du jour du Conseil Justice et affaires intérieures (JAI) d'une décision de suppression des contrôles aux frontières intérieures avec les deux pays a été régulièrement différée depuis 2011, compte tenu de la sensibilité particulière de la zone en termes de migration illégale et de criminalité organisée. De fait, la Roumanie et la Bulgarie n'appliquent que partiellement l'acquis de Schengen .

M. Jean-Yves Leconte exprime des réserves sur le traitement de ces deux pays vis-à-vis de l'acquis de Schengen. En effet, la situation géographique de la Roumanie et de la Bulgarie rend certes difficile, dans le contexte actuel, une intégration complète de ces pays dans l'espace de libre circulation. La continuité de la Bulgarie avec la Turquie et la Grèce pourrait permettre des transferts de la Grèce vers le nord de la zone Schengen. Mais la proposition de la France d'accepter une application de l'acquis de Schengen pour les mouvements aériens entre ces deux pays et le reste de l'espace Schengen serait une étape permettant toutefois d'apporter un soutien à ces pays qui font de réels efforts pour intégrer l'espace Schengen, sans fragiliser le contrôle de nos frontières grâce au fonctionnement du PNR.

Par ailleurs, plus de dix ans après leur adhésion, ces deux pays font toujours l'objet d'un suivi spécifique de la part de l'Union européenne, au titre du mécanisme de coopération et vérification (MCV) , compte tenu de retards persistants dans leur processus de réformes. Il s'agit de veiller à ce que ces deux pays respectent pleinement et de manière irréversible l'État de droit et l'indépendance du système judiciaire . M. Jean-Yves Leconte considère toutefois que le MCV apparaît de plus en plus comme un prétexte, puisqu'il s'applique à ces deux pays, mais pas aux pays de l'espace Schengen où l'État de droit et l'indépendance du système judiciaire sont aujourd'hui remis en cause.

À cet égard, il convient toutefois de constater que les progrès sont lents selon les rapports établis par la Commission européenne sur la Bulgarie 11 ( * ) et la Roumanie 12 ( * ) au titre du MCV, le 15 novembre 2017. C'est le cas, par exemple, de la lutte contre la corruption. Fin décembre 2017, la Bulgarie a adopté une nouvelle loi de lutte contre la corruption qui prévoit la mise en place d'une autorité unique, réunissant cinq services préexistants, qui vise à réprimer la corruption et confisquer les biens acquis de façon illicite. Toutefois, ce nouveau texte apporte peu de changements par rapport à la procédure antérieure, ne disposant toujours pas de pouvoirs d'enquête, et peu de garanties en matière d'écoutes téléphoniques illégales, qui restent courantes dans ce pays. Une détérioration de la situation des médias a également été signalée, en raison d'une concentration de la propriété entre les mains de personnes liées par des intérêts économiques ou politiques, ou encore de fortes pressions sur des journalistes et médias indépendants. La situation en Roumanie est également source d'inquiétudes. En février dernier, le ministre de la justice a annoncé une procédure de révocation du procureur en chef du parquet national anticorruption, en dehors de toute procédure disciplinaire aboutie et en contradiction avec les conclusions d'un rapport de l'inspection judiciaire. Cette décision est largement perçue dans l'opinion publique roumaine comme une tentative pour empêcher la poursuite des enquêtes visant plusieurs personnalités politiques au pouvoir. Elle est également à l'origine de tensions institutionnelles : alors que le président de la République, suivant l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, avait refusé de procéder à cette révocation, la Cour constitutionnelle a considéré que le chef de l'État n'avait pas de pouvoir discrétionnaire en matière de révocation du procureur en chef, donnant ainsi raison au ministre de la justice. Dans ce contexte, des voix se sont élevées pour protester contre l'atteinte portée à l'indépendance de la justice en Roumanie, et des commentateurs ont souligné l'affaiblissement de la fonction présidentielle résultant de cette décision. Enfin, en juin dernier, le parlement roumain a adopté une réforme du code de procédure pénale qui restreint les moyens à la disposition des enquêteurs et des juges et qui porte atteinte à la coopération judiciaire internationale avec la Roumanie.

M. Jean-Yves Leconte tient à exprimer ses réserves sur ce point. Il considère en effet que les pressions de l'Union européenne sur la Roumanie et la Bulgarie pour lutter contre la corruption engendrent elles-mêmes des atteintes à la séparation des pouvoirs : la lutte contre la corruption dans ces pays se fait parfois hors respect de la séparation des pouvoirs et de la présomption d'innocence.

• Le Conseil JAI du 12 octobre 2017 a adopté la décision permettant un accès passif au VIS pour la Bulgarie et la Roumanie . L'application ne se fera que sur décision de la Commission, une fois que les tests menés par l'agence eu-LISA 13 ( * ) seront conclusifs. Par ailleurs, le projet de décision relatif à l'alimentation du SIS a été adopté par le Conseil JAI du 7 décembre 2017 et le Parlement européen a donné son aval à ce texte le 13 juin dernier : la Roumanie et la Bulgarie seront tenues de refuser l'entrée ou le séjour sur leur territoire respectif aux ressortissants de pays tiers pour lesquels une interdiction d'entrée a été émise par un autre État membre et devront diffuser ces alertes.

Toutefois, la possibilité pour ces deux pays d'alimenter pleinement le SIS et de disposer d'un accès passif au VIS ne préjuge pas de l'adhésion formelle de ces deux pays à l'espace Schengen , qui requiert une décision du Conseil à l'unanimité.

La Commission, dans sa communication du 27 septembre 2017 intitulée Préserver et renforcer Schengen 14 ( * ) , a toutefois regretté cette situation et a invité « le Conseil à adopter dès à présent la décision permettant l'application intégrale de l'acquis de Schengen en Bulgarie et en Roumanie et la suppression des vérifications effectuées sur les personnes aux frontières intérieures terrestres, maritimes et aériennes ».

La Roumanie et la Bulgarie ont légitimement vocation à entrer dans l'espace Schengen. La finalisation des chantiers législatifs relatifs à la gestion intégrée des frontières extérieures à l'horizon 2020-2021 apparaît comme une perspective réaliste pour cette adhésion.

La situation rencontrée avec la Croatie diffère largement, notamment parce les négociations portant sur son adhésion ont largement bénéficié du retour d'expérience avec la Bulgarie et la Roumanie. L'Union européenne conduit d'ailleurs des négociations avec la Croatie pour permettre l'intégration de ce pays à l'espace Schengen, d'abord pour faciliter le passage de la frontière entre la Slovénie et la Croatie, ensuite pour renforcer la sécurisation de la frontière entre la Croatie et la Bosnie Herzégovine.


* 11 Texte COM (2017) 750 final.

* 12 Texte COM (2017) 751 final.

* 13 Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

* 14 Texte COM (2017) 570 final.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page