C. QUELLES PISTES POUR (RE)MOBILISER LES JEUNES CITOYENS ?

La faible participation électorale de la jeunesse reflète, pour une large part, un dysfonctionnement global de notre système démocratique. Elle est liée à une perte de sens des institutions sous l'effet de la triple crise évoquée précédemment : crise de la représentativité, de l'efficacité et de l'exemplarité des élites politiques. Il ne nous appartient donc pas, dans le cadre du présent rapport, de nous pencher sur les mesures globales susceptibles d'avoir un effet sur la mobilisation des citoyens, mais, beaucoup plus modestement, de tenter de formuler quelques propositions ciblées sur la participation politique des plus jeunes . Ces propositions n'ont par ailleurs aucunement un caractère prescriptif : elles visent avant tout à nourrir un débat collectif qui ne s'est pas encore suffisamment emparé de cette question : comment rapprocher la politique des jeunes et les jeunes de la politique ?

1. Le levier de l'âge du droit de vote

Abaisser cet âge renforcerait mécaniquement le nombre de jeunes qui participent aux élections et donc le poids des jeunes dans le résultat du scrutin. Il n'est pas certain toutefois qu'une telle mesure modifierait significativement la participation électorale de la jeunesse et le poids électoral relatif des différentes générations, car on sait que, s'il se produit un pic de participation lors de l'accès à la majorité électorale, ce pic est ensuite suivi d'un décrochage fort et durable. Le fond du problème n'est pas le droit de vote des jeunes, mais leur désir de l'exercer.

2. Faciliter l'abord de la participation politique

La notion de « cens caché » est centrale pour appréhender les phénomènes d'abstention politique 30 ( * ) . On sait en effet depuis plusieurs décennies que la décision des électeurs de participer aux élections est liée à la compétence politique et, plus fondamentalement encore, au sentiment de détenir une compétence politique légitime. Si comme on l'a indiqué précédemment, l'abstention est parfois un choix politique à part entière pour la partie de la jeunesse la plus éduquée, en revanche, une autre partie de la jeunesse continue sans doute à se heurter à des barrières culturelles fortes à la participation électorale .

Il faut donc réfléchir à la façon de lever ces barrières par la mise en place d' un travail d'information, d'éducation, d'encouragement et d'accompagnement à l'exercice du vote . Une des difficultés d'un tel travail de socialisation politique est cependant d'identifier les institutions en mesure de le conduire. Étant donnée la faible légitimité des institutions politiques, faire porter les encouragements au civisme par le personnel politique risquerait d'avoir un effet assez limité. Il en va de même, dans une moindre mesure, pour l'école : l'éducation à la citoyenneté y a certes sa place, mais confier à l'école seule la mission de donner goût à la politique risque d'avoir peu d'effet auprès des nombreux jeunes plus ou moins « dégoûtés » de l'école.

C'est pourquoi il faut réfléchir au développement d'autres voies de socialisation à la citoyenneté , des voies qui permettent une transmission plus « horizontale » et qui passent par des médiations perçues comme légitimes par les jeunes. Cette socialisation pourrait s'envisager par exemple dans le cadre du service civique, et ce à un double niveau :

- D'une part, la socialisation à la citoyenneté pourrait être l'objet même de certaines missions de service civique. Des jeunes engagés auraient alors pour mission de porter auprès des autres jeunes le débat sur le sens de la citoyenneté, le droit de vote et les raisons d'aller voter ;

- D'autre part, plus largement, la socialisation politique pourrait aussi se faire à l'occasion du service civique. De façon assez naturelle en effet, des jeunes engagés dans des actions d'intérêt général avec des motivations sociales ou humanitaires (aider, être utile) prennent assez vite conscience de la nécessité de prolonger leur engagement personnel de proximité par une participation plus large à la vie démocratique. Comme l'a souligné, Sandrine Guimon, ambassadrice nationale d'Unis-Cité : « Au début de leur service, les jeunes n'ont pas conscience d'être citoyens et de participer à la vie de la société, ce n'est pas leur motivation première. Cependant, à la fin de leur service civique, ils se sentent davantage citoyens. » 31 ( * )

3. Apprendre à se mettre à l'écoute des attentes de la population

Si, comme on l'a vu, l'engagement politique ne se manifeste plus prioritairement à travers la participation à l'arène démocratique mais s'exprime plutôt « à bas bruit », à travers des actes du quotidien codés comme des actes politiques ou la participation aux réseaux sociaux, alors c'est un enjeu majeur pour le monde politique de développer sa capacité à entendre ce qui se déroule sur ces fréquences « inaudibles » .

Le travail de terrain y contribue depuis longtemps. Mais ce travail d'écoute de la population doit cependant changer d'échelle.

À cet égard, si le numérique pose un certain nombre de problèmes aux institutions démocratiques (notamment en affaiblissant fortement le poids des relais d'opinion traditionnels), il peut également constituer une partie de la solution à la crise démocratique. Comme l'a souligné Brice Teinturier, « ces nouveaux canaux d'information et ces communautés qui se forment ponctuellement peuvent aider à trouver des solutions afin de compléter la démocratie représentative traditionnelle. La difficulté est d'articuler l'ensemble, l'interpénétration des deux est nécessaire afin de donner aux citoyens le sentiment d'être davantage pris en compte. De plus, le numérique permet de connecter rapidement des individus et donc de renforcer l'efficacité des solutions qu'ils souhaitent mettre en oeuvre . » 32 ( * )

Une partie des forces politiques a certes déjà pris le virage du numérique en développant sa présence sur les réseaux sociaux. Cependant, pour les partis politiques, les réseaux constituent encore principalement une tribune, un lieu où ils poussent leurs idées et critiquent les idées de leurs concurrents (avec tous les excès, voire les manipulations qu'on peut désormais observer dans ces arènes politiques virtuelles). L'enjeu démocratique de fond pour l'avenir est d'utiliser cette présence politique pour chercher à mieux percevoir le pouls de la société et nourrir l'offre politique par la remontée des attentes des citoyens - un lieu en somme où devrait se résoudre en partie la crise de la représentativité.

4. Associer les jeunes sous forme consultative dans les décisions susceptibles de les concerner

La dernière piste suggérée pour rapprocher les jeunes et la politique est de développer les moyens d'associer en tant que tels les jeunes aux décisions susceptibles d'avoir un impact sur eux .

Pourquoi ne pas développer davantage, au niveau local ou national, des panels consultatifs de jeunes citoyens, sociologiquement et culturellement représentatifs de la jeunesse, et s'appuyer sur eux pour tenter d' évaluer ex ante et ex post l'impact des choix collectifs sur la situation de la jeunesse ? De fait, le prisme générationnel est rarement utilisé dans l'évaluation des politiques publiques alors même qu'on sait très bien que les choix politiques ont des impacts générationnellement différenciés.


* 30 Daniel Gaxie, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Le Seuil, 1978

* 31 Sandrine Guimon, Délégation à la prospective du Sénat, Atelier de prospective, « L'avenir des relations entre les générations : démocratie, patrimoine, emploi », 7 juin 2018

* 32 Brice Teinturier, Atelier de prospective, « L'avenir des relations entre les générations : démocratie, patrimoine, emploi », 7 juin 2018

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