C. UN SYSTÈME D'ACHAT DES DENRÉES SPÉCIFIQUE : UNE RICHESSE DU MODÈLE FRANÇAIS QUI S'AVÈRE ÊTRE SOURCE DE COMPLEXITÉ
Il prévaut, en France , comme une étude sur le choix des denrées a pu le révéler, une logique qui « consiste à adapter la mise en oeuvre du FEAD aux objectifs de la politique d'aide alimentaire nationale et à la structuration du réseau d'acteurs en présence » 51 ( * ) . D'autres pays comme l'Espagne ou l'Italie ont préféré choisir la logique inverse qui consiste à adapter les produits choisis aux conditions de gestion spécifiques d'un fonds structurel et aux ressources des associations afin de minimiser les contraintes logistiques et de simplifier la mise en oeuvre du FEAD.
Processus d'achat et de distribution des denrées FEAD
Source : commission des finances du Sénat
Sélection des denrées et rédaction de fiches techniques Durant le deuxième semestre de l'année N-1, une fois que les associations ont exprimé leurs besoins, il s'agit dans un premier temps d'identifier, pour chacun des produits, quelles sont les références usuelles sur le marché (poids unitaire, conditionnement, prix...). Sur la base des options (escalopes de poulets - cher mais facile à cuisiner - ou ailes de poulets - bon marché mais avec des os) ou des types de produits (par exemple farine type 55 ou 65 selon les usages), les associations débattent et recherchent des compromis en fonctions des multiples critères qui conditionnent leurs choix : volume potentiel, allergie, qualité nutritionnelle, présence de protéines, acceptabilité par les publics cibles... L'élément logistique constitue également un élément clé de leurs discussions : adapter le poids maximum des cartons à l'âge des bénévoles ou le nombre de boites par carton aux capacités de distribution des associations locales... Dans un second temps, « FAM acheteur » traduit ces choix en une fiche technique et une fiche logistique propre à chaque denrée . Concernant le volet technique, il s'agit de définir des caractéristiques vérifiables, leurs valeurs (mini, maxi ou absence) et les méthodes de contrôles normalisées pour vérifier les mini, maxi ou l'absence d'adultération (adjonction de sucre dans la purée de fruit, graisse végétale dans le beurre...). Source : FranceAgriMer |
1. Le modèle français : 33 produits livrés dans plus de 300 points de stockage dans toute la France : une richesse pour les bénéficiaires mais une source de complexité pour l'État
Le modèle français d'achat des denrées se caractérise par un nombre élevé de produits, bien qu'il soit en diminution depuis plusieurs années . Le nombre a ainsi été divisé par deux depuis 2009.
Évolution du nombre de denrées
fournies
dans le cadre du PEAD puis du FEAD
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
|
Nombre de référence |
65 |
41 |
38 |
44 |
46 |
42 |
42 |
43 |
33 |
33 |
27 |
Nombre de lots dans les marchés |
nc |
101 |
59 |
132 |
117 |
114 |
123 |
141 |
94 |
95 |
nc |
Source : FranceAgriMer et rapport sur « le système de choix des denrées français et la mise en oeuvre du FEAD dans les pays européens », septembre 2017
Par ailleurs, le choix des denrées répond également à un impératif d'équilibre nutritionnel . L'enquête ABENA 2011-2012 - évoquée en première partie du présent rapport - avait mis en lumière les difficultés pour les personnes bénéficiaires de l'aide de respecter l'équilibre alimentaire. La liste choisie couvre donc les différentes familles de produits (viandes, poissons, fruits, épicerie sucrée etc.).
La liste des denrées a néanmoins évolué en renforçant les produits de base (lait, sucre, farine, féculents etc.), et en diminuant les produits transformés (plats cuisinés etc.) et les produits sucrés (desserts, épiceries sucrées etc.). Ces évolutions s'expliquent d'une part par les enjeux en termes de santé publique et d'autre part par les difficultés administratives liées à la passation des marchés.
En effet, un nombre important de denrées a pour conséquence d'augmenter le temps passé à la rédaction des marchés, et à leur suivi . La première campagne en 2014 du FEAD comptait ainsi 42 références de produits correspondants à 114 lots. Chaque lot correspondait à un produit par association, donc autant de lots que de produits et associations différentes ( cf . en annexe, la liste des lots et des denrées).
FranceAgriMer 52 ( * ) estime ainsi à 13 000 euros le coût administratif d'un lot en moyens humains . Outre le nombre important de lots, la complexité de certaines clauses du cahier des charges peut également accroitre les difficultés de gestion du dispositif. Par exemple, FranceAgriMer fut mis en difficulté pour contrôler le respect des prescriptions du marché, pour le café, qui prévoyaient une composition de 50 % arabica et 50 % robusta. Cette complexité conduit également à une faible diversité des fournisseurs répondant au marché, essentiellement des intermédiaires spécialisés (Jyco, Dhuleaux, etc.), le coût administratif de réponse aux marchés étant important.
Vos rapporteurs estiment qu'il faudrait simplifier la passation des marchés et revoir l'allotissement du marché , puisqu'une multitude de petits lots - sur le plan économique - n'est pas la solution la plus avantageuse, et accroit le risque de lots infructueux (il en a été ainsi, par exemple, de la livraison de farine en Guyane, en 2016, constituant un lot à 12 000 euros HT).
Toutefois, la diversité des denrées permet pour les associations - comme indiqué précédemment dans le rapport - de disposer d'une base de produits compensant l'instabilité des autres sources d'approvisionnement .
Il s'agit donc de trouver un juste équilibre : les denrées choisies doivent être assez diversifiées pour convenir aux besoins des associations, mais pas trop afin de ne pas augmenter les coûts de gestion pour l'État dans une optique de gestion optimale du dispositif.
Ce juste équilibre à trouver se justifie d'autant plus que le nombre d'entrepôts dans lesquels les denrées doivent être distribuées est élevé, complexifiant également les coûts de gestion du dispositif : plus 300 points de livraison dans toute la France, en métropole et dans les régions et départements d'outre-mer, les denrées étant livrées de façon échelonnée dans l'année (5 à 7 fois dans l'année).
Nombre de points de livraison des denrées FEAD
Associations bénéficiaires |
Points de livraison |
Croix Rouge |
7 |
Fédération française des banques alimentaires |
206 |
Secours populaire |
140 |
Restos du Coeur |
10 |
Total |
363 |
Source : FranceAgriMer - Cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de la campagne 2018
2. Un modèle original par rapport aux autres pays européens
Ces caractéristiques précitées font ainsi de la France un modèle original sur le plan de la gestion du FEAD. Une étude menée en 2016 sur les systèmes d'aide alimentaire européens, a ainsi mis en relief - sur cinq pays européens étudiés - la spécificité du cas français 53 ( * ) :
- d'abord, comme indiqué précédemment, la France fait partie des pays qui ont choisi de consacrer toute leur enveloppe à l'aide alimentaire
- par ailleurs, le nombre de produits sélectionnés est le plus élevé . S'agissant des pays européens étudiés, le nombre est compris entre 10 et 20 produits, exception faite de la République Tchèque.
Comparaison européenne du nombre de
denrées distribuées
dans le cadre du FEAD
Pays |
Nombre de produits |
Italie |
11 |
Espagne |
15 |
République Tchèque |
36 |
Finlande |
10 |
Belgique |
21 |
Source : rapport sur « le système de choix des denrées français et la mise en oeuvre du FEAD dans les pays européens », septembre 2017
- s'agissant du nombre de lots dans le marché, la France est de loin le premier pays , les autres pays européens étudiés ayant préféré des lots de taille plus importante.
- en outre, la France se distingue par l'équilibre nutritionnel des produits choisis . La France est le seul pays - dans le panel - à distribuer des produits surgelés et deux sortes de produits frais (beurre et fromage). Elle est également le seul pays à livrer des viandes et poissons non transformées (steak haché, escalope de volaille). L'étude précitée indique, en effet, que « dans les autres pays, les protéines animales sont peu présentes dans les aliments et exclusivement représentés par des produits en conserve (thon, sardine, boeuf etc.). La diversité des produits n'est pas un objectif pour beaucoup de pays européens et la complémentarité entre FEAD et autres sources d'approvisionnement n'est pas spécifiquement recherchée » 54 ( * ) .
- En termes de points de livraison, la France dispose du nombre le plus élevé de structures . Certains pays européens ont en effet réduit leur points de livraison afin d'optimiser l'utilisation des crédits du FEAD, et fait appel à des prestataires pour tout ou partie de l'organisation logistique.
* 51 Le système de choix des denrées français et la mise en oeuvre du FEAD dans les pays européens, septembre 2017, Fors-Recherche sociale, p 89
* 52 Ibid., p44.
* 53 Ibid., p 11. Les pays européens entrant dans le champ de l'étude sont la Belgique, la République Tchèque, l'Italie, l'Espagne, et la Finlande.
* 54 Ibid, p. 77