QUELS MOYENS D'ACTION POUR L'UNION EUROPÉENNE ?
DES PREMIÈRES INITIATIVES EUROPÉENNES RAPIDEMENT ÉCARTÉES OU ABANDONNÉES
LE RECOURS À LA BANQUE EUROPÉENNE D'INVESTISSEMENT (BEI)
L'Union européenne a indiqué, rapidement après le retrait américain du 8 mai, « avoir lancé le processus formel qui lèvera les obstacles juridiques empêchant la Banque européenne d'investissement (BEI) de décider, dans le cadre de la garantie budgétaire de l'UE, de financer des activités en dehors de l'Union européenne, en Iran. Cela permettra à la BEI de soutenir les investissements européens en Iran, ce qui pourrait être utile, en particulier, pour les petites et moyennes entreprises ».
Cependant, le Président de la BEI, M. Werner Hoyer, a rapidement fait savoir qu'il ne pourrait se ranger à une telle démarche. Tout en soutenant les efforts de l'Union européenne pour sauver l'accord sur le contrôle du programme nucléaire iranien de 2015, la BEI « ne pouvait pas jouer un rôle actif » en Iran. À ses yeux, une coopération avec l'Iran menacerait sa capacité à lever des fonds sur les marchés américains et se traduirait par des conséquences durables pour ses activités.
LES DEMANDES D'EXEMPTION FORMULÉES PAR LES GOUVERNEMENTS DES E3/UE - ALLEMAGNE, FRANCE, ROYAUME-UNI ET LA HAUTE REPRÉSENTANTE
Au nom des intérêts de sécurité de l'Europe auxquels une application rigoureuse et vérifiée du JCPoA, ces gouvernements demandaient à l'administration américaine :
- de ne pas appliquer leurs sanctions secondaires aux entreprises qui avaient initié ou conclu leurs contrats après la mise en oeuvre du JCPoA (16 janvier 2016) ;
- de confirmer publiquement les domaines d'activité qui ne sont pas soumis aux sanctions secondaires tels que médicaments, matériels de santé ; garantir des exemptions dans les secteurs clés, en particulier ceux de l'énergie, automobile, aviation civile et infrastructures ;
- de garantir des exemptions permettant de maintenir des canaux de financement et des canaux bancaires avec l'Iran ; cela inclut en particulier le maintien de liens avec la Banque centrale d'Iran et avec les autres banques iraniennes qui ne sont pas sous le coup de sanctions européennes, ainsi que la présentation des services de messagerie financière SWIFT avec ces banques ;
- de garantir une extension et une adaptation des délais d'extinction des activités permettant aux entreprises, qui pourraient choisir de quitter l'Iran, de clore leurs projets dans de bonnes conditions ;
- de prolonger la « License H » permettant aux filiales étrangères de firmes américaines de poursuivre leurs activités ;
- de réaffirmer l'exemption des comptes bancaires des ambassades.
Le 16 juillet, le secrétaire d'État américain, M. Pompeo, a rejeté ces demandes en bloc. Ces sanctions ne seraient pas allégées avant que puisse être constaté « un changement tangible, démontrable et durable de la politique iranienne ».
LE RISQUE DES TRANSFERTS BANCAIRES VERS LA BANQUE CENTRALE D'IRAN
La Commission a également encouragé les États membres à examiner la possibilité de transferts bancaires ponctuels vers la Banque centrale d'Iran. « Ce mode opératoire pourrait aider les autorités iraniennes à percevoir leurs recettes liées au pétrole, en particulier dans le cas où des sanctions américaines viseraient les entités de l'UE impliquées dans des transactions pétrolières avec l'Iran . »
En réalité, le canal des banques commerciales européennes ne semble pas réaliste dans la mesure où il était déjà quasi inexistant avant même la sortie américaine de l'accord de Vienne, la plupart des grandes banques refusant déjà de prendre le risque d'exécuter des transactions impliquant un partenaire iranien de peur d'être sanctionnées 6 ( * ) .
C'est ce constat qui avait conduit la banque publique de développement française, Bpifrance, qui n'a pas de licence bancaire aux États-Unis, à travailler pendant deux ans à la mise en place d'une structure de cantonnement robuste qui permette d'isoler des actifs dédiés et puisse consentir dans ce cadre un crédit export à une banque iranienne mais la réactivation des sanctions secondaire prive d'intérêt ce projet car elle aggrave le risque 7 ( * ) .
Quant à l'implication des banques centrales, elle ne semble pas davantage envisageable dans la mesure où elles sont notamment assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Dans l'absolu, une banque centrale pourrait être sanctionnée si elle contournait ouvertement les sanctions américaines, lesquelles sont potentiellement importantes si la banque centrale en cause dispose de larges capacités. Pour la Banque de France, par exemple, cela pourrait concerner ses réserves de change en dollar ou les avoirs en dollar qui lui sont confiés par des tiers.
Même si les immunités dont bénéficient les réserves de change empêchent toute sanction financière, se poserait toujours la question des représailles qu'elle pourrait subir par l'interruption des services de conservation que rend la Réserve fédérale ou en se voyant empêchée de détenir ses espèces et titres à la Réserve fédérale.
* 6 Les petites banques dépourvues d'actifs aux États-Unis, comme certaines banques des länder allemands, auraient pu envisager d'intervenir mais outre le fait que leur back office est généralement dépendant de plus grands établissements qui n'entendent pas poursuivre leurs activités en direction de l'Iran, il faudrait qu'elles puissent rester connectées aux systèmes de paiement et continuer à trouver des contreparties pour leurs opérations.
* 7 Voir en annexe l'intervention de Mme Karine Demonet (Bpifrance), lors de la table ronde organisée le 18 juillet 2018, qui a indiqué que le projet avait été abandonné, la réactivation des sanctions secondaires constituant une menace directe pour un établissement qui se finance pour partie en dollar, a des collaborateurs américains et des collaborateurs qui se déplacent aux États-Unis, puisse consentir dans ce cadre un crédit export à une banque iranienne.