C. LA PRÉVENTION DES CONFLITS D'INTÉRÊTS ET LA DÉONTOLOGIE
1. Le débat
Lors du colloque organisé au Sénat en mars 2006 sur la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2000 cinq ans après, Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation et désormais président de la HATVP, avait estimé : « L'intervention du pénal en la matière permet un passage de la régulation publique à la régulation privée par la mise en place de corps de déontologie ou de chartes d'éthique au sein des entreprises, qui concernent notamment le respect des règles de sécurité, la protection de la santé et de l'environnement. Ainsi l'exigence éthique induite par la régulation pénale entraîne chez les opérateurs une véritable veille déontologique. »
Beaucoup a été fait entretemps, on l'a vu. Faut-il continuer à bâtir des dispositifs ?
Pour ce qui est de la HATVP, les missions de prévention et d'accompagnement que les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique lui ont confiées lui permettent d'exercer une « veille déontologique ». La question se pose néanmoins, dans le cadre du présent rapport, de l'efficacité du dispositif en vigueur.
Lors de la table ronde du 5 avril 2018, le représentant de la HATVP a dressé à cet égard deux constats.
D'une part, il existe selon la HATVP un véritable besoin d'accompagnement des collectivités territoriales sur les questions de déontologie. Beaucoup d'élus locaux ne sont pas conscients des risques pénaux qu'ils encourent. Il arrive très fréquemment aux responsables de la HATVP de se trouver face à des élus locaux ignorant qu'ils commettent un délit pénal chaque fois qu'ils votent une subvention en faveur d'une association dans laquelle ils siègent.
La situation commence à évoluer : la HATVP indique que les saisines provenant des élus locaux, relativement peu nombreuses entre 2014 et 2016, ont particulièrement augmenté en 2017. Les élus se saisissent ainsi des enjeux déontologiques et, en sus des avis individuels, sollicitent de plus en plus régulièrement la Haute Autorité sur des projets de charte de déontologie pour l'ensemble de l'assemblée délibérante ou de la collectivité.
À côté du besoin de conseil, la HATVP perçoit en effet une volonté des collectivités de s'emparer de ce sujet, notamment en adoptant un dispositif déontologique pour prévenir, entre autres, les conflits d'intérêts. De plus en plus de collectivités saisissent donc la HATVP sur des projets de charte. Quand une collectivité veut rédiger une charte de déontologie ou nommer un référent, elle ne sait pas trop comment procéder, comment articuler un dispositif de prévention des conflits d'intérêts avec le respect de la vie privée des élus, par exemple. L'appui de la HATVP est précieux dans ces circonstances.
De la même manière, note la HATVP, en matière de « pantouflage », il arrive que des élus ayant perdu leur mandat reprennent une activité professionnelle dans une entreprise qui, quatre ans auparavant, avait reçu une subvention de la part de la collectivité dont ils étaient élus, commettant alors un délit de prise illégale d'intérêts au sens de l'article 432-13 du code pénal.
Les saisines de la part d'anciens élus locaux restent peu fréquentes, précise la HATVP, ce dispositif leur étant encore largement méconnu. La Haute Autorité exerce néanmoins une veille active et peut, le cas échéant, s'autosaisir. Elle rappelle régulièrement cette obligation aux membres d'exécutifs locaux, par exemple en suggérant, dans ses avis sur les chartes de collectivités locales, d'intégrer cette obligation.
Pour parfaire la prévention des conflits d'intérêts, la HATVP estime que les collectivités ont probablement besoin de s'adresser à un guichet unique pour trouver des réponses à leurs questions.
1. Pistes et propositions
On voit que la prise de conscience d'un besoin d'information et de conseil progresse.
Cependant, l'idée d'accélérer ce processus en créant un guichet unique qui serait confié à la HATVP n'est pas nécessairement décisive.
En effet, de très nombreux élus qui ne relèvent pas de la compétence de cette institution seront beaucoup plus naturellement portés à s'adresser à leurs associations d'élus ou à l'administration préfectorale, en particulier le sous-préfet, à l'égard duquel se perpétue, dans le monde rural en particulier, un véritable sentiment de confiance. Les services administratifs des collectivités territoriales ont aussi un rôle clé à jouer en la matière, et la mutualisation entreprise au sein des grandes intercommunalités est à cet égard un atout à ne pas négliger. Ces services ont en outre la possibilité, comme on l'a vu, de s'appuyer sur les services de la HATVP pour acquérir la technicité juridique nécessaire.
C'est à la montée en puissance des outils de terrain qu'il convient de consacrer les efforts nécessaires à l'efficacité de la prévention du risque pénal à travers l'information et le conseil.
De façon complémentaire, il est utile, dans la logique exposée ci-dessus de large interaction entre le droit souple de la prévention des conflits d'intérêts et le droit dur sanctionnant la prise illégale d'intérêts, d' envisager l'opportunité d'introduire dans le CGCT un dispositif prévoyant et organisant spécifiquement le déport des élus locaux en cas de conflit d'intérêts , sur le modèle de ce que prévoit l'article L. 2544-8 quand un membre du conseil municipal est intéressé à la jouissance des biens et droits revendiqués par une section de commune possédant un patrimoine séparé .
Le déport des titulaires de fonctions exécutives locales en situation de conflit d'intérêts est certes prévu dans les conditions suivantes au I de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : « Lorsqu'ils estiment se trouver dans une telle situation [de conflit d'intérêts] : [...] Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l'article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s'abstiennent d'adresser des instructions ». Ces dispositions ne sont pas forcément connues des élus locaux. Par ailleurs, elles sont applicables aux seuls titulaires de fonctions exécutives et ne couvrent donc pas le cas de conseillers municipaux représentant la commune dans le conseil d'administration d'une association subventionnée. Ce cas de figure n'est pas théorique : le maire, deux adjoints et un conseiller municipal d'une commune ont été condamnés au pénal pour avoir participé au vote de subventions bénéficiant aux associations qu'ils présidaient (Cass., crim., 22 oct. 2008, n° 08-82068).