Rapport d'information n° 626 (2017-2018) de M. Alain MILON , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 4 juillet 2018

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N° 626

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur les conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites : actes du colloque organisé au Sénat le 19 avril 2018,

Par M. Alain MILON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Mizzon, Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, M. Jean Sol, Mme Claudine Thomas, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

OUVERTURE

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Alain Milon , président de la commission des affaires sociales du Sénat . - Monsieur le Président du Sénat, Madame la Ministre, Monsieur le Haut-Commissaire, Mesdames, Messieurs, Je vous souhaite la bienvenue au Sénat au nom de la commission des affaires sociales et vous remercie pour votre participation à ce colloque, dont nous avons voulu faire un temps fort des activités de notre commission en 2018. Je remercie Gérard Larcher d'avoir accordé son patronage à l'événement et d'ouvrir les travaux, ainsi que la Ministre Agnès Buzyn et le Haut-Commissaire, Jean-Paul Delevoye.

*

Gérard Larcher , président du Sénat . - Madame la Ministre des affaires sociales et des solidarités, Monsieur le Haut-Commissaire, Monsieur le Président de la commission des affaires sociales, Monsieur le Rapporteur général de la commission des affaires sociales, Monsieur le Président de la Mecss, Monsieur le Rapporteur « assurance vieillesse », Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, Je suis heureux d'ouvrir ce colloque sur la réforme des retraites, le premier sur ce sujet, en compagnie de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et du Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Cette idée est née d'une rencontre en début d'année, avec le Président de la commission des affaires sociales, Alain Milon avec qui il nous a semblé important de tenir ce colloque au Sénat. Je le remercie donc ainsi que ses collègues et le secrétariat de la commission pour leur apport à la préparation de cette journée.

Nous y tenions pour deux raisons. Tout d'abord, la sauvegarde de notre régime de retraite est au coeur de notre pacte social et républicain. Nous ne saurions le traiter à la légère ni croire qu'un coup de baguette magique suffira à le transformer. Ensuite, le Sénat a toujours eu à coeur de contribuer aux réflexions et évolutions du système de retraite. En témoigne l'amendement voté en 2010 sur les objectifs et les caractéristiques d'une réforme systémique. Dans ce domaine, le Sénat s'est montré précurseur. Le sujet de la réforme systémique n'est donc pas tabou ici, au contraire : comment ne pourrions-nous pas partager l'objectif d'un régime unifié ou universel ? Compréhensible par les assurés, sans doute plus équitable, qu'il soit à points ou comptes notionnels, ce régime paraît en première approche plus facile à piloter.

Ce matin, au bureau du Sénat, je communiquerai sur les évolutions du régime de retraite des sénateurs qui prendront naturellement en compte la future réforme une fois adoptée. Cette approche me permet aujourd'hui de mettre en garde. Il n'y a pas d'un côté des conservateurs ne jurant que par les réformes paramétriques, qu'elles portent sur l'âge de départ ou la durée de cotisation, et de l'autre, les partisans d'une véritable réforme conduisant à un régime universel de retraite par points ou fondé sur les comptes notionnels. Je vous invite à vous méfier des tentations du grand soir.

La réalité est plus complexe. Nous dénombrons 42 régimes, qui sont le fruit de l'histoire sociale de notre pays. Celle-ci ne s'efface pas, car elle porte des projets, des aventures et des défis humains et collectifs, qui résultent de compromis, sociaux ou professionnels, auxquels les assurés sont attachés. Nous devrons en tenir compte. La brutalité peut parfois paralyser les réformes pourtant nécessaires.

L'exigence de régimes complémentaires s'ajoutant à un régime de base plafonné, gérés par les partenaires sociaux rend d'autant plus délicate, voire difficile, la perspective d'un régime unifié. D'ailleurs, les partenaires sociaux ont-ils moins bien géré leur régime complémentaire que l'Etat ? Ont-ils été moins courageux que lui pour prendre leur part des efforts nécessaires ? Ce n'est pas certain, comme le montre l'exemple récent de l'accord Agirc-Arrco. Je crois profondément au rôle des corps intermédiaires. Rien ne peut se bâtir sans respect ni concertation dans le respect mutuel des interlocuteurs. Madame la Ministre, c'est aussi votre conviction et vous l'avez montrée. Il importe de se réunir autour de principes communs et de diagnostics partagés. Les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) nous ont permis de poser les diagnostics ces dernières années. Récemment, le COR a montré la complexité d'un exercice de mise à plat des régimes, pourtant indispensable pour apprécier objectivement leurs différences, pérenniser ou corriger leurs spécificités. Le COR met également l'accent sur la difficulté de la période de transition vers un nouveau régime unifié.

Dans ce cadre, deux écueils sont à redouter.

Le premier consisterait à y consacrer un temps et une énergie considérable sans prendre les mesures nécessaires pour assurer l'équilibre financier des prochaines décennies. Le second écueil résiderait dans des dépenses supplémentaires pour des raisons d'échelles de perroquet faciles à imaginer. Le risque existe aussi de faire main basse sur les réserves des régimes complémentaires ou de prévoir des prélèvements supplémentaires.

Nous commencerons ce matin par éclairer l'état de notre régime de retraite et les réformes déjà menées. L'après-midi sera consacré à des exemples étrangers et au cap d'une réforme systémique. Je salue les intervenants présents et leur qualité et remercie chacun d'entre eux d'avoir accepté de participer à ce colloque qui initie un mouvement. Nous avons choisi collectivement une approche pédagogique.

Pour cette raison, nous n'avons pas réservé de temps aux organisations syndicales et patronales. Je propose d'organiser un second colloque lorsque nous en saurons davantage sur les intentions du gouvernement. Les partenaires sociaux pourront alors faire valoir leur analyse et en débattre. La période actuelle est consacrée à une mise en perspective dans le cadre des négociations avec les partenaires sociaux sous la responsabilité du Haut-Commissaire.

En conclusion, je citerai un ancien président de l'Assemblée nationale et ministre des affaires sociales, Philippe Seguin, qui nous livre une feuille de route : « le libéralisme à construire est un libéralisme corrigé par les impulsions d'un Etat dont le rôle, dans une période de mutations telle que celle que nous avons à vivre, est moins que jamais discutable. Le libéralisme de demain doit accepter un tempérament de grande conséquence : celui de la sauvegarde d'un système de protection sociale aussi complet et exemplaire que possible. C'est la condition de l'équilibre de notre société. C'est la garantie du maintien de l'ordre public. C'est l'assurance que les mutations pourront s'exprimer autrement que dans le trouble et la révolte. »

Je vous souhaite un fructueux colloque et vous remercie d'être aussi nombreux.

*

Agnès Buzyn , ministre de la santé et des solidarités . - Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Haut-Commissaire, Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs, C'est un plaisir de participer à vos travaux sur les retraites. Je remercie le Président du Sénat, Gérard Larcher, d'avoir pris cette initiative d'une journée de travail qui sera, au regard de la qualité des intervenants, riche d'enseignements.

Le Sénat est depuis de nombreuses années attentif à la situation des retraites et aux évolutions de notre système, notamment au regard des grandes décisions prises en la matière par nos voisins européens. Les travaux d'étude et d'évaluation que le Sénat a menés depuis le début des années 2000 l'ont conduit très tôt à se montrer favorable à une réforme d'ampleur, qu'on appelle aujourd'hui systémique, de notre système. Le septième rapport du COR en date du 26 janvier 2010, intitulé « Retraites, annuités, points ou comptes notionnels » répondait à une demande du Parlement et à l'origine, à un amendement de la commission des affaires sociales de la haute assemblée.

Au cours de la campagne présidentielle, le Président de la République a annoncé qu'il procéderait à la construction d'un système universel de retraite par répartition qui serait capable d'apporter la simplification à laquelle nos concitoyens aspirent légitimement, de résoudre les inégalités de traitement, aujourd'hui nombreuses et inévitables dans un système comportant 42 régimes et autant de règles différentes, d'accompagner et de faciliter les mobilités professionnelles en épousant les besoins des parcours au travail au lieu de raisonner en termes de statut et de carrière.

Les réformes du système qui se succèdent depuis vingt ans ont été nécessaires. Elles ont permis aux Français de conserver un système de retraite qui comporte un niveau élevé de solidarité. Cependant, ce système très sophistiqué répond de plus en plus difficilement aux évolutions rapides auquel nous participons, qu'elles touchent le monde du travail, les relations sociales, les modèles familiaux) et aux besoins de nos concitoyens, ce qui crée une inquiétude renforcée par l'effet cumulatif des réformes du passé. Nos concitoyens se demandent ce qu'il restera pour eux à force de réduire les droits, lorsqu'ils seront âgés. Qui d'entre nous n'a jamais entendu un jeune affirmer qu'il n'aura pas les mêmes droits à la retraite ? Nous avons l'obligation de répondre à cette inquiétude, c'est-à-dire de répondre aux exigences de lisibilité et de simplification que nos concitoyens réclament, de rétablir le sentiment d'équité et d'égalité et de faire en sorte qu'« un euro cotisé donne les mêmes droits quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».

Ce chantier considérable ne doit pas être une énième réforme des retraites. Ce sujet n'est pas, contrairement aux apparences, une question technique. C'est un projet de société, qui relève du débat démocratique. Il s'agit d'adapter notre système de retraite aux nouveaux besoins de notre société et de le rendre capable de s'adapter aux besoins qui vont émerger et s'amplifier dans le futur. Il ne s'agit pas de réformer pour réformer ou réduire les droits ou les niveler par le bas. Ce chantier va nous offrir l'occasion de revisiter un grand nombre de dispositifs et de nous interroger, pour chacun d'entre eux, sur son adaptation aux besoins actuels et futurs. Il va par exemple nous permettre de réfléchir aux besoins actuellement mal pris en compte, notamment ceux des aidants, des personnes malades, dépendantes ou handicapées, de nous pencher sur les situations mal compensées, comme les débuts d'activité des jeunes, en particulier pour les jeunes indépendants, de réfléchir à la prise en compte des choix familiaux et conjugaux. Il s'agit de revisiter les solidarités et rendre notre système de retraite capable de générer des droits nouveaux. C'est cela, relever le défi de la modernité.

Ce travail demande du temps et ne peut être conduit dans la précipitation. C'est tout le sens de l'importante mission que le Président de la République et le Premier ministre ont confiée à Jean-Paul Delevoye. Il a choisi de conduire sa mission dans le cadre d'un dialogue constructif qui permette à chacun d'exprimer son opinion, ses attentes, exposer ses arguments. Cette méthode associe largement les partenaires sociaux qui sont des acteurs essentiels de notre système de retraite, ainsi que les citoyens au travers d'une vaste consultation qui sera initiée avant la fin du mois de mai, et les parlementaires comme l'illustre l'organisation de ce colloque par le Sénat.

Jean-Paul Delevoye, depuis son arrivée, a rencontré l'ensemble des membres du gouvernement responsables de départements ministériels concernés par la réforme des retraites, soit 16 ministres et secrétaires d'Etat. Il a également rencontré les présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat, des commissions intéressées des deux assemblées, leurs rapporteurs et son équipe a rencontré l'ensemble des gestionnaires des régimes. Le Haut-Commissaire a effectué plusieurs déplacements en Italie, en Suède, plus récemment en Allemagne, pour faire un point sur les résultats des réformes initiées dans ces pays, présentées en leur temps comme emblématiques. A chaque fois, il a été accompagné de parlementaires, dont pour le Sénat, Monsieur Vanlerenberghe et Monsieur Savary, que je salue pour leur implication. Il a également engagé des échanges riches et directs avec toutes les confédérations syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FO, UNSA), avec les organisations patronales (CPME, Medef, U2P), ainsi qu'avec la FNSEA.

Au terme de ce rapide et sommaire tour d'horizon, vous voyez que le dialogue constructif proposé par Jean-Paul Delevoye au gouvernement est d'ores et déjà amorcé. Il va se dérouler tout au long de l'année 2018. Au terme de ces travaux et au regard des préconisations du Haut-Commissaire, le gouvernement prendra ses responsabilités et formulera des propositions en vue de la création d'un système universel de retraite qu'il soumettra au débat parlementaire.

En conclusion, je tiens à saluer l'occasion que le Président du Sénat et les organiseurs de ce colloque nous donnent. Ils ont élaboré un programme passionnant, avec des interlocuteurs de premier plan, dont l'expérience et la vision nous seront précieuses. Je vous remercie pour votre présence et vous souhaite une belle journée de travail et de réflexion.

PREMIERE PARTIE - LE SYSTÈME DE RETRAITE AUJOURD'HUI

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I. ATELIER 1 - UN SYSTÈME COMPLEXE MAIS EFFICACE ?

Cette table ronde est modérée par René-Paul Savary, rapporteur « assurance vieillesse » de la commission des affaires sociales du Sénat.

Interviennent :

Yannick Moreau , présidente du Comité de suivi des retraites

Antoine Durrleman , président de chambre à la Cour des comptes, maintenu en activité

Pierre-Louis Bras , président du Conseil d'orientation des retraites

François-Xavier Selleret , directeur général de l'Agirc-Arrco

René-Paul Savary, rapporteur « assurance vieillesse » de la commission des affaires sociales du Sénat . - Les retraites concernent plus de 14 millions de personnes actuellement pensionnées et représentent 330 milliards d'euros soit 14 % du PIB. Ces dépenses sont supérieures à celles de l'assurance maladie (245 milliards d'euros). Son ampleur est également sociétale, puisque toutes les tranches d'âge sont concernées, des enfants qui assureront la relève dans le cadre de la répartition et restent parfois au foyer jusqu'à 29 ans comme en Italie et en Suède avant de pouvoir cotiser, la population active, qui forme la base des cotisants, mais également les seniors, qui en sont les premiers bénéficiaires, avec des problèmes de fiscalité et d'emploi. Certains pays, dont la Suède, souhaitent allonger considérablement le temps de travail au regard de l'espérance de vie.

En France, 85 % de la population pense que le système de retraite n'apporte pas les meilleures garanties, alors que le niveau de vie moyen des retraités par rapport à celui des salariés est le plus important dans notre pays (104 % à 106 % en France contre 85 % en Suède). Les jeunes ne croient pas à cette retraite, alors que des mesures significatives ont été prises. Le déficit actuel, d'un montant de 4 à 5 milliards d'euros, est incomparable avec celui de 60 à 70 milliards d'euros qui aurait été obtenu sans réforme.

Ce système complexe est-il efficace ? Nous tenterons de répondre à cette question en présence de :

- Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites, qui interviendra sur les objectifs du système de retraite, à savoir assurer un niveau de vie suffisant pour les retraités, que ce régime soit équilibré financièrement et équitable du point de vue intra et intergénérationnel ;

- Antoine Durrleman, ancien président de la 6 ème chambre à la Cour des comptes chargée de la sécurité sociale, qui a dirigé les rapports consacrés aux retraites ces dernières années, et présentera l'effet des différentes réformes des vingt-cinq dernières années sur la trajectoire financière des systèmes de retraite ;

- Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites depuis 2014, une instance enviée des autres pays européens, qui interviendra sur la question de la solidarité dans le système de retraite ;

- François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco, qui répondra à la question de la faisabilité technique et juridique d'un système par points en témoignant de l'expérience de l'Agirc-Arrco.

A. LE SYSTÈME DE RETRAITE REMPLIT-IL SES OBJECTIFS ?

Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites . - Les objectifs du système de retraite se sont construits progressivement. Les premiers régimes de retraite avaient pour objectif de fidéliser les salariés ou de manifester une solidarité professionnelle. En 1945, l'objectif a été d'élargir le système de retraite à l'ensemble des actifs dans un objectif de solidarité entre actifs et retraités par catégories professionnelles. La tentative de Pierre Laroque d'unifier les régimes a, en effet, échoué au profit d'un régime général et de régimes spéciaux.

Dans les années 70, une volonté d'améliorer fortement la situation des retraités s'est affirmée à partir du constat que le montant des retraites restait très faible par rapport aux revenus d'activité. Des réformes importantes (ouverture de droits, baisse de l'âge) ont été entreprises dans les régimes de base et les régimes complémentaires sont devenus obligatoires. Ceci s'est fait sans qu'il soit possible de faire des projections précises sur l'impact financier de ces mesures et à un moment où l'augmentation de la durée de la vie n'était ni connue ni même pressentie.

L'objectif de stabilité financière émerge dans les années 80 avec le rapprochement de l'arrivée à la retraite des générations nombreuses (papy-boom) et la prise de conscience de l'allongement de la durée de vie. En 1991, le livre blanc sur les retraites explique ces données.

La première grande réforme de maîtrise des dépenses est menée en 1993. Générant des économies importantes, elle concerne le régime général, faisant apparaître les fonctionnaires et les régimes spéciaux comme favorisés. La question de l'équité entre cotisants devient un enjeu et les réformes qui suivent (2003-2008-2014) ont pour objectifs de consolider le financement et de rapprocher les régimes.

Les objectifs du système de retraite sont définis par la loi du 20 janvier 2014. L'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale en formule trois :

- un objectif de solidarité actifs/retraités et de niveau de vie des retraités suffisant ;

- un objectif de traitement équitable (entre générations, entre sexes, entre régimes) ;

- un objectif de pérennité financière du système.

Année après année, le COR vérifie l'atteinte de ces objectifs.

S'y ajoutent des objectifs implicites :

- bonne information de chaque actif sur sa situation (depuis la réforme de 2003) ;

- collaboration accentuée entre les régimes (pour l'information des assurés, puis pour la gestion avec la mise en oeuvre prévue par les réformes de 2010 et 2014 d'un répertoire de gestion des carrières uniques - RGCU) ;

- neutralité des effets des parcours professionnels.

Le système de retraite continue d'assurer un taux de remplacement conforme aux objectifs définis par la loi. Cette situation devrait se maintenir au cours des dix prochaines années. A plus long terme, cet objectif ne serait pas atteint si la croissance annuelle de la productivité devait être supérieure à 1,3 % en raison de l'indexation sur les prix.

Le niveau de vie des retraités continue, en moyenne, à s'améliorer par rapport au reste de la population, mais cette tendance devrait s'infléchir à partir des années 2020. Le niveau de vie ne baissera pas, mais il pourrait s'améliorer moins vite que celui des actifs.

Les réformes menées visent toutes à réduire les droits à la retraite pour rétablir l'équilibre du système. Les efforts portent à la fois sur les cotisants et les retraités, dont le niveau de vie reste favorable par rapport aux pays étrangers. La dégradation du niveau de vie relatif des retraités dépend en partie de la croissance.

L'objectif de stabilité financière est largement rempli. En pourcentage des dépenses, l'effet cumulé des réformes s'élève à 7 points de PIB. En revanche, l'incertitude demeure pour l'avenir. La situation d'équilibre des régimes de retraite varie, en effet, significativement selon les niveaux de croissance en raison de l'indexation retenue pour la revalorisation des droits à retraite. Les réformes n'ont pas été conçues pour assurer un équilibre financier indépendant de la croissance.

En ce qui concerne l'objectif de traitement équitable des assurés, il reste des progrès à effectuer entre hommes et femmes. Entre générations, l'équilibre est difficile à mesurer. Entre régimes, les règles des différents régimes de retraite ont été rapprochées : la fonction publique s'est rapprochée du secteur privé en 2003 et les régimes spéciaux ont été réformés en 2008 et 2014. La réforme de 2010 a concerné l'ensemble des assurés. Mais ces rapprochements sont difficiles à percevoir par les assurés en raison notamment des modes de calcul différents.

En conclusion, des évolutions importantes ont eu lieu depuis 1993, de manière cohérente dans le temps, même si chaque gouvernement a impliqué sa marque propre. La France a mené des réformes ayant des résultats très significatifs tant pour l'équilibre financier que pour l'équité entre assurés.

Pour autant, les interrogations subsistent sur la nécessité d'assurer un meilleur pilotage de l'équilibre, un rapprochement de la situation des Français et une plus grande lisibilité des règles. Le souhait qu'il reste possible aux différentes catégories professionnelles d'avoir une marge de liberté de choix reste présent.

B. LE BILAN DE 25 ANS DE RÉFORME DES RETRAITES

Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, maintenu en activité . - Il est difficile de résumer 25 ans de réforme des retraites en quelques minutes. J'attirerai donc votre attention sur quelques considérations formant la base observable de l'effort continu de réforme.

En 1987, Philippe Séguin prend la décision d'indexer les pensions et salaires portés aux comptes sur les prix. Ce qui fait la force des réformes en fait également la faiblesse. Elles succèdent à une histoire préalable d'augmentation des droits dans un contexte dans lequel les personnes âgées et les retraités vivaient dans des conditions souvent très modestes, voire indigentes. Les années 70, de la loi Boulin jusqu'à l'ordonnance du 26 mars 1982 portant l'âge de départ de 65 ans à 60 ans, ont été marquées par un effort de progrès. L'histoire explique donc en partie l'hésitation devant la reforme. Celle-ci a été, à certains égards, bloquée par la décision prise en 1983 de réduire l'âge de départ à la retraite. Ce fut une forme de totem et de tabou. Il a fallu attendre 1991 et le livre blanc demandé par Michel Rocard pour agir.

La force des réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et 2014 réside dans leur gradualisme : elles se sont combinées pour se compléter dans une même orientation. Leur limite est double, à savoir un point de départ relativement tardif par rapport à des pays comme l'Allemagne et des réformes d'abord conduites dans une approche de progressivité qui accorde la priorité aux outils les moins sensibles, à savoir la désindexation des retraites sur les salaires et l'allongement de la durée de cotisation. L'Allemagne, dès 1992 a reculé l'âge de départ en retraite de 60 ans pour les hommes et 63 ans pour les femmes à 65 ans, et, en 2007, à 67 ans.

En France, il a fallu attendre 2010 pour revoir l'âge de départ à la retraite, soit 28 ans après la décision prise au tournant des années 80 en Allemagne. Le levier à l'effet le plus immédiat et puissant a ainsi été actionné le plus tardivement.

Par ailleurs, notre processus de réforme a intégré l'acceptation de la dette comme une variable d'ajustement. Ce constat ne se retrouve pas dans les régimes complémentaires de retraite qui ne peuvent recourir à l'endettement comme variable d'ajustement ou modalité acceptée de progressivité des réformes ni en Allemagne. Ce mode de réforme explique l'importance des résultats, ainsi que leur faiblesse.

La part des retraites dans le PIB a progressé de manière très inférieure à la simple prolongation des tendances antérieures. Au tournant des années 90, elle était de 11 %. Selon l'Insee, sans révision des paramètres, elle tendait vers 20 % ou 21 % à horizon 2060. Aujourd'hui, ce taux est de 14 %. 6 % à 7 points de PIB ont été gagnés par les réformes successives des dernières années. Cet effort est considérable. De ce point de vue, les réformes ont permis à notre pays de franchir la « bosse démographique » du papy-boom mais laissent notre système de retraite exposé à deux fragilités. La première d'entre elles est positive, à savoir la tendance continue à l'augmentation de l'espérance de vie. La seconde fragilité réside dans la dépendance excessive des retraites à l'activité économique et à la croissance de la productivité, en raison de leur financement.

Le retard relatif dans le processus de réforme a eu pour conséquence une superposition des déficits structurels et conjoncturels. Lors de la crise de 2008, le système de retraite était en déficit depuis 2004 et 2005. La part du déficit structurel dans les années 2000 à 2014 a représenté environ 17 milliards d'euros à comparer aux 20 milliards d'euros pour l'assurance-maladie. Cette fragilité se constate actuellement dans la révision des prévisions du COR et présente de multiples conséquences, dont la plus importante, au-delà de la soutenabilité du système, très substantiellement améliorée, est liée à deux phénomènes : d'une part, la méfiance devant la récurrence des déficits et de la dette, d'autre part, l'illisibilité du système de retraite sous l'effet de la complexification des financements et de l'absence de modification de la cartographie des régimes. Les transferts financiers entre régimes se sont en effet démultipliés avec le rôle central du déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV).

C. COMMENT EST PRISE EN COMPTE ET FINANCÉE LA SOLIDARITÉ DANS LE SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS ?

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites . - En préalable, je tiens à préciser que mon propos est personnel et n'engage pas les membres du COR. Le système de retraite français suit deux logiques :

• une proportionnalité aux revenus de la vie active

« Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu'ils ont tirés de leur activité... Les assurés bénéficient d'un traitement équitable. » (article L. 111-2-1 du CSS). Cet article fait référence aux revenus de la vie active et non aux cotisations versées. Dans la perspective de la réforme, les cotisations versées deviennent la référence majeure.

• en intégrant une exigence de solidarité

« La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération » (article L. 111-2-1 du CSS).

(1) Le système de retraite actuel

Actuellement, le coeur du système de retraite est composé des droits à la retraite calculés en fonction des salaires ou traitements et de la durée d'assurance (régime général/alignés, régimes spéciaux). Les droits à la retraite prennent en compte les 25 meilleures années dans le régime général, les 6 derniers mois dans les régimes spéciaux. Dans les régimes complémentaires et les régimes des professions libérales qui fonctionnent en points, le niveau de retraite dépend des cotisations versées tout au long de la carrière. Au-delà du coeur du système, des dispositifs de solidarité assurent des droits à la retraite sans liens avec une rémunération ou des cotisations.

Le coeur du système ne réduit pas lors de la retraite l'écart des rémunérations moyennes. Pour les salariés du secteur public ou privé nés entre 1955 et 1964, le rapport interdécile (D9/D1) 1 ( * ) atteint 5,85 pour le cumul des salaires perçus au cours de la carrière, mais vaut 6,66 pour les pensions issues du coeur du système (hors dispositifs de solidarité). Toutefois, les dispositifs de solidarité sont quant à eux fortement redistributifs : ils ramènent le rapport interdécile de 6,66 à 4,10. Au total, le système est donc redistributif.

Les règles du coeur du système avantagent les carrières complètes et donc longues. Par exemple, la règle des 25 meilleures années bénéficie à ceux qui ont effectué 40 ans de carrière (certaines années moins favorables sont gommées du calcul de la retraite). Pour une carrière courte (moins de 25 ans), cette règle n'apporte aucun bénéfice.

(2) Les dispositifs de solidarité

Les dispositifs de solidarité sont nombreux :

- les périodes assimilées à de l'activité : chômage, maladie, etc.

- les droits familiaux : majoration de durée d'assurance, allocation vieillesse des parents au foyer, majoration de pension pour trois enfants ;

- les droits liés au couple : réversion ;

- les droits attachés à certaines caractéristiques de carrière : le compte personnel de prévention de la pénibilité, les catégories actives de la fonction publique, les « carrières longues », etc. ;

- les droits liés aux faibles rémunérations : minimum contributif, minimum garanti ;

- les droits liés aux faibles revenus du ménage : minimum vieillesse, étant précisé que le minimum vieillesse ne relève pas strictement du domaine des retraites mais se rattache à l'action sociale.

Les montants des dispositifs de solidarité sont importants et délicats à évaluer. Pour les salariés du secteur privé, ils correspondent à environ 20 % des pensions de droit direct, soit 33,6 milliards d'euros en 2016, financés par des transferts du FSV pour 16,9 milliards d'euros, la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) pour 9,3 milliards d'euros et l'Unédic pour 3,4 milliards d'euros, en lien avec les droits attribués, et par un financement interne des régimes à hauteur de 4 milliards d'euros. Pour les fonctionnaires, les dispositifs de solidarité correspondent également à environ 20 % des pensions, avec moins de périodes assimilées et plus de solidarité sous forme de départs anticipés. Les régimes du secteur public assurent un financement interne de la solidarité sans apport externe. Pour les non-salariés, les dispositifs de solidarité reposent sur des transferts externes (Cnaf, FSV) et des financements internes.

(3) La perspective de la réforme

Dans la perspective de la réforme, le « coeur du système » serait strictement contributif, comme l'exprime le principe : « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Cet objectif de contributivité est toutefois compatible avec le maintien de solidarités. Il reste possible d'octroyer des droits au titre de la solidarité dans un régime en points ou en comptes notionnels.

Logiquement, le financement de la solidarité sera distinct de la future cotisation contributive au système universel avec une prise en charge par l'Etat (impôt), par une cotisation spécifique ou par un tiers (FSV, Cnaf, Unédic, etc.) qui verserait des cotisations au système universel. Les droits au titre de la solidarité seraient plus lisibles et s'exprimeraient en points ou en euros. Ces droits seraient quantifiables au moment du fait générateur et apporteraient nécessairement un supplément de pension (ce qui n'est pas toujours le cas des trimestres octroyés aujourd'hui).

A priori , les droits seront ainsi plus lisibles. La réforme introduirait une distinction stricte entre le coeur contributif et les droits au titre de la solidarité. Pour certains, c'est un progrès. Pour d'autres, un système de retraite doit mêler solidarité et contributivité sans viser à les distinguer de manière stricte : isoler la solidarité risque de l'affaiblir dès lors que ceux qui la financent n'auront de cesse d'essayer de la réduire.

(4) Les questions liées à la réforme : quelques illustrations

(a) Exonérations de cotisations

Actuellement, les exonérations de cotisations sont un élément de la politique de l'emploi sans lien étroit avec les retraites, ces dernières sont en effet calculées sur les revenus bruts, sur lesquels les exonérations de cotisations ne pèsent pas. Aujourd'hui, la retraite au régime général dépend des salaires bruts et de la durée d'assurance. Les exonérations de cotisations employeurs n'ont donc pas d'effet sur les droits à retraite. Demain, les droits à retraite dépendront des cotisations effectivement versées. La compensation des exonérations a vocation à apparaître de manière explicite comme un dispositif de solidarité à destination des bas salaires.

(b) Majorations de durée d'assurance pour enfants

Les majorations de durée d'assurance pour enfants sont un second exemple. Aujourd'hui, une solidarité différente devant les enfants s'exprime en trimestres (aux effets incertains sur les pensions des bénéficiaires) avec des écarts selon les régimes (8 trimestres au régime général, 2 trimestres dans les fonctions publiques).

Il faudra donc établir une équivalence entre des droits actuels matérialisés par des trimestres d'assurance et des droits qui dans le nouveau système s'exprimeront en points ou en euros. Il faudra certainement aussi harmoniser les droits soit vers le haut soit vers le bas. Un premier mouvement peut conduire à être généreux pour les droits octroyés au titre de la solidarité. Mais à enveloppe de dépenses de retraite donnée, la générosité au titre de la solidarité réduit la part de la contributivité. Au global, il faudra formuler un choix sur la part respective de la solidarité et de la contributivité.

(c) Réversion

La réversion constitue de fait un écart par rapport à la règle
« un euro cotisé donne les mêmes droits... ». Un euro de cotisation ouvre potentiellement davantage de droits à une personne mariée qu'à une personne non-mariée.

Dans le nouveau système, la réversion sera-t-elle un dispositif de solidarité, financé par un apport externe au système universel ou de la redistribution interne au système universel, des non-mariés vers les mariés ?

(d) Catégories actives de la fonction publique

Les catégories actives de la fonction publique seront mon dernier exemple. Actuellement, les droits liés à certains métiers (policiers, pompiers, aides-soignants, etc.) sont pris en charge intégralement par les régimes de la fonction publique. Demain, dès lors que « un euro cotisé donne les mêmes droits... », les droits attachés à ces métiers seront-ils financés par la solidarité nationale ?

En conclusion, un système universel avec un coeur strictement contributif est compatible avec des droits ouverts au titre de la solidarité, mais la logique conduirait à distinguer plus nettement qu'aujourd'hui le « coeur » contributif et les dispositifs de solidarité. La « réécriture » des dispositifs de solidarité dans le nouveau système suppose de s'interroger sur leur forme, leur ampleur et donc sur les objectifs poursuivis. Les quatre exemples montrent que les débats seront complexes : par exemple, la réversion renvoie à une vision du mariage, du couple et de la famille. Le débat promet donc d'être animé, vif et, je l'espère pour ma part, fructueux.

D. UN RÉGIME FUSIONNÉ ET GÉRÉ PAR POINTS ? L'EXEMPLE DE L'AGIRC-ARRCO

François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco . - Quelques chiffres traduisent le reflet de la gestion paritaire de l'Agirc-Arrco, avec une double proximité des salariés et de l'entreprise, et une vision longitudinale. L'Agirc-Arrco est au service de 55 millions de clients, dont 12 millions de retraités, 40 millions d'actifs, 1,6 million d'entrepreneurs et 2,5 millions de particuliers employeurs.

96 % de nos concitoyens cotisent au moins une fois dans leur vie auprès de l'Arrco. Nous versons chaque année 78 milliards d'euros de prestations. La gestion paritaire aboutit à une absence d'endettement et 62 milliards d'euros de réserves, ce qui assoit la confiance dans le système et sa solidité.

(1) L'Agirc-Arrco : un régime par points depuis plus de 70 ans

L'Agirc-Arrco est un régime en points depuis plus de 70 ans. Pour chacun, une acquisition progressive de droits est retracée dans un compte de points, reflet de la carrière et de la rémunération, principalement contributif, mais avec des dispositifs intégrés de solidarité, un continuum du versement de la cotisation à l'attribution de droits (gestion individualisée) et une lisibilité des droits assurée à tout moment. Pour tous, par la valeur du point, le mécanisme de pilotage d'un système par répartition est compréhensible. Ce sont des facteurs de transparence et de confiance. L'Agirc-Arrco articule ainsi les dimensions individuelles et collectives, sans les opposer.

(2) Une approche individualisée dans un régime obligatoire par répartition

L'Agirc-Arrco applique une approche individualisée dans un régime obligatoire par répartition. Celle-ci se traduit par une capacité à gérer du « sur-mesure » : des taux de cotisations, supérieurs aux taux standards, sont prévus par les accords de branches ou d'entreprises qui couvrent la situation de près de 20 % des salariés. Ce « sur-mesure » est combiné à un pilotage et des règles collectives simples et équitables : un euro cotisé ouvre potentiellement les mêmes droits.

En gestion, cette approche se traduit par une double proximité personnes et entreprises : la carrière et les droits sont alimentés et gérés au fil de l'eau, les cotisations sont recouvrées de manière individuelle et l'Agirc-Arrco va à la rencontre de nos concitoyens là où ils sont et là où ils en sont par rapport à leur retraite (outils digitaux, entretiens personnalisés, plus de 500 lieux d'accueil du public...).

L'objectif est de délivrer un service personnalisé tout au long de la vie pour consolider la confiance dans le collectif et dans l'avenir. Nous établissons ainsi un lien fort entre l'individuel et le collectif, qui s'entretiennent et se nourrissent réciproquement.

(3) Cinquante ans de convergences et de fusions

L'Agirc-Arrco, c'est cinquante ans de convergence et de fusions. En 1961, l'Arrco est une fédération de régimes multiples : régimes d'entreprises, de branche, dispositifs régionaux,... Une convergence progressive est organisée autour d'un rendement de référence. 47 régimes aux paramètres différents ont été rapprochés puis fusionnés. La prochaine étape est la fusion de l'Agirc-Arrco au 1er janvier 2019.

L'Arrco a ainsi fédéré et fait converger des régimes en points, en annuités, en pourcentage de salaire avec une reprise des droits et obligations des régimes antérieurs suivie d'une conversion dans les règles du régime d'accueil. A l'inverse des fusions classiques, les rapprochements sont préalables à la fusion (paramètres, systèmes d'information, organisation...).

Parallèlement, le nombre de structures et les coûts de gestion ont été réduits. Ainsi, quarante plateformes informatiques ont été rapprochées sur 15 ans et 450 millions d'euros d'économies de gestion ont été obtenus à fin 2017 sur un objectif de 700 millions d'euros à fin 2022.

(4) Notre ADN : le pilotage et la gestion paritaire

Ces résultats reflètent le pilotage et la gestion paritaire. Les régimes sont pilotés et gérés par les partenaires sociaux dans la durée avec un paritarisme de négociation et de gestion. Leur pilotage repose sur un circuit court de la décision à l'exécution.

Les partenaires sociaux ont pour objectif la soutenabilité. Depuis l'origine, les régimes sont auto financés avec une dette nulle et des réserves de 62 milliards d'euros pour piloter l'équilibre pluriannuel, sur la base d'hypothèses économiques volontairement prudentes.

Un pilotage de régime de retraite par répartition s'ancre dans la durée. L'approche est volontairement prudente pour s'assurer que les engagements pris dans les négociations sont respectés. La Cour des comptes a salué cette capacité à plusieurs reprises. C'est un facteur de confiance pour les jeunes générations.

(5) L'approche prudentielle dans la gestion d'un risque long

L'approche prudentielle dans la gestion d'un risque long doit servir le respect de nos engagements tout au long des 70 ans au cours desquels une personne peut être cliente de l'Agirc-Arrco. Depuis 2015, la formalisation des règles de pilotage a été renforcée avec six mois de réserves minimum à horizon de 15 ans et une distinction entre pilotage stratégique, avec des accords de pilotage tous les 4 ans, et tactique, avec des ajustements annuels par le conseil d'administration autant que de besoin. C'est l'illustration du fait que des corps intermédiaires portent également le bien commun du pays en France.

En conclusion, l'Agirc-Arrco est un promoteur et un acteur engagé de l'interrégime au service de tous depuis plus de dix ans. L'interrégime est un réflexe naturel, du droit à l'information depuis 2003 à l'interrégime de gestion actuel (demande de retraite en ligne RGCU...). L'enjeu est de continuer à servir concitoyens et les entreprises de manière simple et lisible pour la retraite de demain.

E. ÉCHANGES AVEC LA SALLE

René-Paul Savary . - Cette table ronde dessine les prémices de la transformation. Comme l'indique le COR dans ses rapports, le passage vers un régime à points ou un régime à comptes notionnels est envisageable techniquement et juridiquement. Cependant, les expériences italienne, allemande et suédoise montrent qu'une réforme techniquement valable n'est pas pour autant politiquement acceptable.

Sylvie Durand, administratrice Agirc-Arrco et Acoss . - Les inégalités de genre sont un sujet traité souvent trop rapidement. Il est utile à appréhender dans la perspective de la réforme, car notre système de retraite, en dépit des solidarités développées, amplifie les inégalités constatées pendant la carrière au moment de la retraite.

D'après les chiffres du COR en 2015, l'écart de salaire à temps complet mensuel atteint 19 %, quand l'écart de pension pour une carrière complète est porté à 34 % dans le secteur privé. Dans le secteur public, les écarts de rémunération et de pension atteignent 12 %. La question des mécanismes qui amplifient les inégalités entre les femmes et les hommes se pose donc avec acuité.

Enfin, j'aimerais savoir quelle est la part maximale du PIB qui peut être consacrée au financement des retraites.

René-Paul Savary . - Les recettes représentent 13,8 % du PIB et les pensions versées 14 %, soit 330 milliards d'euros. Dans les pays voisins, ce taux est légèrement inférieur, à raison de 10 % du PIB en Allemagne et en Italie, en sachant que les autres pays ont souvent développé un système supplémentaire par capitalisation. Pierre-Louis Bras, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les objectifs à atteindre d'après le COR ?

Pierre-Louis Bras . - J'apporterai une précision technique. Les retraites représentent actuellement 14 % du PIB. Notre système de retraite est très dépendant de la croissance. Dans l'hypothèse la plus défavorable, à savoir une augmentation de la productivité de 1 % par an, ce taux passerait à 14,5 % à l'horizon 2070. Un dérapage majeur de la part des dépenses de retraite dans le PIB est donc exclu. Dans l'hypothèse la plus favorable, à savoir un taux de croissance de 1,8 %, les dépenses de retraite représenteraient 11,7 % du PIB en 2070.

Pour autant, le fait que les dépenses de retraites ne dérapent pas ne signifie pas que leur niveau actuel ne pose pas question. Un taux de 14 % n'est pas nécessairement souhaitable.

La croissance économique et l'incitation au travail sont deux éléments de réflexion. Consacrer 14 % du PIB aux retraites implique des prélèvements sur les actifs. Or si ces derniers sont excessifs, ils pèsent sur l'incitation au travail ou à investir. C'est aussi une question de justice, d'équité et de vision du monde. Le niveau de vie des retraités est actuellement légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population.

On peut vouloir maintenir cette quasi parité ou considérer que ramener le niveau de vie des retraités à 85 % de celui de l'ensemble de la population, comme en Allemagne actuellement, est acceptable. Ces deux visions du rapport de notre société aux personnes âgées sont légitimes. Elles doivent faire l'objet d'un débat collectif. De même, l'âge de départ en retraite est plus précoce d'environ deux ans en France par rapport à ses voisins. On peut souhaiter vouloir réduire cet écart ou le maintenir. Après avoir posé les termes des débats, le technocrate que je suis doit se mettre en retrait pour laisser le soin aux politiques et partenaires sociaux de faire valoir leur vision.

Jean-Luc Clément, CFTC . - Quel est le taux de remplacement du dernier revenu envisagé ? La dernière réforme des retraites prévoit 42 années de cotisations, avec un système de décote qui revient à supprimer trois trimestres pour un trimestre manquant, ce qui pénalise les femmes à la carrière incomplète, les seniors arrivés en fin de droit qui ne cotisent plus, et des personnes ayant suivi des études supérieures. Nous ne sommes plus dans une société de plein emploi. Le système de décote étant injuste, la CFTC souhaite son abandon, avec des retraites proportionnelles aux cotisations. Enfin, il convient de s'intéresser à l'espérance de vie en bonne santé : celle-ci régresse.

Pierre-Louis Bras . - Dans le projet de réforme, le nouveau système intègre les surcotes et les décotes. Un départ à 65 ans est moins coûteux pour la collectivité -le système de retraite- qu'un départ à 60 ans.

Un dispositif avec décote et surcote laisse une marge de choix sachant que le choix de tel ou tel est neutre pour la collectivité du moins pour le système de retraites. Il est vrai que l'exercice de cette liberté de choix dépend de la capacité à la mobiliser, capacité différente selon la situation des personnes. Par exemple, le cadre supérieur en tire plus facilement parti qu'une personne invalide ou un senior au chômage.

Yannick Moreau . - Sur le taux de remplacement, les débats font émerger plusieurs idées. Pour les syndicats, le sujet est très important ; pour les organisations patronales, il doit être fixé en fonction du taux de cotisation. En la matière, la loi de 2003 a fixé un objectif, que les lois successives n'ont pas repris. C'est effectivement une question importante. S'il est possible d'adopter des taux de remplacement, des pays comme l'Allemagne raisonnent en objectif de taux de cotisation, ce qui n'exclut pas des dépenses budgétaires. Il convient de tenir compte de l'ensemble des dépenses, en étant conscient que taux de cotisation n'égale pas taux de dépenses. La loi de 2014 a mentionné un taux de remplacement suffisant en citant une référence valable pour l'avenir. Cette préférence est fixée par décret, en fonction des carrières types dans le secteur privé. Nous ne pouvons avoir un seul objectif. Il me paraît souhaitable d'adopter plusieurs indicateurs, car un régime de retraite répond à des objectifs pour les assurés, mais aussi les cotisants. Politiquement, fixer le taux de remplacement au moment du départ en retraite est une question qui a du sens. Elle devra être abordée.

Monique Durand, présidente de la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) et de la Caisse d'assurance vieillesse des professions libérales (CnavPL) . - Yannick Moreau, vous évoquez les particularismes. J'entends le reproche qui peut être exprimé à ce sujet, mais comment les professions libérales pourraient-elles cotiser de manière similaire aux salariés sans avoir le soutien des cotisations d'un employeur ? Rappelons qu'elles assument l'intégralité des cotisations.

Yannick Moreau . - J'ai évoqué les particularismes en abordant les sujets d'universalisme et du rapprochement des droits. On ne peut pour autant ignorer la diversité des situations et des histoires. L'enjeu de la réforme est d'articuler les deux.

Pierre-Louis Bras . - Dans le projet de réforme, il est écrit qu'un euro cotisé donne les mêmes droits, sans qu'il soit affirmé que tous cotisent au même niveau en fonction de leur rémunération. A ce stade, cette question n'est pas tranchée. Le projet laisse ouverte la possibilité de taux de cotisations différents. La règle d'un euro cotisé donnant les mêmes droits implique qu'une cotisation inférieure donne des droits inférieurs. Le sujet du taux de remplacement est donc difficilement abordable sans traiter la question des taux de cotisations.

François-Xavier Selleret . - La promesse du Président de la République, à savoir la convergence des rendements, n'est pas exclusive du maintien de taux de remplacement différents. Dans un régime contributif, le mode d'acquisition des droits individuels est le même, mais la retraite servie reflète les cotisations effectivement versées tout au long de la vie professionnelle. Le rendement individuel est identique, mais le montant de la retraite diffère en fonction de la somme des cotisations versées.

René-Paul Savary . - Nous pouvons tendre vers un régime plus universel sans nécessairement bouleverser l'ensemble. Il existe là aussi des marges de manoeuvre. Un régime universel n'est pas assimilable à un régime unique : la démographie, les avantages, acquis, les différences de prestation, la prise en compte de l'existant induiront nécessairement des différences. Techniquement, un tel régime est envisageable.

Antoine Durrleman . - Parmi les particularités intéressantes du régime des professions libérales, citons la réforme de 2004 qui marque le passage d'un régime en annuités à un régime en points. Elle témoigne d'une volonté de transformation systémique de notre système de retraite. Cet effort, isolé, est prometteur pour d'autres transformations.

Philippe Steck, ancien membre du conseil d'administration de la Cnaf . - Pour l'assurance vieillesse des parents au foyer, les cotisations versées par la Cnaf à la Cnav, d'environ 4 milliards d'euros, ont longtemps été très inférieures aux dépenses pour la Cnav. Des prévisions annoncent une inversion de cette tendance. Des modifications sont-elles envisagées, en sachant que la branche famille est désormais équilibrée, voire excédentaire ?

René-Paul Savary . - La Cnaf contribue au financement du système de retraite et soulève la question de la politique familiale, puisqu'un plus grand nombre d'enfants contribue à l'équilibre d'un système par répartition. L'Allemagne, par exemple, est confrontée à un problème de renouvellement des générations et de soutenabilité du système en raison de son faible taux de natalité. Quelle sera la participation de la branche famille à la branche vieillesse correspondant à des actions de solidarité, différentes d'un régime à l'autre ?

Yannick Moreau . - Les rapprochements entre les différents systèmes constituent un atout de faisabilité pour la réforme envisagée. Dans le cas évoqué, ils n'ont pas été réalisés pour les avantages familiaux et les pensions de réversion, deux sujets sensibles. Malgré de nombreuses réformes, les politiques n'ont pas trouvé le moyen d'intégrer ce sujet dans l'agenda. Il faudra construire des objectifs de politique familiale. Des signes tendent à montrer l'ambition de la France en matière de renouvellement des générations. C'est un élément à concilier avec la politique des retraites. Chez les partenaires sociaux, je ne ressens pas d'hostilité a priori vers une convergence. En revanche, il existe une difficulté à déterminer des objectifs de politique familiale et de convergence des pensions de réversion.

René-Paul Savary . - Dans un système de solidarité par point, nous devrons définir si le point de solidarité est équivalent au point de cotisation.

Yves Chevalier, membre du directoire du Fonds de réserve pour les retraites . - Le futur régime des retraites devra être équilibré. Des récessions, voire des dépressions économiques n'étant pas exclues, nous devrons prévoir des outils pour assurer sa soutenabilité et prévenir la reconstitution d'une dette. Dans l'exemple de l'Agirc-Arrco, je retiens deux points importants, d'une part, la gouvernance stratégique et tactique, d'autre part, les réserves. Pourriez-vous rappeler le rôle de ces dernières par le passé pour gérer les périodes difficiles et diminuer l'effort demandé aux cotisants et retraités ?

François-Xavier Selleret . - Les réserves Agirc-Arrco ont été principalement constituées entre 1998 et 2008, au moment où la situation économique de la France était relativement bonne. A partir de 2009, elles ont été sollicitées dans un contexte de crise économique. Les régimes sont entrés en déficit pour des raisons conjoncturelles et non démographiques. Les réserves ont en partie été reconstituées par les mesures bilancielles décidées par les partenaires sociaux et par une gestion performante et de bon père de famille. Ces dernières années, le rendement de nos réserves, investies à 70 % en obligations et 30 % en actions, a produit un rendement de 5 % par an. En conciliant notre aversion au risque et notre objectif de performance, nous sommes parvenus à dégager des plus-values par la gestion d'actifs. Ces réserves présentent un enjeu économique, stratégique et politique. Pour les nouvelles générations, leur montant et l'exemplarité de leur gestion sont un gage de confiance et de soutenabilité dans le système de retraite par répartition. Les réserves nous permettent de faire face aux crises conjoncturelles et nous les reconstituons en période de croissance.

Pierre-Louis Bras . - L'Agirc-Arrco est effectivement un bon père de famille et même un bon grand-père de famille. Si dans le scénario d'une croissance faible (1 % de croissance annuelle des salaires réels), ses réserves seraient mobilisées et s'épuiseraient en 2050 ; dans tous les autres scénarios, les réserves ne sont pas utilisées et augmentent au rythme du rendement des capitaux placés jusqu'en 2070, elles serviront peut-être aux générations qui vivront leur retraite après 2070. A ce titre, la qualité de sa gestion est à saluer si tant est que le critère de qualité pour apprécier la gestion d'un dispositif de retraite par répartition soit sa capacité à accumuler des réserves.

René-Paul Savary . - Dans les pays européens qui ont mené des réformes, les réserves jouent un rôle essentiel. Elles facilitent la prise de dispositions en cas de crise. En France, elles s'élèvent dans l'ensemble à plus de 100 milliards d'euros avec des disparités selon les régimes. Tous ces problèmes seront à examiner le moment venu.

Une personne du public . - Afin d'avoir une plus grande équité entre les députés et les sénateurs, le régime de retraite de ces derniers sera-t-il aligné avec celui de la fonction publique, comme l'est devenu celui des députés depuis le 1 er janvier 2018 ?

René-Paul Savary . - Le régime de retraite des sénateurs sera étudié à l'instar de l'ensemble des régimes de retraite particuliers. L'enjeu n'est pas de les opposer ou de mettre en exergue les différences au détriment des rapprochements, mais d'accroître l'équité. Aucun régime en France n'a à rougir de l'action déjà menée, qu'il soit parlementaire, des professions libérales ou agricoles.

Philippe Berthelot, vice-président de la CNVP . - Dans le cadre de la réforme du régime universel, quelle peuvent être la place des régimes complémentaires et leur articulation avec un régime de base ?

René-Paul Savary . - La place des partenaires sociaux est prépondérante dans les régimes de retraite et diffère selon l'approche des pays. Certains choisissent une capitalisation gérée par les partenaires sociaux en complément d'un système de retraite par points. Il appartient aux politiques d'en définir les principes. La gestion peut être partenariale. Pour assurer l'acceptabilité politique de la réforme, chacun doit pouvoir y trouver son intérêt.

II. DÉBAT 1 - RÉFORMER LES RETRAITES, QUELLE MÉTHODE ?

Cette table ronde est modérée par Oriane Mancini, journaliste, Public Sénat.

Interviennent :

Marisol Touraine, ancienne ministre des affaires sociales et de la santé
Bernard Thibault, membre du conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail, ancien secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT)
Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio, ancien conseiller social du Président de la République

Oriane Mancini . - Marisol Touraine et Raymond Soubie, vous avez tous deux inspiré des réformes des retraites. Quel souvenir marquant ou quelle anecdote vous revient en mémoire à ce sujet ?

Raymond Soubie . - Il y a 12 ans, un professeur américain étudiant les régimes de retraite en France a pris rendez-vous avec moi. Après avoir compris rapidement la nature du régime de répartition, dans lequel les actifs paient pour les retraités, il a demandé qui payait les futures retraites des actifs. J'ai répondu qu'en raison du principe de solidarité entre les générations, ce serait les générations futures. Le professeur m'a demandé si nous étions certains qu'elles seraient aussi aimables que les précédentes et s'est étonné qu'un tel système n'entraîne pas la foule dans la rue. J'ai confirmé qu'il y avait des manifestations, mais pour le défendre.

Récemment, j'ai vu le plus haut personnage de l'Etat s'adresser à une retraitée qui, à la télévision, contestait la hausse de la CSG. Il lui a expliqué que les actifs payaient pour les retraités. Elle le regardait avec un air de profonde incompréhension en rappelant qu'elle avait cotisé pour sa retraite, convaincue -à tort- qu'elle était dans un système de capitalisation.

La représentation des systèmes de retraite est un sujet important : elle ne correspond pas à ce qu'ils sont. Dans une réforme, cet aspect psychologique est à considérer.

Marisol Touraine . - Ces sujets sont profondément ancrés dans notre culture politique : ce ne sont pas des anecdotes qui méritent d'être rapportées, mais des perceptions politiques. Après avoir fait voter la réforme de 2014 relativement facilement auprès d'une majorité qui n'était pas simple, et constaté que la mobilisation dans la rue avait été quasiment inexistante, je me souviens d'avoir eu une discussion avec un observateur des personnalités françaises . Celui-ci m'a demandé si nous n'aurions pas pu aller plus loin dans la réforme puisque personne ne protestait dans la rue. Je me suis étonnée de cette mentalité considérant que l'étalon de la réforme et de la transformation est le nombre de manifestants, comme si l'hypothèse de la négociation, de la concertation et de la discussion, mais aussi de l'air du temps, c'est-à-dire la capacité de compréhension ou d'acceptation d'une réforme, ne pouvait être posée. Une même réforme peut être insupportable à un moment donné et acceptable quelques années plus tard.

Par ailleurs, je suis convaincue que le système de retraite est perçu avec beaucoup d'inquiétude et d'incompréhension par les Français qui le considèrent comme un élément de leur histoire, de leur identité et de ce qui leur permet d'affronter l'avenir. Ces inquiétudes sont disproportionnées par rapport à la réalité du système.

Oriane Mancini . - Bernard Thibault, quel souvenir gardez-vous des combats syndicaux contre les réformes des retraites ?

Bernard Thibault . - Je me souviens du nombre de kilomètres parcourus à pied ! Le système de retraite est au coeur du pacte social et républicain du pays. La question ne peut donc être résolue par des caisses enregistreuses. C'est aussi un choix de société. Pour le définir, il faut une méthode y participant. Sur ce sujet, un glissement s'est produit au fil du temps. A l'origine, dans notre histoire, les représentants des salariés étaient majoritaires dans la gestion du dispositif. Au fil des réformes, ils en ont été dépossédés. La méthode sera donc très importante : elle doit permettre un véritable débat et renvoie à une multiplicité de choix et à la question du travail.

Yannick Moreau évoquait les régimes spéciaux, qui sont un sujet d'actualité et de tensions. Dans leur pacte social, certaines professions ont convenu de reconnaître des conditions de travail particulières par des dispositifs de retraite dits « spéciaux ». Remettre à plat ces dispositions implique de revoir l'ensemble du pacte social d'une profession. En tant qu'« ancien combattant », je peux témoigner que la méthode participe de la possibilité d'aborder les questions de fond. Il importe de permettre au plus grand nombre de Français de participer au débat. Dans une démocratie, cela implique de permettre des approches contradictoires.

Oriane Mancini . - Marisol Touraine, pouvez-vous rappeler les grandes lignes de la réforme menée en 2014 ?

Marisol Touraine . - Si les Français sont prêts à manifester pour défendre leur système de retraite, ce n'est pas par conservatisme ou pour obtenir toujours davantage, mais parce qu'ils ont la mémoire, même inconsciente, du recul de la pauvreté chez les personnes âgées ces soixante-dix dernières années. Celle-ci a en grande partie disparu. La retraite a permis à notre société de se développer et d'avancer. C'est un pacte social entre les générations. Je suis donc sensible au lien entre les conditions de retraite et d'autres éléments.

La retraite fait partie d'un tout et s'inscrit dans le prolongement de la vie professionnelle.

Les enjeux financiers ne sauraient être considérés comme secondaires. J'ai constaté un déficit important, malgré les réformes déjà menées, et l'impossibilité de garantir l'avenir des retraites sans se préoccuper de la situation financière des régimes. J'ai donc engagé la réforme pour garantir l'équilibre financier, un régime par répartition et poursuivre sur le chemin du progrès et de la justice sociale. La retraite est composée d'un ensemble de droits qui doivent pouvoir s'améliorer dans le temps.

La réforme que j'ai fait voter comprend des mesures d'économies nécessaires, avec un allongement de la durée de cotisation, qui me semblait plus juste que le relèvement de l'âge légal de départ, ainsi que des avancées pour les populations les plus fragiles, dont les travailleurs précaires qui peuvent valider des droits après avoir travaillé quelques heures, les femmes, dont les congés maternité sont désormais pris en compte, les jeunes, avec une reconnaissance de l'apprentissage, et la pénibilité. Si les efforts doivent être partagés, ils ne peuvent être les mêmes pour tous, car certains exercent des métiers pénibles et d'autres commencent jeunes. J'ai combattu pour convaincre sur ces deux points. Je suis heureuse de voir que cette réforme n'est pas mise en cause aujourd'hui.

Oriane Mancini . - Raymond Soubie, vous avez inspiré la réforme de 2010. Quelles étaient vos motivations ? Etaient-elles financières ?

Raymond Soubie . - Oui. La réforme précédente, de 2003, était importante. En même temps qu'elle prévoyait un allongement de la durée de cotisation, elle rapprochait le régime de la fonction publique des dispositions du régime général. Le ministre de la Fonction publique d'alors a réalisé un remarquable travail de concertation. La réforme de 2008 sur les régimes spéciaux a été une nouvelle étape, tendant à une convergence dans le temps du nombre d'annuités de cotisations requises. Elle s'est déroulée sans trop de heurts.

En 2010, la situation était très dégradée à l'issue de la crise économique et financière de 2008 et de l'effondrement de la croissance. Les défis financiers à relever pour la survie des régimes de retraite étaient considérables. Nous avons décidé d'agir sur l'âge de départ en le portant de 60 à 62 ans, ce qui entraînait un effet mécanique considérable. L'ampleur du défi ne laissait aucune marge de manoeuvre de négociation sur le contenu de la réforme.

Pour cette raison, le gouvernement a assumé cinq journées de manifestations, menées notamment par Bernard Thibault, dont plusieurs ont dépassé le million de manifestants dans toute la France. En dépit de ces manifestations et des débrayages dans la fonction publique, à la SNCF, le gouvernement n'a pas modifié son projet.

A cette époque, la CFDT a soutenu le projet de passage à un système notionnel. Il eut fallût, s'il avait été adopté, étaler son application sur beaucoup d'années, or, seule une mesure paramétrique forte garantissait le sauvetage financier du régime. Pour ne pas fermer la porte à un système notionnel, le Sénat introduit dans le projet de loi un amendement prévoyant une rencontre en 2013 ou 2014 sur le système notionnel.

Les années ont passé et en 2015, aucune rencontre n'avait été organisée à ce sujet. Je me suis promis de demander à Marisol Touraine, la prochaine fois que je la verrai, les raisons pour lesquelles ce sujet n'avait pas été abordé... Enfin, au cours de la campagne présidentielle, le Président a annoncé le passage progressif à un système notionnel.

Donc, dans le cadre de la réforme de 2010 et dans un contexte de crise et d'effondrement de la croissance, le gouvernement n'a pas cédé.

Oriane Mancini . - Lorsque vous engagez une réforme des retraites, avez-vous à l'esprit les manifestations de 1995 ?

Raymond Soubie . - En 1995, il n'existait pas de projet précis de réforme des retraites. Le Premier ministre avait évoqué la perspective d'une étude sur une éventuelle évolution des régimes spéciaux. Il avait annoncé la création d'une commission dans ce but.

Bernard Thibault . - En 1995, le Premier ministre a tenu des propos précis sur une réforme des retraites. A chaque fois, les gouvernements ont affirmé que l'enjeu était de gagner en efficacité, en justice et en transparence. Je ne connais pas de gouvernement annonçant une réforme avec l'enjeu d'être moins efficace, moins clair et moins juste. Pour autant, il ne suffit pas d'énoncer ce slogan pour qu'il soit cru. Nous avons de l'expérience en la matière. En règle générale, les contestations sociales, sur la sécurité sociale ou les retraites, sont les sujets les plus mobilisateurs, ce qui confirme qu'ils participent du pacte républicain et social. Les systèmes de répartition sociale permettent de caractériser une société. Dans le monde, seuls 60 % des travailleurs ont droit à la retraite. Ce droit est loin d'être gagné partout. C'est aussi pour cette raison que les réformes des retraites n'ont pas porté chance aux majorités et Présidents en place : elles ont été considérées comme une régression plutôt qu'une avancée.

Oriane Mancini . - Les mots réforme et retraite déclenchent-ils immédiatement des grèves ?

Bernard Thibault . - Il ne suffit pas de poser le mot réforme pour enclencher une dynamique positive. Sur le plan social, ce mot est connoté négativement. Les décideurs l'emploient d'ailleurs de moins en moins.

Marisol Touraine . - Lorsque j'ai lancé la réforme des retraites, je n'ai pas pensé aux manifestations de 1995. Le contexte politique et social était très différent. En revanche, j'ai étudié la manière dont les réformes précédentes avaient été menées. La clé du succès résidait dans la négociation et la discussion avec les organisations syndicales, ainsi que dans l'engagement rapide de la réforme, c'est-à-dire au début du quinquennat.

Dans le discours politique et journalistique, la réforme est présentée comme punitive : une « vraie » réforme est financière, rapporte de l'argent et fait mal. Ma conviction est qu'il est impossible de considérer une réforme des retraites comme uniquement financière. Il serait irresponsable d'écarter ces enjeux, mais en rester là serait une faute, car un système de retraite est bien davantage qu'un simple équilibre financier. Il ne se réduit pas à des chiffres, des statistiques ou des additions. Nous devons permettre aux citoyens de savoir sur quoi ils pourront compter dans les dernières années de leur vie. Si le débat est aussi sensible, c'est parce que les retraités ont le sentiment de n'avoir aucune possibilité d'échapper aux décisions qui leur sont imposées. Alors qu'ils sont dans l'impossibilité d'effectuer des heures supplémentaires, de se réorienter ou de se former pour accroître leur rémunération, ils voient la règle modifiée. Lorsque j'ai engagé ma réforme, j'ai voulu négocier et trouver des points d'équilibre. Nous y sommes parvenus. Le gouvernement a renoncé à des dispositions, tout en demandant aux organisations syndicales de faire de même pour certaines revendications.

Bernard Thibault . - Pour la première fois depuis 1945, s'ouvre un débat sur le changement de système de retraite en France. Nous ne saurions considérer qu'il s'agit d'une énième réforme dans la droite ligne des précédentes. Le débat actuellement suggéré porte sur l'opportunité du changement du système de retraite dans notre pays. Il faut accepter qu'il génère des débats en profondeur. Il ne saurait être accompagné d'une posture autoritaire laissant entendre que le résultat est arrêté indépendamment de la nature des échanges.

S'agissant des cotisations sociales et de leur utilisation, il est légitime que ceux qui en sont « propriétaires » aient leur mot à dire sur la nécessité d'organiser leur prélèvement, leur redistribution, la finalité de leur usage, etc. Les attentes des salariés doivent être écoutées. Le propre des responsables politiques est aussi de refuser la facilité et d'accepter d'expliquer dans quelle mesure l'absence d'uniformité des systèmes n'est pas contraire au principe de la justice sociale. Cette dernière s'apprécie en fonction de multiples paramètres. Les considérer de manière isolée et assimiler la justice à l'uniformité de traitement des situations, règles, droits et procédures est une erreur.

Marisol Touraine . - Que nous soyons soit favorables ou défavorables au principe de la réforme, il est de notre responsabilité collective de ne pas agiter les anxiétés sociales dans le pays. Lors de la dernière campagne présidentielle, certains ont fait preuve d'une attitude catastrophiste irresponsable.

Oriane Mancini . - Etes-vous favorable ou défavorable à une réforme systémique ?

Marisol Touraine . - Je ne suis pas opposée au principe d'une réforme systémique, l'enjeu étant d'en définir la mise en oeuvre. Il est indispensable de rassurer les Français. Sur ce point, nous sommes confrontés à un échec collectif. Malgré les réformes engagées, les Français, notamment les plus jeunes, conservent le sentiment qu'ils n'auront pas de retraite. Il appartient à ceux qui porteront la réforme de ne pas la présenter comme justifiée par des raisons financières. C'est parce que les régimes sont à l'équilibre et le régime général excédentaire que la perspective d'une transformation du système devient possible. Pour quelle raison devrions-nous alors le modifier ? Aux yeux des Français, les régimes de retraite restent compliqués. Par principe, l'uniformité n'est pas meilleure en soi. Les Français ont le sentiment d'un manque de transparence et d'équité. De ce point de vue, le principe d'une réforme peut être intéressant. Tout dépend de la définition des conditions de cette réforme.

Oriane Mancini . - Marisol Touraine, avez-vous envisagé une réforme systémique ?

Marisol Touraine . - Oui. Nous avons réfléchi à un système fondé sur des critères de calcul différents en additionnant la durée de cotisations et l'âge de départ en retraite. A l'époque, l'enjeu était avant tout de rétablir les comptes. Cependant, modifier des règles peu compréhensibles des non-spécialistes risquait d'entacher la confiance dans la réforme. Nous avons donc préféré rétablir l'équilibre du régime en allongeant les cotisations et prendre les mesures sociales et de justice que j'évoquais tout à l'heure. La prise en compte de la pénibilité représente une avancée significative.

Oriane Mancini . - Raymond Soubie, avez-vous envisagé une réforme systémique ?

Raymond Soubie . - Oui, notamment avec la CFDT. Cependant, une réforme systémique demande de nombreuses années de mise en oeuvre. Or le défi de 2010 était financier et économique. Toutes les réformes des retraites menées depuis 30 ans en France ont poursuivi un objectif financier et un objectif d'harmonisation progressive des régimes. Deux possibilités s'ouvraient à nous : soit jouer sur les paramètres et une harmonisation accrue, soit engager une réforme systémique, une réforme « finale ».

En France, toute réforme annoncée recueille généralement au départ une large approbation. Au fur et à mesure qu'elle prend forme, des pans entiers de la population basculent dans l'opposition et les craintes ressortent. La reconnaissance du principe d'une réforme n'implique donc pas qu'elle soit facile à mettre en oeuvre.

La réforme systémique représente un projet d'une ampleur considérable. Les Français méconnaissent leur propre régime de retraite et bouleverser les repères est un défi. Cette réforme interroge la représentation qu'ont les salariés et les Français de leur régime de retraite. Or rien n'est plus déstabilisant. Avant toute décision, il faudrait expliquer les enjeux et les faire comprendre aux Français. Enfin, une telle réforme se déploie sur un temps très long et implique, pour chaque régime, de préciser son devenir à 3, 5, 10 et 15 ans. D'après les sondages, la majorité des Français âgés de moins de 30 ans est opposée aux réformes actuelles. Il n'est donc pas certain qu'ils adhèrent à une réforme sous prétexte qu'elle leur serait favorable. Un ralentissement de la croissance pourrait aussi générer une situation nouvelle qui perturberait le chemin de la réforme. Enfin, nous avons sans doute besoin que des particularités subsistent. S'attaquer au nom de l'uniformité à des régimes spéciaux revient à s'attaquer à l'identité des salariés qui en dépendent.

Je suis donc favorable au maintien de certains régimes spéciaux et au rôle des partenaires sociaux, du moins un temps. Il est possible de tendre vers le système envisagé sans abolir d'un trait de plume l'existant. Sans cela, le risque existe de ne pas aboutir et de déclencher l'expression de forts mécontentements.

Marisol Touraine . - Les conditions d'annonce de la réforme seront cruciales. Le jour de son annonce, 30 millions de Français se lanceront dans des calculs pour en comprendre les conséquences pour eux. L'absence de réponse serait anxiogène. Notre responsabilité collective est donc de veiller aux conditions d'annonce de la réforme, notamment pour ceux qui sont proches du départ à la retraite. J'ai tendance à penser que ces réflexions s'ouvrent une dizaine d'années avant le départ possible.

L'une des justifications de la réforme est la simplification. Celle-ci a beaucoup progressé depuis la loi que j'ai fait voter avec la mise en place du Groupement d'intérêt public Union retraite et d'instruments de simulation à la Cnav, désormais accessibles à la fonction publique. Dix ans avant un départ, un citoyen a la possibilité de calculer le montant des pensions en fonction de l'âge du départ et d'arbitrer. Il serait perturbant d'invalider toute projection dans l'avenir. Nous pouvons encore progresser dans ce domaine.

Le slogan d'un euro cotisé donnant accès aux mêmes droits est politique. J'espère qu'il ne se concrétisera pas, car il implique la suppression de la solidarité. Un chômeur et une personne en arrêt maladie ne cotisent pas de la même manière. Il est possible de défendre le rapprochement des modes de calcul en respectant des parcours et des identités, mais l'élément central de la réforme doit rester la solidarité. J'évoquais la pénibilité. Dans le système actuel, une personne qui a travaillé dans des conditions pénibles obtient la même pension de retraite qu'une personne ayant travaillé plus longtemps dans des conditions moins pénibles. Je comprends la force du slogan politique, mais encore faut-il l'accompagner d'une mise en oeuvre concrète permettant aux mécanismes de solidarité de continuer à fonctionner. Sans cela, la réforme ne sera ni envisageable ni supportable pour une partie de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, l'annonce de la réforme impliquera d'entrer dans le détail des propositions. Ce peut être difficile.

Bernard Thibault . - Pour les salariés, les deux questions principales sont l'âge du départ et le montant de la retraite. Elles peuvent sembler basiques lorsqu'on parle d'un système de retraite collectif, mais sont logiques. Nous sommes tous confrontés à un certain matérialisme.

Les retraités sont majoritairement favorables à la modification des règles d'acquisition des droits... pour les actifs qui partiront plus tard ! Cette population étant de plus en plus nombreuse, sa position compte d'un point de vue électoral. D'un point de vue structurel, en revanche, elle ne suffit pas à faire adopter des mesures.

Parler de la retraite implique aussi de parler du travail. Il reste difficile d'annoncer le report de l'âge du départ en retraite quand une entreprise invite ses salariés à la quitter faute d'être suffisamment formé ou les encourage à intégrer un plan de départ anticipé, alors que leurs enfants ou petits-enfants sont au chômage. Ce manque de cohérence nourrit la polémique.

Enfin, j'attire votre attention sur la méthode de réforme. Si celle-ci consiste en la rédaction d'un projet par des experts placés aux côtés du gouvernement, nous prenons le risque que tout ne soit pas bien rédigé. Devons-nous parler de co-construction ? Ce peut sembler ambitieux pour un pilier du droit social en France, cet état d'esprit ne semblant pas d'actualité. Pour autant, refuser d'associer activement les salariés et leurs représentants aux réflexions et rejeter un débat contradictoire sur l'opportunité du changement du système de retraite s'avère risqué.

Oriane Mancini . - Marisol Touraine et Raymond Soubie, disposiez-vous de marges de manoeuvre dans la conception des réformes ?

Marisol Touraine . - Ma réforme n'était pas écrite d'avance. Le projet posait des principes et la méthode reposait sur des concertations constructives avec les organisations syndicales, y compris celles qui lui ont refusé leur soutien. La réforme a été construire de manière itérative. Nous avons testé les propositions des organisations syndicales. La conception de la pénibilité et sa mise en place ont fait l'objet de débats. A leur demande, la mise en oeuvre et le calendrier de la réforme ont fait l'objet d'un travail détaillé. Les discussions qui ont suivi les travaux du gouvernement ont été intenses et ont duré plusieurs mois.

Raymond Soubie . - Au printemps 2009, le Président de la République a annoncé au Parlement réuni à Versailles qu'il irait plus loin que la réforme de 2003, le mur des déficits étant avancé de dix ans par rapport aux prévisions. L'annonce a été conçue comme un acte politique fort. A l'intérieur du gouvernement, des discussions ont été menées sur les mesures. L'enjeu était notamment de déterminer le report de l'âge du départ en retraite : nous avons choisi de le porter à 62 ans en le remontant rapidement.

En termes de méthode, le ministre Eric Woerth a mené des discussions avec les organisations syndicales pendant plusieurs mois, de février/mars 2010 à novembre 2010. Sur cette période, trois à quatre réunions par mois ont été organisées autour du Président, du Premier ministre et des ministres concernés.

La période actuelle est plus difficile, car plus favorable économiquement. En 2010, il était facile de mettre en avant la situation financière dans un contexte de crise. En 2018, la contrainte financière est beaucoup moins forte. En revanche, il existe une volonté d'équité. Le gouvernement actuel aurait pu continuer à harmoniser les régimes, mais il a choisi une voie différente : un système universel dans lequel chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits. Le fait qu'une majorité de personnes s'estimeront maltraitées impliquera des compensations. Or il ne faudrait pas que cette réforme crée des problèmes financiers.

Tout temps perdu à préparer la réforme et à discuter est autant de temps gagné.

Oriane Mancini . - Bernard Thibault, les méthodes des gouvernements de droite et de gauche diffèrent-elles ?

Bernard Thibault . - Ce n'est pas une question de couleur politique. Au fil du temps, il semble que les gouvernements aient renoncé à la négociation sur le sujet des retraites. La dernière négociation date de 2003, sous pression de la rue. Le gouvernement a fini par organiser une négociation dans des conditions rocambolesques. Le nombre de réunions affiché n'est pas un gage de qualité de la concertation, a fortiori s'il est question de changer le système de retraite. Est-il envisageable de le faire sans l'accord des salariés ? Est-ce praticable ? La réponse réside dans des solutions négociées et la recherche d'un soutien social suffisant.

Depuis 2003, les gouvernements ont organisé des concertations. Cette évolution contribue à déresponsabiliser les salariés sur la situation de leur système de retraite, comme de la sécurité sociale. Les responsables politiques considèrent que prendre des décisions dans ces domaines est un moyen d'exercer le pouvoir. Cependant, le faire en autarcie les expose à se couper des premiers concernés et des premiers financeurs que sont les salariés et participe à la déresponsabilisation de la démocratie sociale qui a présidé à la mise en place de la sécurité sociale.

Il serait donc sain de revenir à des dispositions rendant aux salariés la propriété des dispositifs de protection sociale les concernant directement et de leur rendre une position d'acteur.

Marisol Touraine . - Les pouvoirs politiques ne décident pas seuls. Rappelons que la loi Larcher exclut la Sécurité sociale des négociations et impose des concertations et des discussions sur le sujet. En dehors de la CFDT, demandeuse d'une consultation approfondie, les autres organisations syndicales n'y étaient pas favorables pour préserver leur autonomie de réaction.

Aujourd'hui, il est question de changer de système. Ce n'est pas rien et cela suppose d'aller au-delà des négociations avec les organisations syndicales et salariées. Trouver des formes de discussion directe avec les Français serait utile, y compris pour faire évoluer le projet et en assurer le succès.

Un Français âgé de 25 ans ou de 35 ans n'a pas pour priorité les conditions de départ en retraite. Ce sujet ne domine pas sa vie. En revanche, une personne âgée de 55 ans, qui a construit un projet, sera attentive aux conséquences de la réforme sur sa situation personnelle.

Enfin, une situation économique plus favorable ne rend pas nécessairement plus difficile une réforme : elle crée des marges de manoeuvre pour mettre en place des compensations à destination de ceux qui seront perdants. En période de contraintes financières, une réforme systémique est inenvisageable.

Bernard Thibault . - Il est vrai que la loi Larcher exclut le champ de la protection sociale de la procédure de consultation préalable. La CGT était partisane de son élargissement. Juridiquement, aucune procédure n'est imposée au gouvernement sur ces sujets. Pour autant, la loi Larcher n'interdit pas aux gouvernements de faire preuve d'intelligence. J'en appelle donc à l'intelligence politique.

Marisol Touraine . - Les organisations syndicales ne sont pas toujours favorables à cette procédure. Certaines ont explicitement refusé des négociations formelles.

Bernard Thibault . - La nature du sujet impose de trouver les formes d'une adhésion large. Evoquer un système unique soulève des questions nouvelles d'articulation entre des régimes dont l'histoire et la construction diffèrent. Les consultations peuvent aussi être multiples. On ne saurait le traiter par un référendum proposant le choix entre deux réponses.

Dominique Leclerc, ancien rapporteur Assurance vieillesse de la commission des affaires sociales du Sénat . - Avec les réserves évoquées, on pourrait croire qu'une réforme systémique ne se justifie plus.

En 2010, comme Raymond Soubie l'a rappelé, l'impératif financier issu de la crise de 2008 était tel que le gouvernement a eu le courage de proposer cette réforme. L'article 16 de la loi de 2010, inscrit par le Sénat avec l'accord du gouvernement, prévoyait à partir de 2013 une large concertation avec les corps intermédiaires pour mettre fin à une succession de réformes paramétriques. Lorsque Marisol Touraine est arrivée au gouvernement, la période semblait favorable. Votre réforme a certes rempli des objectifs partagés. En 2010, la majorité de l'époque a inscrit les longues carrières, la pénibilité et le rapprochement de critères pour aller vers une réforme systémique. Celle-ci se justifie-t-elle encore ? Vos propos me permettent d'en douter.

Marisol Touraine . - En 2012, tout n'était pas réglé, loin de là. Le régime des retraites était déficitaire de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Il fallait donc aller plus loin. Mon intention n'est pas aujourd'hui de tenir un débat partisan. En 2012-2013, nous avons mené une large concertation sur la conception de la pénibilité. Celle-ci n'était pas entrée dans la loi de 2010 sous une forme juste, puisqu'elle était médicalisée.

En 2012, l'enjeu financier était trop important pour mener en même temps une réforme structurelle. En 2018, je n'émets pas de réserve de principe sur l'engagement d'une réforme structurelle, bien qu'elle ne s'impose pas. Elle ne répond pas à un enjeu financier et n'est pas indispensable à une plus grande simplification. Elle peut en revanche servir les progrès d'équité et de transparence qui restent à accomplir. J'attire l'attention sur le caractère essentiel de la prise en compte des conditions, paramètres, éléments de solidarité, de temps, etc.

Jean-Louis Malys, CFDT . - Les réformes des retraites ont toutes été fondées sur des considérations financières, tout en faisant l'objet de considérations politiques. En 2010, il est évident que le gouvernement recherchait l'affrontement pour affirmer sa capacité à réformer dans la perspective des prochaines élections. Lorsque Marisol Touraine était ministre, le gouvernement affichait au contraire une volonté de concertation. Aujourd'hui, la question posée au gouvernement est de savoir si sa logique est de changer le système en menant une réforme punitive ou de prendre le temps de la concertation. Il importera d'expliquer que la réforme n'est pas punitive, qu'elle prendra du temps et qu'un régime universel ne signifie pas uniformité. Il doit notamment tenir compte des parcours professionnels et permettre des choix. La voie de l'intelligence, qui est celle du compromis, nécessite du temps. La situation financière étant plus saine, la période est favorable à la recherche d'un consensus.

Raymond Soubie . - Je vous assure que nous n'avons jamais eu la moindre volonté d'affrontement. Nous étions confrontés à une situation financière qui imposait une réponse. La CFDT souhaitait commencer par étudier le système notionnel, qui n'aurait pas permis de rétablir rapidement l'équilibre financier du régime.

Aujourd'hui, il convient de franchir une nouvelle étape, comme cela a d'ailleurs toujours été prévu. Il est intéressant d'explorer la piste d'une réforme systémique, en sachant qu'il n'existe pas de sujet plus conflictuel ni périlleux pour les politiques que les retraites.

Marisol Touraine . - Le système de retraite est un pilier de notre pacte social. Le revoir en profondeur implique de le recréer, c'est-à-dire de recréer les conditions ou les données du compromis et d'un contrat. En l'absence de contrainte financière, la dimension punitive n'a pas de raison d'être, mais la réforme peut devenir l'enjeu d'une marque politique. Les conditions de sa réussite résident dans la recréation d'un pacte social.

Oriane Mancini . - Au regard de votre expérience en matière de réforme des retraites, quel conseil donneriez-vous au Président de la République et au gouvernement ?

Bernard Thibault . - Je ne suis pas convaincu par l'utilité d'un conseil de ma part au Président de la République. L'échange m'a permis de développer des constats sur la méthode. En tant qu'« ancien combattant », je me garderai de définir la stratégie des combats à venir. Personnellement, je ne suis pas convaincu par la nécessité de changer de système de retraite dans notre pays. Dans tous les cas, le débat qui s'ouvrira ne peut être le résultat des procédures pratiquées jusqu'à présent pour réformer les mécanismes d'acquisition des droits à la retraite. Il convient donc d'imaginer des procédures différentes et j'ose prononcer le mot « négociation » et préconiser un accord matérialisant une majorité favorable. S'il n'est pas obtenu, il conviendra alors de le reconnaître pour ne pas l'imposer à la population.

Marisol Touraine . - Je ne conseillerai ni le Président de la République ni le Haut-Commissaire. Je recommanderai simplement d'être positif. Notre pays a besoin d'optimisme. L'absence de contrainte financière est une chance. Il serait regrettable de provoquer des inquiétudes, des tensions et des difficultés, alors que la réforme peut être positive. L'enjeu est donc de parvenir à rassembler les Français autour d'un projet d'avenir.

Raymond Soubie . - Je n'ai pas d'opposition à une réforme systémique, même si elle ne présente pas de caractère d'urgence. Elle équivaut à la fin de l'histoire, au sens hégélien du terme. Or celle-ci se prépare. Je recommanderai donc de prendre le temps. La détermination dont le Président de la République fait preuve peut s'accommoder du temps nécessaire à l'application de sa promesse. Un délai peut significativement contribuer à la réussite de la réforme.

SECONDE PARTIE - VERS UN SYSTÈME DE RETRAITE PLUS LISIBLE ET PLUS ÉQUITABLE

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Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Alain Milon , président de la commission des affaires sociales du Sénat . - Mesdames et Messieurs, Je salue celles et ceux qui nous rejoignent pour cette deuxième partie de la journée consacrée aux contours d'une réforme systémique des retraites.

Devant l'ampleur du sujet, j'ai souhaité que le rapporteur vieillesse, René-Paul Savary, et le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, commencent leurs travaux très en amont, dès l'annonce de la réforme. La commission des affaires sociales prête en effet un intérêt constant à ces sujets, dont les enjeux sont considérables. Les retraites sont une réussite de notre système de protection sociale et nous tenons à les adapter pour les préserver. 330 milliards d'euros ne se pilotent pas à trois ans.

Ce projet de réforme annoncé a été accueilli avec scepticisme et nous ressentions le besoin d'en comprendre les enjeux et d'identifier les conditions de réussite d'une réforme systémique. Quel serait son schéma cible ? Comment gérerions-nous la solidarité ? Quelle serait la période de transition ? Ce sont autant de questions auxquelles nous devons essayer d'apporter des réponses. Les sujets liés à la problématique de l'allongement de l'espérance de vie et au vieillissement de notre société, en allant jusqu'à la place faite aux jeunes, notamment à leur emploi, sont étroitement imbriqués, alors que nous devons financer les retraites, les maladies chroniques ou encore, la dépendance.

Au cours de cette seconde partie, nous examinerons le cas de pays européens qui ont, ou vont, procéder à une réforme systémique. Aucun schéma n'est transposable, puisque la situation de départ diffère, mais les inspirations restent possibles. Dans un second temps, nous demanderons à d'éminents spécialistes de nous éclairer sur ce que pourrait être une réforme systémique à la française. Je mesure l'étendue de leur responsabilité à l'aune de mes attentes sur le dévoilement de cette réforme.

Enfin, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, conclura cette journée. En tant qu'ancien sénateur, il peut constater l'importance du Sénat dans les réflexions sur ces sujets et je l'invite à veiller à ce que le gouvernement ne l'affaiblisse pas par la suite.

Je vous souhaite de fructueux travaux.

I. ATELIER 2 - SYSTÈMES PAR POINTS OU EN COMPTES NOTIONNELS : QUE RETENIR DE L'ÉTRANGER ?

Ce débat est modéré par Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat.

Interviennent :

Hervé Boulhol , économiste, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Dominique Acker , ancienne conseillère sociale de l'Ambassade de France en Suède

Michel Martone , ancien vice-ministre italien du travail et de la sécurité sociale (2011-2013)

Jean Hindriks , économiste, membre du Conseil académique belge des pensions

Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat . - Avec René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, Corinne Vignon, députée, et le Haut-Commissaire, Jean-Paul Delevoye, nous nous sommes déplacés en Italie, en Allemagne et en Suède. Nous avons constaté qu'un certain nombre de pays ont engagé bien avant la France des réformes systémiques qui modifient profondément l'architecture de leurs systèmes de retraite, tous par répartition. Ils n'ont pas abouti à un régime unique : chacun comporte plusieurs piliers, dont un régime général et des régimes complémentaires de formes diverses, notamment de capitalisation. Cette table ronde sera consacrée à leurs avantages et inconvénients, voire aux erreurs à ne pas commettre, pour pouvoir engager, en France, la réforme systémique des retraites sous les meilleurs auspices.

Hervé Boulhol, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques, dresse un panorama des systèmes de retraite dans les pays de l'OCDE, avec une attention particulière sur l'Allemagne. Dominique Acker, ancienne Conseillère sociale de l'ambassade de France en Suède et depuis peu retraitée, présentera le système suédois et un bilan de sa réforme, vingt ans après. Michel Martone, ancien vice-ministre italien du travail et de la sécurité sociale de 2011 à 2013, a conduit la réforme Fornero ; il nous expliquera l'évolution de la réforme menée en Italie. Enfin, Jean Hindriks, économiste et membre du Conseil académique belge des pensions, présentera la réforme des retraites entreprise en Belgique et les difficultés de mise en oeuvre qu'elle rencontre.

A. DEPUIS LES ANNÉES 1990, QUELLES SONT LES TENDANCES D'ÉVOLUTION DES RETRAITES EN EUROPE ?

Hervé Boulhol, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

(2) Des réformes paramétriques substantielles

Les années 70 et 80 sont marquées par un haut niveau de pension compte tenu de départs à la retraite plus précoces. Jusque dans les années 80, l'augmentation des taux de cotisation est l'instrument principal des réformes paramétriques. Cette mesure a été accompagnée d'erreurs majeures de politique économique avec la mise en place de systèmes de préretraites, et en France la baisse de 65 à 60 ans au début des années 1980.

Pour corriger les erreurs passées et redresser la viabilité financière dans un contexte de changements démographiques largement prévus, l'âge de la retraite a été augmenté, avec un durcissement des retraites anticipées et davantage d'incitations à contribuer (bonus/malus). Le niveau des pensions a été réduit, avec par exemple une modification des taux d'accumulation des droits et des règles d'indexation des pensions versées. Enfin, une convergence des âges de la retraite des femmes vers ceux des hommes a été organisée.

L'âge de la retraite des hommes retrouve son niveau du milieu au 20 ème siècle. Jusqu'au milieu des années 90, il baisse. Depuis, l'augmentation moyenne est de deux ans pour les hommes. Un effet de rattrapage s'observe pour les femmes. Cette évolution s'inscrit dans un contexte d'augmentation de l'espérance de vie de 6 à 7 ans à 65 ans. La prolongation de l'espérance de vie se poursuit, mais à un rythme légèrement plus faible. Selon les réformes actées aujourd'hui, nous projetons une augmentation de l'âge de la retraite moyen au cours des cinq prochaines décennies d'environ 1,5 ans dans l'OCDE et plus de 2 ans en Europe.

(3) Réformes systémiques

Au début des années 1990, les systèmes de retraite sont pour l'essentiel des systèmes publics par répartition à prestations définies. L'augmentation des taux de cotisation est devenue problématique. Une plus grande attention est donc portée sur l'impact du vieillissement et les problèmes de viabilité avec un accent placé sur la hausse de l'emploi des salariés âgés de plus de cinquante ans.

On observe alors un changement de paradigme. Des régimes à cotisations définies par capitalisation ou comptes notionnels sont mis en place en Europe du Nord, en Europe centrale, en Italie, etc. Ces systèmes évitent les problèmes de viabilité financière, lient plus étroitement les pensions aux cotisations versées et ajustent le montant aux prévisions d'espérance de vie. En contrepartie, les baisses de pension s'accentuent si les individus ne parviennent pas à travailler davantage.

(4) Les grandes tendances

(a) L'individualisation

Les grandes tendances depuis 30 ans sont l'individualisation des droits à pension avec des liens plus étroits avec les revenus sur l'ensemble de la carrière. La République tchèque, la Grèce et la Norvège ont rejoint la liste des pays pour lesquels c'est l'ensemble de la carrière qui est prise en compte. La France fait partie des cinq pays, aux côtés de Malte, de la Slovénie, de l'Espagne et de l'Autriche, à ne pas prendre en compte l'ensemble de la carrière.

(b) Les ajustements automatiques

Les ajustements automatiques prennent des formes différentes :

- liens automatiques entre âge de la retraite et espérance de vie : Bulgarie, Danemark, Finlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Slovaquie ;

- ajustements automatiques : régimes par capitalisation à cotisations définies via le calcul des annuités ;

- ajustements automatiques pour les régimes à comptes notionnels : Italie, Lettonie, Norvège, Pologne, Suède ;

- mécanismes similaires dans les régimes à prestations définies : Espagne et Finlande (les niveaux de pension s'ajustent automatiquement aux gains d'espérance de vie) ;

- ajustements au « taux de dépendance » ou au solde financier : Allemagne (système par points), Suède (comptes notionnels), Espagne et Portugal (prestations définies).

Les mécanismes d'ajustement automatiques peuvent porter sur tout système.

(c) La consolidation des systèmes/régime universel

La consolidation des systèmes/régimes de retraite représente une autre tendance majeure, c'est-à-dire la suppression des régimes spéciaux et la mise en oeuvre de régimes universels.

La France figure parmi les quatre pays de l'OCDE ayant un régime entièrement séparé pour les fonctionnaires, aux côtés notamment de l'Allemagne et de la Belgique. L'existence d'un tel régime n'implique pas nécessairement des écarts significatifs. Dans certains systèmes consolidés, des suppléments sont en effet prévus pour les fonctionnaires au point de créer des écarts bien plus importants entre fonctionnaires et salariés du secteur privé. C'est notamment le cas en Angleterre.

La Norvège, qui applique un système en comptes notionnels, prévoit également un supplément pour les fonctionnaires. Certains pays proposent des systèmes intégrés : en Italie, au Portugal, en Grèce et en Espagne, une réforme majeure a été menée récemment. Le Japon a fait de même en 2015.

Ces dernières décennies, les réformes ont amélioré substantiellement la viabilité financière des systèmes de retraite. Elles se traduiront en Europe par une baisse du niveau des pensions de 15 % à 25 % environ.

(5) Mise en oeuvre de réformes systémiques par points ou en comptes notionnels

La Lituanie a rejoint les pays des réformes systémiques récemment : elle met actuellement en oeuvre un système par points. La Belgique et la France pourraient être les deux prochains pays à rejoindre la liste. L'Estonie prévoit quant à elle de réformer drastiquement son système de retraite par points.

Les durées de transition sont écourtées dans les pays baltes en raison d'un contexte historique particulier. En Allemagne, la transition est relativement brève, mais ce pays partait d'un système fondé sur un lien étroit entre cotisations et prestations et prenait en compte l'ensemble de la carrière. En outre, la réforme n'a pas concerné les fonctionnaires. De manière générale, la transition vers un système universel est facilitée par un système initial peu fragmenté. Pour les pays ayant opté pour un système à comptes notionnels, la transition s'est avérée abrupte, notamment en Lettonie. Dans les autres pays, le régime précédent est maintenu pour une durée moyenne de 20 ans (Suède, Norvège) et plus de 30 ans (Pologne, Italie).

Dans les systèmes par répartition assurant la stabilité financière, la référence en matière de valorisation des salaires passés est fondée sur la croissance de la masse salariale. Les pays ayant adopté des systèmes par points ou comptes notionnels mêlent salaires, masse salariale voire PIB. Dans les systèmes à prestations définies, seuls la Belgique, la France, Malte et le Portugal indexent les pensions versées sur les prix.

Même si les systèmes par points ou comptes notionnels sont proches, les premiers présentent l'avantage de la simplicité et d'une meilleure compréhension par les individus. Leur inconvénient principal est l'absence d'ajustement automatique à l'évolution de l'espérance de vie. L'Allemagne tente de le compenser par des mécanismes de stabilisation compliqués, liés à l'évolution entre retraités et salariés. Si la France devait opter pour un système par points, il convient certes de reconnaître l'avantage de la simplicité, mais aussi de s'efforcer d'être novateur pour ajuster le montant de la pension à l'allongement de la durée de vie. Techniquement, une telle mesure est possible en s'assurant que la valeur du point dépende, pour chaque cohorte de naissance, de l'âge de la retraite individuelle et en convertissant les points en euro au moment de la retraite.

B. 20 ANS APRÈS LA RÉFORME, LES RETRAITES SUÉDOISES SONT-ELLES TOUJOURS UN MODÈLE ?

Dominique Acker, ancienne conseillère sociale à l'Ambassade de France en Suède . - La Suède a été l'un des premiers pays à développer des méthodes originales de pilotage du système de retraite. Au début des années 90, la Suède disposait de fonds de réserve solides liés au niveau de cotisations préalables, d'un taux d'activité des seniors élevé (74 % pour les 55-64 ans) et d'un cadre unifié des pensions. La réflexion a été ouverte en 1991 par une commission parlementaire. Après le vote des principes de la réforme en 1994, la réforme a été votée en 1998 et les mécanismes d'équilibre en 2001. En 2003, elle a été mise en place. Le processus a donc pris plus de dix ans. Sa mise en oeuvre est progressive, puisque seules les générations nées à partir de 1954 en connaissent le plein effet.

(1) Structure générale des retraites contributives en Suède

La structure générale des retraites contributives en Suède s'appuie sur trois piliers :

Pilier 1 : public et universel (65 % des pensions)

Le pilier public et universel est composé de deux parties. La première est la pension par répartition (86 % des cotisations). Elle est gérée par un système à cotisations définies avec un compte notionnel, dont le capital virtuel est revalorisé chaque année puis converti en pension au moment du départ en retraite. La seconde partie est la pension par capitalisation à cotisations définies (14 % des cotisations). Ce dernier laisse le choix du fond de gestion à l'assuré, ainsi que la liberté de choisir entre une pension à montant variable ou garanti.

Pilier 2 : accords collectifs/contrats complémentaires (23 % des pensions versées)

Les accords collectifs et contrats complémentaires préexistaient à la réforme. Ils sont signés dans quatre secteurs : salariés cols bleus, salariés cols blancs, employés des collectivités territoriales et fonctionnaires de l'Etat. Cette couverture complémentaire par capitalisation est importante pour les salariés dépassant le plafond du pilier 1. Elle couvre près de 90 % des salariés.

Pilier 3 : contrats privés (5 % des pensions)

Le pilier 3, facultatif, est un système de capitalisation. Les cotisations étaient déductibles de l'impôt jusqu'en 2016.

Il existe également une pension garantie, qui exprime la solidarité de l'Etat vis-à-vis de ceux qui n'ont pas suffisamment cotisé. Elle représente 7 % des pensions versées en Suède et concerne un tiers de retraités dont 82 % de femmes. Financé par l'impôt, le revenu garanti s'élève à 829 euros pour une personne seule et 739 euros pour une personne mariée. Il est accessible aux personnes ayant résidé cinq ans en Suède, mais le montant auquel les personnes peuvent prétendre est basé sur une résidence de quarante ans en Suède.

Enfin, la pension de réversion est considérée comme antiféministe, les femmes étant supposées s'assumer, travailler et générer leurs propres revenus. La pension de réversion est versée pendant un an après le décès du conjoint. Il existe une pension de survivant et la pension garantie complète les revenus d'une personne n'ayant pas travaillé.

Le dispositif est complété par une allocation logement et/ou une aide de subsistance, qui assurent un revenu décent aux retraités. La première est versée à 700 000 personnes sur une population de 10 millions d'habitants.

(2) Mécanisme de pilotage

La Suède est réputée pour le pilotage de son système. Celui-ci est assuré par plusieurs éléments :

• ratio d'équilibre

Le ratio d'équilibre est composé des recettes et réserves futures rapportées aux dépenses futures. Un ratio inférieur à 1 signale des dépenses supérieures aux recettes. S'il n'est pas respecté, les droits accumulés sont minorés pour les futurs retraités.

• coefficient de conversion

Le coefficient de conversion tient compte de l'espérance de vie calculée à 65 ans, donc de la cohorte à laquelle appartient la personne qui part en retraite. Un départ antérieur à 65 ans conduit à minorer la pension, tandis qu'un départ postérieur entraîne une majoration.

• revalorisation des pensions

La revalorisation des pensions est liée à un calcul mêlant l'évolution des salaires diminuée de 1,6 % pour tenir compte de la croissance. Elle n'est donc pas indexée sur l'évolution des revenus ou l'indice des prix.

La solidarité est compensée par l'Etat pour les droits non contributifs (congé parental, chômage, maladie,...).

(3) Suivi du dispositif et premiers résultats de la réforme

Le suivi du dispositif est assuré dans le cadre du rapport annuel de l'office des pensions et par un groupe parlementaire présidé par la Ministre des affaires sociales. Il s'inscrit dans la continuité du groupe parlementaire ayant travaillé sur la réforme et apporte un regard politique sur l'évolution technocratique du système.

Une dispersion inégalitaire est observée dans l'âge de départ en retraite : les personnes plus qualifiées partent le plus tard et maximisent leur pension. Les taux de remplacement sont en baisse. Le système s'avère défavorable aux femmes, dont l'écart de pension par rapport aux hommes atteint 30 % sous l'effet du compte notionnel et du système contributif (temps partiel, congé parental, etc.). L'automaticité du mécanisme de pension a quant à lui entraîné une baisse des pensions après la crise de 2008 de 3 % en 2010, de 4 % en 2011 et de 2,7 % en 2014.

(4) Avantages et faiblesses du système de retraite suédois

En conclusion, l'accumulation des droits présente un caractère vertueux en tant qu'encouragement au travail. La souplesse du système offre des possibilités de retraite à la carte avec des départs échelonnés entre 61 ans et 67 ans, voire 70 ans. Il présente également l'avantage d'un libre choix éclairé chaque année par une visibilité de l'état du compte de la personne (« enveloppe orange ») et d'une stabilité financière intéressante, qui conforte la répartition tout en maintenant la compétitivité du système.

Ses faiblesses résident dans l'augmentation des inégalités et dans la priorité accordée au niveau initial de la pension. Les Suédois parient ainsi que leur pension pourrait faiblir en vieillissant et les conduire à s'en remettre au système social couvrant la dépendance. Le taux de retraités pauvres atteint 8 %, notamment parmi les personnes isolées. Le caractère virtuel du compte notionnel entretient quant à lui une certaine défiance : 33 % des Suédois n'ont pas confiance dans l'avenir de leur système, d'autant plus que le dispositif de capitalisation a été mal maîtrisé.

La Suède est à présent confrontée au défi de l'augmentation de l'espérance de vie. Elle devra arbitrer entre l'allongement de la durée du travail, la hausse des cotisations ou celle du plafond. A priori, la première piste est privilégiée à ce stade avec un report de l'âge de départ en retraite à 64 ans en 2026 et 67 ans pour la pension garantie dans un pays où existe un dispositif de non-discrimination qui interdit tout licenciement avant 67 ans. La question est posée de reculer cet âge à 69 ans. Par ailleurs, l'évolution du marché du travail marqué par le développement des indépendants interroge celle du régime complémentaire. Enfin, se pose la question de l'impact sur le système social du report sur les mécanismes de solidarité des prises en charge non couvertes par le système de retraite.

Vingt ans après son adoption, la réforme du système des retraites, compte tenu de la progressivité de sa mise en place, commence seulement à produire ses pleins effets. Il apparaît ainsi clairement que la recherche de la stabilité financière et les aspects techniques ont primé sur la prise en compte des attentes des citoyens et que la réforme nécessite désormais des ajustements pour leur redonner confiance dans le système et réduire les inégalités qui se creusent. Ce qui reste cependant à souligner, c'est la solidité de l'accord qui existe au sein du groupe parlementaire de suivi pour faire évoluer le dispositif.

C. QUE RETENIR DE LA RÉFORME ITALIENNE ?

Michel Martone, ancien vice-ministre italien du travail et de la sécurité sociale . - L'histoire de l'Italie, semblable à la France, commence avec le mutualisme, c'est-à-dire un système privé et corporatiste. A la différence de la France, l'Italie a connu des réformes systémiques d'ampleur menées dans une période où l'espérance de vie était faible ou sous le régime de Mussolini. Ce dernier a étatisé le système et créé deux instituts chargés de gérer l'Etat providence en Italie en 1933 dont l'Institut national de protection sociale (INPS). Il existait déjà un lien fort entre nécessité du bilan et épargne providentielle. Pendant quarante ans, l'Italie n'a plus mené de réformes systémiques, mais une cinquantaine de petites réformes. Parmi ces dernières, quatre peuvent être citées ici.

Après celle de Mussolini, la réforme Brudolini en 1969 a introduit le système rétributif consistant à calculer la retraite sur les deux dernières années de rémunération des travailleurs. A l'origine, il était soutenable en raison de la faiblesse de l'espérance de vie (69 ans), du nombre d'enfants par femme (trois enfants en moyenne par famille), de la centralisation du système qui facilitait sa gestion et du taux de remplacement (45 %). Ce dernier a progressivement été porté à 60 %, 70 % puis 80 %. Dans les années 70, le problème de chômage dans le secteur public a conduit à accorder un départ en retraite après vingt années de travail à 43 ans. Parallèlement, de nombreuses lois ont été votées jusqu'à créer la troisième dette publique du monde. Si elles ont assuré la paix sociale, elles ont déséquilibré le système dans un contexte d'affaiblissement du taux de natalité et d'augmentation de l'espérance de vie.

En 1993, ces problèmes sont devenus évidents dans le cadre de l'Union européenne. Ils ont justifié la troisième réforme systémique, à savoir la réforme Dini. Elle a modifié le système en profondeur et acté le passage à un système contributif difficile à gérer, mais à comptes notionnels. Pour la mener à bien et assurer la paix sociale, le gouvernement a choisi la méthode de la concertation. Il en est résulté un traitement différant selon le nombre d'années travaillées au moment de la réforme : les Italiens qui avaient déjà travaillé 18 ans ont conservé le système rétributif avec un taux de remplacement de 80 %, ceux qui avaient commencé à travailler sans atteindre ce seuil passaient sous un système mixte, à la fois rétributif et contributif avec un taux de remplacement de 65 %, tandis que ceux qui n'étaient pas encore sur le marché du travail dépendaient d'un système contributif avec un taux de remplacement de 50 %. Cette réforme est marquée par un égoïsme générationnel qui protège les travailleurs en activité et reporte les conséquences les plus dures sur les générations suivantes.

Ce système s'est maintenu une dizaine d'années. Il a été suivi de plusieurs petites réformes qui ont tenté d'intervenir sur l'âge de départ en retraite. Le processus n'étant pas mené à son terme, l'Italie a perdu dix ans pendant lesquels elle aurait pu mener une réforme équitable. Le contenu de la réforme n'a par exemple pas été étendu aux professionnels libéraux dotés de leur propre système. En 2008, la crise financière a placé au centre du débat public les problèmes liés à la dette du pays. Une réforme du système de retraite s'est donc imposée, la réforme Fornero de 2011. Elle a dû être menée en deux semaines et s'apparente à un « blitz » avec l'exigence d'assurer l'équilibre des comptes de l'Etat. Le but était de rassurer les marchés financiers et de protéger l'épargne des citoyens.

Cette quatrième réforme systémique se fonde sur quatre piliers, dont l'extension du système contributif, considéré comme le plus équitable et généraliste, l'équité générationnelle, qui a conduit à augmenter de cinq ans l'âge du départ en retraite des femmes nées en 1952, et l'indexation de l'âge du départ en retraite sur l'espérance de vie. Pour la première fois, la réforme n'a pas reporté l'effort sur les générations suivantes, mais sur celles qui allaient bénéficier du versement des pensions. L'enjeu était d'assurer le paiement des retraites et les retraités sont les personnes qui y ont le plus d'intérêt.

Pour conclure, la réforme des retraites est celle du pacte social qui lie un peuple. Il n'existe pas une méthode à suivre. L'enjeu est de prendre toutes les mesures nécessaires pour préparer le système aux difficultés et réintroduire de l'équité. En Italie, le système de retraite préserve la qualité de vie de chacun. L'équité ne signifie pas accorder davantage à ceux qui détiennent un poids politique ou une capacité de frappe plus forte. Pour l'assurer, le système contributif à comptes notionnels semble le plus adapté. Il est justifiable dans les différentes catégories et se préoccupe des plus faibles. Une réforme des retraites est aussi l'occasion de reconnaître le rôle des femmes dans la famille, à travers l'instauration d'une contribution spéciale, pour prévenir le report sur les retraites des injustices constatées dans le monde du travail.

En un mot, les réformes des retraites peuvent être menées de deux façons : dans le calme lorsque la période est favorable ou sous forme de blitz en période de crise. Je vous souhaite de pouvoir la mener dans le calme.

D. ÉCLAIRAGE SUR UNE RÉFORME EN COURS : LA RÉFORME GÉNÉRALE DES RETRAITES EN BELGIQUE

Jean Hindriks, économiste, membre du Conseil académique belge des pensions . - Je suis membre de la commission de réforme des pensions en Belgique créée au printemps 2013 et chargée de réfléchir à une réforme structurelle. Elle a rendu son rapport en juin 2014. Indépendante, elle est composée d'académiciens, de hauts fonctionnaires, d'économistes, de sociologues et d'actuaires et aussi paritaire que possible. La composition d'une telle commission est importante. Nous tentons de l'équilibrer.

Il lui a été imposé d'aboutir à un consensus. Le président était l'ancien ministre socialiste des pensions socialistes, Franck Vandenbroucke, qui a mis en place le système par capitalisation avec une dimension sociale importante. Le gouvernement suivant, pourtant de centre droit, a adopté l'intégralité du programme de réforme.

Ce dernier consiste à mettre à jour le système de calcul des pensions. Un basculement complet vers un nouveau système aurait soulevé trop d'inquiétudes, d'autant plus que les sondages démontraient l'incompréhension que le système de pensions suscitait et la méfiance des Belges vis-à-vis d'une réforme structurelle. Leur méfiance est accrue par la stricte séparation des régimes des fonctionnaires et du secteur privé, le premier étant plus généreux. Il se traduit par une pension moyenne deux fois plus élevée que dans le secteur privé à carrière et salaire identique. Le calcul se fonde sur les cinq dernières années de la carrière qui, généralement, sont les plus favorables en raison des mécanismes d'ancienneté. Dans le régime du secteur privé, le calcul porte sur l'ensemble de la carrière, l'unité était de 45 ans. Une harmonisation à court terme aurait généré un blocage.

Nous avons donc proposé la mise en place d'un régime de règles communes de pensions sous la forme d'un système à point, dont la valeur différerait selon les régimes. Les points accumulés sont liés aux rémunérations et non aux cotisations, afin de séparer le calcul des pensions de l'allègement des cotisations utilisé par les politiques d'emploi. La rémunération annuelle brute sert donc de référence pour le calcul des points, dont la valeur est indexée sur l'évolution des salaires dans chaque régime et sur une durée de carrière de référence. Enfin, le coefficient de conversion/âge introduit une décote ou une surcote en fonction d'un départ anticipé ou reporté en fonction d'un âge de référence.

La réforme trouve en partie son origine dans la demande de l'administration, confrontée à une difficulté de gestion des carrières mixtes. Sur ce point, la réforme belge innove en attribuant une valeur différente aux points en fonction du régime auxquels appartiennent les personnes (salariés, fonctionnaires, indépendants) et en correspondance avec des droits de pension. Le système tient donc compte de la diversité sans entrer dans une formule uniforme. Lors du départ en retraite, les points sont convertis en fonction de la valeur qui leur est accordée. La convergence devient possible sur cette base avec l'instauration de coefficients d'harmonisation sur une période.

La seconde nouveauté réside dans le basculement des conditions d'âge vers des conditions de carrière. Ce n'est plus l'âge du véhicule qui détermine son remplacement, mais le kilométrage. L'égalité de traitement est assurée non sur l'âge de départ, ce critère étant injuste, mais sur la durée de cotisation. L'indexation des âges de pension sur les gains d'espérance de vie se heurte aux inégalités de longévité.

Des études américaines et anglaises démontrent des écarts de 5 à 6 ans entre le premier et le dernier décile socio-économique. Instaurer une condition de carrière unique pour tous réintroduit de l'égalité : elle permet aux personnes moins qualifiées qui commencent leur carrière plus tôt de partir plus tôt sans décote. L'âge de suppression de la décote est ainsi basé sur la durée de cotisation requise, identique pour tous. La correction actuarielle est effectuée sur l'âge normal de départ en retraite, lequel est fondé sur l'âge de début de carrière augmenté de la durée de carrière requise.

En conclusion, cette réforme a commencé par emporter l'adhésion, avant que des difficultés surgissent dans les détails. Nous pensions obtenir le soutien des organisations syndicales en instaurant une durée de carrière uniforme indexée sur les gains de longévité comme critère de pilotage. Or l'incertitude pesant sur la valeur du point, indexée sur l'évolution des salaires, susceptibles de baisser, et la durée de carrière de référence, qui peut augmenter avec les gains de longévité, a posé problème. Les organisations syndicales craignent d'exposer les salariés à une dégradation de leurs pensions et s'opposent au gouvernement sur la question de la valeur du point. Le ministre en charge des pensions a proposé d'interdire dans la loi toute baisse de la valeur du point. Or la faisabilité technique d'une telle mesure reste à démontrer et requiert des simulations.

Enfin, la réforme systémique est soumise à une contrainte d'information. En calculant le montant des pensions des fonctionnaires sur les six derniers mois, comment un pays pourrait-il convertir son système en points sans connaître l'historique des carrières, des rémunérations et des cotisations ? La Belgique a l'avantage de pouvoir s'appuyer sur la banque carrefour de la Sécurité sociale, qui est une plateforme rassemblant l'ensemble des données de carrière. Il lui est possible de calculer l'impact d'un basculement vers un système à point. Pour les salariés et les indépendants, les écarts sont réduits. La simulation reste à réaliser pour les fonctionnaires.

II. GRAND TÉMOIN - LA RÉFORME DES RETRAITES, UN OBJECTIF ANCIEN DES POLITIQUES SOCIALES ?

Rolande Ruellan , présidente du Comité d'histoire de la sécurité sociale . - La réforme des retraites, un objectif ancien des politiques sociales ? Pour répondre à cette question, il est intéressant de s'interroger sur le moment où nous sommes passés de la création du système de retraite à sa réforme. Depuis trente ans, l'expression « réforme des retraites » est perçue négativement. Si on considère qu'elle n'est ni négative ni positive, ce phénomène est relativement ancien.

a) La naissance des régimes de retraite

La naissance des régimes de retraite s'est étalée dans le temps.

Un système de retraite comporte un ensemble de droits et d'obligations édictés par une autorité compétente et qui s'appliquent à tous les participants au système. Ainsi défini un système de retraite est une construction relativement récente dans notre histoire.

Certes, on peut trouver dès le 17 ème siècle, les prémices du régime des marins même si le régime des mines lui dispute l'antériorité. La création par Colbert de la caisse des invalides de la marine sera complétée sous Louis XVI par un système d'invalidité et de retraite. La Révolution a tenté de créer un régime pour les fonctionnaires, mais ce n'était pas une période très propice. Au 19 ème siècle, la Banque de France en 1808, la Comédie française en 1812, l'Imprimerie nationale en 1824 et des ministères créeront leurs propres régimes de retraite. En 1831, un régime de retraite pour les militaires est mis en place, suivi, en 1853, d'un régime de pension pour les fonctionnaires civils.

Le premier motif de la création des régimes de retraite est la fidélisation à des métiers difficiles. Henri IV porte cette idée dès 1604, en demandant aux mines de réserver une partie de leurs recettes aux secours aux mineurs. Les compétences techniques nécessaires pour exercer certains métiers à une époque où l'éducation est moins développée constituent un second motif. Les retraites sont considérées comme une récompense par les salariés concernés.

De cette histoire, naît une multiplicité de régimes qui concernent une partie seulement de la population des salariés. Ceux de l'industrie, de l'agriculture et des commerces seront les derniers servis. En 1910, les retraites ouvrières et paysannes naissent sans succès, la Cour de cassation jugeant les cotisations non obligatoires et le régime étant minimaliste. Un système de protection sociale est mis en chantier en 1920 et 1921 après la restitution à la France de l'Alsace et de la Moselle, qui bénéficiaient du système de protection sociale allemand. Cette réflexion débouchera sur la création des assurances sociales par les lois de 1928 et 1930. A noter qu'elles créent un régime de retraite par capitalisation.

a) Dès lors, en 1945, à la naissance de la sécurité sociale, s'agit-il d'une réforme ou d'une création ?

C'est une réforme, car il y avait un existant, dont il fallait tenir compte, soit les assurances sociales de 1928 et 1930, la loi de 1941 ayant substitué la répartition à la capitalisation et créé l'allocation aux vieux travailleurs salariés et enfin des régimes spéciaux de retraite

Mais au regard des ambitions énoncées, à savoir un régime universel couvrant toute la population et répondant aux principes d'équité, de progrès et de solidarité, nous pouvons aussi parler de création. L'universalité peut s'entendre en effet comme la généralisation d'un régime de retraite à l'ensemble de la population, notamment des actifs qui ne sont pas encore protégés (non-salariés et cadres salariés), mais aussi comme l'uniformité du régime, les régimes existants étant appelés à se fondre dans ce nouveau régime.

Certains historiens considèrent que les ambitions de 1945 n'ayant pas été réalisées totalement, il faut parler d'échec du plan français de sécurité sociale. Or, ses auteurs, dès 1944, déclaraient eux-mêmes qu'il serait impossible de créer à la Libération un régime unique pour tous les Français, y compris non-salariés, car les assurances sociales auxquelles succédait la sécurité sociale étaient considérées comme liées à un contrat de travail. L'ambiguïté entre le souhaitable et le possible figure même dans l'article 1 er de l'ordonnance du 4 octobre 1945 : « créer une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir aux travailleurs (terme normalement réservé aux salariés) et à leur famille une protection contre les risques de toute nature » qui prévoit la possibilité d'étendre cette protection à de nouvelles catégories de bénéficiaires par des ordonnances ultérieures.

Dès 1946, des tentatives de généralisation apparaissent. La loi du 22 mai 1946 prévoit ainsi l'assujettissement obligatoire aux assurances sociales de tout Français résidant sur le territoire français. Cependant, sa mise en oeuvre était subordonnée à l'atteinte d'un certain niveau de production industrielle.

Le 13 septembre 1946, le Parlement vote une loi qui prévoit dès le 1 er janvier 1947 l'extension de l'assurance vieillesse à toute la population active. Mais les non-salariés ont refusé et les agriculteurs ont voulu leur propre régime. Seront ainsi créés quatre régimes : agricoles, artisans, commerçants et industriels et enfin professions libérales, lesquelles se scinderont en quinze sections gérant un régime de base identique minime et des régimes complémentaires propres à chaque section. Les avocats iront même jusqu'à créer leur propre caisse à l'extérieur du régime des professions libérales.

Par ailleurs, si l'ordonnance du 4 octobre 1945 prévoyait dans son article 17 la survie provisoire de certains régimes spéciaux, appelés à être absorbés dans le régime général, l'article 61 d'un décret du 8 juin 1946, listant ces régimes, supprima l'adjectif « provisoire ».

Enfin, les cadres n'étaient pas assujettis aux assurances sociales en raison du plafond d'assujettissement. Ils s'étaient donc constitués des régimes professionnels qu'ils souhaitaient conserver au moins à titre complémentaire. Il a donc fallu créer un plafond de cotisations qui est relativement bas en France par rapport à d'autres pays.

b) La reprise des ambitions de 1945 dans les années 70 et l'amélioration des retraites

Les années 70 sont marquées par le plein emploi et le retour de l'optimisme dans l'avenir du pays. Dans ce contexte, sept lois sont votées entre 1972 et 1978 pour généraliser la protection et organiser l'harmonisation des régimes, dont l'une aligne le régime de retraites des artisans et commerçants sur le régime général, mais seulement pour l'avenir.

La loi du 24 décembre 1974 relative à la protection sociale commune à tous les Français a pour objectif d'harmoniser les régimes des trois branches et fixe une échéance : 1978.

Cette harmonisation ne sera réalisée que pour les prestations familiales. En 1978, la retraite sera généralisée pour les personnes exerçant une activité professionnelle. Cette multiplicité de régimes créait en effet des conflits négatifs. Des professionnels ne trouvaient pas de régime d'accueil, parce que leur métier ne correspondait pas aux définitions admises, notamment dans les sections des professions libérales.

Les années 70 sont également marquées par l'amélioration de la situation des retraités. Le rapport de la commission d'étude des problèmes de la vieillesse présidée par Pierre Laroque avait dénoncé en 1962 la misère des retraités. Depuis 1945, le niveau des pensions n'avait pas été amélioré. De nombreuses lois seront alors votées. La loi de 1972, organisant la généralisation des retraites complémentaires, améliore significativement la situation des personnes modestes appartenant à des secteurs non couverts jusque-là par des retraites complémentaires.

Citons également la loi Boulin de 1971 qui porte le taux des pensions de 40 % à 50 %, celle de 1975 qui supprime les conditions minimales d'assurance pour accéder à un droit proportionnel aux trimestres d'assurance et non sous condition de 15 ans, ainsi que les lois sur l'abaissement de l'âge de départ en retraite à taux plein, jusqu'à l'ordonnance de 1982 qui l'abaisse à 60 ans pour tous sous condition de réunir 150 trimestres d'assurance tous régimes.

c) La question de la soutenabilité de dépenses de retraite

Rapidement, les gouvernements s'inquiètent de la soutenabilité des régimes de retraite. En 1986, le rapport publié sous l'égide du Commissariat au Plan et élaboré par la commission d'étude de la solidarité entre les générations face au vieillissement démographique fixe les principes qui devront inspirer les réformes des retraites : répartition des efforts entre les actifs actuels, les futurs retraités et les retraités actuels en actionnant plusieurs paramètres de manière programmée dans le temps.

Le livre blanc de 1991 a été évoqué au cours de ce colloque. Préfacé par le Premier ministre, Michel Rocard, il intégrait pour la première fois des projections financières sur les régimes spéciaux.

La loi de 1993 réformant les retraites revêt une grande importance, dans la mesure où elle amorce un processus de réforme destiné à réaliser des économies en appliquant les principes dégagés par les rapports précités. La création du conseil d'orientation des retraites en 2000 constituera également une étape essentielle pour la poursuite des travaux sur les retraites, lesquels déboucheront sur les lois de 2003, 2010, 2014 et sur les premières réformes des régimes spéciaux par des décrets de 2007-2008.

En effet, le Parlement n'est pas intervenu dans les réformes des régimes spéciaux car depuis la Libération, sous l'égide de la Constitution de 1946, la réforme de ces régimes a été déléguée aux autorités réglementaires. Malgré la Constitution de 1958, les principes fondamentaux des régimes spéciaux restent régis par décret et non par la loi, à l'exception des fonctionnaires.

III. DÉBAT 2 - QUELLE RÉFORME SYSTÉMIQUE ?

Le débat est modéré par Oriane Mancini, journaliste, Public Sénat.

Interviennent :

Dominique Libault, directeur de l'École nationale supérieure de la sécurité sociale, ancien directeur de la sécurité sociale
Antoine Bozio, économiste, maître de conférences à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), chercheur associé à PSE-École d'économie de Paris
Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l'Université Lyon 3
Bruno Palier, politiste, directeur de recherche à Sciences Po

Oriane Mancini . - La réforme systémique est-elle nécessaire ? Le cas échéant, quelle réforme systémique faut-il mettre en place ? J'accueille pour répondre à cette question Dominique Libault, directeur de l'École nationale supérieure de la sécurité sociale et ancien directeur de la sécurité sociale, Antoine Bozio, économiste et directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), Jacques Bichot, économiste et professeur émérite à l'Université Lyon 3, et Bruno Palier, politiste et directeur de recherche à Sciences Po.

Antoine Bozio, vos travaux auraient inspiré le programme du candidat Emmanuel Macron sur les retraites. Comment définissez-vous la réforme systémique ?

Antoine Bozio . - Je n'aime pas le terme réforme systémique pour deux raisons, dont la première est qu'il fait penser à l'adjectif sismique et à un tremblement de terre. Plus sérieusement, il évoque un changement de système. En 2008, avec Thomas Piketty, puis dans mes travaux à l'IPP, nous avons proposé un changement de mode de calcul de notre système de retraite tout en conservant la répartition obligatoire avec les notions de contributivité et de solidarité qui sont au coeur du système actuel. Un changement de système consisterait à passer à la capitalisation ou à la privatisation. De mon point de vue, l'enjeu est de définir des règles en modifiant les paramètres de la formule actuelle du calcul des montants de retraite.

Oriane Mancini . - La réforme vous paraît-elle nécessaire ?

Antoine Bozio . - Oui, car l'objectif financier est un moyen seulement du système de retraite. Le but est de garantir des droits à la retraite et des taux de remplacement pour l'ensemble des actifs, afin de permettre la transition de l'activité à l'inactivité sans choc brutal de niveau de vie, et à renforcer la solidarité et la réduction des inégalités aux âgés élevés. Pour satisfaire ces objectifs, le retour à l'équilibre n'est pas un critère suffisant.

Encore faut-il savoir s'il s'opère de la manière la plus adaptée, c'est-à-dire de manière pérenne avec une confiance garantie dans le système. Un système par répartition repose sur un pacte social dont la pérennité inspire confiance.

Nous devons donc consolider cette dernière. L'objectif d'une réforme structurelle est de renforcer durablement ce pacte.

Oriane Mancini . - Jacques Bichot, ce terme vous convient-il davantage ? Une réforme systémique est-elle nécessaire ?

Jacques Bichot . - Fonctionner avec plusieurs dizaines de régimes catégoriels est folie, ne serait-ce que parce que les professions ne se renouvellent pas à l'identique. Seules quelques personnes administrant le régime de retraite des mineurs cotisent encore à ce régime. Pour les ouvriers d'Etat, la situation est similaire. Les régimes catégoriels ne sont pas viables, parce qu'ils dépendent du renouvellement des générations, lequel pose encore davantage de problèmes au niveau d'une corporation que d'une population entière. Certaines se développent, tandis que d'autres régressent. Je pense notamment au régime des indépendants du secteur agricole, dont le nombre d'agriculteurs exploitants a été divisé par dix. La pérennité d'un régime passe par une gestion au niveau national.

Oriane Mancini . - Les orientations du Président de la République vous paraissent-elles pertinentes ?

Jacques Bichot . - Proposer un système reposant sur un mode de calcul unique, selon la formule « un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits », est raisonnable. En revanche, l'aspect économique de la réforme fait défaut. Un système de retraite fonctionne grâce à l'apparition de nouvelles générations dans lesquelles nous avons investi et qui produisent un retour sur investissement. Il n'existe pas d'autres moyens de reporter des revenus d'une période à l'autre de l'existence que d'investir et d'en tirer les dividendes. Or la mission du haut-commissariat n'inclut pas cet aspect, c'est-à-dire la transformation du mode d'attribution des droits à la retraite. Les attribuer au prorata de ce qu'ont cotisé les personnes âgées n'a pas de sens du point de vue économique. Je serai donc pleinement satisfait lorsque cette mission intégrera, outre l'unification des régimes de retraite par points, la modification du mode d'attribution des droits à la retraite et la fondation de ces droits sur les investissements réalisés dans la jeunesse.

Oriane Mancini . - Bruno Palier, la France consacre 14 % de son PIB aux retraités, soit deux points de plus que les pays de l'OCDE. Est-ce trop ?

Bruno Palier . - Ce n'est pas la question. Lorsque la France est désignée comme championne de la dépense publique, c'est moins pour ses fonctionnaires que ses retraites et l'assurance maladie. Je sous-entends que votre question implique une réduction du montant des retraites. Que nous modifiions le système ou non, elles baisseront puisque les carrières sont moins continues. En revanche, les pays dont les dépenses publiques sont réduites sans pour autant sacrifier les retraites connaissent un taux de chômage moins élevé, une croissance plus forte et un âge effectif de départ en retraite plus élevé. Ce dernier atteint 65 ans en Suède contre 60 ans en France.

Le recul de l'âge du départ en retraite passe par l'amélioration des conditions de travail et l'investissement dans la formation.

Oriane Mancini . - les futurs retraités doivent-ils s'attendre à une baisse de leurs pensions ?

Bruno Palier . - Au regard des interruptions de carrière, du taux de chômage et de l'atypicité des contrats de travail ces dernières années (CDD, stages peu rémunérés, etc.), des répercussions sont en effet prévisibles sur le niveau des retraites des Français qui partiront dans quinze ou vingt ans.

Oriane Mancini . - Partagez-vous l'avis de Bruno Palier ?

Dominique Libault . - Il est difficile de considérer les retraités comme une population uniforme. Aujourd'hui, le taux de dépenses publiques est élevé avec cependant une soutenabilité du système de retraites. Ce contexte nous autorise à penser une réforme. La France a réussi à préserver en moyenne le niveau de vie des retraités qui est comparable à celui des actifs, ce qui est une performance rare comparée aux autres pays.

Pour appréhender le niveau futur des pensions, il faudrait bien saisir ce qui se passe actuellement sur le marché du travail. Il faudrait notamment étudier le résultat des carrières actuelles des auto-entrepreneurs au regard des règles en vigueur. Le Président de la République porte le sujet de la sécurisation des trajectoires professionnelles diversifiées. Les retraites qui seront servies à ces nouvelles catégories de travailleurs avec droits sociaux plus faibles (beaucoup d'auto-entrepreneurs ne se valident au titre de leur activité qu'un trimestre par an) sont effectivement incertaines.

Enfin, si les minima sociaux sont augmentés, une question reste trop peu abordée, celle de leur articulation avec les minimums contributifs, c'est-à-dire de la réponse à la question : est-ce que le travail paye pour la retraite ? Est-ce qu'en payant pendant 40 ans des cotisations au niveau du Smic, travailler rapporte plus que le minimum du à tout résident ?

Oriane Mancini . - La réforme envisagée par le gouvernement d'Emmanuel Macron répondra-t-elle aux enjeux ?

Dominique Libault . - En termes de méthode, il convient de commencer par recueillir les attentes des citoyens. Le renforcement de confiance dans la retraite peut s'envisager sous l'angle de la soutenabilité du système. Est-ce que le système sera viable ? Ce système, si l'on privilégie cette approche, comme en Suède, la variable d'ajustement peut-être le niveau des retraites. Ce faisant, la sécurité du « système » est privilégié par rapport à la sécurité du niveau de retraite individuel. Or la visibilité des Français sur leur propre retraite et sa garantie dans le temps constitue de toute évidence un autre enjeu. La réforme doit penser ces deux aspects simultanément pour être une réforme de « sécurité sociale ».

Oriane Mancini . - Le système de retraite est-il illisible ?

Antoine Bozio . - J'adhère à cette idée. Le système cumule la multiplicité des régimes obligatoires et la différence des règles selon les régimes. Ce n'est pas un problème pour une personne effectuant l'intégralité de sa carrière au sein d'un même régime. A l'approche de mes quarante ans, j'ai déjà ouvert des droits dans sept régimes. Travaillant sur le sujet des retraites, je devrais parvenir à réaliser mes calculs, mais tout le monde n'a pas cette chance. De telles situations ne devraient pas exister. Nous devons garantir aux actifs que les droits accumulés seront honorés. La soutenabilité du système repose sur l'adhésion des nouvelles générations et leur volonté de continuer à cotiser à un taux élevé par solidarité, mais aussi pour en bénéficier à leur tour. Ce lien entre générations doit être renforcé. Le sentiment d'injustice entre les régimes mine la confiance dans le système.

Oriane Mancini . - Bruno Palier, les régimes de retraite sont-ils illisibles ou inéquitables ?

Bruno Palier . - Tout dépend des régimes. Pour les fonctionnaires, c'est relativement simple. Pour les polypensionnés, la situation est plus complexe. Les incertitudes démographiques ou économiques sont souvent mises en avant. Or les Français intègrent aussi le risque politique après la succession des réformes des dernières années. Ce n'est pas seulement le système qui est illisible, mais aussi son avenir. De nombreuses personnes cherchent à partir avant la prochaine réforme pour ne pas devoir travailler six mois de plus ou perdre en montant de retraite. Il est donc nécessaire d'annoncer une réforme durable qui n'en entraînera pas de nouvelles pour fonder la confiance. Cette réforme doit assurer les retraites et l'avenir du système. Les principes de lisibilité, de justice et de solidité démographique et économique sont essentiels.

Oriane Mancini . - Jacques Bichot, dans les années 90, vous appeliez à mettre fin aux régimes en annuités. Quels enjeux soulèvent-ils en termes d'illisibilité et d'iniquité ?

Jacques Bichot . - Les régimes par annuité sont basés sur l'idée répandue en France que plus le nombre d'années dans une situation de travail est élevé, plus les droits devraient l'être. Dans un système validant les trimestres en fonction des cotisations versées, une personne ayant travaillé à mi-temps peut avoir droit à une année complète. Le système est mal conçu de ce point de vue et relativement injuste. Certains consacrent une partie de leur vie à des voyages et le reste de l'année à travailler à temps plein, validant ainsi une année complète, tout en s'arrangeant pour travailler 25 années à temps plein. Ils mêlent ainsi agréablement loisir et travail pendant 15 à 20 ans. Des systèmes ouvrant de telles possibilités ne sont pas viables.

La lisibilité de nos systèmes de retraite se heurte au fait qu'ils ne sont pas additifs. Dans un contexte d'internationalisation du travail, le calcul des retraites est problématique lorsqu'une personne fait carrière dans deux, voire trois, quatre ou cinq pays. Dans les pays européens, le problème peut encore être résolu. Avec les Etats-Unis, c'est plus complexe.

Avec des pays africains, c'est inextricable. Un système additif ne dépendant pas de la durée de cotisations réalisée en France et a fortiori , de l'ensemble des pays dans lesquels une carrière est effectuée, est important pour assurer la lisibilité.

Oriane Mancini . - Antoine Bozio, une mesure décalant d'un ou deux ans l'âge légal de départ à la retraite serait-elle suffisante ?

Antoine Bozio . - Il convient de distinguer l'équilibre du système de retraite de sa soutenabilité à long terme. Cette question dépasse celle de la rapidité de la réforme destinée à consolider la soutenabilité et l'équilibre des dépenses publiques dans les périodes de crise. Aujourd'hui, nous avons la chance de pouvoir réfléchir à la soutenabilité à long terme du système de retraite en tenant compte de changements démographiques lents, mais durables. L'enjeu est de mener à bien des réformes d'adaptation durable et continue des droits pour ne pas être confronté à des adaptations brutales en période de crise. Dans de telles situations, comme en Italie ou en France en 2010, nous sommes contraints de recourir à des expédients sans modifier les formules. Nous devons donc utiliser à bon escient la situation actuelle. C'est maintenant que nous devons mener les réformes nécessaire dans le temps.

Bruno Palier . - J'évoquais la multiplication des réformes, dont un certain nombre n'ont pas été annoncées (1995 ou 2010), mais réalisées sous l'impératif de Maastricht ou de la crise. J'ignore si nous traversons une période de calme plein. La Suède est l'un des pays qui a consacré le plus de temps à la réforme de son système de retraite. Elle a commencé dès 1994 et donné des gages de confiance. Il est urgent de prendre le temps pour nous assurer de la durabilité de la prochaine réforme et de fonder la confiance pour l'avenir.

Concernant la baisse des retraites, ne négligeons pas les évolutions du marché du travail. La précarité chez les non qualifiés, les jeunes et les femmes se traduira dans les retraites. La plupart des recrutements s'effectuent en CDD et seuls 20 % sont transformés en CDI d'une année sur l'autre. Un tiers des femmes sont à temps partiel subi, ce qui ouvre de très mauvais droits de retraite. Ces évolutions se répercuteront dans des retraites en baisse parmi les personnes les moins qualifiées si nous conservons l'automaticité des droits acquis. Il faut en tenir compte dès à présent pour organiser la solidarité vis-à-vis des personnes qui souffrent davantage qu'hier sur le marché du travail.

Dominique Libault . - Ne plus être dans une situation d'urgence nous laisse le temps de la réflexion. C'est un choix - pas évident - des pouvoirs publics dans une période où les finances publiques restent contraintes de considérer que les dépenses de retraite ne concourront pas dans l'immédiat à la réduction des déficits publics. Je rappelle qu'il n'existe pas d'interdépendance complète entre les sujets des dépenses de retraite et les autres. Ce sujet est interdépendant des politiques de l'emploi, par exemple, puisque l'allègement au niveau du Smic des cotisations Agirc-Arrco contribue à accroître le différentiel du prélèvement retraite, à même niveau de revenu entre salarié et travailleur indépendant.

L'évolution et la garantie des régimes de retraite est une question importante pour l'avenir. Les retraites font partie d'un bloc global des finances publiques.

Oriane Mancini . - Le système de retraite actuel met en oeuvre de nombreux mécanismes de solidarité. Craignez-vous qu'un système plus contributif réduise mécaniquement leur part ?

Bruno Palier . - Tout dépend des décisions politiques. L'effet redistributif de notre système de retraite manque de clarté. Il semble parfois s'appliquer du régime général vers les autres régimes et des effets régressifs sont observés dans les études d'évaluation. Il est certain, en revanche, que les femmes perçoivent deux fois moins de droits directs que les hommes. Les inégalités sont plus élevées dans ce domaine que sur le marché du travail. Les questions relatives au caractère redistributif de notre système manquent de visibilité. La distributivité va-t-elle des non-cadres vers les cadres, par exemple, comme le suggèrent certains travaux de l'Agirc-Arrco ? Ce n'est pas clair. Si la collectivité décide de compenser les carrières précaires, de reconnaître le temps consacré aux enfants ou à une formation, la redistribution sera clarifiée. Nous accorderons alors davantage de droits en fonction des circonstances à chacun. Un système très contributif ne signifie pas qu'il atténue les inégalités in fine . En revanche, il est possible de s'accorder sur des principes transparents de redistribution. La France tend à distribuer des crédits « gratuits », c'est-à-dire à annoncer des droits sans nécessairement les financer. L'avantage des comptes notionnels est que sans argent, les droits ne sont pas ouverts. Si l'Etat accorde des droits, il doit les financer.

Dominique Libault . - La question de la solidarité est fondamentale. L'enjeu consiste à déterminer ce que nous voulons et la manière dont nous souhaitons articuler solidarité et assurance, comme le veut le coeur d'un système de sécurité sociale. Le système redistributif français est compliqué, car la règle des 25 meilleures années est peu redistributive, mais de nombreux éléments fonctionnent par ailleurs et contribuent à rééquilibrer, plus ou moins, l'ensemble. Globalement, le système est redistributif malgré de grandes inégalités et injustices. Il faut bien aussi avoir en tête que le taux de remplacement n'est pas invariant selon le niveau de revenus.

Dans la réforme Fillon, en 2003, l'objectif était qu'une personne qui effectue toute une carrière au Smic perçoive au moins 85 % du Smic net en retraite. Le taux de remplacement du cadre supérieur, dans la fonction publique ou le secteur privé, descend à 50 %. Prévoir un taux de remplacement plus important à la base est indispensable, car une personne qui perçoit de revenus plus confortables peut préparer sa retraite différemment, par l'épargne, l'investissement immobilier, etc. et maintenir son niveau de vie. Cette possibilité est peu ouverte aux personnes au Smic. Pour que les retraites soient supérieures aux minimas sociaux, un taux élevé de remplacement doit être maintenu à ce niveau de revenu. Ces réflexions interrogent la conception du système : quelle pente du taux de remplacement souhaite-t-on par rapport à l'échelle des revenus ?

Oriane Mancini . - Quelle réforme systémique faut-il mettre en place ? Faut-il un régime par points ou par comptes notionnels ? Antoine Bozio, pourriez-vous nous expliquer comment fonctionne un régime par comptes notionnels ?

Antoine Bozio . - Plutôt que d'opposer les systèmes à compte notionnel ou à point, je commencerai par préciser les principes sur lesquels fonder les propriétés d'un système de retraite.

Tout d'abord, l'acquisition des droits dans un système à répartition doit prendre en compte l'ensemble de la carrière revalorisée par la croissance des salaires. Quelle que soit la forme de la carrière, il doit être possible d'acquérir des droits indépendants de cette forme. Ce n'est le cas ni dans le système en annuités ni dans les régimes complémentaires en points. Ce principe est appliqué mécaniquement en comptes notionnels : les droits à la retraite correspondent à l'ensemble de la période de cotisations et sont revalorisés pour maintenir leur valeur pour tous. Ce principe est également applicable dans les systèmes en annuités ou en points.

Pour assurer la soutenabilité du système, il est indispensable de compléter ce premier principe par l'évolution automatique du taux de liquidation à chaque âge en fonction de l'évolution de la démographie d'un pays. Ce principe est propre à tout système par répartition. Il est automatique dans les comptes notionnels et applicables aux systèmes à point avec des règles d'évolution.

Les comptes notionnels comprennent des droits calculés en fonction des cotisations versées et revalorisés en fonction de la croissance des salaires. Un coefficient de conversion est appliqué au moment du départ en retraite et en fonction de la génération pour calculer le montant en euros de la retraite à l'âge du départ. En raison de l'évolution de l'espérance de vie, la règle générationnelle est incontournable pour maintenir l'équilibre du système et ne pas tenir de fausses promesses. L'augmentation de l'espérance de vie n'est pas une mauvaise nouvelle pour les jeunes générations : elle est au contraire positive au regard du bien-être acquis dans les pays développés.

Il s'agit de mettre en évidence le fait que cette augmentation de l'espérance de vie n'entraîne pas une baisse du montant de la retraite, mais implique un décalage de l'âge du départ pour obtenir le même montant que les générations précédentes.

Oriane Mancini . - Jacques Bichot, quels sont les avantages et inconvénients du système de retraite par points ?

Jacques Bichot . - Je préconise un système par points sur l'exemple de l'Agirc-Arrco, car il a le mérite d'exister et d'être connu de la majorité des Français. Il serait regrettable de se débarrasser de ce système mis au point par les partenaires sociaux au profit d'une formule étrangère aussi louable soit-elle.

Par ailleurs, dans le système des comptes notionnels, il manque une variable d'adaptation présente dans le système par points. Dans ce dernier, le prix d'achat du point n'est pas fixé ne varietur , contrairement au régime suédois. Il donne la possibilité de réduire la valeur du point lorsque les naissances s'effondrent, comme en France, actuellement. Leur diminution entraînera nécessairement des conséquences sur la distribution des pensions dans vingt, trente ou quarante ans. Il n'est donc pas raisonnable d'attribuer autant de points pour chaque euro cotisé en périodes de basse et haute natalité.

Le papy-boom est évoqué comme l'origine du problème des retraites. Or là n'est pas l'important. Le problème provient du fait que les baby-boomers n'ont pas mis au monde suffisamment d'enfants lorsqu'ils étaient en âge de le faire. Nous inversons la causalité faute de prendre en compte le véritable fonctionnement de nos systèmes de retraite par répartition.

A défaut d'avoir un système bien organisé, pouvoir modifier le prix d'acquisition du point constituerait un moindre mal.

Oriane Mancini . - Bruno Palier, quelle est votre position ?

Bruno Palier . - Je ne suis pas suffisamment expert pour entrer dans un tel débat. Les systèmes à comptes notionnels ou par points tentent tous deux d'établir une relation plus directe entre les cotisations et la pension.

Je concentrerai ma réponse sur l'automaticité. La multiplication des réformes crée un risque politique. Certains jeunes ne croient pas percevoir de retraite lorsqu'ils seront en âge de le faire. Cette perte de confiance est inquiétante. Certains pays ont donc choisi des ajustements automatiques indépendants des conjonctures économiques et politiques. Pour fonder la confiance, il faut également tenir compte de la perte de confiance dans les partis politiques.

Les retraites sont présentées comme un contrat entre les générations. Lorsqu'on parle d'ajustement démographique, c'est en réalité un contrat entre la même génération, entre ce qu'elle a cotisé et ce qu'elle percevra. Or il est essentiel d'établir une solidarité entre générations. Dans l'exemple suédois, l'ajustement automatique est aligné non seulement sur la génération, mais aussi sur la capacité à financer les retraites aujourd'hui et demain, c'est-à-dire à la situation économique et future.

Ainsi, lorsque la Suède a traversé une crise économique profonde, en 2009 et 2010, les retraites ont baissé sans que les Suédois soient choqués. Avec la reprise, leur niveau est remonté. Les gouvernements ont fait en sorte que cette baisse ne s'applique pas aux retraites les plus basses. Déconnecter le sort des retraités de l'ensemble de la population est important, car cela fonde le pacte entre les générations. En 60 ans, le rapport entre les générations a changé : au 19 ème et au 20 ème siècle, jusque dans les années 80 ou 90, la pauvreté concernait principalement les personnes âgées, aidées par les actifs. Aujourd'hui, les retraités ont un niveau de vie égal, voire supérieur aux actifs, sans parler du taux de pauvreté des jeunes. Il importe de réaliser que la pauvreté n'a pas disparu en France, mais glissé des plus âgés vers les plus jeunes.

Nos mécanismes de solidarité et de calcul des retraites doivent tenir compte de la situation des actifs et des jeunes et de la capacité à financer les retraites dans les mécanismes d'ajustement.

Dominique Libault . - Je suis favorable au système qui, dans la concertation, emportera la confiance des Français. Ce sujet est essentiel, de même que celui de la solidarité. Dans le choix d'un système de retraite, il est possible de favoriser l'arbitrage individuel ou la préférence politique de la nation, par exemple, inciter à travailler plus longtemps. En Suède, la liberté de choix ne donne pas les mêmes résultats selon les catégories de la population (cadres supérieurs, employés...). Nous pourrions même déterminer des orientations par profession, par exemple pour maintenir les médecins en activité. La plupart des pays conservent le marqueur de l'âge. On évoque souvent le système à point Agirc-Arrco, mais ce dernier utilise aussi de fait le marqueur de l'âge et les durées de cotisation du régime de base. Ce n'est pas un système à point pur.

Antoine Bozio . - La possibilité de modifier la valeur d'achat plutôt que de l'indexer sur la référence salariale constitue le défaut actuel des systèmes complémentaires. Elle crée des déséquilibres dus à la démographie tout en entraînant des redistributions qui n'ont pas lieu d'être.

Le système à point présente l'avantage de la transparence et de la clarté. L'inconvénient réside dans les questionnements sur leur valeur. Son deuxième avantage réside dans la possibilité d'équilibrer plus rapidement un régime en modifiant la valeur de liquidation du point, par exemple en la baissant dans les périodes de crise. Or personne ne souhaite un tel système. Nous préférons disposer de marges de manoeuvre pour absorber les chocs et garantir un certain niveau de revenus. Ma critique principale à l'encontre du système suédois est que l'indexation des pensions sur les salaires entraîne une baisse systématique des pensions en période de crise économique, alors qu'il serait préférable, du point de vue macroéconomique, de lisser ces chocs dans le temps. Il serait préférable d'indexer les retraites sur les prix en créant un système capable d'absorber les chocs.

Enfin, une réforme systémique du système de retraite ne doit pas sacrifier la solidarité. Il n'existe aucune raison de la faire disparaître. Le slogan du Président de la République ne l'implique d'ailleurs pas. Il signifie seulement qu'un euro cotisé donne les mêmes droits. La solidarité et les droits non contributifs peuvent tous être traduits dans le nouveau système, voire améliorés.

Oriane Mancini . - Comment pouvons-nous transformer en points ou en euros virtuels les mécanismes de solidarité des régimes par annuités ?

Antoine Bozio . - Il existe de nombreux exemples. En période de chômage, nous pouvons imaginer des droits équivalents financés par l'assurance chômage. Nous voulons aller plus loin que la simple reprise des mécanismes de solidarité : nous voulons améliorer la redistribution.

Dans le système actuel, le temps partiel exerce un choc négatif sur les pensions. Dans le nouveau système, tous ces droits sont utiles.

Oriane Mancini . - Jacques Bichot, la transition entre deux systèmes de retraite est délicate. Serait-elle plus facile à gérer vers un régime en points que vers un régime à comptes notionnels ?

Jacques Bichot . - La difficulté serait la même. Nous devrons prévoir des transitions comme celle imaginée en Italie, en attendant que certains parviennent à l'âge de la retraite sous l'ancien régime, ou procéder par « big bang » en réalisant des liquidations anticipées de retraites pour les personnes n'ayant pas encore atteint l'âge de départ. Nous devrions alors calculer, pour une personne âgée par exemple de 45 ans, le montant qu'elle percevrait en retraite. Le calcul est complexe, mais réalisable. Nous avons besoin d'études de faisabilité pour assurer la transition.

Oriane Mancini . - Dominique Libault, comment gère-t-on la transition entre deux systèmes de retraite ?

Dominique Libault . - Cette question présente un aspect technique relatif à la préservation des droits des personnes. L'autre aspect consiste à définir un système cible avec des droits dans lequel il y aura, à enveloppe financière constante, des gagnants et des perdants. Si l'écart entre les systèmes ancien et nouveau est réduit, des transitions rapides sont possibles. S'il est plus grand, la transition sera plus longue. Il convient donc de définir le système cible et de mesurer les écarts pour définir le système de transition le plus adapté.

Oriane Mancini . - Bruno Palier, quelle est votre position sur la transition et ses conséquences sur l'équité entre générations ?

Bruno Palier . - Jacques Bichot faisait référence à la lisibilité de la réforme : ce sont les fameuses enveloppes orange adressées chaque année aux citoyens suédois. En France, nous commençons à le faire. Il serait utile de communiquer sur ce sujet plus régulièrement.

Nous devons à tout prix éviter le piège italien, à savoir concentrer les perdants parmi les moins de quarante ans et rendre gagnants les plus de cinquante ans.

La logique politique craint la mobilisation des personnes les plus proches du départ en retraite : un geste politique facile consisterait à ne pas modifier leurs retraites. Il est préférable de parvenir à mobiliser les groupes qui ont d'autres préoccupations pour les convaincre de l'intérêt de la réforme et l'équilibrer.

Cette réforme engage aussi les jeunes, le marché du travail, la formation et nous concerne tous.

Oriane Mancini . - Antoine Bozio, le débat sur la transition se résume-t-il à sa longueur ?

Antoine Bozio . - La question est plus complexe. Une transition trop longue n'est pas souhaitable, car elle ne fait pas apparaître les gains de la réforme. Une transition trop rapide risque d'être assortie d'erreurs sur des sujets aussi importants que les droits à la retraite. Elle n'est pas justifiable. Il faut donc rechercher le bon équilibre.

Entre les régimes, les taux de cotisations diffèrent significativement. Aligner les règles de calcul entraînerait des conséquences considérables. Je recommande d'instaurer rapidement des règles communes tout en maintenant, dans la période de transition, des taux de cotisations fondés sur l'existant. Nous pourrions ainsi faire passer le message d'un système fonctionnant avec les mêmes règles pour tous, tout en prenant le temps de faire converger les taux de cotisations.

Dominique Libault . - L'assiette des cotisations est un sujet important. Les travailleurs indépendants ont une retraite faible, car ils cotisent sur le revenu net fiscal, tandis que les salariés cotisent sur le salaire brut. Ce pourrait être considéré comme juste, dans la mesure où ils cotisent moins, mais la CSG qui leur est appliquée repose sur une assiette élevée, puisqu'elle intègre l'ensemble des cotisations, c'est-à-dire l'équivalent salarial et patronal. Le prélèvement social des travailleurs indépendants fait partie des sujets à traiter. Le raisonnement doit porter non seulement sur les taux, mais aussi les assiettes de prélèvement.

Oriane Mancini . - Quel conseil donneriez-vous au Haut-Commissaire à la réforme des retraites ?

Bruno Palier . - Je recommande de mobiliser les jeunes générations.

Jacques Bichot . - Je lui souhaite beaucoup d'énergie et de courage.

Dominique Libault . - Je n'ai pas de conseil à donner à Jean-Paul Delevoye, qui possède ce sujet. Je le sais très attentif aux questions évoquées (confiance, solidarité, assurance...) et je suis convaincu qu'il aura à coeur de travailler sur ces sujets. Les jeunes générations sont effectivement un point d'attention.

Antoine Bozio . - Je lui souhaite toute la réussite possible. Pour mener à bien une telle réforme, il est indispensable de mettre en évidence son caractère positif et l'acquis social qu'elle représente. Le but n'est pas de pénaliser le pays, mais d'assurer la solidité de la protection sociale dans la durée.

CONCLUSION

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Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire à la réforme des retraites

Jean-Paul Delevoye , Haut-Commissaire à la réforme des retraites . - Lorsque le Président de la République m'a nommé Haut-Commissaire à la réforme des retraites, j'ai souhaité rencontrer rapidement le Président du Sénat, ainsi que le Président de l'Assemblée nationale, en estimant que ma responsabilité était d'associer le plus tôt possible les parlementaires, les partenaires sociaux, les citoyens et toutes celles et ceux qui font l'information. Rapidement, nous avons évoqué l'idée d'un colloque avec le Président de la commission des affaires sociales Alain Milon, le rapporteur vieillesse René-Paul Savary et le rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe.

Je mesure aujourd'hui, par la qualité des interventions et la pertinence des questions posées, à quel point nous avions raison. Cette réforme ne se mènera pas de façon technique, même si les conséquences techniques doivent être abordées : elle est éminemment politique.

Si le Président de la République a nommé un Haut-Commissaire, c'est pour permettre à celui-ci d'interroger la totalité des régimes sans être cloisonné par ministère. Il s'agit de faire en sorte que chacun de nos concitoyens puisse savoir qu'il sera traité, non l'un par rapport à l'autre, mais selon des principes d'universalité. Ces principes d'universalité répondent à l'aspiration profonde des Français de se sentir respectés et traités de façon égale.

Le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité que je dépende de la ministre des solidarités. Ils auraient pu me rattacher au ministre de l'Economie, si la réforme était budgétaire, ou à d'autres ministères. Ce signal politique est fort : l'enjeu consiste à renforcer les solidarités inter- et intra-générationnelles. Le président du COR a par ailleurs indiqué les principes sous lesquels se place notre système de retraite : la lisibilité, la transparence, la solidarité et sa solidité en adéquation avec les objectifs macro-économiques.

Personne n'ignore la volonté du Président de la République de transformer le pays avec rapidité, volonté et détermination. Sur ce projet de société, il a, avec le Premier ministre, validé la méthode d'un calendrier qui consacre l'année 2018 au dialogue et à la concertation, pour une loi qui serait élaborée début 2019 avant d'être débattue au cours de l'année 2019. Ce n'est pas un problème d'agenda législatif : 2019 est l'année des élections européennes.

J'ai régulièrement alerté, notamment dans le cadre de mes fonctions de médiateur de la République, sur le fait que les débats politiques de notre monde contemporain sont assujettis à la fragilité de la nature et de l'humain. Au niveau européen, nous aurons à porter un projet de société qui fera reposer l'équilibre et la performance économique du continent, des pays et des entreprises, sur notre capacité à mettre en oeuvre des solidarités collectives qui épouseront les moments de fragilité dans la vie d'une femme ou d'un homme : maladie, handicap, chômage, retraite. Ce débat ne soit pas être sous-estimé. La pression de la philosophie qui considère l'individualité comme la seule référence dans le monde moderne et que chacun assure son propre destin et assume seul ses échecs et ses réussites est réelle. Je ne crois pas à ce type de société. Le gaullisme social nous a appris que la performance des entreprises et des États passe par notre aptitude à permettre l'épanouissement des individus, lequel repose sur notre capacité collective à les soutenir dans leurs moments de fragilité.

Le choix de l'année 2019 pour débattre n'est donc pas anodin. Il laisse le temps de la concertation et de la réflexion et inscrit ce projet dans une démarche de société.

L'une des raisons qui ont conduit le Président et le Premier ministre à me confier cette mission est la confiance que les partenaires sociaux veulent bien m'accorder et que je leur rends. Nous avons besoin de l'intelligence de tous, des parlementaires, des partenaires sociaux, des citoyens et de celles et ceux qui font l'opinion. La France a pour particularité de se nourrir des peurs et ses débats se fondent souvent sur des fantasmes. Ce projet n'a pas pour objectif de réformer pour réformer, ni de changer pour changer. Il apporte une réponse. C'est la raison pour laquelle je me suis entourée d'une équipe reconnue pour ses compétences en matière de système de retraite, composée de femmes et d'hommes pragmatiques et non dogmatiques.

Ce projet n'est pas une nouvelle réforme des retraites, mais la mise en place d'un système universel renforçant la solidarité intergénérationnelle, responsabilisant chacun par sa dimension solidaire et permettant à tous de ressentir le fruit de son travail par sa dimension contributive. Les débats de cette journée ont montré l'ambiguïté d'un système qui surpondère les inégalités tout en cherchant à les corriger. Nous avons donc besoin de temps.

Il nous faut réfléchir aux facteurs de fragmentation de notre société.

Le Président de la République souhaite « protéger, libérer et unir ». La mise en place d'un système universel vise à renforcer la cohésion entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, ceux qui sont fragiles et ceux qui peuvent répondre à ces fragilités. Nos concitoyens ont parfois perdu la vision d'une nation comme communauté de destin et chacun défend ses intérêts catégoriels, individuels et professionnels. Si nous laissons cette dérive se poursuivre, si les jeunes générations n'ont pas confiance dans le système des retraites, pour quelle raison continueraient-elles à adhérer à un système auquel elles ne croient pas ?

Si les personnes âgées ne sont pas attentives à la qualité de la vie des actifs pendant les trente années de leur retraite, nous nous exposons à des conflits générationnels et à des campagnes électorales ciblées sur les retraites ou la compétitivité, au détriment de la solidarité.

Notre projet est avant tout un projet de société qui doit renforcer la confiance des jeunes dans le soutien à apporter aux aînés et l'attention des aînés à la qualité de vie active des jeunes. Lors de mes premières rencontres, aux associations de retraités qui souhaitaient un statut de retraité qui préserve leur pouvoir d'achat, j'ai répondu « souhaiter dans ce cas un statut de jeune ». Nous avons là un combat à relever. La perte du sens de l'impôt et de la solidarité nous place dans une conflictualité d'intérêts. Elle nous fait perdre conscience de la chance que nous avons de vivre dans un pays où l'école est gratuite, les soins accessibles et le niveau de vie des retraités intéressant. L'observation par l'OCDE des performances françaises confirme la réussite relative de notre système. Pour lutter contre l'anxiété, nous avons besoin de méthodes et de principes simples. Pour reconquérir la confiance, nous devons employer un langage de crédit et de confiance avec toutes celles et ceux qui sont confrontés aux angoisses du peuple, à savoir les parlementaires par leur proximité avec le terrain, mais aussi les partenaires sociaux, qui mesurent les angoisses des salariés et leurs interrogations légitimes.

La retraite est le reflet du monde actif. Il est évident que les fragilités de ce dernier se retrouveront dans le système de retraite. A l'instar de la Finlande, je souhaite que ce projet soit accompagné d'une formidable réflexion et mobilisation pour augmenter le taux d'emploi des jeunes et réfléchir au taux d'emploi des seniors. De 60 à 65 ans, ce dernier est peu satisfaisant en France. Nous devons réfléchir avec les partenaires sociaux et les politiques sur les éléments incombant à la retraite et au monde du travail. Je serai intransigeant sur l'hypocrisie consistant à se défausser des dépenses relevant du monde du travail sur le système de retraite pour réaliser des ajustements industriels ou organiser des départs anticipés.

Nous avons le temps de nous poser les bonnes questions. C'est une opportunité unique. J'ai engagé rapidement le débat avec les parlementaires et les partenaires sociaux pour contrer le réflexe premier consistant à déposer de multiples amendements destinés à défendre des intérêts catégoriels. Je m'intéresse au contraire à la responsabilisation des retraités comme des actifs. Nous devons réfléchir en termes de réponses. Le Président de la République et le Premier ministre en ont apporté de très claires. Je n'ignore pas les interrogations des partenaires sociaux sur la méthode et le calendrier. Le Président de la République les a clairement rappelées dans son intervention dimanche dernier et la temporalité est importante. L'universalité implique de reconnaître les diversités, à condition qu'elles soient justifiées au nom de l'équité.

J'ai souhaité une méthode de dialogue constructif, consistant à conduire notre réflexion sur un constat partagé. Les documents qui fondent ce dialogue seront remis à tous les partenaires sociaux et partis politiques, sans aucune différence. A chaque fois, pour les produire, nous mobilisons les administrations et je les en remercie : 14 groupes travaillent actuellement sur des questions fondamentales telles que l'intégration des primes des fonctionnaires et les autres sujets stratégiques. Notre objectif est de vous livrer ces analyses techniques.

Je crois à l'intelligence collective et suis impressionné par la technicité, la capacité de contribution et la franchise des partenaires sociaux et des parlementaires.

Les Français perçoivent les réformes des retraites comme anxiogènes et punitives. Pour traiter un problème politique, nous tendons à dramatiser la situation. Nous avons la chance, aujourd'hui, de ne pas avoir de contraintes budgétaires, même si j'assume que le nouveau système devra être à l'équilibre et que des moyens innovants devront être trouvés pour assurer la transition. Nous devons retrouver l'esprit puissant de l'universalité qui prévalait en 1945. A l'époque, les agriculteurs, les artisans et les commerçants ont refusé d'adhérer au système, considérant qu'ils payaient peu de cotisations et que le problème des retraites ne se posait pas. La CGT et d'autres organisations syndicales ont refusé le système universel pour ne pas réduire les droits existants. Je comprends ce réflexe : une évolution négative est effectivement peu attractive. Il importe de retrouver une capacité à édicter des principes simples et universels. A un travail, un revenu professionnel, et à un même revenu professionnel, les mêmes droits à retraite.

Pour instaurer un dialogue constructif, nous avons défini six blocs de questions. La réforme doit être menée dans la transparence et la franchise. Si nous ne sommes pas certains d'avoir raison, nous sommes en revanche déterminés à mettre en place un système équitable, lisible et transparent, dans lequel chacun se ressente citoyen et à égalité de traitement avec l'autre.

Au titre du premier bloc, nous avons lancé la réflexion sur le système cible.

Ce dernier soulève un certain nombre de questions, dont la définition du système universel : l'ensemble des régimes, y compris parlementaires, est concerné. Un système universel suppose un rapprochement des régimes de la fonction publique et du secteur privé, mais aussi des régimes spéciaux. Pour obtenir des réponses, il importe avant tout de poser les bonnes questions. Or souvent, en France, nous imposons les réponses avant d'avoir entendu la question. Mon principe est clair : l'objectif prime sur les conséquences. Je comprends que l'obsession des gestionnaires de caisse soit l'avenir de leur caisse dans le nouveau système. Je la considère néanmoins comme une conséquence. La priorité est de choisir le système le plus juste, équitable et adaptable. Nous étudierons ensuite la manière de rendre les conséquences de ces transformations respectueuses des hommes et des femmes au sein des différents régimes concernés.

Une autre des questions est celle du niveau de couverture. Où doit-il se situer, à deux, trois, quatre plafonds de la sécurité sociale (PASS) ? Dans l'hypothèse de couvrir 99 % des salariés et 95 % de la masse salariale, il ne serait pas inintéressant de le porter à trois PASS (soit environ 120 000 euros par an). Sont aussi à considérer l'intégration de la fonction publique et celle des primes, un taux faisant converger les montants de cotisations des employeurs privés et publics. Dans un souci de clarification, pour le contrôle parlementaire et l'évaluation des partenaires sociaux, il serait intéressant que les futures maquettes budgétaires distinguent mieux les fonds mis en avant par l'Etat pour les employeurs, les compensations démographiques et les solidarités. Je suis de ceux qui pensent que la clarification budgétaire doit être une réponse à des objectifs politiques.

Notre réflexion est également celle du passage de la gestion des carrières à la gestion des parcours. L'histoire sociale, à laquelle j'adhère, et son caractère identitaire ont conduit à des catégorisations verticales et cloisonnées de nos passés professionnels. Chaque assuré est en moyenne affilié à 3,1 régimes de pension au moment du départ en retraite. Ce nombre atteint parfois, 5, 6 ou 7 régimes selon les personnes, ce qui complexifie le calcul de la retraite. Dans un système universel, indépendamment du statut et de la profession, l'individu bénéficie d'un capital point ou « notionnel ». Un tel système ne saurait être mis en place dans l'angoisse. Aucun changement n'est possible si la plus-value du changement n'est pas supérieure à la remise en cause du présent. Si l'objectif est clair, les chemins peuvent différer. Nous sommes tout à fait attentifs, dans cette séquence de concertation sur le système cible, aux discussions engagées. Nous devrions disposer des réponses fin mai.

Le deuxième bloc concerne les droits non contributifs et la révision des problématiques de solidarité. Les outils actuels sont-ils pertinents ? Existe-t-il des problématiques nouvelles appelant des droits nouveaux ? Je pense notamment aux aidants familiaux.

Nous devons réfléchir au financement de la solidarité et à son objectif. Elle doit être de caractère national, avec des flux budgétaires clairs. Dans cette deuxième étape, seront abordés les sujets de la maladie, du chômage, du handicap, de la maternité et des minima. Je suis opposé à tout « droit » ou « point » gratuit : il n'en existe pas. En revanche, il existe des « droits » que nous acceptons collectivement de prendre en charge par la solidarité.

La troisième étape, dit autrement le troisième bloc, d'ici juillet 2018, consistera à prendre en compte l'évolution de la société en abordant notamment la question des droits familiaux et de l'égalité entre les femmes et les hommes.

De septembre à décembre 2018 s'ouvriront trois autres blocs de réflexion. Le quatrième bloc portera sur les conditions d'ouverture des droits à la retraite, notamment sur les âges de la retraite et la responsabilisation de chacun sur l'équilibre du système. S'ouvrira ensuite, au titre du cinquième bloc, un débat sur la reconnaissance des spécificités de certains parcours professionnels et sur les conditions des départs anticipés.

L'intérêt du système universel, fondé sur des principes simples et opposables à tous (convergence des taux de cotisation, des rendements, etc.), est de prendre en compte les différences acceptables, par exemple, l'octroi de droits aux militaires engagés sur des opérations extérieures. En revanche, la diminution de certaines assiettes et taux de cotisations n'est pas justifié par la solidarité nationale. Certains avantages n'ont plus de raison d'exister. Nous serons intransigeants sur ce sujet.

Le sixième bloc portera sur les questions de pilotage et de gouvernance du futur système.

Cette réforme doit favoriser la prise de conscience que personne ne peut être insensible à la situation de son voisin qu'il soit retraité, actif ou handicapé. Défendre des intérêts injustifiés du point de vue de la solidarité collective ne serait pas responsable. En revanche, il existe aussi des points de convergence et nous chercherons à ne stigmatiser aucun régime. Certains tentent de sacrifier les régimes spéciaux ou ceux des fonctionnaires. Dans notre constat, nous démontrerons que ces derniers ne sont pas nécessairement avantagés s'agissant de la prise en compte des enfants et du temps partiel. Pour certains fonctionnaires, la différence entre le revenu réel, en incluant les primes, et la retraite, qui n'en tient pas compte, dégrade significativement leur niveau de vie. Nous pouvons aussi justifier qu'au nom de la sécurité du pays, des personnes puissent partir en retraite plus tôt. Nous réfléchirons également à la question du cumul emploi-retraite.

L'objectif est de construire un système pérenne, responsable et solide. Ma responsabilité n'est pas de vous bercer dans une douce insouciance, mais d'assurer l'adaptabilité du système de demain aux périodes de crise et de croissance. En Italie, le système de retraite a été réformé sous pression. Les décisions prises sont alors douloureuses. En Suède, l'accent est mis sur l'épanouissement au travail en augmentant la valeur ajoutée par poste et en facilitant la reconversion des actifs qui occupent des métiers difficiles. La France n'a pas la même culture de la relation entre salarié et employeur. En Allemagne, les partenaires sociaux et les partis politiques ont assumé un pacte considérant la compétitivité économique comme plus importante que le maintien du niveau des retraites, en principe compensé par un dispositif de capitalisation. Or celui-ci ne fonctionne pas, puisqu'il est facultatif.

L'enjeu est d'assurer la confiance des citoyens dans un système de solidarité intergénérationnel par rapport aux aléas boursiers, du monde du travail, des salaires... L'ensemble de ces sujets doit être abordé pour concevoir un système adaptable.

Dans le débat sur les points ou les comptes notionnels, je suis favorable à une réflexion sur les outils de gouvernance, d'évaluation et de transition à mettre en place. Pour ce faire, nous organiserons des consultations permanentes avec les partis politiques et les groupes parlementaires. Lorsque nous aurons un constat partagé, nous réfléchirons aux moyens de poser les bonnes questions.

Je souhaite restaurer la controverse, celle qui permet de s'enrichir de la différence de l'autre au lieu de terrasser celui qui pense différemment. Même si je ne partage pas leurs convictions, je m'intéresse à celles qu'expriment les syndicats. Aux décideurs politiques, je réaffirme l'importance de la question posée, à savoir la solidité du système, le renforcement de la solidarité intergénérationnelle, la place du travail et la possibilité d'un effet miroir entre le monde du travail et les retraites si nous choisissons un régime par points. Dans le système actuel, l'écart des salaires va de 1 à 6, tandis que celui des retraites va de 1 à 4.

Nous pensons obtenir de bons résultats en matière de solidarité et de redistribution, alors que les carrières courtes et fragmentées sont aujourd'hui pénalisées. Cette réforme a été demandée par le Président de la République, qui veut revisiter le système de retraite et converger vers un système universel basé sur la répartition, la solidarité intergénérationnelle, la transparence et l'équité. Personne ne saurait s'opposer à ces principes, mais les chemins pour y parvenir peuvent différer. Je vous invite donc à envisager la réforme avec optimisme. Elle est l'opportunité de renforcer la cohésion nationale et de rétablir une communauté de destin.

Enfin, nous devrons réfléchir à la sécurisation de la transition en mobilisant l'intelligence administrative, pour réaliser des simulations, des recherches et des études. Je suis également ouvert aux propositions des partenaires sociaux et des universitaires. Il est possible d'imaginer un nouveau système équitable dans le respect des contraintes budgétaires et économiques. Nous essaierons de réaliser des simulations de cas type individuels permettant, avant la prise de décision politique, de présenter l'ancien et le nouveau système. Cet exercice serait particulièrement important pour la fonction publique.

En conclusion, notre méthode est, face à chaque constat, de livrer les questions que nous nous posons. Des rendez-vous périodiques sont organisés, dont le calendrier est annoncé et validé par les partenaires sociaux. Une consultation citoyenne sera lancée fin mai 2018, dont nous remettrons les conclusions, dont un avis citoyen, au dernier trimestre 2018. Nous avons commencé à rencontrer les journalistes pour les informer et partager avec eux notre documentation.

Je remercie particulièrement les partenaires sociaux pour leur esprit critique et leur force de proposition. Nous devons construire, ensemble, un système qui renforce la cohésion de notre société. Pour ce faire, nous avons besoin de confronter nos raisonnements, de mobiliser les forces de chacun et de ne pas croire à l'illusion qu'une loi règle tout. Notre objectif est de fixer les principes d'un nouveau système tout en mettant en place les conditions de son évolution et en imaginant les mécanismes de son adaptation. Il s'agit d'un projet de société. Plutôt que d'avoir peur du changement, réjouissons-nous de cette nouvelle promesse.


* 1 C'est-à-dire entre les 10 % de la population les mieux payés et les 10 % les moins payés.

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