II. AMÉLIORER LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES COMMISES À L'ENCONTRE DES MINEURS

Chaque violence infligée à un enfant révèle une carence dans la protection des enfants . Si le rôle des professionnels ou de la famille ne doit pas être occulté, chaque infraction sexuelle commise à l'encontre des mineurs révèle avant tout l'insuffisante mobilisation des institutions et de la société pour protéger effectivement les mineurs .

Si des ajustements législatifs peuvent permettre une amélioration de la lutte contre les infractions sexuelles , votre rapporteur considère que la protection des mineurs contre ces infractions nécessite en priorité un travail de sensibilisation et de formation des professionnels , une amélioration de l'accompagnement des victimes et, surtout, un renforcement des moyens consacrés à la justice .

A. PRÉVENIR LA COMMISSION DES VIOLENCES SEXUELLES À L'ENCONTRE DES MINEURS

Comment prévenir la commission des violences sexuelles à l'encontre des enfants ? La seule interdiction légale de ces infractions ne suffit pas à prévenir de tels comportements.

L'arsenal pénal doit se doubler d'une intolérance sociale à l'égard de ces comportements et d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs de la société afin de les prévenir.

1. Oser connaître les victimes

Comme cela a été souligné précédemment, les données statistiques sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs sont peu nombreuses et toujours collectées de manière indirecte.

Le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) relève lui aussi que « la persistance des violences s'explique notamment du fait de leur invisibilité. Ce déni collectif face aux violences faites aux enfants est renforcé par l'absence de données statistiques ». Dans le cadre de ses observations finales sur la France en date du 23 février 2016, le Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies regrettait le défaut de données statistiques sur les violences à l'égard des enfants 71 ( * ) .

Votre rapporteur partage les objectifs définis par le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) : sortir les violences sexuelles faites aux enfants de l'invisibilité. Les faits de violences sexuelles et plus particulièrement de viol commis à l'encontre d'un enfant sont trop souvent tus ou font l'objet de métaphores. Or ces violences ne doivent plus rester indicibles.

Les violences sexuelles s'inscrivent dans un spectre de maltraitances aux enfants

La maltraitance sexuelle des enfants est une forme de maltraitance spécifique des enfants. Elle s'inscrit néanmoins dans un continuum de situations de danger pour les enfants.

Selon la classification retenue par la plupart des pays, il existe un spectre des facteurs de risque de compromission du développement de l'enfant, prenant en compte tant les « child abuse » (maladroitement traduit par abus sexuels sur mineurs), qui concernent tant les mauvais traitements, les violences, la maltraitance psychologique et la maltraitance sexuelle que les faits de négligence 72 ( * ) .

Les enseignements de l'enquête Virage menée par l'Ined doivent être complétés par d'autres travaux de victimation. Ces études devraient mesurer la prévalence et l'incidence des violences sexuelles infligées aux enfants, évaluer les faits ne faisant pas l'objet d'une plainte et permettre une réflexion sur les déterminants d'un dépôt de plainte. Des enquêtes de victimation spécifiques aux personnes handicapées devraient également être conduites.

Pour que la parole des victimes puisse se libérer, il est indispensable de poursuivre les actions de communication, de sensibiliser le grand public aux violences sexuelles infligées aux enfants et d'augmenter la condamnation sociale de ces violences.

Comme en a témoigné Mme Flavie Flament devant la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, il faut surtout écouter la parole des victimes et la valoriser : des enquêtes auprès des victimes devraient permettre d'identifier les freins à la révélation de ces faits et les facteurs permettant une prise en charge adaptée.

Proposition n° 1. - Améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles, afin de les rendre visibles et de lever un tabou.

2. Prévenir ces violences par l'éducation et l'évolution des mentalités

Les enquêteurs entendus par le groupe de travail ont insisté sur la dimension sociétale des violences sexuelles, qui naissent de représentations erronées concernant la sexualité, le consentement ou encore l'égalité entre les femmes et les hommes . Sur ce point, il a été souligné que l'arme répressive n'intervient « qu'en bout de chaîne », concernant les faits prouvés les plus graves : le levier essentiel de prévention des comportements qui constituent un spectre de violences sexuelles envers les mineurs, de l'exposition à des contenus pornographiques jusqu'aux agressions sexuelles, se situe dans l'éducation et toutes les autres voies qui permettent une évolution des mentalités .

D'après les enquêteurs et les professionnels de santé rencontrés par votre rapporteur, il convient de ne pas sous-estimer le fait que « l'éducation » des mineurs à la sexualité se réalise désormais sur Internet en accédant à des contenus particulièrement choquants qui mettent parfois en scène des représentations violentes des rapports sexuels.

Les professionnels de santé rencontrés par votre rapporteur à Saint-Malo ont souligné les dégâts psychologiques qui peuvent naître du visionnage précoce de contenus à tendance pornographique ou violents : or de telles images (par exemple des images d'agressions physiques fictives ou encore d'accidents réels de la route) qui peuvent apparaître anodines pour les adultes , sont facilement accessibles sur des plates-formes grand public comme Youtube, Facebook, Instagram ou Twitter.

Plusieurs obligations légales pèsent sur les éditeurs de contenus pornographiques , y compris numérique, notamment l'obligation d'apposer de manière visible, lisible et inaltérable la mention « Mise à disposition des mineurs interdite (article 227-24 du code pénal) » en application de l'article 34 de la loi du n° 98-468 du 17 juin 1998.

Néanmoins, l'arsenal pénal est insuffisamment mobilisé. Sur la période 2007-2015, il y a eu seulement une infraction ayant donné lieu à condamnation en 2015 du chef d'édition ou distribution de document, fixé par un procédé déchiffrable par voie électronique, dangereux pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique, sans mention conforme de l'interdiction de sa mise à disposition des mineurs. On recense également une vingtaine de condamnations par an pour commerce, diffusion, fabrication et transport de message violent, pornographique ou contraire à la dignité 73 ( * ) : 25 en 2016, 19 en 2015.

En dépit de certains mécanismes de protection qui peuvent être mis en place par certains sites internet, cette mention ne suffit pas à empêcher les mineurs d'accéder à ces contenus gratuits et facilement accessibles depuis n'importe quel moteur de recherche. Selon une étude IFOP de 2017 74 ( * ) , 70 % du contenu pornographique visionné par un mineur l'a été par un téléphone portable.

Les parents et les acteurs de l'éducation nationale doivent renforcer leur vigilance.

En premier lieu, les parents doivent avoir conscience de la facilité avec laquelle leurs enfants peuvent accéder sur Internet à des contenus traumatisants qu'il s'agisse de contenus pornographiques ou particulièrement violents. Selon les enquêteurs, la vigilance parentale est très souvent plus efficace que les dispositifs de contrôles parentaux pour smartphones.

Les hébergeurs de contenus pornographiques doivent également être sensibilisés à cette problématique afin qu'ils incitent les éditeurs de contenus à en protéger l'accès.

Proposition n° 2. - Sensibiliser les parents et les hébergeurs de contenus sur Internet aux conséquences d'un accès précoce des enfants à la pornographie et mobiliser l'arsenal pénal afin de prévenir l'accès des mineurs aux sites pornographiques.

Dans ce contexte d'exposition précoce à la pornographie , l'éducation à la sexualité, et notamment à la prévention des violences sexuelles, est d'autant plus nécessaire pour fournir aux enfants une « grille de lecture » permettant d'analyser correctement ces images

L'école, premier lieu de socialisation des enfants, doit accomplir son obligation légale d'assurer « une information et une éducation à la sexualité » dispensées « à raison d'au moins trois séances annuelles », selon l'article L. 312-16 du code de l'éducation.

Or, comme le relevait le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) en 2016 75 ( * ) , l'application de cette obligation « demeure encore parcellaire, inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles » : 25 % des écoles déclaraient en 2015 n'avoir mis en place aucune action d'éducation à la sexualité ; les classes de CM2, 4 ème , 3 ème et 2 nde apparaissent les plus concernées par les actions ; les violences sexuelles ne sont que peu abordées par rapport aux questions de reproduction ou de contraception.

Trois freins à la mise en oeuvre de cette obligation ont été identifiés : le manque de moyens financiers, la disponibilité du personnel et la gestion des emplois du temps.

Dans son avis « pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles » du 5 octobre 2016 76 ( * ) , le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes insistait sur la « nécessité de développer et d'ériger en priorité l'éducation à la sexualité afin de renforcer la prévention des violences sexuelles », et cela dès le plus jeune âge.

Proposition n° 3. - Garantir les moyens d'assurer sur tout le territoire l'obligation légale d'éducation à la sexualité.

Enfin, votre rapporteur souhaite insister sur le rôle du corps médical dans la prévention des violences sexuelles. Dès la naissance, dans les services de néo natalité, les jeunes mères, et de manière générale les femmes vulnérables, devraient être accompagnées pour assurer la protection de leur enfant.


* 71 « 43. Rappelant son observation générale n° 13 (2011) sur le droit de l'enfant d'être protégé contre toutes les formes de violence, le Comité recommande à l'État partie d'accélérer l'adoption d'une stratégie globale visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l'égard des enfants, dans le cadre de la politique générale de protection de l'enfance ».

* 72 Voir le rapport remis par le Dr Marie-Paule Martin-Blachais à Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes le 28 février 2017, « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance », pages 64-65.

Le rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/docfra/rapport_telechargement/var/storage/rapports-publics/174000173.pdf

* 73 Ces infractions sont prévues à l'article 227-24 du code pénal. Ces trois types de messages ne peuvent pas être distingués les uns des autres.

* 74 Étude IFOP sur la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur les comportements sexuels du 15 mars 2017, commandée par l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique. L'étude est consultable à l'adresse suivante : http://www.ifop.com/media/poll/3698-1-study_file.pdf

* 75 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, rapport relatif à l'éducation à la sexualité, répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité femmes-hommes, rapport n° 2016-06-13-SAN-021 publié le 13 juin 2016.

* 76 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles , avis n° 2016-09-30-VIO-022 publié le 5 octobre 2016.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page