B. FACE À UN AVENIR QUI RESTE INCERTAIN, MENER UNE RÉFLEXION SUR LES PERSPECTIVES POSSIBLES ET ENVISAGER DES SOLUTIONS ALTERNATIVES

Malgré le développement de leurs activités et des résultats en progression, l'utilité des SATT reste contestée par un certain nombre d'observateurs, en particulier en raison des moyens financiers que l'État leur a consacrés.

La plupart d'entre elles, si ce n'est toutes, ne parviendront probablement pas non plus à atteindre l'équilibre financier à dix ans qui leur était demandé. Cet objectif n'était certainement pas réaliste et ne doit, en tout état de cause, pas faire oublier que la valorisation de la recherche publique a bien d'autres finalités que d'apporter une rentabilité économique aux résultats des travaux des chercheurs. Pour autant, la question de leur financement à moyen ou plus long terme mérite d'être soulevée.

Surtout, certaines d'entre elles rencontrent de telles difficultés dans leurs premières années de mise en place que la question de leur maintien et même de leur existence mérite également d'être posée.

1. Un rendement financier difficile à atteindre, qui ne doit pas constituer la seule finalité des SATT et de la valorisation de la recherche publique

Comme cela a été indiqué supra , l'équilibre financier ne devrait pouvoir être atteint par les SATT au bout de la période de dix ans initialement fixée , sauf peut-être de rares exceptions comme Conectus.

Cet objectif a même pu avoir des effets contre-productifs en termes de stratégie de valorisation développée par les SATT. Selon certaines personnes entendues au cours des auditions, il a ainsi contribué aux difficultés rencontrées par les SATT pour développer leur activité et remplir leurs objectifs.

Surtout, cet objectif n'était pas réaliste , comme l'ont démontré plusieurs rapports établis depuis la mise en place de cette action du PIA. Par exemple, dans son rapport de janvier 2016 sur les réformes dans l'écosystème industriel français, remis à Thierry Mandon, alors secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche, et à Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, Suzanne Berger indique que la rentabilité rapide, sur dix ans, n'est atteinte nulle part dans le monde 31 ( * ) . Même les grandes entreprises, qui disposent de moyens conséquents et ont une très forte pression pour développer de nouveaux produits, mettent un temps certain à transformer une innovation en produit commercialisable.

Par ailleurs, les retours sur les projets peuvent être longs à obtenir, de cinq à sept ans en général, surtout lorsque ceux-ci sont retenus au stade de la maturation, l'investissement ayant lieu très tôt. De même, à Oxford, l'une des plus belles réussites parmi les investissements du fonds de maturation a été enregistrée plus de quinze ans après l'aide financière apportée.

Certes, les retours financiers rapides existent aussi, mais ils ne sont pas si fréquents et concernent généralement des montants assez faibles.

Le gouvernement précédent a, lui-même, reconnu l'impossibilité d'atteindre cet objectif d'équilibre financier dans une si courte période et décidé d'assouplir cette exigence en repoussant l'échéance au cas par cas.

Les retours financiers de ce type de structures ne sont, en tout état de cause, jamais garantis . Dans les plus grandes universités de rang mondial, ce sont généralement quelques blockbusters qui permettent d'obtenir des retours sur investissement importants et de garantir la rentabilité du dispositif de valorisation mis en place. Si les SATT recherchent et attendent le projet qui leur permettra d'obtenir le « jackpot », il n'est pas certain qu'elles y parviennent.

En outre, comme l'a également rappelé le rapport de Suzanne Berger, les bénéfices tirés par les chercheurs et les établissements de recherche d'un produit valorisé ne couvrent que très rarement la totalité des dépenses que sa découverte a engendrées (travaux de recherche, maturation et preuve de concept, étude de marché, établissement du titre de propriété...)

En tout état de cause, il convient de garder à l'esprit le fait que la réussite d'un transfert de technologies dépasse le seul intérêt d'assurer une rentabilité économique aux résultats de travaux de recherche . Le retour sur investissement doit être recherché mais cela ne doit pas constituer l'unique objectif d'une structure de valorisation .

En effet, une valorisation efficace et reconnue des résultats de la recherche issue des laboratoires des universités et autres établissements de recherche a surtout pour conséquence de leur offrir une plus grande visibilité et d'améliorer leur notoriété . Ils sont ainsi susceptibles d' attirer davantage les étudiants et les chercheurs, y compris étrangers , qui découvrent l'intérêt porté par l'établissement aux résultats de leurs travaux.

Ainsi, à Oxford, la structure de valorisation OUI n'a pas pour vocation première de garantir un rendement économique aux activités des chercheurs mais joue un rôle d'attractivité important pour les chercheurs qui constatent que l'établissement souhaite réellement valoriser les projets de recherche et s'en donne les moyens. Il convient d'ailleurs de noter que l'université d'Oxford continue de verser une subvention annuelle à sa filiale pour l'exercice de son activité. Bien entendu, tout retour sur investissement reste pour autant bienvenu, surtout parce qu'il permet de réinvestir ensuite dans d'autres projets.

La réussite d'un transfert peut ensuite conduire au développement d'autres projets avec des entreprises , par exemple avec la signature d'un contrat de recherche partenariale ou encore la décision de participer à une co-maturation. Les retombées de premiers transferts réussis peuvent ainsi s'avérer considérables pour la recherche publique.

Par ailleurs, le succès d'une SATT doit également s'analyser au regard de son action au sein de l'écosystème global de la valorisation et de l'innovation , en fonction des entreprises et des emplois créés. À ce titre, il convient de noter que les SATT sont caractérisées par un ancrage territorial fort, qui les éloigne d'autres modèles de structures de valorisation développées dans le monde, lesquelles travaillent avec des entreprises indépendamment de leur origine et en recherchant le meilleur accès au marché pour le projet (« pass to market »).

À Oxford, la valorisation des résultats de recherche de l'université ne s'insère aucunement dans un projet plus large de développement de l'activité économique et de création d'emplois dans la région. Pour autant, il a été expliqué à votre rapporteur spécial qu'en créant le plus de spin-outs possibles issus de l'université sur le territoire, la filiale de valorisation s'efforçait, en pratique, de développer de la « valeur économique » directe pour la région.

2. Quel avenir à moyen ou long terme pour les SATT qui ne parviendraient pas à obtenir un équilibre financier et manqueraient de ressources pour poursuivre leur activité ?

Au regard des éléments dont nous disposons à l'heure actuelle, plusieurs questions se posent : quel devrait être l'avenir des SATT si elles ne parviennent pas à répondre aux exigences de résultats ? Quel financement leur assurer si, à terme, elles n'atteignent pas l'équilibre financier ? Quelle solution pour les moins performantes ? Faut-il les maintenir à tout prix ou bien les faire évoluer voire envisager des alternatives sur les territoires qu'elles couvrent ?

Comme indiqué supra , il est désormais acquis que les SATT qui obtiendraient de bons résultats en termes d'activité et de performance, sans pour autant parvenir à un équilibre financier au terme de dix années d'activité, devraient disposer d'une période supplémentaire pour atteindre cet objectif .

En outre, la mise en place des SATT a été plus lente que prévue initialement et les dépenses , notamment pour le financement de la maturation, ont été généralement moins élevées qu'annoncées dans les business plans . Dès lors, le financement du PIA 1 devrait permettre de couvrir l'activité des SATT pour une période plus longue que dix ans, probablement une quinzaine d'années selon une estimation avancée devant votre rapporteur spécial.

En outre, le gouvernement précédent a prévu, dans le cadre du troisième PIA (PIA 3) issu de l'article 134 de la loi de finances initiale pour 2017, une enveloppe de 200 millions d'euros , au sein de l'action « accélération du développement des écosystèmes d'innovation performants » 32 ( * ) , consacrés à « asseoir dans la durée, au-delà des années de financement prévues dans le cadre du PIA 1, les SATT dans leur mission de maturation des inventions issues des laboratoires de recherche, c'est-à-dire valider la preuve de concept, faire des travaux de changement d'échelle [...], analyser le marché potentiel et la concurrence, notamment en matière de liberté d'exploitation et de propriété intellectuelle . »

Ainsi, les SATT les plus performantes devraient disposer de ressources supplémentaires pour la période 2018-2025, en étant mises en concurrence dans le cadre d'un appel à projets et d'une sélection opérée par un jury. Les modalités concrètes de détermination de la répartition de cette enveloppe ne sont toutefois pas encore connues, un avenant à la convention de mise en oeuvre du PIA devant être pris à cet effet.

Toutefois, le Gouvernement nommé en juin dernier a annoncé, dans son rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques, que le PIA 3 pourrait être remis en cause, une articulation étant « à définir avec le plan d'investissement » annoncé pendant la campagne présidentielle par Emmanuel Macron et dont la préparation a depuis été confiée à Jean Pisani-Ferry. Le PIA 3 et le nouveau plan d'investissement devraient ainsi être fusionnés, ce qui conduirait probablement à revenir sur certains investissements d'avenir. Pour mémoire, seuls 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement étaient inscrits pour ce troisième volet du PIA dans la loi de finances initiale pour 2017, sans aucun crédit de paiement associé 33 ( * ) .

Au-delà de la question de l'avenir de cette « rallonge » financière accordée aux SATT les plus performantes, aucune solution de financement ne semble pour l'heure envisagée pour les structures qui n'entreraient pas dans cette catégorie . Dès lors, la question des modalités de leur maintien et de la poursuite de leur action est posée à plus long terme, une fois que l'enveloppe du PIA 1 aura été utilisée.

Au Royaume-Uni, seuls 3 des 14 fonds de maturation mis en place au début des années 2000 ont été en mesure de perdurer, parmi lesquels celui d'Oxford. Cela met en évidence la difficulté pour ce type de dispositif de parvenir à un niveau de retour sur investissement suffisamment important pour poursuivre leur action sans argent « frais » supplémentaire.

Recommandation n° 14 : S'agissant de l'avenir des SATT à plus long terme, mener une réflexion, au niveau du comité de pilotage et du Commissariat général à l'investissement, sur l'avenir des SATT d'ici à la fin du financement par le PIA et envisager les solutions possibles dans le cas où elles ne pourraient poursuivre leur activité sans enveloppe supplémentaire.

Concernant les modalités de financement des SATT, votre rapporteur spécial s'est étonné de la possibilité offerte à ces structures de bénéficier du crédit d'impôt recherche (CIR) .

Si, d'un point de vue légal, les analyses réalisées, notamment par le ministère des finances, semblent justifier cette pratique, il convient tout de même de rappeler que ces sociétés cumulent à la fois un financement direct déjà très largement public et le bénéfice de dépenses fiscales loin d'être anodines pour certaines structures (par exemple, plus d'un million d'euros de CIR pour l'une des SATT).

Sans remettre en cause le bénéfice du CIR aux SATT, qui permet de réduire considérablement la perte enregistrée au niveau du compte de résultat de ces structures, votre rapporteur spécial ne peut toutefois que s'interroger sur cette pratique particulière pour un crédit d'impôt réservé aux sociétés privées . Il est évident que le CIR n'était pas prévu initialement pour couvrir ces cas de figure.

Dans une moindre mesure, la même remarque pourrait être formulée sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Recommandation n° 15 : S'interroger sur la possibilité offerte aux SATT de bénéficier du crédit d'impôt recherche (CIR) en leur qualité de sociétés privées, même si leurs financements sont très largement publics.

3. Accepter de revenir sur la couverture de l'ensemble du territoire national et développer des dispositifs plus légers et adaptés

Pour la mise en oeuvre du PIA, le Gouvernement a fait le choix d'une présence des SATT couvrant la quasi-totalité du territoire national et qui mérite d'être évaluée après quelques années d'exercice .

Si cette décision se comprend dans l'optique de tenir compte du potentiel de l'ensemble des laboratoires de recherche et d'assurer une certaine « masse critique » pour les SATT créées, l'éclatement géographique des établissements actionnaires parfois constaté rend plus difficile , comme indiqué supra , à la fois l' affectio societatis et l'intégration des SATT dans leur écosystème ainsi que, par la suite, la production de résultats satisfaisants .

Des dispositifs moins ambitieux et de plus petite échelle , tendant à favoriser le transfert de technologies et pour lesquels des moyens suffisants auraient été accordés afin de financer la maturation, auraient probablement pu être mis en place .

Rejoignant ainsi l'analyse déjà développée dans de précédents rapports, y compris par la Cour des comptes, votre rapporteur spécial considère qu'il aurait probablement pu être décidé de ne développer que quelques SATT dans un premier temps, dans le cadre d'une expérimentation, voire de confier la dépense de maturation à des services de valorisation déjà performants et existants plutôt que de créer de nouvelles structures dont les effectifs sont désormais loin d'être négligeables .

Toutefois, compte tenu des sommes désormais investies dans les SATT, il faut essayer de leur donner toutes leurs chances et de transformer l'essai, tout en envisageant aussi de revenir sur l'existence de ces sociétés lorsqu'elles ne fonctionnent pas .

Il faut ainsi prévoir des solutions alternatives, en optant pour des structures plus souples et plus légères qui reposeraient par exemple sur celles déjà présentes dans les universités ou d'autres établissements accueillant des laboratoires de recherche.

Pour la Normandie , seule région (hors départements et collectivités d'outre-mer) qui n'était pas couverte par une SATT, le Gouvernement a décidé de lancer une expérimentation sur deux ans (2017-2018), en finançant la maturation et la « preuve de concept » et en s'appuyant sur le service de valorisation présent au sein de la COMUE. Le PIA 3 prévoit un financement complémentaire pour soutenir ce dispositif (au sein de l'action « Nouveaux écosystèmes d'innovation » du programme 422 « Valorisation de la recherche »).

Votre rapporteur spécial trouve très intéressant la solution déployée en Normandie, qui permet de financer la maturation et de renforcer le transfert de technologies , notamment la protection de la propriété intellectuelle, sans création de nouvelle structure . Certes, le financement accordé reste plus limité, avec un million d'euros par an alloué dans le cadre de la contractualisation, mais il devrait permettre au service de valorisation de développer utilement son activité.

Cette solution pourrait être opportunément retenue lorsque l'implantation durable des SATT n'est pas assurée et que leur maintien paraît compromis. Il conviendrait alors de trouver des solutions plus modestes au sein de chaque établissement ou regroupement d'établissements.

Afin que ces dispositifs de valorisation plus restreints puissent agir efficacement et garantir un service de qualité pour les projets soutenus, il pourrait également être prévu qu'ils puissent faire appel aux SATT des autres territoires, en tant que de besoin, pour des questions spécifiques et nécessitant une expertise plus approfondie , par exemple en matière de propriété intellectuelle sur un domaine précis. Cela pourrait alors prendre la forme de prestations rémunérées.

Recommandation n° 16 : En remplacement des SATT qui ne fonctionneraient pas et ne parviendraient pas à développer efficacement leur activité, notamment en raison de la couverture d'un territoire trop important, créer des structures plus légères reposant directement sur les établissements universitaires - par exemple, au niveau d'une COMUE, d'un regroupement d'établissements - et faire appel à d'autres SATT en tant que de besoin, par exemple pour des questions de propriété intellectuelle spécifiques à un domaine.

Il convient également de mentionner le fait que le Gouvernement a acté, en juin dernier, le soutien financier du dispositif de valorisation développé par Paris Sciences et Lettres (PSL), indépendamment de l'activité des SATT existant sur le territoire francilien .

Prévu pour un an avec évaluation à l'issue de cette période, il doit permettre d'identifier et d'aider les projets valorisables à se concrétiser, avec l'idée qu'il existerait un potentiel sous-exploité au sein de cette université qui regroupe de très grands établissements et tout en s'adaptant au modèle spécifiquement développé au sein de l'école spécialisée de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESCPI), notamment sous l'effet de l'activité du professeur Jacques Lewiner et très en pointe dans la création de start-ups.

La mise en place de dispositifs de valorisation resserrés sur des établissements à fort potentiel et permettant de s'adapter à leurs problématiques spécifiques constitue une piste également intéressante . Cela rejoint d'ailleurs ce qui a été mis en place initialement à Oxford, même si Oxford University Innovation développe également son action auprès d'établissements du monde entier au sein d'une filiale spécifique. Cela met aussi en évidence les limites de l'activité des SATT lorsqu'elles recouvrent un nombre trop important d'établissements et de laboratoires.


* 31 Extrait du rapport précité, op. cit. : « Même si les expériences américaines et britanniques prouvent le contraire, beaucoup de personnes impliquées dans l'élaboration de la politique publique d'innovation en France continuent de croire que l'impact des universités sur l'économie se mesure aux bénéfices qu'elles peuvent tirer de l'octroi de licences pour des brevets et à leur capacité à obtenir une rentabilité rapide (10 ans). En fait, on ne trouve cette rapidité de résultat nulle part au monde. »

* 32 D'après le projet annuel de performances de la mission « Investissements d'avenir », annexé au projet de loi de finances pour 2017, l'action « accélération du développement des écosystèmes d'innovation performants » relève du programme 422 « Valorisation de la recherche » et serait doté de 620 millions d'euros.

* 33 Annexe 18 au rapport général n° 140 (2016-2017) d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances.

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