C. AU-DELÀ DES SATT, DES FREINS RESTENT À LEVER POUR FAVORISER LA VALORISATION
1. Les relations entre les chercheurs et les entreprises peuvent encore être améliorées
a) Développer davantage la culture de la valorisation
Les efforts engagés dans le développement des relations entre la recherche publique et le secteur économique doivent être poursuivis. Chercheurs et entrepreneurs doivent davantage se connaître, être connectés et collaborer.
Or, une partie des chercheurs demeure réfractaire à la valorisation de leurs recherches , considérant que leur activité, notamment dans le domaine de la recherche fondamentale, n'a pas pour finalité d'être acquise par une entreprise ou d'aboutir à la création d'une start-up.
Pourtant, comme Hagan Bayley, professeur à l'université d'Oxford, l'a affirmé lors de son entretien avec votre rapporteur spécial, il n'y a généralement pas d'innovation sans recherche fondamentale par laquelle tout commence (« No basic science, no innovation »).
En outre, les chercheurs souhaitent conserver du temps pour mener à bien leurs projets . Or, la valorisation représente à leurs yeux une activité chronophage, d'autant plus que les procédures formalisées par les SATT leur semblent longues et complexes.
Les chercheurs en France peuvent également avoir la crainte de l'échec , contrairement à ceux d'autres pays comme les États-Unis où il n'est pas rare d'arrêter un ou plusieurs projets avant d'en relancer un nouveau, sans que cela ne soit mal perçu.
Par ailleurs, il convient de rappeler que l'évolution de leur carrière repose surtout sur leurs publications . La valorisation de leurs résultats de recherche n'est dès lors pas essentielle et un important travail de sensibilisation est parfois nécessaire simplement pour les inciter à déposer un brevet.
Cette différence de « culture » par rapport à d'autres pays, par exemple le Royaume-Uni, où votre rapporteur spécial a eu l'occasion de se déplacer ou, de façon plus prégnante encore, aux États-Unis, pèse manifestement sur le développement de la valorisation en France.
Du côté du monde économique, les chefs d'entreprises, notamment des PME et ETI pourtant en recherche d'innovation, ne sont pas familiarisés avec les laboratoires publics.
Ce constat partagé par un certain nombre de personnes entendues dans le cadre des auditions et déplacements, ne contredit pas non plus le discours développé par certains selon lequel d'importantes évolutions ont déjà été opérées et que les chercheurs connaissent mieux les enjeux du transfert de technologies et le monde de l'entreprise. Des améliorations sont encore possibles.
Le développement de la culture de la valorisation peut notamment passer par des rencontres entre chercheurs et représentants d'entreprises , par exemple en organisant des événements dans les laboratoires qui favorisent la découverte de leurs potentiels par le secteur économique de leur territoire.
Des actions de sensibilisation auprès des chercheurs doivent également être conduites , notamment dans le cadre des modules de formation d'ores et déjà développés dans certains cursus. Il importe aussi de communiquer sur les plus belles réussites réalisées sur certains projets afin de susciter l'envie d'autres chercheurs, à l'exemple du « Book des réussites 2016 » élaboré à l'occasion de la Convention nationale du Réseau SATT.
Recommandation n° 17 : Déployer des actions de sensibilisation auprès des laboratoires et des entreprises, notamment en organisant des rencontres au sein des laboratoires et en présentant des « success stories », afin d'encourager la valorisation des résultats de la recherche publique et de lutter contre la méconnaissance voire les réticences de certains chercheurs. |
b) Simplifier le paysage de la valorisation et de l'innovation
Afin d'éviter de dissuader les entreprises et les chercheurs de se tourner vers le transfert de technologies, le paysage de la valorisation et de l'innovation mériterait d'être simplifié.
En effet, comme démontré supra , les SATT ne sont notamment pas réellement parvenues à devenir un « guichet unique » du transfert de technologies, tandis qu'un grand nombre de structures de valorisation se concentraient souvent sur un même territoire. Depuis, notamment sous l'effet du PIA, de nouveaux outils ont, en outre, été créés.
Dès lors, le paysage national de la valorisation et de l'innovation reste caractérisé par un manque de lisibilité et une profusion d'acteurs, comme le schéma ci-contre en témoigne.
N.B. : Ne figurent pas sur ce schéma toutes les structures de valorisation, à l'instar du CEA et de ses PRTT.
Source : ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche
Positionnement des différents acteurs dans le paysage de la valorisation
Cette complexité et cette profusion peuvent être contre-productives et freiner la progression des relations entre les laboratoires et le secteur économique. De nombreuses personnes entendues lors des auditions et déplacements de votre rapporteur spécial ont mentionné ces difficultés.
C'est pourquoi une simplification du paysage de la valorisation et de l'innovation serait la bienvenue, à travers une rationalisation des structures existantes et une meilleure articulation entre les différents dispositifs, notamment créés par le PIA.
Recommandation n° 18 : Simplifier et rationaliser le paysage de la valorisation et de l'innovation. |
2. La question du partage de la propriété intellectuelle reste cruciale
Tel que constaté supra , les négociations afférant au partage de la propriété intellectuelle sont encore trop souvent sources de longueurs et d'incertitudes, préjudiciables au succès de la valorisation des projets .
Certains projets valorisés sont ainsi retardés voire ajournés faute d'accords entre les différentes entités.
La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a certes permis une avancée avec la désignation du mandataire unique . Tel que le précise un décret du 16 décembre 2014 34 ( * ) , ce mandataire est désigné dès la déclaration d'invention par les copropriétaires, et est chargé de la gestion, de l'exploitation et de la négociation du titre en vue de son transfert.
Des représentants de SATT entendus par votre rapporteur soulignaient toutefois que des blocages subsistaient et que la possibilité du mandataire unique était encore sous-exploitée .
Afin d'éviter ces retards et d'améliorer les conditions de transfert, notamment des projets d'unités mixtes de recherche, l'une des pistes évoquée consistait à prévoir que les positions respectives de chacun soient clarifiées au plus tôt en termes de partage de copropriété, avant même le développement d'un projet.
Ces questions de copropriété sont proprement issues du système de recherche français, comme votre rapporteur spécial a pu le constater à Oxford, où ce type de problématique n'existe pas.
Recommandation n° 19 : Faciliter le partage de copropriété entre les établissements et les organismes de recherche dans le cadre des projets issus des unités mixtes de recherche. |
3. Maintenir les efforts pour que les projets aboutissant à des licences ou à la création de start-ups conduisent à de véritables réussites
La décision d'opérer un transfert par voie de licence ou de start-up doit se fonder sur les perspectives de réussite à long terme du projet, permettant par là-même de garantir un retour sur investissement.
Répartition des transferts réalisés : licences ou start-ups
(Nombre total depuis 2012)
Source: commission des finances du Sénat, données transmises par les SATT, juillet 2017
La création de start-up ne représente pas toujours la solution la plus optimale . Bien que séduisante, elle est également plus risquée et les retombées économiques sont souvent plus lentes à venir.
La réussite d'une start-up implique :
- que sa création soit pleinement justifiée, en permettant le développement d'un produit qui bénéficie d'un vrai marché identifié ;
- la constitution d'une équipe, dans l'idéal pilotée par une personne ayant une bonne connaissance de l'entreprise et pas uniquement constituée de chercheurs. À ce titre, il est intéressant de noter qu'à Oxford, la structure de valorisation s'efforce de « recycler » des entrepreneurs ayant de l'expérience lors de la création de nouvelles spin-outs ;
- le soutien de l'écosystème entourant le projet.
Ainsi, au moment de la phase de commercialisation, la création de la start-up ne doit pas nécessairement être privilégiée. Il convient de s'appuyer avant tout sur le tissu économique existant , par la concession de licence, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME) en quête d'innovation.
À l'occasion du présent contrôle, votre rapporteur spécial a pu également constater que les jeunes entreprises nouvellement créées peinaient souvent à trouver des investisseurs dans leurs premières phases de développement , en particulier au moment de la deuxième levée de fonds.
Afin que les efforts fournis en termes de valorisation s'avèrent réellement productifs et que les projets soutenus soient de véritables réussites, il convient de sécuriser davantage leur financement. Votre rapporteur spécial a été frappé à Oxford par les moyens financiers disponibles pour soutenir la création des spin-outs issues de l'université, essentiellement par le biais de fonds privés.
Recommandation n° 20 : Afin que les efforts fournis en termes de valorisation portent leurs fruits et se concrétisent par le développement d'une réelle activité économique : - maintenir le principe selon lequel la création de start-up ne doit pas constituer une solution systématiquement privilégiée et déterminer pour chaque projet le moyen le plus adapté pour le valoriser ; - s'appuyer sur le tissu économique existant, en particulier les PME en quête d'innovation pour leur développement ; - sécuriser le financement des jeunes entreprises nouvellement créées, en particulier dans leurs premières phases de développement. |
* 34 Décret n° 2014-1518 du 16 décembre 2014 relatif au mode de désignation et aux missions du mandataire prévu à l'article L. 533-1 du code de la recherche.