C. ... ET ELLES RENCONTRENT ENCORE DES OBSTACLES À LEUR EFFICACITÉ
1. Des conditions pour la réussite des SATT qui ne sont pas toujours remplies
Toutes les SATT ne remplissent pas les conditions nécessaires à leur réussite.
a) Un affectio societatis fort
Tout d'abord, la SATT doit pouvoir s'appuyer sur un affectio societatis fort . Il faut ainsi que les actionnaires soient convaincus de l'utilité de la structure, jouent le jeu de lui confier la gestion de leurs brevets et plus globalement leurs projets à valoriser. Ils doivent également partager l'envie de travailler ensemble.
Cet affectio societatis est d'autant plus aisé à obtenir que la SATT exerce ses compétences sur un territoire suffisamment resserré, où les différents établissements actionnaires ou partenaires ont l'habitude de travailler ensemble.
Or, certaines structures ont été créées sur plusieurs régions, afin de couvrir la quasi-totalité du territoire national avec ces 14 entités et aussi pour obtenir une certaine « masse critique » en termes de projets valorisables.
Plusieurs SATT, notamment de la vague C, semblent rencontrer, à ce titre, d'importantes difficultés, l' affectio societatis paraissant notamment faible pour les SATT Grand Centre et Grand Est, même si, pour cette dernière, une évolution plus favorable a pu être constatée, notamment sous l'impulsion de sa nouvelle présidente. Il en est de même pour la SATT Pulsalys, ce qui paraît d'autant plus dommageable qu'elle dispose d'un vivier de chercheurs et de laboratoires considérable permettant d'espérer, en principe, de bons résultats en termes de valorisation.
Le développement de l'activité des SATT pour la valorisation des projets des organismes de recherche reste aussi inégal , selon les entités et les territoires concernés.
Les difficultés initialement rencontrées par les SATT dans leurs relations avec le CNRS, semblent ainsi largement résolues, même s'il reste parfois quelques points d'achoppement. En effet, la répartition des projets entre les SATT et la filiale du CNRS, notamment à partir de l'interprétation des domaines « focalisés d'expertise nationale », n'est pas toujours évidente et crée des difficultés sur certains territoires.
Il n'en va pas de même pour d'autres opérateurs nationaux, notamment l'INSERM, qui s'est par exemple retiré du capital d'une SATT, pour cause de mésentente au sujet de l'interprétation de la « convention bénéficiaire ». Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de cet organisme ont indiqué qu'une application « souple » de la « convention bénéficiaire » et du principe d'exclusivité de la gestion de la valorisation permettrait de favoriser leurs relations. Il s'agirait ainsi de déterminer « au cas par cas » les projets pour lesquels INSERM Transfert serait un opérateur plus adapté pour la valorisation, en particulier lorsqu'ils ont une dimension nationale.
Concernant le CEA, aucun nouveau partenariat ne semble envisagé à l'heure actuelle et ne pourra probablement l'être sans que soit remis en cause le mandat exclusif confié à la SATT pour la valorisation des projets de ses partenaires (comme c'est le cas pour Linksium et Paris Saclay).
Le CEA pourrait même entrer en concurrence avec les SATT, avec le lancement de ses propres structures de valorisation régionales , les plateformes régionales de transfert de technologies (PRTT) .
L'expérimentation de ces PRTT a été annoncée dès octobre 2012, soit neuf mois après la création des premières SATT. Les quatre premières plateformes ont vu le jour dès le début de l'année 2013, en Midi-Pyrénées, Pays-de-la-Loire, Aquitaine et Provence-Alpes-Côte-d'Azur, quatre régions où des SATT venaient d'être créées. Après cette première vague, deux autres PRTT ont ouvert à Metz fin 2013 et à Lille début 2016 29 ( * ) .
Si ces plateformes s'orientent davantage vers la recherche partenariale que la maturation, elles interviennent globalement dans le transfert de technologies. Les thématiques prioritaires des SATT et les domaines de recherche du CEA ne se recoupent pas nécessairement non plus mais cela concerne tout de même un vivier potentiellement important.
Pour autant, le risque de concurrence existe pour un nombre important de projets.
b) L'intégration dans un écosystème cohérent
L a SATT doit pouvoir s'intégrer dans un écosystème cohérent . La réussite de la structure repose sur un travail en réseau efficace , avec l'ensemble des intervenants de la valorisation et de l'innovation.
Il peut s'agir, bien entendu, des autres structures de transfert , notamment celles maintenues au sein des organismes de recherche (FIST pour le CNRS, INSERM Transfert...), qu'elles soient ou non actionnaires de la SATT.
Cela concerne également les autres structures de valorisation potentiellement mises en place sur le territoire , en particulier par le PIA, qu'il s'agisse des instituts de recherche technologique (IRT), des instituts hospitalo-universitaires (IHU), etc . Il en est de même des incubateurs, des accélérateurs, mais aussi des pôles de compétitivité ou de l'action de Bpifrance.
Une réelle complémentarité existe souvent entre la SATT et ces différents acteurs de la valorisation mais le développement de leurs relations reste encore souvent trop limité. La SATT Sud-Est a, par exemple, conclu une convention avec le consortium de valorisation thématique CVT Valorisation Sud prévoyant, entre autres, des actions de co-maturation.
L'implantation locale de l'activité des SATT passe également par des relations soutenues avec les outils développés par les collectivités territoriales , notamment les régions.
À ce titre, il est particulièrement bienvenu que les régions et les métropoles puissent désormais être actionnaires dans les SATT , en vertu des lois n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (MATPAM) et n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Certaines régions avaient d'ailleurs déjà le statut d'observateur et apportaient leur financement, notamment en faisant bénéficier la SATT de fonds européens.
Par ailleurs, en pratique, la montée en puissance des SATT a été d'autant plus facile qu'elle s'est appuyée sur un ancien dispositif de valorisation, en particulier un DMTT ayant déjà développé des compétences en termes de transfert et créé des liens avec l'écosystème l'entourant . Il n'est pas étonnant que la SATT Conectus parvienne ainsi à se développer efficacement depuis sa création et soit souvent présentée comme un exemple réussi de SATT. Le DMTT dont elle est issue figurait déjà parmi les plus développés et efficaces. Certains observateurs ne manquent d'ailleurs pas de s'interroger sur l'utilité de créer une SATT là où une structure préexistante fonctionnait bien.
En tout état de cause, certaines SATT connaissent encore des difficultés à faire émerger leur activité et à s'imposer dans le paysage de la valorisation du territoire sur lequel elles interviennent . Ce sont généralement les mêmes qui rencontrent également des difficultés organisationnelles au sein même de leurs structures et ont connu des changements rapides de présidence.
c) Un président incontesté, indépendant et connaissant suffisamment le fonctionnement de l'entreprise privée
La SATT doit être dirigée par un président incontesté, indépendant et connaissant suffisamment le fonctionnement d'une entreprise privée . Il doit pouvoir s'imposer auprès des actionnaires tout en collaborant efficacement avec eux. Idéalement, il devrait avoir exercé une compétence au sein d'une activité commerciale ou industrielle, dans le secteur privé, lui permettant d'avoir une connaissance précise et concrète de conditions de développement de l'innovation dans ce secteur.
Au cours des premières années de création de SATT, d'importants mouvements ont affecté les postes de présidents, engendrant une dépense de plus de 400 000 euros au total, selon les éléments dont dispose votre rapporteur spécial. Les changements rapides de présidence ont d'ailleurs été constatés, principalement dans les SATT qui ont rencontré des difficultés de mise en place et qui ont tardé à obtenir des résultats.
L'absence ou les changements fréquents de présidents ont aussi pu directement affecter les résultats de la SATT concernée, en déstabilisant l'organisation, en ralentissant voire en décalant certains projets et en créant ainsi un certain « temps de flottement » néfaste à l'activité de la structure.
Certains intervenants ont également indiqué qu'afin d'attirer davantage les candidatures de personnalités reconnues dans le secteur de la valorisation, il pourrait être utile de revoir à la marge la grille de rémunération des présidents de SATT, en permettant par exemple d'y déroger en augmentant la part variable (au cas par cas).
2. Des structures aux procédures encore perçues comme complexes et longues
Il est normal que le temps de maturation puisse être relativement long pour les projets qui le nécessitent. Pour autant, il n'est pas souhaitable qu'une SATT , qui a pour vocation d'accélérer le transfert de technologies, puisse, par son fonctionnement et son organisation, ralentir le processus . Au contraire, elle doit être réactive et faciliter la valorisation en offrant un soutien efficace et rapide aux chercheurs.
À l'occasion de ses auditions et déplacements, votre rapporteur spécial a constaté que, malgré les efforts de ces structures, celles-ci ont développé des procédures encore perçues comme complexes et longues par certains chercheurs et même des entrepreneurs et des représentants d'établissements de recherche .
En termes de délais, il apparaît, d'après les données reçues des SATT, que la durée moyenne entre la détection et le début de la maturation est de près d'un an (11,5 mois), pour un temps de maturation d'environ 20 mois.
Durée des différentes opérations de transfert au sein des SATT
(en mois)
SATT |
Temps moyen entre la détection et le début de la maturation |
Temps moyen de la maturation |
Temps moyen entre le dépôt du titre de propriété intellectuelle et le transfert |
En mois sur toute la période |
En mois sur toute la période |
En mois sur toute la période |
|
Vague A |
12 |
24 |
20 |
Vague B |
13,9 |
17,3 |
25,7 |
Vague C |
8,5 |
17,6 |
24 |
Total des 14 SATT |
11,5 |
20 |
21 |
Nb : les différentes durées correspondent à une moyenne sur la période considérée, à savoir de la création de la SATT au 1 er juillet 2017.
Source : commission des finances, d'après les données transmises par les SATT, juillet 2017
Ainsi, en France, les dossiers demandés par les SATT en vue du comité d'investissement sont généralement très épais et demandent de nombreux détails . Au contraire, votre rapporteur spécial a été séduit par le fait qu'à Oxford, le formulaire pour demander un financement de maturation à la filiale de valorisation Oxford University Innovation ne fait que quatre pages, avec une brève description de la technologie proposée, la démonstration de son caractère innovant et un présentation du marché potentiel. De même, le comité de sélection dispose d'un dossier « léger », lui permettant d'aller à l'essentiel.
Certaines SATT rencontrent aussi, parfois, des difficultés pour réunir leur comité d'investissement . En effet, la plupart des membres du comité d'investissement travaillent en dehors du territoire d'implantation de la SATT, afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Dès lors, il n'est pas toujours aisé de les réunir au siège de la SATT.
Pour remédier à ce problème, la SATT Nord a, par exemple, choisi de doubler l'effectif de son comité, le portant de 7 à 15, permettant ainsi d'augmenter le flux de projets examinables par réunion et d'accélérer ainsi la phase transitoire avant la maturation des projets.
La procédure de sélection des projets de maturation et de transfert peut se caractériser par de nombreuses étapes, avant et après la réunion du comité d'investissement . Par exemple, une fois que ce dernier a pris sa décision, celle-ci doit encore être validée, par le président ou le conseil d'administration (selon les montants concernés). Au contraire, à Oxford, le comité d'investissement ne se réunit que quatre fois par an mais une fois qu'il a pris position, elle n'a plus à être validée, ni par le président ou le conseil d'administration. En outre, deux semaines plus tard, le versement de l'aide est effectif. De même, l'exemple de certaines structures de valorisation en Israël a pu être cité lors des auditions, avec des prises de décision rapides pour soutenir ou non un projet.
La complexité des documents demandés et des étapes mises en place du début à la fin de la procédure peut ainsi constituer un frein important au développement de la valorisation, en décourageant le chercheur qui ne souhaite généralement pas perdre ainsi son temps.
La longueur de la procédure dans la SATT est également imputable aux difficultés susceptibles d'être rencontrées pour l'établissement du titre de propriété , en particulier dans le cas d'unités mixtes de recherche où les négociations impliquent potentiellement plusieurs universités, écoles et/ou organismes de recherche au sein d'un même laboratoire.
À Marseille, il a été indiqué que les négociations de copropriété industrielle engendraient une perte de temps de quatre mois en moyenne par projet.
La complexité et la lenteur de certaines procédures peuvent conduire certains chercheurs et directeurs de laboratoire à contourner la SATT . Ainsi en est-il notamment de certains professeurs qui peuvent décider, malgré les accords conclus avec les laboratoires, de ne pas passer par la SATT pour déposer leurs brevets. Ils ont, au contraire, recours à des cabinets privés, pour un coût souvent plus élevé mais leur permettant de gagner du temps.
Votre rapporteur spécial comprend toutefois la démarche susceptible d'animer ces chercheurs qui, souvent, ont une certaine renommée et surtout une expérience et une connaissance du marché leur permettant de disposer d'une liberté plus grande et de s'affranchir de certains dispositifs qui ne leur sont pas nécessairement utiles. Les SATT doivent avant tout se rendre indispensables pour tous les autres laboratoires qui, aujourd'hui, rencontrent des difficultés à valoriser leurs résultats .
* 29 Site internet du CEA, « CEA Tech en région ».