C. CONSOLIDER LA PRISE EN CHARGE JUDICIAIRE DES MINEURS ENGAGÉS DANS UN PROCESSUS DE RADICALISATION

Dès lors qu'ils sont à l'origine de faits relevant d'une qualification terroriste ou qu'ils sont confrontés à une situation de danger justifiant leur placement sous protection, la prise en charge des mineurs sort des simples dispositifs administratifs de prévention et relève du cadre judiciaire.

La judiciarisation croissante des situations de mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation, dans le champ pénal comme dans le champ civil, remet en question toutefois les dispositifs et outils socio-éducatifs de droit commun.

La complexité des situations de radicalisation, notamment chez les populations mineures, incite les pouvoirs publics à faire preuve d'innovation et à adapter, parallèlement au développement des mécanismes de prévention, de nouvelles modalités de prise en charge.

1. Le traitement des mineurs radicalisés sous main de justice : adapter la réponse pénale et perfectionner les dispositifs de prise en charge

L'augmentation du nombre de mineurs poursuivis pour des infractions terroristes, variant du délit d'apologie de crimes terroristes au crime d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste, confronte les autorités judiciaires et les services de la protection judiciaire de la jeunesse à un défi majeur.

Face à ce public spécifique, la réponse oscille, non sans une certaine ambiguïté, entre une prise en charge par les dispositifs de droit commun et la création de dispositifs et d'actions dédiés.

a) Une augmentation préoccupante du nombre de mineurs suivis dans un cadre pénal pour des faits de radicalisation

Après les attentats de 2015, et dans un contexte de judiciarisation croissante des tentatives de départ en Syrie et des faits d'apologie du terrorisme, le nombre de mineurs poursuivis pour des infractions terroristes a sensiblement augmenté.

Selon les dernières statistiques communiquées à vos rapporteures par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, au 1 er avril 2017, 58 mineurs avaient été déférés, depuis 2012, devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste , dont 9 avaient d'ores et déjà été jugés par le tribunal pour enfants de Paris et 49 faisaient encore l'objet d'une mise en examen. Actuellement, 32 de ces individus sont encore mineurs.

Les outils statistiques du ministère de la justice ne permettent pas de disposer de statistiques récentes s'agissant des mineurs poursuivis pour d'autres infractions terroristes. Selon le dernier recensement effectué par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, 178 mineurs avaient été poursuivis, au 1 er août 2016, pour des infractions terroristes , dont 110 pour apologie du terrorisme, 35 pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste, 23 pour une infraction à caractère raciste en lien avec les attentats et 4 pour infraction à la loi n° 2010-1192 du 10 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

Au-delà, un nombre croissant de mineurs pris en charge dans un cadre pénal pour des infractions autres que terroristes fait l'objet d'un suivi spécifique en raison de signes de radicalisation. Au 1 er juillet 2016, la DPJJ recensait 364 mineurs d'ores et déjà pris en charge par les services de la PJJ et signalés aux magistrats en raison d'éléments objectifs et inquiétants pouvant indiquer leur entrée dans un processus de radicalisation.

Bien que leur nombre ait connu une forte augmentation, les mineurs radicalisés ne représentent qu'une infime part de l'ensemble de la population suivie par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, inférieure à 2 %. La médiatisation du phénomène de radicalisation et les peurs qu'elle a pu engendrer en ont toutefois fait un défi conséquent pour les professionnels.

b) Adapter le contenu de la réponse pénale à la situation des mineurs

La spécificité de la justice pénale des mineurs tient à ce qu'elle ne sépare pas la sanction de la réponse éducative et à ce qu'elle s'attache à promouvoir une prise en charge globale de l'enfant. La primauté accordée à l'éducation plutôt qu'à la répression, avec un objectif permanent de réinsertion, se situe au fondement de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Dans le contexte sécuritaire que connait notre pays depuis deux ans, l'engagement de mineurs dans les filières djihadistes et leur participation à des actes terroristes tendent nécessairement à interroger ces principes. Si les affaires de mineurs poursuivis pour des infractions terroristes mineures ne paraissent pas heurter le cadre traditionnel des réponses, le débat est en revanche plus vif s'agissant de la réponse pénale à apporter aux situations de mineurs poursuivis pour délit ou crime d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste.

Selon les informations communiquées à vos rapporteures lors de leurs travaux, la section anti-terroriste du parquet de Paris, auprès de laquelle sont centralisés les dossiers terroristes 48 ( * ) , tend à requérir, notamment en phase d'instruction, l'incarcération des individus poursuivis pour des infractions terroristes, y compris lorsqu'il s'agit de mineurs.

La procédure de l'information judiciaire pour les personnes mineures

En vertu de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, qui définit l'ensemble des règles spécifiques à la justice des mineurs, les mineurs âgés de plus de 13 ans mis en examen peuvent, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sureté, être placés sous contrôle judiciaire (article 10-2 de l'ordonnance). Outre les obligations générales prévues à l'article 138 du code de procédure pénale, le contrôle judiciaire ordonné à l'égard d'un mineur peut être assorti :

- d'une obligation de se soumettre à des mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation confiées à un service de la protection judiciaire de la jeunesse ;

- d'une obligation de respecter les conditions d'un placement dans un centre éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment dans un centre éducatif fermé ;

- d'une obligation d'accomplir un stage de formation civique ;

- d'une obligation de suivre de façon régulière une scolarité ou une formation professionnelle.

Les mineurs âgés de plus de 16 ans peuvent également être placés sous assignation à résidence avec surveillance électronique lorsqu'ils encourent une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans (article 10-3 de l'ordonnance).

À titre exceptionnel, les mineurs âgés de plus de 13 ans peuvent être placés par le juge des libertés et de la détention en détention provisoire lorsqu'ils encourent une peine criminelle, lorsqu'ils se sont volontairement soustraits aux obligations d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence sous surveillance électronique ou, pour les mineurs de plus de 16 ans, lorsqu'ils encourent une peine correctionnelle d'une durée supérieure ou égale à trois ans.

De même que pour les personnes majeures, la détention provisoire n'intervient qu'en dernier recours et ne peut être ordonnée que lorsque les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ne peuvent satisfaire aux exigences de l'instruction ou n'apportent pas de garanties suffisantes de sécurité.

D'après les statistiques transmises par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, sur les 32 mineurs encore mis en examen au 1 er avril 2017, 17 sont actuellement placés en détention provisoire et 15 font l'objet d'un contrôle judiciaire. Parmi ceux-ci, 9 sont placés auprès d'établissements de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment au sein de centres éducatifs fermés.

S'agissant des condamnations prononcées, seuls 9 mineurs poursuivis pour des faits d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste ont pour l'heure été jugés par le tribunal pour enfant de Paris. Tous ont été condamnés à une peine d'emprisonnement, le cas échéant assortie partiellement et, dans deux cas seulement, totalement, d'un sursis simple ou d'un sursis avec mise à l'épreuve. 8 de ces 9 individus ont été jugés alors qu'ils étaient devenus majeurs.

Plusieurs personnes entendues par vos rapporteures au cours de leurs travaux se sont interrogées sur la pertinence du placement en détention de mineurs entrés dans un processus de radicalisation. Comme le relevait M. Dominique Simon, directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse d'Ile-de-France et d'Outre-Mer, l'incarcération est susceptible d'avoir des effets contre-productifs et de contribuer à exacerber le processus d'endoctrinement.

Si les magistrats sont les seuls à même d'apprécier, en fonction des situations, l'opportunité de la réponse judiciaire et, le cas échéant, du placement en détention, vos rapporteures partagent l'idée que le développement du recours aux alternatives à l'incarcération , notamment dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire, pourrait faciliter la mise en place d'un suivi socio-éducatif renforcé des mineurs, dans une perspective de sortie de la radicalisation, tout en évitant la stigmatisation dont l'incarcération peut être porteuse. La multiplicité des raisons de l'embrigadement et de l'endoctrinement font que les remèdes à la sortie de la radicalisation requièrent des réponses multiples, qui ne peut reposer que sur une approche répressive.

Les centres éducatifs fermés de la protection judiciaire de la jeunesse sont d'ores et déjà mobilisés pour accueillir des mineurs radicalisés ou poursuivis pour des actes de terrorisme 49 ( * ) . D'autres expériences, conduites au niveau territorial, mériteraient d'être développées à plus grande échelle. La direction interrégionale Ile-de-France/Outre-Mer expérimente par exemple en Seine-Saint-Denis, depuis décembre 2016, la mise en place d' « appartements éducatifs » , en collaboration avec l'association Concorde. Ce nouveau dispositif de prise en charge prévoit le placement du mineur, seul, dans un appartement, avec la présence constante d'un éducateur, assisté d'un thérapeute. À ce jour, trois mineurs mis en examen pour des faits de terrorisme sont placés dans le cadre de ce dispositif. Bien que le recul soit insuffisant pour évaluer le dispositif, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse de même les magistrats de la section anti-terroriste du parquet de Paris ont indiqué à vos rapporteures que les premiers résultats se révélaient très positifs, notamment du fait d'une prise en charge totalement individualisée et personnalisée.

Proposition n° 6 : Encourager le développement de dispositifs de placement innovants pour les mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation et placés sous main de justice.

c) Poursuivre l'adaptation des dispositifs de prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse à la situation des mineurs radicalisés
(1) Une population orientée en priorité vers les dispositifs de droit commun

Contrairement aux orientations retenues par les pouvoirs publics pour la prise en charge des majeurs radicalisés sous main de justice, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a choisi de s'appuyer sur les dispositifs de droit commun pour la prise en charge des mineurs poursuivis ou condamnés pour des faits de terrorisme, plutôt que de procéder à une spécialisation de ses établissements, de ses services et de ses personnels.

Conformément à cette orientation, les moyens complémentaires , humains comme financiers, alloués à la protection judiciaire de la jeunesse au gré des plans successifs de lutte contre le terrorisme et la radicalisation violente ont été utilisés pour renforcer les dispositifs de droit commun . Au total, les services de la protection judiciaire de la jeunesse ont bénéficié, depuis 2015, de la création de 389 emplois supplémentaires, dont 203 postes d'éducateurs, 112 postes de psychologues, 69 postes de référents laïcité et citoyenneté et 5 postes en administration centrale. La répartition de ces moyens entre les services de la PJJ a été effectuée sur la base d'une série de critères, dont le degré de présence sur les territoires de situations de radicalisation. Si elles se félicitent de l'attribution de nouveaux moyens, vos rapporteures insistent sur la nécessité de poursuivre l'effort budgétaire afin de doter la PJJ des moyens et effectifs indispensables à l'exercice de ses missions.

Le cadre réglementaire de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse rappelle que la prise en charge éducative des mineurs radicalisés doit s'appuyer sur les principes et les outils auxquels s'adossent quotidiennement les services de la protection judiciaire de la jeunesse, qui garantissent la mise en oeuvre d'une réponse individualisée et adaptée à chaque situation.

Les services d'intervention en milieu ouvert ne font ainsi l'objet d'aucune spécialisation, les professionnels étant tous amenés, dans le cadre de leurs fonctions, à assurer la prise en charge de mineurs radicalisés.

De la même manière, dans le cadre d'une détention comme dans le cadre d'un placement éducatif, le regroupement des mineurs est systématiquement écarté.

S'agissant des personnes mineures incarcérées, dans le cadre d'une détention provisoire ou à la suite d'une condamnation, il est porté une attention particulière à ne pas regrouper ni isoler les jeunes engagés dans un processus de radicalisation. Le plan présenté le 25 octobre 2016 par le garde des sceaux pour sécuriser les prisons et lutter contre la radicalisation a ainsi posé le principe d'une dispersion en groupes de 5 individus maximum par établissement pénitentiaire pour mineurs ou quartier pour mineurs.

Des places réservées à l'accueil de mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation ont par ailleurs été mobilisées au sein de 15 structures d'hébergement sur le territoire, majoritairement des centres éducatifs fermés, à raison d'une place par établissement. Ces places sont notamment mobilisées pour les mineurs déférés à la section anti-terroriste du parquet de Paris, en alternative à la détention. Selon les informations recueillies par vos rapporteures, au 1 er avril 2017, 9 de ces 15 places dédiées étaient pourvues .

Vos rapporteures ont pu constater que cette politique de prise en charge faisait l'objet d'un large consensus parmi les acteurs, professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse comme autorités judiciaires, qui identifient dans la mise en place de dispositifs dédiés des risques d'enfermement et de « stigmatisation » des mineurs engagés dans un processus de radicalisation.

Sur le plan éducatif, l'insertion des individus mineurs au sein d'un groupe de pairs apparaitrait également comme un meilleur levier pour les réinsérer dans une dynamique sociale. Les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse témoignent ainsi de l'importance de réintégrer socialement les jeunes dans le processus de sortie de l'idéologie djihadiste.

(2) Une adaptation inévitable des dispositifs à la situation spécifique des mineurs radicalisés

Pour autant, les spécificités de ce public, souvent décrit comme « atypique », ont impulsé le développement de programmes de prise en charge adaptés et renforcés, voire de dispositifs spécifiques .

• Outre la mise sur pied d'un programme de formation, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse s'est donc attachée à développer des dispositifs spécifiques d'appui aux professionnels .

Au 1 er janvier 2015, une mission nationale de veille et d'information (MNVI) , placée auprès du cabinet de la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, a été créée, afin d'assurer la coordination des acteurs et de soutenir les professionnels concourant à la prévention de la radicalisation chez les personnes mineures.

Elle s'appuie, pour la déclinaison de ses missions au niveau territorial, sur un réseau de 70 référents « laïcité et citoyenneté » . Placés au sein des directions interrégionales et territoriales de la PJJ, ils ont pour principale mission d'accompagner les professionnels de terrain dans la compréhension des mécanismes à l'oeuvre dans le processus de radicalisation et d'appuyer les équipes éducatives dans la construction et la mise en oeuvre des réponses éducatives. Enfin, ils assurent la centralisation des informations sur l'ensemble des situations de radicalisation sur le territoire. La mise en place d'un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé @strée, au cours des prochains mois, devrait contribuer à améliorer la connaissance du phénomène de radicalisation au sein de la protection judiciaire de la jeunesse.

Le logiciel @strée

Afin d'améliorer le recensement du phénomène de radicalisation, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a décidé de mettre en place un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé @strée (Assistance et Suivi du Traitement de la Radicalité En services Éducatifs), destiné à recenser l'ensemble des situations de radicalisation de mineurs au sein des établissements et des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

Ce logiciel, dont l'utilisation a été autorisée par un décret en Conseil d'État du 10 février 2017, pris après un avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) donné en novembre 2016, devrait être effectif, selon les informations communiquées par la DPJJ, en septembre 2017.

L'objectif affiché de ce nouveau fichier est de développer une « base de connaissances » de la radicalisation, permettant de suivre l'évolution du phénomène, de le quantifier et de l'analyser, afin de développer des réponses éducatives adaptées. Il s'agit également de remonter une meilleure information sur les situations de radicalisation aux services centraux du ministère de la justice ainsi que de faciliter l'exploitation statistique des données relatives à la radicalisation des mineurs.

La DPJJ précise que le logiciel @strée ne constituera pas un outil de signalement ou de renseignement. L'accès au logiciel sera tout d'abord fortement limité : seuls les référents laïcité et citoyenneté y auront accès. Il est par ailleurs prévu que les remontées d'informations aux services centraux soient anonymisées et utilisables uniquement à des fins de production statistique pour améliorer la connaissance du phénomène de radicalisation sur le territoire.

En parallèle, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse travaille, à titre expérimental, à la mise en place de groupes d'appui pluridisciplinaires au niveau interrégional, qui seront chargés d'étayer les pratiques professionnelles et d'apporter son soutien aux équipes éducatives référentes dans l'analyse des situations les plus complexes et dans l'élaboration de propositions éducatives ciblées.

• Outre ces dispositifs d'appui aux professionnels, la particularité du public des mineurs radicalisés a conduit la direction de la protection judiciaire de la jeunesse à promouvoir le développement de prises en charges éducatives renforcées , dans le cadre des placements en détention, des placements éducatifs ou encore des suivis en milieu ouvert.

Le cadre réglementaire produit par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse prévoit que, dans les situations de radicalisation, une mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) soit systématiquement proposée au magistrat. Mise en oeuvre par une équipe pluridisciplinaire, elle permet d'appréhender et d'identifier les causes et l'impact du processus de radicalisation du mineur et, le cas échéant, de son entourage familial.

Particulièrement concernée par la prise en charge de mineurs radicalisés eu égard à la compétence du pôle anti-terroriste de Paris, la direction interrégionale Ile-de-France/Outre-Mer expérimente par ailleurs une mesure d'investigation éducative « radicalisation », à la pluridisciplinarité renforcée. L'originalité de ce dispositif est d'associer deux équipes éducatives, l'une chargée de rencontrer le jeune et l'autre sa famille. Au 1 er mars 2017, 14 MJIE avaient été mises en oeuvre dans le cadre de cette expérimentation. Selon les informations communiquées à vos rapporteures, à la suite d'un premier bilan positif de cette expérimentation, le dispositif pourrait être progressivement étendu à d'autres territoires.

Un accompagnement éducatif renforcé des mineurs placés en détention, qui se traduit par une présence plus importante des équipes éducatives, est également mis en oeuvre dans les situations de radicalisation.

Au niveau local, les directions interrégionales et territoriales de la PJJ ont développé de nombreuses actions orientées plus spécifiquement vers la prévention et la prise en charge de la radicalisation chez les populations mineures. Leur mise en oeuvre s'appuie, pour une large part, sur des partenariats noués, au niveau de chaque territoire, avec des acteurs institutionnels ou associatifs, qui contribuent à enrichir la pluridisciplinarité de la prise en charge.

Vos rapporteures tiennent à souligner l'importance de développer, dans le cadre de ces prises en charge, une collaboration étroite entre les services de la PJJ et l'Éducation nationale, en vue de favoriser la réinsertion scolaire de jeunes entrés dans un processus de radicalisation, généralement en situation de rupture. Des collaborations institutionnelles existent d'ores et déjà dans le cadre de la prise en charge générale des jeunes placés sous main de justice, en vue de favoriser leur réinsertion dans les dispositifs scolaires de droit commun 50 ( * ) . Des programmes spécialisés mériteraient d'être développés pour la prise en charge des mineurs identifiés en situation de radicalisation. À cet égard, vos rapporteures saluent l'initiative prise par le ministère de l'éducation nationale pour inciter la création de cellules de veille au sein des établissements scolaires , chargées du suivi et de l'accompagnement des familles de mineurs entrés dans un processus de radicalisation.

(3) Créer un référentiel de prise en charge des mineurs radicalisés dans le cadre pénal

La protection judiciaire de la jeunesse a su faire preuve de réactivité et d'adaptabilité dans l'appréhension du phénomène nouveau de radicalisation des populations mineures. Vos rapporteures saluent les nombreuses initiatives déployées pour enrichir l'offre éducative et permettre la mise en oeuvre de prises en charge adaptées à chaque profil de mineur.

La multiplicité des actions et des dispositifs mis en oeuvre soulève toutefois la question de leur efficacité dans le processus de sortie de la radicalisation. Dans ce contexte, la conduite d'un processus d 'évaluation des actions menées parait nécessaire. Elle pourrait utilement déboucher sur la construction d'un référentiel de prise en charge , afin de diffuser au niveau national les expériences et pratiques développées avec succès au sein des territoires.

Le travail d'ores et déjà effectué au sein de certaines directions interrégionales pourrait, à cet égard, être utilement exploité et servir de modèle au développement de nouvelles initiatives. À titre d'exemple, la direction interrégionale Sud-Est de la PJJ a produit un guide compilant des analyses de cas et des retours d'expérience, destinés à aider les équipes éducatives dans la construction et le suivi des mineurs radicalisés.

Proposition n° 7: Établir un référentiel de prise en charge des mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation par la protection judiciaire de la jeunesse, en la dotant des moyens financiers et des effectifs nécessaires à leur prise en charge.

(4) Consolider les parcours de prise en charge

Au cours de leurs auditions, vos rapporteures ont par ailleurs été alertées à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées pour assurer la continuité des prises en charge , notamment chez les mineurs radicalisés. Or, comme l'ont souligné de nombreuses personnes entendues, le processus de sortie de la radicalisation nécessite de conduire une action dans la durée et un accompagnement actif.

• Une première difficulté relevée réside dans la rupture de la prise en charge éducative lors de l'accession à la majorité , qui, bien que n'étant pas spécifique à la situation des mineurs radicalisés, se révèle particulièrement critique pour une population requérant une attention et un suivi renforcés.

Ce constat a conduit la direction de la protection judiciaire de la jeunesse à encourager la mise en place, au niveau de chaque direction interrégionale, de protocoles de coopération avec les directions interrégionales des services pénitentiaires relatifs à la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs en situation de radicalisation 51 ( * ) , afin d'assurer une continuité des prises en charge des mineurs détenus pour des actes de terrorisme, au moment de leur passage à la majorité, afin d'éviter une fragilisation du suivi éducatif.

En tout état de cause, la prise en charge des jeunes majeurs déjà suivis au pénal par la protection judiciaire de la jeunesse est possible sur le plan légal. En effet, l'article 16 bis de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante permet au juge des enfants d'ordonner la poursuite du placement d'un mineur déjà suivi au pénal par les services de la protection de la jeunesse au-delà de sa majorité, si celui-ci en fait la demande.

Il n'existe en revanche aucune base juridique pour permettre une prolongation de la prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse d'individus mis en examen alors qu'ils étaient mineurs et devenus majeurs avant l'audience de jugement. Comme l'a souligné la section anti-terroriste du parquet de Paris, le passage à la majorité pendant la phase de mise en examen de mineurs poursuivis dans des procédures terroristes entraîne des ruptures brutales de l'accompagnement éducatif, fortement dommageables au travail engagé en faveur du désembridagement et de la réinsertion de ces jeunes. Aussi vos rapporteures recommandent-elles d'ouvrir la possibilité, dans le cadre des procédures anti-terroristes impliquant des personnes mineures, d'une prise en charge des prévenus par les services de la protection judiciaire de la jeunesse jusqu'à la phase de jugement, et ce même en cas d'accession à la majorité.

Proposition n° 8 : Permettre la prise en charge des mineurs sous main de justice par la protection judiciaire de la jeunesse au-delà de la majorité, de manière à éviter les ruptures de prise en charge.

Certains professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse ont également regretté le plafonnement de la durée de placement en centre éducatif fermé , généralement ordonné dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire des mineurs poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste, dans la mesure où elle nuirait à la qualité de la prise en charge. En l'état du droit, l'article 10-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante fixe la durée maximale de placement en centre éducatif fermé, dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire, à six mois. En application du même article, le placement ne peut être renouvelé qu'une seule fois, par ordonnance motivée, pour une durée maximale de six mois.

L'instruction de certains dossiers liés au terrorisme peut nécessiter, en raison de la complexité des affaires, des délais d'instruction relativement importants, pouvant dépasser un an. Ce constat a justifié l'extension, dans le cadre de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte anti-terroriste, de la durée maximale de détention provisoire pour les mineurs âgés de plus de 16 ans, qui a été portée d'un à deux ans lorsque le mineur concerné est mis en examen pour délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et de deux à trois ans pour l'instruction des crimes terroristes.

Vos rapporteures proposent, selon la même logique, d'étendre la durée maximale de placement en centre éducatif fermé dans le cadre d'un contrôle judiciaire, pour les mineurs mis en examen dans le cadre de procédures terroristes en la portant de un à deux ans . Outre le fait de permettre une instruction plus sereine des dossiers terroristes, cette extension devrait favoriser, lorsque la situation du mineur le justifie, la continuité des prises en charge socio-éducatives et éviter une rupture dans les parcours.

Proposition n° 9 : Étendre la durée maximale du placement en centre éducatif fermé pour les mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation et placés sous main de justice.

2. Poursuivre l'adaptation des dispositifs de protection judiciaire à l'enjeu des mineurs de retour de zones de combat

En parallèle des dispositifs administratifs de prévention de la radicalisation mis en oeuvre au niveau préfectoral, un nombre croissant de mineurs fait l'objet d'une prise en charge judiciaire au titre de la politique de protection de l'enfance, dont la mise en oeuvre relève principalement de la compétence des conseils départementaux.

La perspective du retour de zones de combat syro-irakiennes de nombreux ressortissants français, y compris mineurs, sur le territoire national, nécessite toutefois qu'une coordination des acteurs territoriaux soit mise en oeuvre.

a) La prise en charge judiciaire des mineurs en risque de radicalisation au titre de la protection de l'enfance

La prise en charge judiciaire en assistance éducative des mineurs en voie de radicalisation relève juridiquement des articles 375 et suivants du code civil , qui organisent de manière générale la protection judiciaire de l'enfance en danger .

Lorsque « la santé, la sécurité, la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger » et dans les cas où « les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises » 52 ( * ) , le juge des enfants, saisi par les parents de l'enfant, la personne ou le service à qui il a été confié ou par le ministère public, peut ordonner des mesures de protection de l'enfant, dites mesures d'assistance éducative.

Une prise en charge judiciaire en assistance éducative peut être mise en oeuvre au bénéfice de mineurs identifiés comme en risque de radicalisation, principalement lorsque les dispositifs de prévention administratifs paraissent insuffisants. Sont notamment concernés des mineurs signalés, pour lesquels un projet de départ à l'étranger est suspecté, ou encore les mineurs dont les parents sont repérés en risque de radicalisation (tentative de départ familial sur les zones de combat syro-irakiennes, parents incarcérés pour des infractions terroristes, etc. ).

La palette des mesures de protection s'étend de la mesure éducative en milieu ouvert à des mesures de placement auprès d'un service de l'aide sociale à l'enfance ou d'un centre d'accueil, lorsque la protection de l'enfant l'exige. Le juge des enfants peut également ordonner, afin d'aider sa décision, la conduite d'une mesure d'investigation éducative.

Dans le cadre de la politique de lutte contre le terrorisme et la radicalisation, des outils législatifs complémentaires ont été mis en oeuvre pour renforcer la protection des mineurs face aux risques de radicalisation. La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a étendu la mesure d'interdiction judiciaire de sortie de territoire pour les mineurs, notamment afin de lutter contre les départs de mineurs en Syrie et en Irak. En vertu de l'article 375-7 du code civil, le juge des enfants disposait déjà de la possibilité, lorsqu'il ordonnait une mesure d'assistance éducative, de prononcer une interdiction de sortie de territoire de l'enfant, d'une durée maximale de deux ans. L'article 375-5 du code civil prévoit désormais que, « dès lors qu'il existe des éléments sérieux laissant supposer que l'enfant s'apprête à quitter le territoire dans des conditions qui le mettraient en danger » , le procureur de la République peut également, à titre conservatoire et en cas de carence de l'un au moins des parents, prononcer une mesure d'interdiction de sortie de territoire d'une durée maximale de deux mois. Il doit saisir, dans un délai de huit jours, le juge des enfants afin qu'il maintienne, le cas échéant, l'interdiction.

À l'exception des mesures judiciaires d'investigation éducative, qui ne peuvent être confiées qu'aux services de la protection judiciaire de la jeunesse, la mise en oeuvre des mesures en assistance éducative prescrites par le juge des enfants incombe aux conseils départementaux , notamment aux services de l'aide sociale à l'enfance, au titre de leur compétence en matière de protection de l'enfance. La circulaire du Premier ministre du 13 mai 2016 relative à la prévention de la radicalisation rappelle ainsi que « les conseils départementaux ont un rôle essentiel pour la prévention de la radicalisation, compte tenu de leurs missions dans le champ social et plus particulièrement pour les mineurs dans le cadre de la protection de l'enfance » . À cet égard, plusieurs conseils départementaux travaillent au développement de dispositifs spécifiques de prise en charge des mineurs entrés dans un processus de radicalisation.

b) Développer des prises en charge renforcées pour les mineurs de retour de la zone syro-irakienne

L'évolution de la situation géopolitique dans la zone syro-irakienne risque d'accélérer, au cours des prochains mois, le retour de nombreux ressortissants français et familles sur le territoire national.

La perspective de ces retours incite les pouvoirs publics à s'interroger sur la meilleure réponse à adopter face à ces situations complexes et à adapter les dispositifs judiciaires et administratifs de prise en charge.

(1) Une judiciarisation systématique des situations de mineurs de retour de Syrie et d'Irak

Si aucune statistique précise n'existe sur le nombre de familles et d'enfants, les pouvoirs publics estiment actuellement à 750 le nombre de ressortissants français présents dans la zone de combat syro-irakienne, dont environ 450 mineurs .

Parmi ces derniers, plus de la moitié aurait moins de 6 ans et une partie non négligeable d'entre eux serait née en dehors du territoire français.

Pour l'heure, le nombre de retours de ressortissants français, partis en Syrie ou en Irak, sur le territoire national reste limité. Selon les informations communiquées à vos rapporteures, au 1 er avril 2017, 11 familles, pour un total de 21 enfants, seraient actuellement rentrées de zone de conflit et feraient l'objet d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse.

Face à la restriction progressive des zones contrôlées par l'État islamique, il est toutefois probable que le nombre de retours de ressortissants français connaitra une nette augmentation au cours des prochains mois. Si les personnes majeures font, pour la grande majorité d'entre elles, l'objet de poursuites pénales à leur retour en France, la prise en charge des mineurs soulève plus de difficultés.

Comme le relève à juste titre l'instruction du Premier ministre du 23 mars 2017 relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone irako-syrienne , « ces enfants ont pu assister à des exactions et l'on peut supposer que l'ensemble de ces mineurs, quel que soit leur âge, a évolué dans un climat d'une violence extrême » . Certaines des personnes entendues par vos rapporteures au cours de leurs travaux utilisent même l'expression de « bombes à retardement » pour évoquer ces enfants de retour sur le territoire national après plusieurs années passées sur les zones de combat.

Aussi, face à la situation exceptionnelle de ces mineurs, les pouvoirs publics se sont-ils attachés à adapter les dispositifs traditionnels de prise en charge.

Les situations de mineurs revenant de Syrie ou d'Irak font désormais l'objet d'une judiciarisation systématique . Lorsqu'il existe des éléments laissant présumer que ces mineurs ont commis des faits pouvant être pénalement qualifiés, des poursuites peuvent être engagées, la prise en charge relevant alors du cadre général de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Lorsque la situation le justifie, la réponse pénale peut être doublée par le prononcé d'une mesure d'assistance éducative 53 ( * ) .

Dans les cas où aucun fait pénalement répréhensible n'a été commis, ce qui concerne généralement les enfants en bas âge, une prise en charge judiciaire en assistance éducative, au titre de la protection de l'enfance , est mise en oeuvre.

La prise en charge judiciaire en assistance éducative des enfants de retour de la zone irako-syrienne

La circulaire du 24 mars 2017 du garde des sceaux relative aux dispositions en assistance éducative de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 et au suivi des mineurs de retour de zone irako-syrienne, prise en application de l'instruction du Premier ministre du 23 mars 2017, précise les conditions de mise en oeuvre de la protection judiciaire pour les mineurs de retour des zones de combat.

Dans le cas d'un retour programmé d'une famille en France, le parquet de Paris est systématiquement informé en amont. Il est tenu d'informer le parquet du lieu d'arrivée de la famille , qui est le seul compétent pour prendre, en urgence, les mesures nécessaires à la protection des mineurs au titre de l'assistance éducative.

De la même manière, en cas d'entrée clandestine sur le territoire français, le parquet local est saisi dès lors que la présence de mineurs ayant séjourné en zone irako-syrienne est constatée, généralement par les services sociaux ou les services de renseignement. Dans ces situations, le parquet local est invité à saisir la section anti-terroriste du parquet de Paris, qui est chargée d'évaluer l'opportunité d'engager des poursuites pénales.

Le parquet territorialement compétent saisi peut, lorsqu'il l'estime justifié, prendre en urgence une ordonnance de placement provisoire et/ou ordonner une interdiction de sortie du territoire 54 ( * ) . En tout état de cause, il lui revient de saisir le juge des enfants en assistance éducative , qui évaluera la nécessité d'ordonner des mesures de protection et d'assistance à l'égard du mineur concerné (mesure judiciaire d'investigation éducative, placement, suivi éducatif de milieu ouvert), dont la mise en oeuvre est confiée aux services départementaux de l'aide sociale à l'enfance.

Le parquet ou le juge des enfants du lieu d'arrivée du mineur peut également se dessaisir au profit du tribunal territorialement compétent du département du lieu de résidence de l'enfant avant le départ de l'enfant ou, sans se dessaisir, confier le mineur à l'aide sociale à l'enfance de ce département.

L'instruction du Premier ministre du 23 mars 2017 précitée présente les orientations et principes devant présider à la prise en charge des mineurs de retour de zones de combat. Bien que la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative relève de la compétence des conseils départementaux, le Gouvernement a en effet jugé nécessaire, eu égard à la spécificité de la situation de ces mineurs, de définir un dispositif adapté de prise en charge , mobilisant les services de l'État au soutien des acteurs territoriaux.

La mise en place d' un suivi médico-social renforcé , destiné à s'assurer de la santé de l'enfant et à évaluer les risques de radicalisation, est placée au coeur du dispositif de prise en charge.

La conduite d'un bilan somatique et médico-psychologique du mineur , à son arrivée sur le territoire français, est ainsi rendue systématique. Réalisé de préférence en milieu hospitalier et, à défaut, en ambulatoire, ce bilan a pour objectifs, d'une part, d'établir l'état général de santé de l'enfant et d'identifier, le cas échéant, les besoins de soins, et, d'autre part, de « diagnostiquer un syndrome de stress post-traumatique chez l'enfant, ainsi que d'identifier une éventuelle emprise mentale, et de recommander les meilleures modalités de prise en charge et de suivi, notamment psychothérapeutique » . Les agences régionales de santé sont directement impliquées dans la mise en oeuvre du processus, notamment pour l'identification et la coordination des acteurs de santé sur leur territoire.

En parallèle, les pouvoirs publics ont prévu des possibilités de prises en charge socio-éducatives renforcées pour ces mineurs. Ainsi, l'article 31 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique autorise désormais le juge des enfants à ordonner, en complément d'un placement auprès des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert aux services publics de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette mesure, autorisée à titre expérimental, a été spécifiquement adoptée afin de permettre aux conseils départementaux de bénéficier de l'assistance de la protection judiciaire de la jeunesse et de son réseau, qui ont désormais acquis une expertise en matière de prise en charge de la radicalisation auprès des publics mineurs.

La circulaire du 24 mars 2017 du garde des sceaux relative aux dispositions en assistance éducative de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 et au suivi des mineurs de retour de zone irako-syrienne, qui précise et complète l'instruction du Premier ministre, prévoit que les conseils départementaux peuvent également, sans mandat judiciaire, recevoir l'assistance des groupes pluridisciplinaires d'appui mis en place par certaines directions interrégionales de la protection judiciaire de la jeunesse pour la prise en charge de certains mineurs.

Un comité de suivi du dispositif de prise en charge judiciaire des mineurs de retour de zone irako-syrienne a été installé sous le double pilotage du ministère de la justice et du ministère en charge des familles, et son secrétariat confié au secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Présidé par le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, il est amené à se réunir tous les quatre mois afin d'examiner la mise en place du dispositif et d'en évaluer l'efficacité.

Ce dispositif requiert un vrai travail d'approfondissement afin de ne pas aboutir, malgré les bonnes intentions, à la « fabrication » de nouveaux candidats à un djihadisme qui aurait changé de visage. Si on tarde à réfléchir sur cette question, en ramenant tout à l'application des dispositifs judiciaires existants, il est à prévoir qu'on applique des méthodes qui n'ont pas toujours été efficaces en matière de prévention de la radicalisation.

Il parait également essentiel de tenir compte du fait que nombre des rentrants seront des femmes avec des enfants en bas âge. Face à ces réalités, les prises en charge se doivent d'être plus innovantes, évitant de séparer les mères de leurs enfants si ces dernières n'ont pas été impliquées dans la préparation d'attentats, de violences ou de crimes. Pour répondre à ce besoin, vos rapporteures estiment urgent de réfléchir à la mise en place de dispositifs de prise en charge familiale pour les femmes et les mineurs de retour de la zone syro-irakienne. De tels dispositifs pourraient s'articuler autour d'un accompagnement pluridisciplinaire, par des psychologues, psychiatres, membres de la famille, assistants sociaux, en vue de préparer leur future resocialisation.

Proposition n° 10 : Promouvoir la mise en place de dispositifs de prise en charge familiale pour les femmes qui ne feraient pas l'objet de poursuites et pour les mineurs de retour de la zone syro-irakienne.

(2) Se doter des moyens nécessaires à la prise en charge de ces situations complexes

L'efficacité du dispositif de prise en charge des mineurs de retour de zone irako-syrienne, récemment défini par les pouvoirs publics, dépendra, outre de la bonne articulation entre les acteurs impliqués, des moyens qui seront consacrés à sa mise en oeuvre.

Lors de son audition, l'Assemblée des départements de France (ADF) a en effet alerté vos rapporteures sur l'impact que la prise en charge de plusieurs centaines d'enfants, qui plus est présentant des situations très complexes, pourrait avoir pour les services de l'aide sociale à l'enfance des départements les plus concernés.

Selon les informations communiquées à vos rapporteures, les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne , qui accueillent les deux aéroports de la région parisienne, devraient en effet être les plus sollicités dans le cadre du dispositif, compte tenu des règles de compétence des autorités judiciaires et des conseils départementaux en matière d'assistance éducative 55 ( * ) .

Une telle concentration des prises en charge pourrait se heurter à une problématique d'engorgement des structures d'accueil et de placement, d'ores et déjà fortement sollicitées. Les représentants de l'ADF ont par ailleurs regretté qu'aucun moyen complémentaire ne soit alloué aux départements pour assurer ces prises en charge généralement lourdes, dont le coût estimatif est évalué entre 40 000 et 50 000 euros par an et par enfant.

Les règles de dessaisissement au profit des parquets du lieu de résidence du mineur avant son départ, ainsi que la possibilité offerte au parquet d'orienter le mineur vers les services de l'aide sociale à l'enfance de ce même département, paraissent insuffisantes pour assurer une répartition des prises en charge. En effet, on estime qu'une partie non négligeable des mineurs susceptibles de regagner le territoire national avec leurs parents serait née sur place et ne pourrait, en conséquence, être orientée vers un autre département que celui du lieu d'arrivée.

Si le nombre de retours demeure actuellement faible, vos rapporteures estiment que, compte tenu des évolutions possibles au cours des prochains mois, une réflexion pourrait utilement être engagée sur la mise en place d'un dispositif de répartition entre les services départementaux des mineurs revenant de zone de conflit .


* 48 En application des articles 706-17 à 706-22-1 du code de procédure pénale, la juridiction parisienne dispose d'une compétence concurrente aux juridictions locales pour tous les dossiers concernant des actes de terrorisme. En pratique, comme le précise la circulaire du garde des sceaux du 18 décembre 2015 relative à la lutte anti-terroriste, le parquet de Paris se saisit de l'ensemble des enquêtes ouvertes sur une qualification terroriste, à l'exception des infractions de provocation directe à des actes de terrorisme ou d'apologie du terrorisme, dont le traitement est laissé aux juridictions territorialement compétentes.

* 49 Voir infra p. 68.

* 50 Une circulaire conjointe du ministère de la justice et du ministère de l'Éducation nationale, datée du 3 juillet 2015, invite au renforcement des collaborations entre la PJJ et les services de l'éducation nationale en vue de favoriser la continuité des parcours scolaires, voire la réinsertion scolaire de jeunes en situation de décrochage.

* 51 Note de la DPJJ du 13 janvier 2017 relative au protocole de coopération en vue de la prévention et la prise en charge de mineurs et jeunes majeurs en situation de radicalisation.

* 52 Art. 375 du code civil.

* 53 Circulaire du 24 mars 2017 du garde des sceaux relative aux dispositions en assistance éducative de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 et au suivi des mineurs de retour de zone irako-syrienne

* 54 Art. 375-5 du code civil.

* 55 Voir encadré p. 76

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