B. UNE CAPACITÉ LIMITÉE DES DRONES À EVOLUER AU-DESSUS DU TERRITOIRE NATIONAL
Le développement rapide des drones militaires et en particulier des « gros » drones a suscité un début d'adaptation des règles juridiques qui régissent leur emploi et leur insertion dans l'espace aérien.
Au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont pu constater que la pleine utilisation du potentiel des drones MALE et tactiques, notamment sur le territoire national, était encore freinée par la difficulté pour certains drones de se conformer aux normes de navigabilité et par le fait que ces engins n'avaient pas été conçus initialement pour évoluer dans la circulation aérienne générale.
1. Règles de certification et règles d'insertion dans l'espace aérien
Le premier enjeu de la réglementation relative aux drones militaires est la sécurité des autres usagers de l'espace aérien, ainsi que des biens et personnes survolées.
Actuellement, pour chaque modèle de drone militaire de masse significative, la DGA délivre un certificat de type , comme pour tout aéronef d'Etat 29 ( * ) . Un tel certificat, sorte de carte grise de l'aéronef, atteste que la conception du produit répond à des spécifications de navigabilité définies par la DGA, incluant notamment les limitations d'utilisation en vol et toutes autres conditions ou limitations requises pour assurer la sécurité des autres aéronefs et des populations. Une fois que le certificat type est délivré par la DGA, la direction de la sécurité aéronautique d'Etat (DSAE) du ministère de la défense délivre à son tour un certificat de navigabilité pour chaque exemplaire, après vérification de la conformité des caractéristiques de celui-ci avec celles ayant permis la certification par la DGA.
Le respect dans le temps de cette certification de navigabilité, qui constitue une sorte d'équivalent pour les aéronefs du contrôle technique des automobiles, suppose l'application de règles de maintenance très contraignantes , avec un agrément de l'atelier de maintenance et des éventuelles entreprises qui interviennent dans le cadre de celle-ci.
En tout état de cause, même s'ils disposent de cette certification, les drones militaires ne peuvent évoluer que dans un espace de vol ségrégué de toute autre activité aérienne (cf encadré ci-dessous), en particulier à cause de leur incapacité à respecter la règle du « voir et éviter » qui est censé permettre aux aéronefs de ne pas entrer en collision. En effet, si certains drones disposent, outre leur charge optique et leur éventuel radar, d'une petite caméra de nez ou de queue, celle-ci n'est pas suffisante pour prévenir une collision. En outre, il ne pourrait s'agir de toute façon que d'un système de « détecter et éviter » et non d'un véritable « voir et éviter » puisque le drone n'est pas habité par son pilote.
Les règles applicables en matière de survol des drones militaires En matière de navigabilité, soit l'aptitude à voler en toute sécurité sanctionnée par le certificat de navigabilité (CDN) délivré par l'Etat, les aéronefs télépilotés évoluent depuis les années 1960 dans le cadre des règles de la circulation aérienne militaire et disposent de leur propres règles de navigabilité, de formation des opérateurs et d'exploitation et ne sont pas soumis aux réglementations internationales de l'organisation aérienne de l'aviation civile internationale (OACI, mise en place par la convention de Chicago) ou de l'AESA. En revanche, les États membres de ces organisations s'engagent à prendre en considération les éléments de sécurité imposés à l'aviation civile pour leur aviation militaire. En outre, l'article D 131-8 du code de l'aviation civile prévoit que « Les règles de la circulation aérienne militaire sont établies en conformité avec les règles de l'air dans la mesure où celles-ci sont adaptées aux missions des armées et du centre d'essais en vol. Elles s'imposent dans l'espace aérien national et les espaces aériens placés sous juridiction française : aux pilotes des aéronefs évoluant en circulation aérienne militaire ; aux prestataires de services de la circulation aérienne militaire ». Le décret n°95-421 du 20 avril 1995 30 ( * ) précise que « Dans les cas où les règles de la circulation aérienne militaire diffèrent des règles de l'air, il convient d'étudier l'impact de ces différences sur la sécurité aérienne et de prendre toute disposition opportune pour rétablir le niveau de sécurité souhaité. Il sera recherché, dans toute la mesure du possible, une utilisation commune de l'espace. De ce fait, aucune portion d'espace ne devrait être interdite de façon permanente à l'un des types de circulation pour les seules fins de compatibilité ». Ainsi, la complète insertion des aéronefs militaires dans la circulation aérienne générale supposerait que ceux-ci appliquent des normes comparables à celles de leurs équivalents civils. Par ailleurs, ce décret prévoit également que « selon le principe "voir et éviter ", La prévention des abordages entre les différents aéronefs repose uniquement sur le respect des règles de l'air » 31 ( * ) . Par définition, un drone ne peut pas réellement respecter la règle du « voir et éviter ». En outre, pour voler dans l'espace aérien civil, les drones doivent remplir les conditions posées par les articles 21, 32 et 12 de la Convention de Chicago, soit la détention d'un certificat de navigabilité et de licences du personnel ainsi que le respect des règles de l'air. Le certificat de navigabilité équivaut au contrôle technique pour une automobile : il atteste l'aptitude au vol en sécurité. Le 3 septembre 2009, l'OTAN a publié un document de normalisation, le STANAG 4671, sur les exigences de navigabilité relatives à la conception et à la fabrication des drones militaires. Ce document fournit ainsi un cadre normatif à la plupart des composantes d'un système drone. Ainsi, la navigabilité des aéronefs d'Etat fait l'objet de règles spécifiques fixées par le décret n°2013-367 du 29 avril 2013 relatif aux règles d'utilisation, de navigabilité et d'immatriculation des aéronefs militaires et des aéronefs appartenant à l'Etat et utilisés par les services de douanes, de sécurité publique et de sécurité civile. Ce décret prévoit que les aéronefs qui circulent sans aucune personne à bord peuvent déroger aux obligations qu'il fixe. À son tour, l'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord exclut expressément de son champ d'application les drones évoluant selon les règles de la circulation aérienne militaire 32 ( * ) . In fine , les drones militaires doivent donc se conformer à l'instruction de la direction de la circulation aérienne militaire n°1550/DIRCAM relative aux règles et procédures d'exécution des vols de drones de la défense en circulation aérienne militaire en temps de paix. Cette instruction indique que les drones militaires (de plus de 2,5 kg) ne sont autorisés à voler que s'ils sont dotés d'un certificat de navigabilité de l'autorité technique compétente, en l'occurrence la direction de la sécurité aéronautique de l'Etat 33 ( * ) (DSAE) du ministère de la défense. Par ailleurs, en matière de circulation dans l'espace aérien , la même instruction indique que « La cohabitation en vol entre les drones et les autres aéronefs n'est pas aujourd'hui réalisable en appliquant le principe «voir et éviter». Il est donc nécessaire de ségréguer les vols des drones vis-à-vis de toute autre activité aérienne ». En conséquence, l'instruction décline de manière précise toutes les règles relatives à la ségrégation des espaces et au passage d'une zone réservée à une autre. Ainsi, la règle « voir et éviter » limite aujourd'hui fortement l'insertion des drones militaires dans la circulation aérienne. Toutefois, l'instruction n°1550/DIRCAM est précisément en cours de refonte, afin notamment de prendre la question de l'intégration des vols drones dans la circulation aérienne hors espaces aériens ségrégués. D'après « Cadre juridique de l'emploi des drones au combat, Sébastien Gallais, l'Harmattan, 2013, et « Les drones ou la Révolution aéronautique du 21 ème siècle, » Pascal M. Dupont. |
2. Un Reaper désormais certifié mais qui ne peut toujours pas voler en France
En 2013, lorsque l'armée de l'air a été dotée du Reaper afin d'appuyer les forces françaises dans la bande sahélo-saharienne, le drone ne disposait pas d'un certificat de type. Il a cependant pu bénéficier d'une autorisation de vol dérogatoire.
Par la suite, la DGA a pu délivrer un certificat de type au Reaper 34 ( * ) . Ce drone, qui devait être utilisé essentiellement sur les théâtres d'opération extérieurs, n'ayant pas été conçu à l'origine selon des normes de sécurité similaires à celles de l'aviation civile, le certificat du Reaper prévoit des restrictions fortes de vol en fonction de la densité des zones de population , la durée de survol des zones denses devant être très limitée dans le temps.
Malgré ces restrictions, les Reaper peuvent voler dans la bande sahélo-saharienne en vertu d'une dérogation au certificat de type. Une telle dérogation peut en effet être accordée en conditions d'opérations. En revanche, ces restrictions de survol s'appliquent bien au Reaper lorsqu'il est mis en oeuvre pour l'entrainement ou la formation des pilotes dans le ciel français. Toutefois, l'autorité d'emploi (CEMA ou CEMAA) peut déroger à ces restrictions pour faire face à certaines nécessités opérationnelles, telles que des menaces sur des sites sensibles sur le territoire national .
Actuellement, le Reaper ne peut cependant toujours pas décoller du fait d'un problème technique qui ne pourra être résolu qu'en collaboration avec le fournisseur américain et avec l'armée de l'air américaine, ce qui montre encore une fois les inconvénients de la solution non souveraine.
En tout état de cause, lorsque le Reaper pourra voler, ce sera nécessairement dans le cadre de couloirs ségrégués , zones de vol dynamiquement ouvertes puis fermées après le passage du drone, en coordination avec le contrôle aérien civil et qui doivent être planifiées plusieurs dizaines de jours à l'avance. Le Reaper ne peut en effet, pas plus que le Harfang, s'insérer dans la circulation aérienne générale, notamment parce qu'il ne peut pas mettre en oeuvre le principe du « voir et éviter » prévu par la réglementation aérienne civile.
3. Le cas des autres drones militaires
En ce qui concerne l'armée de terre, le drone tactique Patroller dispose à l'origine d'une certification en tant qu'avion piloté, ce qui devrait faciliter sa certification en tant que drone, actuellement en cours. Le 61 ème régiment d'artillerie basé à Chaumont, où vos rapporteurs se sont rendus dans le cadre du présent rapport, travaille d'ailleurs depuis le début des années 2010 à l'intégration dans les processus de maintenance 35 ( * ) des nouvelles normes de navigabilité qui s'appliqueront au Patroller .
Lorsque ce drone sera livré au printemps 2018, il devra être testé pendant 6 mois par la DGA aux fins de délivrance de son certificat de type. Il sera ensuite livré pour 6 mois à la section technique de l'armée de Terre (STAT). La DSAE aura alors 6 mois pour certifier la navigabilité des vecteurs, durée pendant laquelle ils pourront sans doute voler de manière dérogatoire. Les drones seront ensuite utilisables dans des espaces aériens ségrégués, ce qui suppose notamment de pouvoir planifier les vols à l'avance. Ainsi, grâce à l'anticipation par l'armée de terre de l'adaptation de la maintenance aux normes de navigabilité et au choix d'un modèle de drone facilement certifiable, la livraison et la certification du Patroller devraient être coordonnées sur l'année 2018 de sorte que le drone puisse immédiatement voler en France.
Enfin, les drones plus légers utilisés par l'armée de terre (Sperwer, DRAC, Harfang, Skylark) disposent d'une certification qui leur permet d'être utilisés dans certaines conditions sur le territoire national.
* 29 Les aéronefs d'Etat comprennent les aéronefs militaires et les aéronefs de police, des douanes, de la sécurité civile et les autres aéronefs mis en oeuvre par l'Administration.
* 30 Annexe chapitre 2 paragraphe 2.2 du décret n°95-421 du 20 avril 1995 fixant les règles destinées à assurer la compatibilité des règles applicables à la circulation aérienne générale et à la circulation aérienne militaire.
* 31 Annexe chapitre 3, 3.3.
* 32 En revanche, les drones étatiques de secours, sécurité publique ou sécurité civile peuvent à la fois évoluer conformément ou en dérogation à cet arrêté si les circonstances de la mission et les exigences de l'ordre et de la sécurité publique le justifient.
* 33 La DSAE est chargée de veiller à la cohérence de l'emploi des drones étatiques et à leur exploitation selon les normes de sécurité étatiques. Elle est l'autorité compétente en matière de navigabilité et d'immatriculation des 1600 aéronefs d'Etat, ainsi que pour tout ce qui concerne la circulation aérienne militaire, l'organisation et la gestion des espaces aériens. La compétence de cet organisme dans le domaine de la direction aérienne est assurée par la direction de la circulation aérienne militaire (DIRCAM).
* 34 Quant au Harfang, il dispose également d'un certificat de type et peut voler en France, également selon des procédures dérogatoires, dans des espaces ségrégués.
* 35 L'atelier de maintenance du Patroller ainsi que le constructeur seront agréés pour le maintien de la navigabilité, conformément au contrat passé avec celui-ci.