C. L'ARMEMENT DES DRONES : UN DÉBAT NÉCESSAIRE
De nombreux pays utilisent désormais des drones armés. Au moins deux drones des forces françaises (le drone MALE et le futur drone tactique) pourraient recevoir un armement.
Dans certains pays qui utilisaient des drones armés depuis plusieurs années, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, des débats ont eu lieu sur la légitimité de cette utilisation et sur sa conformité à l'éthique et au droit international. L'utilisation des drones armés se traduirait selon ses détracteurs par une « déshumanisation » de la guerre, un certain abaissement du seuil de l'usage de la force dû à la totale sécurité dont jouiraient les pilotes de drones, une pratique plus ou moins systématique d' « assassinats ciblés » en dehors même des situations de conflits, un risque de dommages collatéraux élevés, une angoisse permanente pour les populations survolées par les drones armés, voire, in fine , une incitation pour celle-ci à rejoindre les rang des combattants ennemis.
Les détracteurs de ce nouvel armement critiquent également l'opacité des décisions de frappes et une insuffisante « redevabilité » sur les résultats de celles-ci et sur les éventuels dommages collatéraux.
Dans notre pays, la décision a été prise, de manière implicite, de ne pas armer les drones. En outre, les prises de positions qui ont pu avoir lieu sur cette question malgré l'absence de véritable débat public ont témoigné d'une certaine confusion, en particulier entre drones et engins autonomes (robots) d'une part, et, d'autre part, entre l'existence d'une arme ou d'un vecteur d'armes, le système drone, et la finalité d'emploi de cette arme.
Vos rapporteurs estiment qu'il est temps d'ouvrir ce débat et de tenter de répondre clairement aux questions juridiques et éthiques que soulève l'armement des drones.
1. Pourquoi armer certains drones ? Quel avantage militaire attendu ?
a) De nombreux pays disposent déjà de drones armés
De nombreux pays disposent à présent de drones armés, dont certains sont déjà utilisés dans des conflits, notamment au Moyen-Orient.
Ainsi, en Europe :
- le Royaume-Uni met en oeuvre 10 drones Reaper armés et a signé un contrat pour l'acquisition de 26 nouveaux drones armables « Certifiable Predator B » ;
- l 'Italie , qui possède neuf Predator et 6 Reaper, a obtenu à la fin 2015 l'autorisation américaine pour armer ces derniers ;
- en janvier 2016, L'Allemagne a annoncé la location à partir de 2018 de 3 à 5 drones Heron TP israéliens armés, malgré un intense débat sur l'armement des drones, alimenté notamment par la révélation de l'utilisation de la base de Ramstein comme station-relais pour le pilotage des drones américains en Afghanistan.
En dehors de l'Europe, les pays suivants utiliseraient également des drones armés : Pakistan, Iran, Irak, Iran, Nigeria, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Turquie. Il s'agirait, soit de drones chinois, soit de modèles réalisés à partir de drones chinois, soit, plus rarement, de drones développés par les pays utilisateurs (Turquie, Iran).
Cette diffusion de drones dont les caractéristiques en termes de fiabilité sont mal connues peut susciter une certaine inquiétude, comme l'ont souligné les représentants du SGDSN lors de leur audition par vos rapporteurs. Il existe toutefois quelques mécanismes de contrôle pouvant contribuer à freiner cette prolifération :
- sous l'impulsion de l'administration américaine, une cinquantaine de pays ont signé fin 2016 une « Déclaration conjointe sur l'exportation et l'utilisation des drones armés ou de combat ». En préambule, cette déclaration énonce que « reconnaissant que l'abus des drones armés ou de combat pourrait alimenter les conflits et l'instabilité, faciliter le terrorisme et le crime organisé, la communauté internationale doit prendre les mesures de transparence pour assurer l'exportation et l'utilisation responsables de ces systèmes ». Les points d'engagements subséquents de cette déclaration, qui semble pour partie refléter l'inquiétude des États-Unis devant la possibilité d'avoir à affronter de plus en plus souvent des pays disposant de drones armés, se borne toutefois à rappeler que l'exportation et l'utilisation des drones doivent se conformer aux règles internationales en vigueur ;
- en France, comme pour les autres matériels militaires, les exportations de drones sont soumises à un régime d'autorisation 36 ( * ) . En outre, dans la mesure où un drone peut être transformé en missile de croisière, l'exportation des équipements d'un système drone doit respecter les accords internationaux régissant la non-prolifération des armes de destruction massive, renforcés par la résolution 1540 du Conseil de l'ONU du 28 avril 2004 ;
- enfin, le régime de contrôle de missiles « Missile technology control regim » (MTCR) 37 ( * ) s'applique à l'exportation des drones, de même que l'arrangement de Wassenaar 38 ( * ) de mai 1996. Ces accords ne sont pas contraignants mais le Règlement européen (CE) n°428/2009 du 5 mai 2009 a imposé leur mise en oeuvre aux pays membres de l'UE 39 ( * ) .
b) Les drones sont déjà fortement engagés dans les missions de tir
Les drones MALE des forces françaises sont déjà très présents dans la « boucle » des missions de frappe aérienne.
Ainsi, ils procèdent au guidage des missiles Hellfire des hélicoptères, ainsi qu'au guidage des bombes guidées laser des Mirage 2000D (GBU 12 ou GBU 49).
Les drones MALE sont donc déjà actuellement l'un des maillons essentiels de l'usage de la force armée dans les OPEX .
c) Armer certains drones rendrait les forces françaises plus réactives et plus efficaces et permettrait d'optimiser l'emploi de l'aviation de combat
Premier avantage qu'offrirait l'utilisation d'un drone armé pour accomplir une mission de bombardement similaire à celle d'un avion de combat ou d'un hélicoptère d'attaque : l'absence de risque pour le pilote à distance.
Réel, cet avantage n'en doit pas moins être relativisé compte-tenu du type de théâtre d'opérations sur lequel un drone armé peut remplir des missions de bombardement, qui est précisément celui sur lequel les pilotes d'avions de combat sont exposés au risque le plus faible : les espaces aériens « permissifs » avec des ennemis qui ne disposent pas d'une défense anti-aérienne crédible. Inversement, compte-tenu du concept d'emploi des drones français, qui se traduit par la présence du cockpit déporté sur le théâtre d'opérations et non en Reachback sur le territoire national, le risque encouru par les pilotes de drone existe, quoiqu'il soit faible.
En second lieu, il résulte des auditions des représentants des états-majors et des armées menées par vos rapporteurs que des drones armés permettraient d'améliorer l'efficacité des forces dans un certain nombre de cas .
L'armement transportable par les drones Les drones tactiques, d'une faible masse, ne peuvent emporter qu'un armement limité. Le Sperwer version B peut ainsi être équipé d'un ou deux missiles air-sol type spike LR de 30 kg pour une portée de 8 km. Le Patroller pourrait, quant à lui, emporter quatre MMP (missiles moyenne portée) de MBDA (portée de 4 à 8 km). Le drone MALE et le drone HALE peuvent emporter des charges de plusieurs centaines de kg. Ils peuvent donc être équipés de plusieurs missiles air-sol (Hellfire) ou air-air de courte ou moyenne portée (jusqu'à 15 km), voire d'une ou deux bombes guidées (de 125 ou 250 kg). Par ailleurs, certains des drones MALE sont équipés de systèmes laser permettant la désignation ou le guidage d'armements délivrés par d'autres plateformes. Si le choix était fait d'armer les Reaper block 5 qui seront prochainement acquis par l'armée de l'air, cet armement serait proche de celui mis en oeuvre par les Américains, dont on sait qu'il ne pose aucun problème d'intégration : soit des GBU 12 ou 49 et des missiles Hellfire. La possibilité d'intégrer un armement européen est quant à elle subordonnée à la réalisation d'études par la DGA et à l'autorisation du congrès américain. |
Capitalisant sur la capacité de survol de longue durée du drone MALE Reaper en surveillance, l'emport de missiles ou de bombes guidées permettrait dans certains cas de « réduire la boucle » entre le repérage d'un objectif « à haute valeur ajoutée » et sa neutralisation, économisant la durée nécessaire pour l'arrivée de l' « effecteur » (l'avion de combat), durée qui peut être significative dans un théâtre d'opération de grandes dimensions (tel que la bande sahélo-saharienne) .
L'endurance du drone (une quinzaine d'heures environ sur site, moins avec un armement lourd, contre environ trois heures pour un avion de chasse et une à deux pour un hélicoptère) lui permet en effet, dans la profondeur d'un théâtre d'opérations, d'attendre le dévoilement des cibles dissimulées et d'observer longuement l'environnement et le comportement de ces cibles. Le fait de pouvoir tirer rapidement permettrait d'optimiser l'efficacité et la précision du traitement de la cible en étant certain de bénéficier des meilleures conditions d'engagement. En outre, les effets des frappes pourraient ensuite être analysés par le même drone.
Une telle capacité permettrait par exemple à un drone de « traiter » une cache d'armes au moment où des combattants y accèdent alors que ceux-ci auraient probablement le temps, s'il fallait attendre l'arrivée d'un avion, de se disperser ou de se déplacer vers une zone densément habitée, rendant toute frappe impossible en raison d'un risque de dommages collatéraux disproportionnés. Autre exemple, la présence de drones armés en soutien permanent des forces au sol permettrait de les dégager rapidement d'une embuscade 40 ( * ) .
En dehors de ces cas de frappes d' « opportunité », les drones armés peuvent également être employés pour surveiller et suivre une cible de haute valeur sur un théâtre d'opération puis de la neutraliser quand les conditions sont réunies.
Ces différents exemples concernent plutôt le drone de théâtre MALE, en l'occurrence, pour les forces françaises, les drones Harfang et Reaper. L'analyse est différente s'agissant des autres types de drones qui équipent les forces françaises et qui pourraient, techniquement, emporter des armes.
Ainsi, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que, bien que techniquement réalisable, l'armement des drones tactiques (SDTI et désormais Patroller) n'offrirait pas un avantage militaire significatif sur le terrain . Dans la mesure où un drone tactique est plutôt utilisé au niveau de la brigade, il existe généralement à ce niveau un « effecteur » mobilisable permettant de tirer sur une cible repérée par un drone tactique, dont la faible élongation le place naturellement à proximité de la brigade (moins de 100 km). Dans la mesure où la frappe d'un drone implique à tout le moins un délai de mise en position de tir et un délai de décision incompressibles, le traitement de la cible par l'artillerie, voire par un hélicoptère, sera sans doute aussi rapide. En outre, l'intérêt principal du drone réside dans ses capacités ISR et l'emport d'une ou plusieurs armes sur un drone tactique diminuerait significativement ces capacités. Enfin, l'efficacité supplémentaire apportée par un tel armement des drones tactiques devait être mise en balance avec l'effet psychologique négatif induit dans la population au sein de laquelle les forces au sol opèrent, effet qui pourrait être finalement plus coûteux que le gain immédiat obtenu initialement.
En ce qui concerne les drones de plus petite taille, utilisés notamment par les forces spéciales, il a été indiqué à vos rapporteurs que des micro-drones explosifs pourraient avoir une utilité au cours des combats dans les zones accidentées et difficiles d'accès.
Enfin, les drones armés ne semblent pas constituer une priorité pour les forces navales, l'essentiel restant, là encore, d'assurer les meilleures capacités ISR possibles.
La question de l'armement des drones se focalise ainsi essentiellement sur le drone MALE Reaper utilisé par l'armée de l'air. D'un point de vue technique, un tel armement ne poserait pas de problème significatif même si les premiers drones livrés à l'armée de l'air ne sont pas « cablés » pour l'emport d'armes. Il serait nécessaire d'obtenir préalablement l'accord de l'administration américaine ; le Royaume Uni et l'Italie ayant obtenu un tel accord, la France devrait également pouvoir en bénéficier.
Enfin, le fait de disposer de drones MALE armés permettrait d'optimiser les ressources rares que constituent les moyens rares de l'aviation de chasse, aujourd'hui engagée presque au double de son contrat opérationnel. Celle-ci doit en effet parfois intervenir en urgence pour traiter une cible suivie depuis plusieurs jours par un drone Reaper, qui se révèle être finalement un ennemi au comportement dangereux pour nos forces au contact. Outre la patrouille d'avion de combat, cette intervention nécessite aussi souvent le concours de ravitailleurs en vol, eux aussi très sollicités, en attendant la relève par les futurs avions MRTT 41 ( * ) . Soulager ainsi ces capacités pour traiter les cibles d'opportunité ou celles ne nécessitant pas une puissance de feu importante grâce à l'armement qui serait embarqué sur drones Reaper est ainsi un moyen de mieux employer au quotidien des moyens rares et comptés.
2. Le fait d'armer des drones n'est pas contraire au droit international
L'utilisation de drones armés a suscité un débat au sein de l'opinion dans plusieurs pays, soulevant des interrogations juridiques mais aussi politiques et éthiques, notamment lors d'interventions des États-Unis au Pakistan ou encore au Yémen. Il existe en effet dans certains cas des doutes sérieux sur le respect du cadre fixé par le droit international : frappes menées par les services de renseignement, invocation d'une légitime défense comprise de manière très extensive, attaques en dehors des zones de conflit armé. Outre ce problème de légalité, l'usage étendu des drones armés pourrait avoir des effets stratégiques négatifs à long terme (émergence de nouveaux combattants ennemis dans le pays visé ; perte d'adhésion de la population des pays d'origine des forces d'intervention).
Pour autant, il convient de souligner que l'utilisation de drones armés n'est pas par nature contraire au droit international. Les drones armés ne diffèrent pas, aux yeux du droit international, des autres systèmes d'armes. En outre, il convient de bien distinguer les systèmes pilotés que sont les drones des armes dites autonomes (robots).
Dès lors, la légalité de l'utilisation des drones armées est simplement conditionnée par le respect, lors de cette utilisation, des règles de droit international pertinentes, c'est-à-dire les règles encadrant le recours à la force, les règles d'emploi de la force issues du droit international humanitaire (droit des conflits) et enfin, le cas échéant, des règles du droit international des droits de l'homme. Les représentants d'Amnesty international, entendus par vos rapporteurs, ont partagé cette analyse.
Or les forces françaises, notamment à travers l'application des règles d'engagement fixées pour chaque OPEX, doivent respecter l'ensemble de ce corpus juridique .
a) Le drone est un moyen aérien parmi d'autres
Il convient de distinguer l'arme de l'utilisation qui peut en être faite : seule cette utilisation, et non le système drone lui-même, peut être dite légale ou illégale . Les drones armés constituent en effet des systèmes de transmission d'armes qui ne sont pas fondamentalement différents par nature des avions de chasse, des hélicoptères, voire de l'artillerie, tous moyens militaires qui permettent à des degrés divers d'atteindre des cibles à distance tout en réduisant l'exposition à une riposte de l'adversaire.
Notons que certaines critiques faites aux drones armées, qui relèvent davantage de l'éthique que du droit, s'appliquaient déjà à des armes plus anciennes, les armes de longue portée ayant d'abord été considérées comme « anti-chevaleresques », par opposition aux armes de contact 42 ( * ) .
D'ailleurs, si le cas des drones utilisés pour traquer et éliminer des terroristes présumés représente un cas limite dans lequel les risques encourus par les pilotes à distance sont effectivement proches de zéro, l'utilisation des drones armés a plutôt vocation à n'être - au moins dans le cas des forces françaises - que l'une des dimensions d'un conflit ou d'une intervention armée sur un théâtre d'opérations, dans lesquels d'autres militaires sont susceptibles d'être exposés au danger . Inversement, la prise de risque est souvent heureusement assez limitée 43 ( * ) pour le pilote d'avion engagé dans une opération de frappe aérienne contre un adversaire ne disposant pas de moyens aériens ni d'une défense anti-aérienne efficaces, ce qui est le cas dans la plupart des zones de conflits « asymétriques » où se trouvent actuellement engagées les forces françaises.
b) Une distinction nécessaire entre drones et systèmes automatisés/robots
Il convient également de distinguer clairement les drones des robots , cette distinction ayant des conséquences juridiques et éthiques déterminantes. Une certaine confusion règne souvent dans ce domaine, la notion d'avion piloté à distance disparaissant souvent au profit du fantasme d'un avion non piloté, autonome et donc par définition « déshumanisé ».
D'une part, s'il est vrai que les fonctions de vol des drones sont en grande partie automatisées, c'est aussi le cas de tous les avions modernes depuis une vingtaine d'années, notamment dans l'aviation civile, les pilotes étant désormais davantage en situation d'interagir avec un système informatisé que de contrôler directement l'avion par des commandes mécaniques.
D'autre part, s'agissant des drones armés, le choix de la cible et du tir sont toujours effectués par un ou plusieurs opérateurs humains . C'est cette notion de « l'homme dans la boucle » qui justifie que le drone se voie finalement appliquer le même cadre juridique que les autres systèmes d'armes .
Au contraire, les « systèmes d'arme létaux autonomes » (SALA), qui n'existent pas encore mais font l'objet de recherches scientifiques et militaires, posent des problèmes juridiques et éthiques d'une toute autre ampleur.
Ainsi, certains craignent que le risque de conflits armés et l'usage de la violence militaire soient accrus par le déploiement de systèmes véritablement autonomes : les SALA permettraient en effet d'éliminer les barrières psychologiques à l'utilisation de la force létale, ce qui n'est pas le cas pour les drones qui restent pilotés par un être humain (d'où le syndrome post-traumatique parfois observé chez des pilotes de drones).
Les doutes portent également sur la capacité des SALA à respecter les principes du droit international humanitaire (ou droit des conflits). En raison de ces inquiétudes, une résolution du Parlement européen préconise l'interdiction du développement des SALA 44 ( * ) .
En effet, l'article 36 du premier protocole à la Convention de Genève prévoit que l'étude, le développement, l'acquisition ou l'adoption d'une nouvelle arme ne peut se faire qu'après avoir déterminé si elle pourrait être contraire au protocole ou à une autre règle de droit international.
SALA et droit international humanitaire : les termes du débat Le respect des grands principes du droit international humanitaire (DIH) (distinction entre combattants et civils, proportionnalité et minimisation des dommages collatéraux, précaution) exige la mise en oeuvre de capacités de jugement qui sont pour le moment l'apanage des êtres humains. Ainsi, dans certains environnements, il est très difficile de faire la distinction entre civils et militaires. Il peut en effet être nécessaire d'analyser le comportement d'une personne et décider si ce comportement est en quelque sorte « bon » ou « mauvais ». Or, il semble peu probable que des algorithmes parviennent à effectuer un tel jugement. Inversement, certains juristes soulignent le risque que les soldats humains violent les principes du DIH sous le coup de la peur et du stress, émotions dont les SALA seront a priori indemnes. Toutefois, estimer que les règles actuellement existantes suffisent parce que les robots seront capables de mieux les respecter que les humains revient à postuler que le fait qu'un homme tue ou qu'un robot tue est éthiquement équivalent. Or, on peut au contraire considérer que le développement de systèmes autonomes est un changement de paradigme qui impose de nouvelles règles, le DIH ayant été inventé pour être appliqué par des êtres humains. En outre, puisqu'on ne craindra pas (ou moins) pour la vie des robots, on pourrait imaginer qu'ils soient finalement soumis à des règles de mise en oeuvre de la force beaucoup plus strictes que les humains : par exemple, qu'il soit nécessaire qu'une personne exhibe une arme ou soit agressive de manière non équivoque pour qu'elle soit considérée comme un combattant et puisse devenir une cible, ou encore que le robot ait le pouvoir d'incapaciter sa cible humaine, mais non de la tuer. |
En 2014 s'est tenue la première réunion informelle d'experts sur les SALA dans le cadre de la convention sur certaines armes classiques (CCAC) de l'ONU à Genève, à l'initiative et sous la présidence de la France . La troisième édition a eu lieu en avril 2016 en présence de 95 États, du CICR, de nombreux ONG et experts. A l'occasion de ces réunion, la représentation française s'est engagée à ne développer ou n'employer des SALA « que si ces systèmes démontraient leur parfaire conformité au droit international ». Toutefois, elle a également considéré que toute interdiction préventive du développement des SALA serait prématurée. Le débat se focalisant sur le « contrôle humain significatif » auquel des SALA devraient être soumis, l'expression d' « implication humaine appropriée », un peu vague mais acceptable par tous les participants, a été adoptée à l'initiative de la délégation allemande. Enfin, certains se sont interrogés sur le caractère cohérent du concept même de SALA : pour les forces armées, l'autonomie totale et l'absence de liaison avec un opérateur humain ne vont-ils pas à l'encontre du besoin primordial de contrôle opérationnel par le commandement militaire ?
En tout état de cause, ces discussions dans un cadre multilatéral ont permis d'aboutir à la création d'un groupe gouvernemental d'experts. Le travail de ce groupe d'experts pourrait aboutir à l'élaboration d'un code de bonne conduite et de bonnes pratiques concernant les SALA . Selon certains experts 45 ( * ) , un tel code pourrait éventuellement comprendre :
- la limitation de l'usage des SALA aux objectifs militaires par nature (et non par emplacement, destination ou utilisation) et à certains contextes (milieux non urbains et peu habités), et dans les seuls cas où l'humain ne peut pas prendre lui-même la décision (subsidiarité) ;
- une réversibilité du mode autonome ;
- la programmation du « bénéfice du doute » au sein du SALA ;
- l'enregistrement des actions des SALA ;
- la formation des opérateurs des SALA au DIH.
En tout état de cause, ces questions ne se posent pas pour les drones actuels, qui sont tous pilotés.
c) L'utilisation de drones armés peut et doit être compatible avec le principe de non-agression
Il s'agit de l'un des aspects qui suscite le plus de débats et d'objections à l'encontre de l'usage des drones armés, notamment en raison de la stratégie de lutte contre le terrorisme menée par les États-Unis depuis 2001.
Le débat sur l'utilisation des drones armés aux États-Unis et au Royaume-Uni Ce n'est pas tant l'emploi de drones en tant que tel qui fait débat aux États-Unis que le cadre opérationnel de cet emploi. L'utilisation des drones armés dans le cadre d'une opération militaire conventionnelle répond pour le Pentagone aux même critères de commandement, de contrôle et de règles d'engagement que toute autre capacité mise en oeuvre dans la 3 ème dimension (artillerie longue portée, aviation de chasse, missiles de croisière...). Le débat dans ce cadre porte essentiellement sur l'impact psychologique pour les équipages mettant en oeuvre ces capacités de surveillance et de frappe à distance, confrontés à la violence d'une opération militaire tout en étant physiquement très éloignés du théâtre. L'utilisation de drones hors du cadre d'une opération militaire (opérations clandestines de recueil de renseignement et de frappes ciblées) pose en revanche des questions, toutefois davantage sur la légitimité de ces opérations que sur le recours à des drones pour les réaliser. Les exécutions ciblées et les victimes collatérales des frappes ont ainsi fait l'objet d'un débat éthique et politique sous l'administration Obama , les modalités d'application du droit de la guerre étant remises en cause lorsque les drones sont employés en dehors des cas de conflits armés internationaux ou non internationaux. Afin de justifier l'emploi des drones létaux lors d'exécutions ciblées, les États-Unis se sont appuyés sur les notions de légitime défense contre des acteurs non étatiques et le consentement des États à autoriser ces opérations sur leur territoire . Pour autant, la compatibilité de ces notions avec le jus ad bellum reste sujette à caution. Le statut des opérateurs de drones fait également l'objet de débat , notamment l'emploi des personnels de l'Air Force par la CIA, le statut civil de certains techniciens et l'enjeu des stress post-traumatiques. Un débat a également eu lieu au Royaume-Uni sur l'utilisation des drones armés. La commission de la défense de la chambre des Communes et un groupe interpartisan sur les drones ont demandé au ministre de la défense une transparence accrue sur les opérations impliquant des drones armés, de même que la Birmingham Policy Commission. La ministre de la défense a reconnu la nécessité de clarifier la doctrine et de prendre les mesures nécessaires pour que la légalité des opérations impliquant des drones armés soit démontrée. |
Rappelons que le droit international prohibe en principe la menace ou l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou contre l'indépendance politique de tout Etat (article 2.4 de la Charte des Nations unies). Toutefois, le recours à la force peut être légitime dans trois cas :
- si l'Etat sur le territoire duquel l'attaque a lieu y consent ;
- en cas de légitime défense ;
- sur autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU.
Dans les conflits à l'occasion desquels des drones armés seraient susceptibles d'être employés, la légalité de cet emploi serait ainsi subordonnée à celle de l'intervention de la France au regard du jus ad bellum .
Or, les interventions récentes de la France dans les conflits s'appuient à cet égard sur un fondement juridique clair, la France estimant qu'un ordre fondé sur le droit plutôt que sur la force est une condition essentielle de la sécurité (cf. encadré ci-dessous).
Ainsi, le Livre blanc de 2013 prévoit que « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l'emploi de la force dans les relations entre les États, à l'exception de l'exercice de la légitime défense et de l'application des résolutions du Conseil de sécurité. Le respect de la légalité est un préalable intangible à tout recours à la force par la France, qu'elle agisse à titre strictement national ou dans le cadre de ses alliances et de ses accords de défense. Elle réaffirme sa détermination à maintenir les capacités nécessaires à sa légitime défense et à celle de ses alliés, et à apporter sa contribution aux opérations autorisées ou décidées par le Conseil de sécurité ».
Comme le soulignent nos collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner, Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux, Cédric Perrin et Gilbert Roger 46 ( * ) , il est ainsi possible d'affirmer que la France est l'un des pays les plus attachés à la légalité internationale de ses engagements militaires , la quasi-totalité des opérations extérieures menées par la France l'ayant été soit au titre d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, soit au titre de la légitime défense.
L'utilisation de drones armés aurait donc été licite au cours de ces opérations extérieures, comme elle le serait dans le cas de nouvelles interventions menées en accord avec le droit international.
Frappes de drones, accord des pays concernés et légitime défense L'accord du pays concerné Le Conseil de sécurité de l'ONU et la Cour de justice ont reconnu qu'un Etat peut solliciter l'assistance d'un autre Etat afin de préserver l'ordre et le droit interne ou de défendre ses frontières contre une attaque extérieure. La doctrine a identifié d'autres objectifs évoqués par les États, dont la lutte contre le terrorisme , ou encore la protection des intérêts de l'Etat intervenant en menant par exemple des opérations militaires à l'étranger contre les rebelles qui utilisent le territoire d'un Etat voisin. Il existe des conditions de validité de la demande d'intervention. Le Gouvernement demandeur doit être le Gouvernement légitime de l'Etat, ce qui n'est sans doute pas le cas, par exemple, pour la Libye ou pour la Somalie, dont les gouvernements ne contrôlent qu'une partie du territoire. Le consentement doit également être explicite. Dans la pratique, si le président yéménite Mansour Hadi a publiquement reconnu en septembre 2012 avoir donné son accord pour des frappes menées au Yemen, en revanche, les attaques de drones au Pakistan n'auraient pas systématiquement reçu l'accord du Gouvernement de ce pays. D'après la Commission du droit international, le consentement peut cependant être accordé implicitement dans des circonstances très spécifiques 47 ( * ) . En outre, même s'il y a consentement valide de l'Etat concerné, la légalité de l'attaque de drone est subordonnée au respect des règles du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme. Après chaque élimination ciblée, l'Etat consentant doit d'ailleurs s'assurer que celle-ci était légale. En cas de doutes, il doit enquêter sur l'événement et, s'il constate une infraction, il doit poursuivre les auteurs et demander des compensations pour les victimes. Des interventions françaises conformes au droit international Au Mali , l'intervention française était fondée sur la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies du 20 décembre 2012, autorisant les États membres des Nations unies à fournir un soutien, éventuellement militaire, à la mission internationale de soutien au Mali (MISMA). En outre, elle a été suivie par une demande du Président Traoré adressé à la France (lettres des 8 et 9 janvier 2013). En complément de la résolution 2085, la résolution 2100 a créé la MINUSMA le 25 avril 2013. Concernant la République centrafricaine (RCA) , l'intervention de la France était fondée, d'une part, sur la demande des autorités de transition de RCA, adressée par une lettre en date du 27 novembre 2013, d'autre part, sur l'autorisation donnée par la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies du 5 décembre 2013, prise en vertu du Chapitre VII de la Charte. Cette résolution a conféré à la force française un mandat large, l'autorisant « prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la MISCA dans l'accomplissement de son mandat ». En ce qui concerne l'Irak , la qualification des actions de Daesh comme terroristes, y compris les exactions commises contre les populations civiles en Syrie et en Irak, a été établie par le Conseil de sécurité, notamment dans ses résolutions 2170 (15 août 2014), 2178 (24 septembre 2014 - résolution très détaillée sur la prévention et la coopération en vue de la lutte contre le terrorisme) et 2199 (12 février 2015, qui qualifie également les actions de Daesh de « menace pour la paix et la sécurité internationales »). Les autorités irakiennes ont par ailleurs sollicité l'assistance de la communauté internationale les 25 juin et 20 septembre 2014 (lettres au Président du Conseil de sécurité). Dans le cas de la Syrie , il n'existait ni demande de la part de l'Etat syrien, ni résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est donc sur le fondement de la légitime défense que la France est intervenue . La notion de légitime défense peut être invoquée, dans la conception française, en réponse à une attaque armée dépassant un certain seuil de gravité, ce qui était assurément le cas des actions menées par Daesh. Par ailleurs, si la charte de l'ONU n'évoque pas le fait que l'agression doit être le fait d'un Etat pour légitimer une riposte, la Cour internationale de justice indique qu'il peut s'agir de l'action de forces armées régulières ou de l'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires, sur lesquels il exerce un contrôle effectif, actions d'une gravité telle qu'elles équivalent à une agression armée commise par les forces régulières. De même, la résolution 3314 de 1974 adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU définit l'agression comme l'« emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale, ou l'indépendance politique d'un autre Etat ou de toute autre manière incompatible avec la charte des NU ». Traditionnellement, la conception française est conforme à ces dispositions et considère donc que la légitime défense ne peut être invoquée que contre une agression étatique. Toutefois, Daesh présente des caractéristiques proches de celles d'un Etat : contrôle d'un vaste territoire, organisation efficace et fortes capacités militaires. Ces éléments ont justifié l'invocation de la légitime défense à son encontre. Il s'agit cependant, non de la légitime défense individuelle, mais de la légitime défense collective : l'Irak a fait l'objet d'une agression armée de la part de Daesh et l'Irak a demandé l'assistance de la communauté internationale. Ainsi, l'intervention en Syrie doit être considérée comme la prolongation de l'intervention menée en Irak à la demande des autorités de ce pays. |
d) Les drones peuvent être un outil pour mieux respecter le droit international humanitaire (« jus in bello »)
Le second aspect de la légalité internationale a trait au droit dans la guerre, le jus in bello , également appelé droit international humanitaire (DIH). En vertu de ce corpus juridique, la force létale ne peut être utilisée que dans le cadre des conflits ; il convient d'épargner autant que possible les civils ; l'usage de la force droit être proportionné à l'avantage militaire attendu et les dommages collatéraux limités au maximum.
(1) Le critère de l'existence d'un conflit armé justifiant la force létale
Selon le DIH, l'application de la force létale n'est possible qu'en cas de conflit armé . Or, c'est bien dans le cadre de conflits armés, fussent-ils non internationaux, que les forces françaises seraient susceptibles d'employer des drones armés. Dès lors, comme pour les autres types d'armes, l'utilisation de drones armés dans le cadre d'interventions de ce type serait légale au regard des conditions d'engagement de la force létale.
Interventions françaises et qualification des conflits Dans le cas des interventions françaises, celles-ci ont bien lieu le plus souvent dans le cadre de « conflits armés non internationaux » (CANI) : au Mali et au Levant de manière évidente ; en RCA après une période qui pouvait être plutôt considérée comme caractérisée par des « troubles et tensions internes », d'un niveau insuffisant pour qualifier un conflit armé non international. La question des fondements de l'intervention française se pose initialement avec plus d'acuité dans les pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) autres que le Mali. La doctrine et le CICR ont toutefois théorisé les « conflits armés non internationaux exportés », qui comportent trois conditions cumulatives : il existe un accord de l'Etat pour les opérations sur son territoire ; les cibles visées sont des groupes armés qui participent au conflit armé non international originel (en l'occurrence au Mali) ; l'action de ces groupes doit s'inscrire dans un continuum opérationnel incontestable. Dès lors que ces conditions sont remplies, il y a « exportation » du conflit armé et par conséquent application du droit international humanitaire rendant possible une action létale au-delà de la seule légitime défense. Par ailleurs, le ciblage de citoyens français, le fait qu'une personne ciblée soit qualifiée de terroriste au sens du droit pénal local ou français, ou même qu'elle fasse déjà l'objet de poursuites en France, n'ont pas d'incidence sur la possibilité d'utiliser la force létale dès lors qu'il s'agit bien d'un combattant d'une force armée 48 ( * ) . |
(2) Les qualités des drones en matière de renseignement sont un atout pour mieux respecter le principe de distinction entre civils et combattants
Le respect de la distinction entre combattants et civils est le premier principe du droit des conflits et son respect est en premier lieu une exigence d'humanité mais aussi une condition d'efficacité dans la conduite de la guerre, puisque seul il permet d'atteindre une situation pacifiée une fois la victoire obtenue 49 ( * ) .
Or, si les conventions de La Haye et de Genève comprennent des dispositions relatives aux signes distinctifs, notamment des combattants, permettant de les distinguer des civils, dans le cadre les conflits armés non internationaux actuels, les combattants se distinguent de moins en moins nettement des civils et se mêlent de plus en plus à ceux-ci. La fonction observation et renseignement 50 ( * ) en devient d'autant plus cruciale. Les drones, de par leurs capacités à emporter une gamme complète de capteurs, de fournir une image de très bonne qualité en temps réel et pendant une durée très longue constituent en ce sens des atouts considérables pour confirmer la valeur d'une cible, son caractère militaire et l'absence de risque de dommage collatéral inacceptable.
En ce sens, le drone trouve sa place dans l'histoire récente de la recherche d'un usage de la force de plus en plus ciblé 51 ( * ) .
(3) Les drones armés et l'application des principes de proportionnalité et de maîtrise des dommages collatéraux
Le droit international humanitaire, autant et plus qu'une contrainte, est un véritable instrument de la conduite des opérations qu'il légitime, contribuant ainsi à leur acceptation par l'opinion publique. Au-delà même du strict respect du droit, les forces françaises voient ainsi leur usage de la force constamment encadré par un corpus de règles et de directives qui permet de minimiser les dommages collatéraux. Il s'agit là d'un élément à part entière de la culture militaire des forces françaises.
Ainsi, « là se situe l'essentiel de la déontologie du soldat : elle s'exprime par la notion de « force maîtrisée », la force, c'est-à-dire la capacité de prendre l'ascendant, physique et moral, mais maîtrisée, en référence aux valeurs fondatrices de la communauté nationale - traduites notamment par la devise de la République- aux droits de l'homme et aux conventions internationales 52 ( * ) ».
Cette nécessité d'un usage maîtrisé de la force se traduit juridiquement par le principe de proportionnalité fixé par les articles 52 et 57 du premier protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, repris par les articles 461-24 et 461-28 du code pénal 53 ( * ) . Les attaques sont ainsi en principe limitées aux seuls objectifs militaires et ne sont en outre licites que si elles sont susceptibles d'offrir un avantage militaire précis, et sous réserve que soient prises toutes les mesures nécessaires pour réduire au maximum les dommages causés aux populations civiles.
Concrètement, sur le terrain, le respect de ces principes passe par celui des règles d'engagement (ROE pour « rules of engagement ») élaborées pour chaque conflit (cf. encadré).
Cadre juridique et règles d'engagement (ROE) En ce qui concerne les interventions extérieures actuellement menées par la France, le cadre juridique des opérations est dans un premier temps caractérisé par la direction juridique du ministère de la défense, qui apprécie également les conditions de licéité de l'intervention et les normes qui lui sont applicables. Dans un second temps, ces éléments sont déclinés et interprétés par l'état-major des armées (EMA). Les principes juridiques irriguent ainsi les forces armés par le biais des conseillers juridiques opérationnels 54 ( * ) de l'EMA présents à tous les stades des opérations, de la planification à la conduite de celles-ci. Les règles d'engagement déclinent par ailleurs l'ensemble des principes juridiques pertinents du droit international en fonction des contraintes propres au théâtre d'opération. Lors de la préparation d'une opération ou avant une action d' « opportunité », les conseillers juridiques doivent aider à déterminer si l'objectif concerné est un objectif militaire légitime (par nature ou par destination). Dans le cas d'une opération contre une personne, il s'agit notamment d'établir si celle-ci est bien un membre d'une organisation armée ou un civil qui participe directement aux hostilités, et, en cas de réponse positive, s'il est nécessaire de faire usage de la force létale (un tel usage devant rester la solution de dernier recours) ou s'il est possible, par exemple, d'obtenir le même résultat en capturant la cible. Dans le cas où la cible, qu'elle soit une personne ou un site à usage militaire, se trouve dans une zone habitée, l'opération est préparée à l'aide de tous les renseignements disponibles, les renseignements issus de drones ayant désormais une importance primordiale du fait de la qualité de leurs capteurs . Ces renseignements vont permettre d'effectuer la caractérisation de la conformation du site ainsi que du « pattern of life » des civils, c'est-à-dire le nombre et les habitudes de déplacement de ceux-ci. La préparation permet ainsi de délimiter les zones à préserver qui doivent échapper aux effets des tirs (par exemple des zones d'habitation, des routes, des sites industriels abritant des produits chimiques dangereux pour la population, etc.) et les munitions ainsi que leur mode de mise en oeuvre sont adaptées en fonction de cet objectif. Les décideurs devront ensuite se prononcer sur la base de l'ensemble de ces éléments. Ainsi, même si la cible est une « cible militaire légitime » au sens du droit international humanitaire et si celui-ci n'interdit pas tout dommage collatéral - la possibilité de dommages collatéraux n'aboutit donc pas à une inhibition de l'usage de la force - la nécessité de préserver les civils reste au coeur de la préparation de l'opération. |
Or, d'une part, le modus operandi des missions menées par des drones armés serait similaire à celui des missions menées par des avions de chasse ou par l'artillerie (cf. encadré ci-dessus). Par exemple, la procédure serait la même pour une opération où le drone tire lui-même seraient identiques à celles en vigueur pour les opérations actuellement menées par des drones qui illuminent une cible au laser au profit d'un avion de chasse, afin qu'il puisse larguer sa GBU.
Actuellement, pour chaque mission, la chaine d'engagement des soldats est très claire et permet de garantir la légalité et la légitimité politique de cette mission. Le ciblage suppose toujours la validation de cinq étapes : l'identification préalable puis visuelle, la vérification des règles d'engagement, l'estimation des dommages collatéraux, enfin l'autorisation de l'autorité de théâtre d'opération, avec un niveau d'autant plus élevé que le risque de dommages collatéral est fort.
Le souci, reflété par l'application de cette chaîne d'engagement dans le cadre de chaque opération, de respecter le principe de proportionnalité, serait donc le même dans le cas de l'utilisation de drones armés .
D'autre part, la permanence du drone permettrait probablement de choisir le meilleur moment pour la neutralisation de la cible , avec un risque de dommage collatéral réduit par rapport à une opération conjointe drone + avion de chasse. Les risques de problèmes de coordination entre les opérateurs seraient également réduits. En outre, les opérateurs du drone ne sont pas soumis au même stress intense que les pilotes d'avions, ce qui peut minimiser le risque d'erreur. Enfin, une fois la munition tirée, le drone peut immédiatement observer les effets du tir avec une grande précision dans le cadre du « battle damage assessment », l'estimation des dommages collatéraux potentiels, ce qui permet le cas échéant de ne pas employer de munition supplémentaire. Dans cette optique, l'utilisation d'un drone armé est susceptible de permettre un respect plus complet des règles d'engagement et du droit international humanitaire .
Il convient enfin de souligner que le modèle français d'emploi des drones depuis le théâtre d'opération permet aux pilotes et aux opérateurs de ceux-ci de « débriefer » avec l'ensemble des autres acteurs de la mission , ce qui renforce le degré de maîtrise des missions.
Encore faut-il pour cela que ce nouveau moyen aérien soit effectivement mis en oeuvre par les forces armées, dans le cadre du corpus juridique actuellement appliqué par ces forces. Encore faut-il également, compte-tenu de la sensibilité particulière qui s'attache à l'usage des drones du fait de l'histoire récente et qui ne peut être occultée, que des garanties particulières soient appliquées (cf. partie III).
* 36 Articles R2335-9 et suivants du code de la défense.
* 37 Le MTCR est un régime multilatéral de contrôle des exportations créé en 1987 par l'Allemagne de l'Ouest, le Canada, la France, l'Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis et visant à limiter la prolifération des armes de destruction massive en contrôlant les transferts des missiles pouvant servir de vecteur pour ces armes. Il s'agit d'un accord sans portée juridique contraignante qui associe 34 pays. Depuis 1993, tous les systèmes non pilotés d'une portée de 300 km sont concernés, ce qui couvre tous les drones militaires à l'exception des mini drones.
* 38 Il s'agit également d'un régime non contraignant associant une quarantaine de pays et qui promeut la transparence et la responsabilité dans l'exportation des biens à double usage.
* 39 Les drones pourraient également être concernés par le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) et par le traité START (strategic arms reduction treaty).
* 40 Inversement, il serait sans doute désormais difficile de justifier la présence d'un drone volontairement non armé dans le cas d'une embuscade du type de celle d'Uzbin.
* 41 Pour Multi rôle tanker transport.
* 42 On pense au premier chef à la défaite de la chevalerie française face aux archers anglais à Azincourt en 1415. Dans le même ordre d'idées, en 1139, le deuxième concile de Latran interdit l'usage de l'arbalète entre Chrétiens.
* 43 Le risque reste nettement plus important néanmoins que dans le cas de pilotes de drones, avec les délicats ravitaillements en vol et le risque de panne et son corollaire l'éjection en milieu hostile.
* 44 Résolution du Parlement européen du 27 février 2014 sur l'utilisation de drones armés, 2014/2567.
* 45 Cf. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Diplomatie des armes autonomes : les débats de Genève », Politique étrangère, 2016/3.
* 46 Interventions extérieures de la France : renforcer l'efficacité militaire par une approche globale coordonnée
Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 794 (2015-2016) - 13 juillet 2016
https://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-794-notice.html
* 47 Comme dans le cas où un Etat permet à un autre Etat d'utiliser ses bases aériennes pour mener une opération avec un drone ou pour collecter des renseignements afin de les utiliser directement dans une opération menée par des drones, ou si l'Etat ouvre son espace aérien aux drones d'une autre Etat.
* 48 Inversement, le fait qu'ils aient été combattants ne protège en rien les terroristes des poursuites judiciaires.
* 49 Ce principe de distinction s'exprime le plus clairement dans les deux protocoles additionnels aux conventions de Genève du 12 août 1949, adoptés le 8 juin 1977 à Genève, qui garantissent la protection des civils respectivement dans les guerres internationales et les guerres internes.
* 50 L'article 24 des deux conventions de La Haye de 1899 et de 1907 autorise « l'emploi de moyens nécessaires pour procurer des renseignements sur l'ennemi et sur le terrain ».
* 51 Alors que la précision du largage d'une bombe lors de la seconde guerre mondiale était de 1000 mètres, il serait passé aujourd'hui à environ 3 à 30 mètres selon les configurations. En outre, alors que les armements guidés constituaient 8 à 9% des munitions pendant la guerre du golfe, cette proportion serait passée à presque 70% en Irak et en Afghanistan.
* 52 L'exercice du métier des armées dans l'armée de terre - Fondements et principes (état-major de l'armée de terre), Paris, janvier 1999 - Le général chef d'état-major de l'armée de terre.
* 53 « Est puni de vingt ans de réclusion criminelle le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu'elle causera incidemment : 1° Des dommages aux biens de caractère civil, qui seraient manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu de l'ensemble de l'attaque ; 2° Des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel, qui seraient manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu de l'ensemble de l'attaque. » En revanche, les dommages provoqués par un drone armé étant voisins de ceux provoqués par une frappe aérienne classique, la règle de l'irresponsabilité de l'Etat du fait des opérations militaires qui est affirmée de manière récurrente par le juge administratif doit aussi logiquement s'appliquer (CE, Contentieux, 31 janvier 1969, 68388 ; CE, 23 juillet 2010, n°328757).
* 54 Appelés « LEGAD » en Anglais, pour legal advisors. Ils dépendent de la chaîne opérationnelle de l'état-major des armées mais sont formés conjointement par l'EMA et la DAJ.