Conclusion : M. Alain Milon, sénateur, président de la commission des affaires sociales
Deux observations d'abord : Mme Dux parle de pression médiatique efficace. Comme sénateurs, Mme Schillinger et moi subissons également une pression médiatique, celle qui s'exerce sur chacun des deux candidats que nous soutenons. Cette pression sera-t-elle, dans cinq ans, considérée comme ayant été efficace ? C'est à voir.
Autre observation, on impose aux assemblées politiques la parité : mais dans ces deux tables rondes, il y a eu respectivement une femme sur six intervenants et deux sur huit.
La question étudiée cet après-midi concerne un enjeu de santé publique et de société de tout premier plan. Le défi posé par les perturbateurs endocriniens n'est pas nouveau ; en ce qui concerne la santé humaine, les scientifiques s'y consacrent depuis au moins les années quatre-vingt-dix. Mais la nécessité pour les pouvoirs publics de se mobiliser n'a sans doute jamais été aussi forte qu'aujourd'hui.
Si des zones d'incertitude encore nombreuses demeurent, la recherche a beaucoup progressé. Les perturbateurs endocriniens suscitent de fortes inquiétudes, relayées par des membres du corps scientifique, des organismes de recherche, des associations. Nos concitoyens nous interpellent également - le sujet est bien présent dans le débat politique en cours.
Merci au président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, d'avoir pris l'initiative de ces deux tables rondes. Merci à Patricia Schillinger et Alain Vasselle qui ont animé ces discussions. Nous connaissons leur fort engagement sur la question. Leur récent rapport d'information sur les critères d'identification des perturbateurs endocriniens proposés par la Commission européenne a débouché, vous le savez, sur une résolution du Sénat adoptée le 17 février dernier. Je me félicite de l'association étroite de la commission des affaires sociales aux travaux menés par la commission des affaires européennes dans ce domaine. La commission que j'ai l'honneur de présider s'est toujours investie pour protéger la santé de nos concitoyens et pour développer l'approche préventive qui fait encore trop souvent défaut. Patricia Schillinger et moi avons ainsi travaillé sur les dangers du bisphénol A, en particulier pour les populations les plus sensibles. Merci enfin à tous les participants pour la qualité des interventions et la richesse des échanges.
Comment identifier les perturbateurs endocriniens, comment limiter leur présence et leur usage afin de protéger les populations : vos discussions ont illustré toute la complexité de ces questions.
Complexité qui résulte tout d'abord de la nature même des molécules incriminées. Qu'il s'agisse de produits phytopharmaceutiques, de produits biocides, de certains médicaments ou encore de produits cosmétiques, ces substances sont couramment utilisées dans les processus de fabrication. Elles sont quasi-omniprésentes dans notre environnement quotidien. En outre, si leurs effets toxiques sont avérés, les perturbateurs endocriniens ne forment pas un ensemble monolithique. Ils provoquent, cela est connu, des réactions diverses en fonction de la molécule, de son mécanisme d'action, de l'organe touché, de la voie d'administration. Ces substances agissent le plus souvent de manière silencieuse, avec des effets différés. Le résultat en est une réalité difficile à saisir.
Complexité de la question également car elle se situe au carrefour des approches sanitaire, scientifique et économique. Nous savons la sensibilité de ce sujet eu égard à ses potentielles conséquences économiques et aux retombées des décisions qui pourraient être prises, en particulier dans le domaine de l'agriculture. Si l'approche doit nécessairement être multifactorielle, son point de mire ne peut être que la protection de la santé publique.
Du point de vue scientifique, les perturbateurs endocriniens sont suspectés d'être à l'origine potentielle ou démontrée de nombreux cancers - du sein, de l'utérus, de la prostate... Des preuves scientifiques existent également quant à leurs effets sur la fertilité et la sensibilité particulièrement forte des foetus, des nourrissons et des jeunes enfants.
Des incertitudes persistent cependant. La part attribuable aux perturbateurs endocriniens dans l'accroissement des pathologies fait toujours l'objet de controverses. La communauté scientifique est encore loin de comprendre l'intégralité des mécanismes et des effets combinés ou cumulés des milliers de molécules auxquelles nous sommes exposés du fait de notre environnement.
Enfin, complexité de la question car la réglementation qui s'applique à ces substances ne fait pas intervenir un acteur unique. La législation relative aux perturbateurs endocriniens relève de la compétence de l'Union européenne. Or, les réglementations sont aujourd'hui sectorielles et l'absence de cadre transversal ou de législation suffisamment contraignante rend assez vaines les initiatives individuelles des États membres.
J'en veux pour preuve la loi du 24 décembre 2012 interdisant le bisphénol A dans les matériaux en contact direct avec des denrées alimentaires. Avec ce texte, la France s'est exposée à un risque contentieux avec la Commission européenne, laquelle n'a malheureusement pas souhaité reprendre à son compte cette proposition de législation.
Si une définition générale des perturbateurs endocriniens a été arrêtée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la législation européenne est dépourvue de définition et de critères communs à l'ensemble des États membres. Or, l'efficacité de notre action implique de partager une approche commune au niveau européen, voire international. Vos discussions ont mis en lumière les difficultés qui caractérisent les négociations entre États membres. La nécessité de renforcer la coordination entre agences sanitaires a également été pointée.
Il me semble pourtant qu'un accord peut être trouvé sur plusieurs points. Je pense d'abord à la nécessité de poursuivre les efforts pour aboutir à une classification des perturbateurs endocriniens selon les preuves dont on dispose sur leur dangerosité. Cela implique de développer de nouvelles méthodes d'évaluation des risques, reconnues et partagées au niveau international, pour les adapter aux spécificités de cette question.
Il faut également souligner les multiples intérêts qu'il y a à identifier rapidement les substituts possibles pour les produits ou substances pour lesquels un risque sanitaire est mis en évidence. Enfin la mobilisation de tous les acteurs doit s'accompagner d'un effort accru d'information vis-à-vis de nos concitoyens. C'est bien à une obligation de résultat que nous sommes tenus.
Lorsque mes patients me demandaient s'ils guériraient un jour, je leur répondais : je ne sais pas, mais si vous arrivez à arrêter le temps, vous serez guéri...