ANNEXES

Annexe 1 - Sénat - Séance du 9 février 2017

Question orale de Maryvonne Blondin
sur la situation des enfants « intersexes » et réponse du Gouvernement

M. le président . - La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 1276, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Maryvonne Blondin . - Madame la secrétaire d'État, actuellement, en France, il naît environ 2 % d'enfants par an qui ne disposent pas, à la naissance, de caractères sexuels bien précis. Les parents, mal informés, doivent se déterminer sur l'assignation du sexe qu'ils veulent donner à leur enfant pour l'inscrire à l'état civil selon la classification binaire du genre, et ce dans un délai de trois ans.

Les actes de chirurgie corrective qui en découlent sont qualifiés de véritables mutilations et tortures par les institutions des Nations unies et par le Conseil de l'Europe, dans son rapport de 2013 sur les droits des enfants à l'intégrité physique. Au-delà de la violence physique, ces personnes sont niées dans ce qu'elles sont intrinsèquement. Les discriminations dont elles sont victimes entraînent bien souvent leur précarisation.

Les personnes intersexes réclament aujourd'hui le droit à leur intégrité physique et au respect de leur choix. Des associations se sont constituées dans de nombreux pays afin de faire entendre leurs revendications et leur volonté de faire changer la législation des États qui pratiquent les opérations destinées à la détermination sexuée des nourrissons.

Certains pays ont d'ores et déjà établi qu'aucune opération ne peut être pratiquée tant que l'enfant n'est pas en âge de dire s'il souhaite devenir un homme ou une femme, ou rester intersexes. Nous n'en sommes pas encore là en France. Aucune étude n'a été réalisée, ce qui rend encore plus invisibles les personnes intersexes. En revanche, la prise en compte de cette question progresse dans notre société.

En juin dernier, dans le cadre du festival du cinéma des minorités, l' Organisation internationale des Intersexes a mis en place une résidence à Douarnenez accueillant les témoignages des personnes intersexes du monde entier, ainsi que des juristes, des médecins, des sociologues et le représentant du Commissaire européen aux droits de l'homme.

Je me réjouis aussi que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes organise une table ronde sur cette thématique le 12 mai prochain.

Par ailleurs, la décision du tribunal de grande instance de Tours, en octobre dernier, de modifier l'acte de naissance d'une personne intersexuée âgée de plus de soixante ans, désignée jusque-là comme étant de « sexe masculin », en acceptant d'enregistrer la mention « sexe neutre », constitue une avancée indéniable.

Aussi, madame la secrétaire d'État, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour mieux protéger ces enfants et garantir leurs droits fondamentaux ?

M. le président . - La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie . - Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur les enfants intersexes à la naissance, c'est-à-dire les nouveaux-nés qui ont une anomalie congénitale entraînant une difficulté de détermination du sexe.

Ces situations sont fort heureusement rares : l'incidence à la naissance est mal connue, mais serait de l'ordre d'une naissance sur 5 000, soit probablement environ 160 naissances par an. Pour autant, la marginalité de la situation n'altère en rien l'importance du sujet.

Mme Maryvonne Blondin. - Non, en effet !

Mme Laurence Rossignol . - Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a interrogé à ce sujet la France au cours des auditions des 13 et 14 janvier dernier. Le Comité a soulevé des questions relatives à la temporalité des interventions et au consentement de l'enfant lui-même, qui nécessiterait de décaler les interventions dans l'intérêt de l'enfant.

Avant toute décision thérapeutique, ces enfants nécessitent une prise en charge multidisciplinaire dans des centres experts spécialisés où seront réalisés les examens endocrinologiques, génétiques et d'imagerie indispensables pour définir la maladie responsable et les possibilités thérapeutiques, médicales autant que chirurgicales.

En France, il existe un centre de référence, le centre des maladies rares du développement sexuel, qui comprend un site à Lyon et un site au Kremlin-Bicêtre ; il travaille en lien avec les autres centres de référence des maladies endocriniennes rares. Le recours à un centre de référence est essentiel pour la démarche diagnostique, le traitement médical et les indications chirurgicales, précoces ou différées, le suivi, ainsi que pour la recherche clinique.

Les indications chirurgicales peuvent être difficiles. C'est pourquoi elles font l'objet de discussions et de travaux internationaux, qui, reconnaissons-le, ne sont pas parfaitement consensuels. Ces indications chirurgicales sont le plus souvent spécifiques à chaque cas et demandent donc une information personnalisée très complète et régulière des parents.

Le caractère irréversible de certaines interventions de reconstruction impose de tenir compte des données médicales, en particulier pronostiques, et du libre choix des parents et de l'enfant quand celui-ci est en mesure d'exprimer sa volonté.

Quelles que soient les modalités thérapeutiques, un suivi prolongé est nécessaire pour évaluer les conséquences physiques, sexuelles et psychiques des traitements réalisés.

Dans ces situations médicales complexes, aux conséquences multiples tout au long de la vie, la qualité de l'expertise, de la prise en charge et du dialogue continu est le meilleur garant du respect des droits de l'enfant. Elle doit permettre d'éviter toute décision hâtive et tout acte qui pourrait être vécu plus tard comme une mutilation inacceptable.

Enfin, cette question de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre est une problématique partagée en Europe. Elle fait l'objet de travaux en cours au sein du plan d'action sur les droits des enfants 2016-2021 et de l'unité « SOGI » du Conseil de l'Europe, en charge des questions d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

Au regard de la complexité d'un sujet qui se rapporte tant aux questions d'éthique qu'aux droits de la personne humaine, à la lutte contre les discriminations et à la santé, le Comité consultatif national d'éthique sera saisi avant que puisse être arrêtée une position du Gouvernement en la matière.

M. le président. - La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin . - Vous avez décrit toutes les difficultés d'un sujet sur lequel ma question visait à sensibiliser un peu plus encore notre société, madame la secrétaire d'État, et je vous en remercie.

Je veux tout de même souligner la force des témoignages qui ont été recueillis dans le cadre du travail réalisé par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, travail auquel j'ai participé auprès de Mme Rupprecht. En Allemagne, les interventions chirurgicales ont ainsi été différées jusqu'à l'âge de quinze ans, le temps que l'enfant puisse véritablement donner son avis.

Or, en France, s'impose un délai de trois ans pour remplir la fameuse case : « femme » ou « homme ». Nous en sommes là ! J'aimerais donc que ce sujet soit vraiment pris en compte et que le Défenseur des droits, qui y a été sensibilisé, puisse s'en saisir.

Annexe 2 - Textes des références juridiques
citées dans le corps du rapport

Code civil

Article 16-3

Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.

Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.

Article 55

Les déclarations de naissance sont faites dans les cinq jours de l'accouchement, à l'officier de l'état civil du lieu.

Par dérogation, ce délai est porté à huit jours lorsque l'éloignement entre le lieu de naissance et le lieu où se situe l'officier de l'état civil le justifie. Un décret en Conseil d'État détermine les communes où le présent alinéa s'applique.

Lorsqu'une naissance n'a pas été déclarée dans le délai légal, l'officier de l'état civil ne peut la relater sur ses registres qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de l'arrondissement dans lequel est né l'enfant, et mention sommaire en est faite en marge à la date de la naissance. Si le lieu de la naissance est inconnu, le tribunal compétent est celui du domicile du requérant. Le nom de l'enfant est déterminé en application des règles énoncées aux articles 311-21 et 311-23.

En pays étranger, les déclarations aux agents diplomatiques ou consulaires sont faites dans les quinze jours de l'accouchement. Toutefois, ce délai peut être prolongé par décret dans certaines circonscriptions consulaires.

Article 57

L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. Si les père et mère de l'enfant ou l'un d'eux ne sont pas désignés à l'officier de l'état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet.

Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l'accouchement peut faire connaître les prénoms qu'elle souhaite voir attribuer à l'enfant. À défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l'officier de l'état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l'enfant. L'officier de l'état civil porte immédiatement sur l'acte de naissance les prénoms choisis. Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel.

Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.

Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant.

Article 60

Toute personne peut demander à l'officier de l'état civil à changer de prénom. La demande est remise à l'officier de l'état civil du lieu de résidence ou du lieu où l'acte de naissance a été dressé. S'il s'agit d'un mineur ou d'un majeur en tutelle, la demande est remise par son représentant légal. L'adjonction, la suppression ou la modification de l'ordre des prénoms peut également être demandée.

Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.

La décision de changement de prénom est inscrite sur le registre de l'état civil.

S'il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu'elle est contraire à l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s'oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut alors saisir le juge aux affaires familiales.

NOTA :

Conformément à l'article 114 VI de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, les présentes dispositions ne sont pas applicables aux affaires en cours.

Article 61-5

Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.

Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :

1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;

2° Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;

3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué.

Article 61-6

La demande est présentée devant le tribunal de grande instance.

Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa demande.

Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande.

Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à l'article 61-5 et ordonne la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l'état civil.

Article 61-7

Mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms est portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressé, à la requête du procureur de la République, dans les quinze jours suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée.

Par dérogation à l'article 61-4, les modifications de prénoms corrélatives à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l'état civil des conjoints et enfants qu'avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.

Les articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe.

Article 61-8

La modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans effet sur les obligations contractées à l'égard de tiers ni sur les filiations établies avant cette modification.

Code de procédure pénale

Article 2-2

Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l'objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles, contre le harcèlement sexuel ou contre les violences exercées sur un membre de la famille, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne, les agressions et autres atteintes sexuelles, l'enlèvement et la séquestration et la violation de domicile réprimés par les articles 221-1 à 221-4, 222-1 à 222-18 , 222-23 à 222-33 , 224-1 à 224-5 , 226-4 et 432-8 du code pénal, lorsque la victime de ces infractions était majeure à la date des faits. Toutefois, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de la victime. Si celle-ci est un majeur en tutelle, l'accord doit être donné par son représentant légal.

Toute fondation reconnue d'utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l'association mentionnée au présent article.

En cas d'atteinte volontaire à la vie, si la victime est décédée, l'association doit justifier avoir reçu l'accord de ses ayant-droits.

Article 2-3

Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l'objet statutaire comporte la défense ou l'assistance de l'enfant en danger et victime de toutes formes de maltraitance peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité, les agressions et autres atteintes sexuelles commises sur la personne d'un mineur et les infractions de mise en péril des mineurs réprimées par les articles 221-1 à 221-5 , 222-1 à 222-18-1 , 222-23 à 222-33-1 , 223-1 à 223-10 , 223-13 , 224-1 à 224-5 , 225-7 à 225-9 , 225-12-1 à 225-12-4, 227-1, 227-2 , 227-15 à 227-27-1 du code pénal, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.

Toute association, inscrite auprès du ministère de la justice dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, est recevable dans son action même si l'action publique n'a pas été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée en ce qui concerne l'infraction mentionnée à l'article 227-23 du code pénal. Il en est de même lorsqu'il est fait application des dispositions du second alinéa de l'article 222-22 et de l'article 227-27-1 dudit code.

Toute fondation reconnue d'utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l'association mentionnée au présent article.

Article 2-6

Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations fondées sur le sexe, sur les moeurs, sur l'orientation sexuelle ou sur l'identité de genre, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal et les articles L. 1146-1 et L. 1155-2 du code du travail, lorsqu'elles sont commises en raison du sexe, de la situation de famille, des moeurs, de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre de la victime ou à la suite d'un harcèlement sexuel.

Toutefois, en ce qui concerne les discriminations commises à la suite d'un harcèlement sexuel, l'association n'est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord écrit de la personne intéressée, ou, si celle-ci est mineure et après l'avis de cette dernière, celui du titulaire de l'autorité parentale ou du représentant légal.

L'association peut également exercer les droits reconnus à la partie civile en cas d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne et de destructions, dégradations et détériorations réprimées par les articles 221-1 à 221-4 , 222-1 à 222-18 et 322-1 à 322-13 du code pénal, lorsque ces faits ont été commis en raison du sexe ou des moeurs de la victime, dès lors qu'elle justifie avoir reçu l'accord de la victime ou, si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, celui de son représentant légal.

Toute fondation reconnue d'utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que l'association mentionnée au présent article.

En cas d'atteinte volontaire à la vie, si la victime est décédée, l'association doit justifier avoir reçu l'accord de ses ayant-droits.

Code de la santé publique

Article R1412-4

Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé peut être saisi par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou un membre du Gouvernement, ainsi que par un établissement d'enseignement supérieur, un établissement public ou une fondation, reconnue d'utilité publique. Ces établissements ou fondations doivent avoir pour activité principale la recherche, le développement technologique ou la promotion et la protection de la santé.

Il peut également se saisir de questions posées par des personnes autres que celles qui sont mentionnées à l'alinéa ci-dessus ou par un ou plusieurs de ses membres.

Article R4127-41

Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l'intéressé et sans son consentement.

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales (CESDH)

Article 8

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui.

Loi 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité

Article 1

L'identité d'une personne se prouve par tout moyen. La présentation d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.

Annexe 3 - Éléments de Bibliographie

Thèses récentes ou en cours relatives aux variations du développement sexuel

- Thèses de doctorat en Médecine

Prise en charge de l'hermaphrodisme vrai chez l'enfant : à propos de vingt-neuf observations : étude clinique, biologique, radiologique, génétique, thérapeutique et résultats à long terme

Par Anne Moro. Sous la direction de Claire Nihoul Fékété. Soutenue en 2000 à Bordeaux 2. http://www.theses.fr/2000BOR23101

Ambiguïtés sexuelles en période néonatale : à propos de 18 observations

Par Patricia Martinez, sous la direction d'Hubert Bonnet. Soutenue en 1988 à Montpellier 1. http://www.theses.fr/1988MON11192

Hyperplasie congenitale des surrenales : devenir a long terme

Par Isabelle Galley, sous la direction de Pierre Rochiccioli. Soutenue en 1994 à Toulouse 3. http://www.theses.fr/1994TOU31020

Hyperplasie congénitale des surrénales par déficit enzymatique à propos de deux observations : discussion thérapeutique

Par Delphine Dupety, sous la direction de Louis Monnier. Soutenue en 1989 à Montpellier 1. http://www.theses.fr/1989MON11244

- Thèse de doctorat en Psychologie clinique et psychopathologie

La différence des sexes à l'épreuve de l'intersexuation : à partir de la rencontre clinique et projective avec des adolescents porteurs du syndrome de Klinefelter

Par Aurélien Lubienski, sous la direction de François Marty. Soutenue en 2011 à Paris 5. http://www.theses.fr/2011PA05H129

- Thèse de doctorat en Sciences biologiques et fondamentales appliquées. Psychologie

Pathologie du déterminisme et de la différenciation du sexe chez l'homme : étude des loci portes sur le chromosome x et sur les autosomes

Par Ruxandra Ion, sous la direction d'Alain Pompidou. Soutenue en 1996 à Paris 7. http://www.theses.fr/1996PA077221

- Projet de thèse en Recherche clinique, innovation technologique, santé publique

Étude moléculaire de remaniements chromosomiques et génération d'un modèle d'étude de la méiose à partir de cellules iPS de patients infertiles

Par Aurélie Mouka, sous la direction de Gérard Tachdjian et de Lucie Tosca.

Thèses en préparation à Paris Saclay, dans le cadre de Signalisations et Réseaux Intégratifs en Biologie, en partenariat avec Laboratoire Histologie Embryologie Cytogénétique (laboratoire) et de l'université Paris-Sud (établissement de préparation de la thèse) depuis le 01-10-2015. http://www.theses.fr/s146602

« En parallèle de ce travail, une étude conventionnelle et moléculaire de cas de patients présentant une anomalie du développement sexuel a été initiée. Cet autre axe d'étude se concentre sur les pathologies de la différenciation sexuelle pour identifier l'origine génétique de cette incohérence entre sexe chromosomique, sexe gonadique et sexe phénotypique. »

- Thèse de doctorat en Physiologie, Physiopathologie et Thérapeutique

Deciphering the molecular mechanisms of gonadal development

Par Sandra Elena Rojo Mendoza, sous la direction de Kennneth McElreavey et d'Anu Bashamboo. Soutenue le 25-09-2015 à Paris 6, dans le cadre de École doctorale physiologie, physiopathologie et thérapeutique, en partenariat avec Génétique du Développement humain (laboratoire).

http://www.theses.fr/2015PA066658

- Thèse de doctorat en Biologie moléculaire et cellulaire

Études fonctionnelles et structurales des mutants du gène CYP21A2 dans l'hyperplasie congénitale des surrénales

Par Rita Menasse (El Medawar), sous la direction d'Yves Morel et de Véronique Guidollet-Tardy. Soutenue le 02-11-2009 à Lyon 1, dans le cadre de École Doctorale Interdisciplinaire Sciences-Santé (Villeurbanne), en partenariat avec Laboratoire de Neuro-oncologie & Neuro-inflammation. Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRL) (laboratoire).

http://www.theses.fr/2009LYO10160

- Thèse de doctorat en Biologie cellulaire et moléculaire

Déficits de la biosynthèse de la testostérone et anomalies de la différenciation testiculaire chez l'homme

Par Delphine Mallet, sous la direction d'Yves Morel. Soutenue en 2006 à Lyon 1. http://www.theses.fr/2006LYO10045

- Thèse de doctorat en Génétique humaine

Délétions du bras court du chromosome 9 et détermination du sexe chez l'homme : gènes de la famille doublesex-mab-3 et leur évolution

Par Chris Ottolenghi, sous la direction de Marc Fellous et de Marcello Barbieri. Soutenue en 2001 à Paris 7 en cotutelle avec l'Università degli studi (Ferrare, Italie). http://www.theses.fr/2001PA077227

- Thèse de doctorat en Biologie cellulaire et moléculaire

Polluants environnementaux et développement du testicule foetal humain : effets et mécanismes des phtalates

Par Vincent Muczynski, sous la direction de Virginie Rouiller-Fabre. Soutenue le 11-04-2011 à Paris 11, dans le cadre de École doctorale Signalisations et Réseaux Intégratifs en Biologie (2000-2015 ; Kremlin-Bicêtre, Val-de-Marne), en partenariat avec Cellules Souches et Radiations (laboratoire) et de Cellules Souches et Radiations (laboratoire).

http://www.theses.fr/2011PA11T011

- Projet de thèse en Sciences du langage

Les discours de l'intersexualité : vécu(s) et construction(s) des corps

Par Noémie Marignier, sous la direction de Marie-Anne Paveau et de Luca Greco.

Thèses en préparation à Sorbonne Paris Cité, dans le cadre de École doctorale Érasme (Villetaneuse, Seine-Saint-Denis) et de Université Paris 13 (établissement de préparation) depuis le 08-10-2012. http://www.theses.fr/s78924

- Projet de thèse en Droit privé et Sciences criminelles

L'opportunité du maintien d'une mention du sexe à l'état civil au prisme des états d'intersexuation

Par Justine Fontana, sous la direction de François Vialla.

Thèses en préparation à Montpellier, dans le cadre de Droit et Science Politique, en partenariat avec Dynamiques du droit (laboratoire) depuis le 08-10-2012. http://www.theses.fr/s152548

- Thèse de doctorat en Arts et science de l'art. Arts appliqués.

Intersexualité dans la mode contemporaine en Corée et en France : recherches et propositions.

Par Soo-Ran Bang , sous la direction de Pierre Baqué. Soutenue en 2006 à Paris 1.

http://www.theses.fr/2006PA010544

- Thèse de doctorat en Littérature et civilisation française

Androgynie et hermaphrodite dans le texte décadent

Par Cécile Ladjali, sous la direction d'André Guyaux. Soutenue en 2002 à Paris 4.

http://www.theses.fr/2002PA040083

Mémoires et travaux d'étudiants

- Antoine Bal, « Re-constituer son « histoire ». Une approche anthropologique des parcours de vie des personnes « intersexuées » », Mémoire de master 2, sous la direction de Laurence Hérault, soutenu en septembre 2006, Université de Provence, Aix-Marseille 1, UFR Civilisation et Humanité, Département d'Anthropologie.

- Cosette Carrara, « Intersexuation : un compromis entre sexe et genre. Le rôle des normes genrées et sexuelles dans la gestion sociale des intersexes », Mémoire de Bachelor sous la direction de Claudine Burton-Jeangros, soutenu en 2015, Université de Genève, Département de sociologie.

- L. Gosselin, (2012). Intersexualité: Des sexes en question dans les sociétés occidentales (Mémoire). Université Laval, Québec.

- Variation du développement sexuel , travail de mobilité réalisé par des étudiants en partenariat avec la Faculté de Médecine de l'Université de Genève, la HEDS (Haute école de santé de Genève) et la Hes-so/Genève (Haute école spécialisée de Suisse occidentale de Genève). Par Adriana Chédel, Elodie Fatio, Sarah Kiehl, Audrey Perseghini. Sous la direction du Dr. Philippe Garnerin. Juin 2013.

Revues scientifiques

- Karkazis K., (2008). Fixing Sex : Intersex, Medical Authority, and Lived Experience . Durham (NC): Duke University Press.

- Kessler S. J., (1990). The Medical Construction of Gender : Case Management of Intersexed Infants. Signs , 16 (1), 3-26. http://doi.org/10.2307/3174605

- Lee, P. A., Houk, C. P., Ahmed, F., & A. Hughes, I. (2006). Consensus Statement on Management of Intersex Disorders. Pediatrics , 118 , e488-e500.

- Wilcox, A. (2015). L'enfant intersexué : dysphorie entre le modèle médical et l'intérêt supérieur de l'enfant. Intervention , (142), 65-77.

- Arboleda, V. A., Sandberg, D. E., & Vilain, E. (2014). DSDs: genetics, underlying pathologies and psychosexual differentiation. Nature Reviews Endocrinology , 10 (10), 603-615. http://doi.org/10.1038/nrendo.2014.130

- Blackless, M., Charuvastra, A., Derryck, A., Fausto-Sterling, A., Lauzanne, K., & Lee, E. (2000). How sexually dimorphic are we ? Review and synthesis. American Journal of Human Biology , 12 (2), 151-166.

- Committee on Genetics : Section on Endocrinology and Section on Urology. (2000). Evaluation of the newborn with developmental anomalies of the external. Pediatrics , vol. 106, p. 138-142

- Fausto-Sterling, A. (2000). Sexing the Body: Gender Politics and the Construction of Sexuality . New York: Basic Books.

- Hester, D. J. (2006). Intersex and the rhetorics of healing. In S. E. Sytsma (Ed.), Ethics and intersex (pp. 47-71). Dordrecht : Springer.

- Tamar-Mattis, A. (2014). Medical Treatment of People with Intersex Conditions as Torture and Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment. In Torture in healthcare settings : Reflections on the special rapporteurs on torture's 2013 thematic report (pp. 91-104). Washington (DC) : Washington College of Law - Center for Human Rights and Humanitarian Law.

- Bastien Charlebois, J. (2014). Femmes intersexes : Sujet politique extrême du féminisme. Recherches féministes , 27 (1), 237-256. http://doi.org/10.7202/1025425ar

- Löwy Ilana, « Intersexe et transsexualités : Les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe social », Cahiers du Genre , 1/2003 (n° 34), p. 81-104.

- Kraus Cynthia, Perrin Céline, Rey Séverine, Gosselin Lucie, Guillot Vincent, « Démédicaliser les corps, politiser les identités : convergences des luttes féministes et intersexes », Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 4-15.

- Jacquet Loïc, « La réinvention de la sexualité chez les intersexes », Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 49-60. 168 pages. ISBN : 9782889010073 Lien : http://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2008-1.htm

Loïc Jacquet est un militant trans' d'une vingtaine d'années. Depuis 2003, il diffuse de l'information en français sur les effets des traitements hormonaux et chirurgicaux, en particulier les traitements masculinisants.

- Bal Antoine, « Re-constituer son «  histoire ». Une approche anthropologique des parcours de vie des personnes « intersexuées » (résumé), Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 61-62.

Antoine Bal est titulaire d'un master d'anthropologie sociale et culturelle à l'Université de Provence. Son travail de recherche tant historique qu'ethnographique interroge l'appréhension des situations d'intersexualité dans la société contemporaine, et fait écho à une réflexion personnelle et centrale sur la fabrication, l'utilisation, et la déconstruction des catégories définitionnelles de soi.

- Boisclair Isabelle, « Le personnage intersexué : voie de renouvellement de l'imaginaire des sexes/genres ? », Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 63-78.

Isabelle Boisclair est professeure d'études littéraires et culturelles à l'Université de Sherbrooke (Québec).

- Bohuon Anaïs, « Sport et bicatégorisation par sexe : test de féminité et ambiguïtés du discours médical », Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 80-91.

Anaïs Bohuon est attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) à l'Université Paris XI. Sa thèse de doctorat porte sur l'investissement médical dans la pratique physique féminine des années 1880 aux années 1920.

- Gosselin Lucie, « Émergence de la parole intersexe francophone, de la conférence internationale de Montréal sur les droits humains LGBT aux premières universités d'été des intersexes et intergenres d'Europe », Nouvelles Questions Féministes , 1/2008 (Vol. 27), p. 128-134.

Lucie Gosselin est militante féministe et anthropologue. Elle est porte-parole pour les questions de genre de l'OII (Organisation internationale des intersexes). Elle s'intéresse à la prise de parole publique des personnes intersexuées qui cherchent à faire voir et accepter une différence jusqu'ici largement ignorée.

Annexe 4 - Avis du Défenseur des droits

Annexe 5 - Comptes rendus des auditions de la délégation

Liste des personnes auditionnées

Table ronde du 12 mai 2016

- Vincent Guillot

Doctorant en science de l'éducation, membre fondateur de l' Organisation internationale des intersexes ( OII )

- Nadine Coquet

- Mathieu Le Mentec

Militant au sein de l' OII

- Sylvaine Telesfort

Fondatrice et présidente de l' Association maison intersexualité et hermaphrodisme Europe (Amihe)

- Christèle Fraïssé

Maître de conférences en psychologie à l'université de Brest

- Clément Cousin

Doctorant en droit, attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) à l'université Panthéon-Assas

- Mila Petkova

Avocate

- Philippe Reigné

Agrégé des facultés de droit, professeur du Cnam

- Benjamin Moron-Puech

Docteur en droit de l'université Panthéon-Assas

- Jacqueline Descarpentries

Maître de conférences, HDR (Habilitation à diriger des recherches) en sciences de l'éducation, Université de Paris VIII-Vincennes

Audition du 25 mai 2016

- Dr Claire Bouvattier

Endocrinologue

- Dr Pierre Mouriquand

Chef du service de chirurgie uro-viscérale de l'enfant du CHU de Lyon

- Laurence Brunet

Centre d'Éthique clinique de l'hôpital Cochin

- Claudine Colin

Présidente de l'association Surrénales

Audition du 19 octobre 2016

- Claudine Colin

Présidente de l'association Surrénales

- Mme C.

Représentantes de l'association Surrénales

- Mme D.

Audition du 13 décembre 2016

- Astrid Marais

Professeure de droit à l'Université de Bretagne Occidentale

Audition du 16 février 2017

- Jacques Toubon

Défenseur des droits

Personnes et institutions consultées

- Professeure Claire Nihoul-Fékété

Chirurgien pédiatrique, professeure émérite de chirurgie infantile, membre du Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) de 1994 à 1999

- Ministère des Affaires sociales et de la Santé

Direction générale de la Santé (DGS)

- Ministère de la Justice

Direction des Affaires civiles et du Sceau (DACS)

- Ministère de l'Intérieur

Direction des Libertés publiques et des Affaires juridiques (DLPAJ)

Table ronde sur les enfants à identité sexuelle indéterminée

(12 mai 2016)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour votre présence nombreuse à cette table ronde. Dès le début de la session 2015-2016, la délégation aux droits des femmes du Sénat a prévu d'inscrire à son programme de travail une réflexion sur la situation des personnes à identité sexuelle indéterminée ou « intersexes ». Ce sujet était, à l'époque, dans l'actualité judiciaire puisque le tribunal de grande instance de Tours avait, le 20 août 2015, reconnu le droit de faire apposer la mention « sexe neutre » sur l'état civil d'un plaignant. La cour d'appel d'Orléans a depuis lors décidé, le 21 mars dernier, qu'il était impossible de créer une « autre catégorie sexuelle ». Le législateur est donc directement concerné, lui aussi, par cette question qui place les juges dans l'embarras.

L'initiative de notre réunion revient à nos deux collègues, Corinne Bouchoux du groupe écologiste, et Maryvonne Blondin, du groupe socialiste, auxquelles je vais donner la parole dans un instant car elles ont particulièrement étudié ce sujet l'une et l'autre. Toute la délégation a rejoint leur préoccupation. Il nous apparaît en effet que les problèmes auxquels se confrontent les personnes dites « intersexes », dès l'enfance, ont toute leur place dans les réflexions du Parlement car ces difficultés ont, entre autres effets, des conséquences humaines, mais aussi juridiques, qui relèvent de nos compétences.

Il nous a paru aussi que cette réflexion pouvait être portée par la délégation aux droits des femmes, particulièrement sensible aux questions concernant l'égalité, et parce qu'elle s'inscrit dans nos travaux sur l'identité et les stéréotypes masculins et féminins.

Cette démarche est une première au Sénat et, pendant sa préparation, elle a suscité suffisamment d'intérêt pour que la décision ait été prise de l'ouvrir au public et à la presse. Je voudrais préciser que le public n'est pas appelé à participer à nos débats. Par ailleurs, j'ajoute que tout enregistrement d'images ou de son pendant cette réunion est strictement exclu.

Je m'adresse maintenant à celles et ceux qui sont appelés à intervenir devant nous pour les remercier d'être venus témoigner sur leur expérience personnelle et de nous faire partager leur expertise de ce sujet à la fois grave et sensible.

J'invite par ailleurs les intervenants et intervenantes à respecter autant que possible le temps de parole qui leur a été imparti.

Au cours de notre matinée, nous entendrons :

- Vincent Guillot, co-fondateur de l' Organisation internationale des intersexes (OII) ;

- Nadine Coquet ;

- Mathieu Le Mentec, militant intersexes ;

- Sylvaine Telesfort, qui représente l' Association Maison intersexualité et Hermaphrodisme Europe (Amihe) ;

- Christèle Fraïssé, maître de conférences en psychologie sociale à l'université de Bretagne Occidentale (UBO).

Puis, nous aurons une intervention conjointe de trois juristes : Clément Cousin, doctorant à l'Université Paris II-Panthéon Assas, Mila Petkova, avocate, et Benjamin Moron-Puech, docteur en droit de l'Université Paris II - Panthéon-Assas. Nous entendrons ensuite Philippe Reigné, agrégé des facultés de droit, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), et enfin Jacqueline Descarpentries, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Paris VIII-Vincennes. Puis nous pourrons avoir un temps d'échanges.

Je donne sans plus tarder la parole à Corinne Bouchoux et Maryvonne Blondin, que je remercie d'avoir porté ce projet de réunion.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Maryvonne Blondin a été la première à travailler sur ce sujet. Contrairement à ce que pensent certains, avoir un passé de militant LGBT ne signifie pas que je sois avertie des questions qui nous réunissent aujourd'hui. Depuis 2011, je reçois de nombreuses demandes et doléances, et j'ai dû suivre une formation pour comprendre les aspects juridiques, médicaux et sociologiques de la question des personnes intersexes pour mieux appréhender les questions qu'elle pose. Je vous remercie d'être venus aussi nombreux au Sénat ce matin. Il était important de pouvoir engager une réflexion ensemble. Le Sénat a su se montrer pionnier sur certains sujets et je pense qu'il y a urgence à ce que le législateur s'empare de la question qui nous réunit aujourd'hui, sans clichés ni idées préconçues. Nous comptons donc sur vos témoignages pour mener un débat serein, apaisé, constructif et surtout utile. Pour ma part, j'ai été confrontée à cette question au sein de l'Éducation nationale. Je rends hommage aux associations qui oeuvrent dans ce domaine. Nous devons sortir de l'ère des secrets - secrets médicaux, secrets de famille, etc. - pour entrer dans une nouvelle ère. Nous comptons sur vous pour libérer la parole. Au sein de la délégation, quelle que soit notre famille politique, nous aurons à coeur de vous défendre. Cependant, pour porter votre parole, nous devons comprendre vos problématiques. Je vous remercie de nous éclairer.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Je souhaite tout d'abord remercier la délégation et en particulier sa présidente, Chantal Jouanno, qui a accepté d'organiser cette rencontre. C'est une première qui - je l'espère - sera suivie d'autres réunions pour que nous puissions construire ensemble.

Je m'intéresse à cette question depuis quelques années. Avec Michelle Meunier, nous avons organisé de nombreuses auditions sur la transsexualité pour faire avancer les questions d'état civil des personnes transsexuelles. Mon groupe politique a également organisé diverses rencontres, dont une avec le professeur Philippe Reigné, qui prendra la parole au cours de notre réunion. Lors de l'une de ses interventions, il avait mentionné le calvaire que traversaient les enfants intersexes, plus particulièrement après les opérations chirurgicales. Il soulignait alors que ces situations créaient des drames au sein des familles. Il avait aussi été mentionné que certaines situations pouvaient poser des problèmes de conscience aux chirurgiens. Nous avions d'ailleurs auditionné un chirurgien à cette époque. J'ai également rencontré Vincent Guillot lors d'un colloque international intersexes organisé à Douarnenez l'année dernière.

Je suis membre de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont les trois piliers sont les droits de l'homme, la démocratie et l'état de droit. Dans ce cadre, j'ai accompagné les travaux du rapport de Marlene Rupprecht 142 ( * ) concernant le droit des enfants à l'intégrité physique. Ce rapport abordait la question de la circoncision, des mutilations génitales féminines et des enfants intersexes. Il a été repris par le comité des ministres et a abouti à des recommandations. Les États membres sont conviés à prendre acte de ces recommandations pour agir dans leur propre pays pour que la situation de ces personnes soit véritablement prise en compte. Depuis lors, des pays ont adopté des mesures législatives tirant les conséquences de certaines recommandations. Un travail pédagogique reste à mener pour rendre plus visibles les personnes intersexes et faire en sorte que la prise de conscience de cette question progresse dans notre pays où les aspects législatifs de la situation de ces personnes n'ont pas été pris en considération.

Chantal Jouanno, présidente . - Je donne tout de suite la parole à Vincent Guillot, doctorant en science de l'éducation.

Vincent Guillot, co-fondateur de l' Organisation internationale des intersexes (OII) . - Je suis né intersexes, c'est-à-dire avec des organes génitaux non conformes aux standards sociétaux couramment admis. J'ai été déclaré garçon par défaut. Dès l'âge de six ans, j'ai subi des interventions chirurgicales sans jamais que l'on me dise ou que l'on dise à mes parents ce que l'on me faisait. Je ne connaîtrai donc jamais la réalité de ma situation car je n'ai obtenu qu'une toute petite partie de mon dossier médical. Selon cette partie de mon dossier, je n'aurais subi que trois opérations alors que j'ai dix cicatrices au bas ventre. Pendant les rendez-vous trimestriels à l'hôpital, j'étais traité comme un monstre de foire et les médecins examinaient toujours mes organes génitaux, prenaient des photos et me montraient nu aux étudiants. Très jeune, j'ai eu des injections de testostérone que je ne supportais pas. Les médecins m'ont retiré ce qui ne leur convenait pas et ont tenté de fabriquer ce dont ils avaient envie.

A seize ans, j'ai refusé tout traitement. Depuis l'âge de dix-huit ans, je suis souvent sous anxiolytiques, antidépresseurs, alors qu'avant d'être mutilé, j'étais un enfant en bonne santé. Comment se construire sereinement quand on n'a pas le droit de dire ce qu'on ne nous a pas dit que nous étions ? Aujourd'hui, j'ai cinquante-et-un ans et toujours des douleurs : je souffre d'infections urinaires, j'ai des lésions neurologiques liées aux chirurgies, qui me font souffrir en permanence et m'obligent à marcher avec une canne. Ne pensez pas que le terme de torture pour ce que j'ai subi soit disproportionné. J'ai été torturé, et mes tortionnaires - avec la complicité de l'État - s'en félicitent.

J'ai co-créé l' Organisation internationale des Intersexes en 2002 et me suis engagé pour que les enfants intersexes ne connaissent pas les souffrances que j'ai endurées, mais l'État et les médecins refusent de nous écouter malgré les traitements inhumains et dégradants que nous subissons de façon illégale ou illicite. Par exemple, en novembre dernier, j'ai à nouveau alerté par courrier les ministres de la Santé et de la Justice au sujet des personnes intersexes mais je n'ai reçu aucune réponse. Seul, le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), suite aux injonctions du Comité des Droits des Enfants de l'ONU, m'a répondu. Il a validé les mutilations génitales sur les enfants intersexués et le principe de leur remboursement par la Sécurité Sociale, au prétexte que la pratique est « justifiée car approuvée par les acteurs de santé ». La Sécurité Sociale rembourse des mutilations !

Dans sa réponse à une question au Gouvernement, Madame Rossignol a récemment déclaré : « Ces situations sont fort heureusement rares ». Mais nous existons !

En France, jusqu'à aujourd'hui, aucune loi ne protège les enfants intersexués qui subissent quotidiennement des mutilations génitales. Les lois existantes pouvant les protéger sont systématiquement bafouées, à commencer par la loi de 2002 sur les droits des malades, qui pose le principe du consentement éclairé des patients et de l'accès au dossier médical. Par ailleurs, les personnes intersexes, non satisfaites de leur sexe administratif, se voient systématiquement refuser l'accès à la rectification de l'état civil.

Ces sévices subis pendant l'enfance produisent des parias, des bannis de la République qui n'ont accès à aucun droit aussi essentiel que le droit à la santé, à l'éducation, au logement ou au travail. Je suis en permanence en contact avec de jeunes adultes en très grande difficulté, qui souvent mettent fin à leur vie rendue abjecte par une société qui ne leur donne aucune possibilité d'exister. Les violences institutionnelles quotidiennes que ces personnes subissent sont inacceptables.

Notre combat est simplement le combat pour l'accès à l'humanité et à la citoyenneté, l'exigence banale du respect des lois et de la dignité humaine. Si le droit existant était respecté, ce serait déjà une avancée majeure pour cette population niée de la République. Cela permettrait aussi une réduction notable des coûts exorbitants, pour la société, liés aux traitements inhumains et dégradants que nous subissons.

Nous exigeons le droit à l'intégrité physique des personnes intersexes, conformément à la résolution n° 1952/2013 du Conseil de l'Europe et aux demandes expresses des Comité des tortures et Comité des droits des enfants de l'ONU, qui classent les modifications corporelles non consenties sur les mineurs intersexes comme des mutilations génitales, des actes inhumains et dégradants, des tortures.

Nous dénonçons les pratiques illicites ou illégales sur les enfants intersexes dans les hôpitaux français, avec la complicité de l'État et de la CNAM qui rembourse les mutilations génitales. Ces traitements n'ont aucune finalité médicale : ce sont des chirurgies esthétiques non consenties.

Nous dénonçons les avortements systématiques lorsqu'il y a suspicion d'intersexuation du foetus ainsi que les thérapies in utero de féminisation de foetus présupposés intersexués au moyen de la dexaméthasone, toujours avec la complicité de la CNAM et de l'État français.

Nous exigeons, avec des associations de personnes intersexuées du monde entier, conformément au Manifeste de Malte du 1 er décembre 2013 143 ( * ) , l'arrêt immédiat des traitements non consentis sur les mineurs intersexes lorsque le pronostic vital n'est pas engagé, l'accompagnement à l'autodétermination des personnes concernées et, bien sûr, l'accompagnement psychologique des parents.

Nous exigeons l'inscription positive de l'existence de ces personnes dans les cours de biologie et d'éducation sexuelle tout au long des cursus scolaires. Nous exigeons l'accès libre et gratuit à une rectification de l'état civil et aux traitements, sans psychiatrisation ou judiciarisation de la demande.

Nous exigeons l'abrogation des protocoles médicaux des centres DSD ( Disorder of Sex Development ou trouble du développement sexuel), conformément à la demande du Comité des Droit des enfants de l'ONU, et que l'État et la représentation nationale mettent tout en oeuvre pour que la lumière soit faite sur ces pratiques inhumaines et dégradantes en menant une commission d'enquête.

Nous demandons que soit rendu public le nombre de personnes concernées par les chirurgies génitales non consenties en France, depuis l'origine de ces pratiques. Nous voulons que soient mises en place des études sur le vécu des personnes intersexes, notamment à propos du taux de suicide, des prises de risque, des addictions, de l'exclusion des personnes concernées, de leur espérance de vie.

Nous exigeons que la prescription juridique soit abrogée pour les traitements inhumains, dégradants et les tortures conformément à la demande de l'ONU, afin que les personnes intersexes puissent demander réparation des préjudices subis. Nous demandons que l'État français prenne ses responsabilités et reconnaisse des décennies de pratiques inhumaines, dégradantes, humiliantes et de tortures à l'encontre des personnes intersexes. Nous demandons que l'État mette immédiatement en place des mesures de dédommagement pour les personnes ayant subi ces traitements.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour votre témoignage, très éloquent sur la solitude et la souffrance que vous ressentez. Votre intervention pose aussi la question de la liberté de choix et du consentement aux traitements médicaux. Le sujet est désormais clairement posé.

Je donne maintenant la parole à Nadine Coquet.

Nadine Coquet . - Je suis née en 1971 à Nantes. Déclarée fille à la naissance, j'ai grandi sans avoir conscience d'être intersexes malgré des difficultés de comportement. J'étais traitée de « garçon manqué » et je rejetais les filles. À l'adolescence, je n'ai pas eu de puberté. En 1988, à l'âge de dix-sept ans, j'ai décidé de consulter une gynécologue pour débloquer ma puberté, mais je n'avais pas conscience d'avoir un problème d'hermaphrodisme. Ce médecin m'a prescrit un examen de sang pour un dosage hormonal. Aujourd'hui encore, je n'ai pas connaissance des résultats de cet examen. Cette gynécologue m'a renvoyé vers un endocrinologue qui a demandé un caryotype révélant la présence des chromosomes X et Y. Cependant, face à une gynécologue qui affirmait que les résultats ne présentaient aucune anomalie, je suis restée éloignée de la vérité. À l'époque, j'avais une confiance absolue dans la médecine et je n'avais aucun doute sur ce que l'on m'affirmait. Après cet examen, on m'a proposé un examen coelioscopique des ovaires, à l'aide d'une caméra et sous anesthésie générale. Je me suis rendue dans une clinique, j'ai subi cette anesthésie et j'y suis restée deux jours ; je n'ai pas vu le chirurgien ensuite avant ma sortie. Habituée aux protocoles médicaux pour traiter une insuffisance rénale, je savais que ce n'était pas très normal mais ne m'en suis pas inquiétée outre mesure pensant avoir subi un examen sans conséquences, mais j'ai appris bien plus tard qu'en fait cette opération a consisté à me retirer une gonade. On m'a demandé ensuite de revenir à la clinique pour une exploration des ovaires. Lors de cette deuxième hospitalisation, le chirurgien m'a reçue la veille de l'intervention, un dimanche soir, alors que le service des consultations était fermé, pour me faire signer une autorisation lui permettant de retirer tout ce qui devait l'être pour raison médicale. J'ai signé ce document alors même que j'étais mineure à l'époque, et sans accord parental ! Une nouvelle fois, j'ai été anesthésiée puis hospitalisée pendant plusieurs jours, sans rencontrer le chirurgien au cours de mon séjour. L'infirmière n'était pas informée de mon dossier et ne pouvait pas me dire si un problème avait été détecté. On m'a seulement demandé d'aller voir mon médecin traitant, dix jours plus tard, pour retirer les fils. Après ce délai, je me suis rendue en toute confiance chez mon médecin de famille qui a été profondément choqué lors de la découverte de la nouvelle par courrier. C'est lui qui m'a expliqué que l'on m'avait retiré les ovaires pour m'éviter un cancer. Lors de cette consultation, j'étais dans un tel état de choc que je n'ai pas tout retenu de ses explications, mais quelques mots m'ont marquée comme « dysgénésie gonadique XY », « pseudohermaphrodisme », « rarissime », « monstrueux ». Je suis sortie de cette consultation complètement anéantie, avec pour seule identité le fait que j'étais un monstre qui ne devait pas se révéler aux autres. Je suis entrée dans la vie adulte sous cette identité.

Après cet entretien qui m'a détruite, j'ai été placée sous traitement hormonal par un endocrinologue, puis j'ai revu ma gynécologue qui m'a tenu un discours plus positif et optimiste en insistant sur le fait que j'avais un utérus qui me permettrait d'avoir des enfants avec un don d'ovocytes. Soulignons que, dix-sept ans plus tard, on m'a refusé le droit à ce don en prétextant un risque de morbidité. J'ai choisi de continuer à voir cette gynécologue car elle était la seule à tenir un discours positif. Je souhaitais me débarrasser des autres professionnels de santé qui me voyaient comme un monstre. Cette décision a favorisé un déni qui a duré pendant dix-neuf ans.

En 2007, j'ai décidé de revoir le chirurgien qui m'avait opérée, pour comprendre pourquoi il m'avait retiré les ovaires. Celui-ci a d'abord nié, affirmant que ce n'était pas lui qui m'avait opérée, avant de prendre le prétexte d'un accouchement pour me fausser compagnie. Malheureusement pour lui, je me souvenais très bien de son nom et je savais qu'il me mentait. J'ai donc attendu devant sa porte qu'il revienne. C'est ce qu'il a fait trente minutes plus tard, avec mon dossier médical à la main. Il a commencé par dire que mon dossier relevait de l'indicible. Ces seuls mots révélaient le caractère caché et honteux de mon cas, selon lui. Puis, il m'a avoué que mon caryotype comportait des chromosomes sexuels masculins, que la première opération avait permis de retirer une gonade qui, après analyse, s'était révélée être un testicule, et que la deuxième opération avait conduit à retirer la deuxième gonade. En fait, il me mentait de nouveau, puisque j'ai su plus tard, après avoir menacé pour obtenir deux pages de mon dossier médical relatives à l'analyse des gonades, que ces gonades n'étaient pas des testicules mais des gonades indifférenciées, présentant des caractères ovariens et testiculaires. Toutefois, comme j'affirmais que j'étais prête à le poursuivre, ce chirurgien a prétendu qu'il était indispensable de retirer ces gonades. Il a affirmé, en outre, que cette opération était nécessaire pour éviter un risque de cancer. Or le compte rendu d'analyse révèle que les gonades que l'on m'a retirées ne présentaient aucun signe de malignité. Il n'existait donc aucune raison médicale de pratiquer cette opération. Je suis sortie de cette entrevue en pensant que j'étais transgenre. J'ignorais le terme intersexes, il m'avait juste parlé de dysgénésie XY. Puis, grâce à Internet, j'ai enfin compris qui j'étais et que j'étais victime d'un système qui considère la différence entre les sexes comme binaire : on est soit un homme, soit une femme. Or ce système est un leurre : nous sommes la preuve que la biologie peut ignorer la binarité. Mais cette vérité doit rester cacher. Dès lors, j'ai eu l'impression d'appartenir à un « tiers humain » que personne ne veut voir ni connaître.

Nous sommes ignorés par l'État, par les statistiques, par nos concitoyens. Pourtant, les seules revendications portées par l' OII depuis quinze ans sont le respect du droit à l'intégrité physique et le droit à l'autodétermination.

Ma principale revendication est que l'on arrête les mutilations qui sont reconnues comme des tortures par l'ONU. Aujourd'hui, en remboursant ces interventions chirurgicales par la Sécurité Sociale, la France viole les engagements qu'elle a pris en adhérant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la convention internationale pour les droits de l'enfant.

Je demande également que disparaisse la notion de sexe sur l'état civil, ce qui n'aurait aucune conséquence pour les hommes et les femmes qui n'ont pas besoin d'un papier pour s'identifier. En revanche, pour les personnes transidentitaires ou intersexes dont l'apparence ne correspond pas au sexe mentionné, cette décision éviterait beaucoup d'humiliation lors de contrôles de police, de démarches administratives ou simplement pour retirer un colis à La Poste.

Il m'apparaît aussi urgent que l'État français se sente concerné par la condition des intersexes en offrant l'accompagnement nécessaire aux enfants et à leurs parents.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour votre témoignage qui illustre également la brutalité des messages qui vous sont renvoyés, en plus des mutilations génitales que vous avez subies.

Mathieu Le Mentec . - Ma communication sera de l'ordre du témoignage mais j'essaierai aussi d'apporter mon analyse du sujet. Je suis né en 1979 à Clermont-Ferrand, mes parents avaient vingt-deux et vingt-trois ans et travaillaient dans une manufacture de pneumatiques. J'ai été désiré. Je suis né en situation d'intersexuation, sans que cela entraîne un doute quant au sexe juridique que l'on m'a assigné à l'état civil : le sexe masculin.

Les professionnels de la naissance ont simplement fait part à mes parents d'une « malformation bien connue ». Mes parents étaient des parents aimants. Ils m'ont fait suivre par un pédiatre de ville, comme la plupart des enfants, pour accompagner mon développement et suivre ses conseils en matière de vaccination, de diversification alimentaire, etc. Il est indiqué, dans mon carnet de santé, que j'étais un enfant en parfaite santé. Le pédiatre connaissait ma situation d'intersexuation dès ma naissance, mais ce ne fut jamais nommé comme cela. Il proposa à mes parents de rencontrer des spécialistes des questions d'intersexuation, même si elles n'étaient pas ainsi dénommées à l'époque. Parmi ces spécialistes, il y avait un chirurgien, un urologue, un chirurgien-urologue et un endocrinologue. À neuf mois, j'ai subi mes premiers examens médicaux : échographie, génitographie, prise de sang afin de réaliser un caryotype, bilans hormonaux.

Après ces premières épreuves, le bilan médical est faible : il n'y a pas de maladie, seulement des hypothèses d'explications étiologiques. D'autres bilans sont alors entrepris pour approfondir les analyses génétiques. Ces techniques ont commencé à être développées au début des années 1980. Ces bilans consistent alors en une biopsie de ma peau dans la sphère génitale ; je subis d'autres prélèvements sanguins. À l'époque, j'ai deux ans et mes parents n'ont pas accès aux échanges entre médecins. C'est à ma demande, après la loi dite Kouchner de 2002, que j'ai eu communication de mon dossier et que j'ai pu reconstituer cette démarche médicale.

Les médecins proposent à mes parents une correction chirurgicale à un problème de « tuyauterie », pour faire correspondre mon anatomie aux standards de l'anatomie du sexe masculin. Mais, avant la chirurgie, il fallait une préparation chirurgicale pour faciliter le champ opératoire. Il s'agissait de grossir artificiellement mon sexe avec de la testostérone. J'ai reçu plusieurs injections de testostérone et quotidiennement, mes parents devaient me passer localement de la pommade à base de testostérone.

À trois ans, je subis ma première chirurgie dans un CHU parisien. Au total, j'ai subi sept interventions entre trois ans et huit ans. Cela consistait en des hospitalisations d'une dizaine de jours, le plus souvent pendant les vacances, à Noël, au printemps, en été. Je suis né en juillet et j'ai passé de nombreux anniversaires à l'hôpital... Certaines de ces opérations ont été effectuées en urgence, dans un contexte de septicémie, des suites des précédentes opérations.

Qu'est-ce que cela veut dire, être hospitalisé pour de la chirurgie de la sphère génitale quand on a trois, quatre, cinq, six, sept ans ? Cela signifie des douleurs, des contentions, car il faut éviter que l'enfant ne touche aux dispositifs médicaux, ce sont des sondes urinaires, des infections, des odeurs, et un profond sentiment d'abandon. À l'époque, les parents ne pouvaient pas rester dormir à l'hôpital.

Pourtant, sur le plan de mon développement, je suis régulièrement scolarisé, j'ai une vie affective et sociale tout à fait agréable, je n'ai pas de problème de santé. Mon parcours chirurgical se conclut à douze ans. Le chirurgien, très satisfait de son travail, m'a alors posé uniquement deux questions : est-ce que j'urinais debout ? Est-ce que mon érection était droite ? Mais ce n'était pas la fin du parcours médical. La testostérone, qui devait développer mes caractères masculins, a eu pour conséquence un avancement de l'âge osseux et le déclenchement d'une puberté à onze ans. Aussi, chaque année, entre cinq ans et douze ans, j'ai dû réaliser des radiographies pour surveiller l'avancement de ma croissance, le risque étant que le traitement hormonal conduise à ralentir ou arrêter ma croissance. Par chance, cela ne s'est pas réalisé.

Les décisions à prendre semblaient évidentes aux professionnels de santé, mais ils n'avaient pas conscience de ce que cela pouvait signifier pour un enfant ou un adolescent. Petit, je ne me souviens pas. Les enfants bénéficient d'une amnésie. Il n'en reste pas moins des traces physiques et psychiques qui surgissent plus tard sous la forme de traumatismes. En âge scolaire, je me souviens de mes questionnements. On attend des petits garçons qu'ils urinent debout, les toilettes des écoles sont faites comme ça. Or il m'était difficile de le faire, la construction du néo-urètre étant de piètre qualité. J'ai pris alors conscience de la fiction de la binarité des sexes. Puis, j'ai subi les premières humiliations lors des sorties scolaires ou sous les douches. Dès le CM1, j'ai débuté ma puberté : j'avais une pilosité très précoce. J'ai alors arrêté toute pratique sportive collective pour éviter les douches. Je me disais que j'étais simplement en avance et que le temps passerait. Je me disais aussi que mon sexe allait grandir pour ressembler à un sexe d'homme. La puberté entraîne des reconfigurations physiques et psychologiques et l'avènement du désir sexuel génitalisé, mais pas quand on n'a que onze ans !

Conscient de la différence anatomique et des attendus sociaux de la masculinité, je me suis engagé corps et âme dans la construction de ma virilité : je pratiquais des sports, je développais mes aptitudes physiques, je me lançais dans la compétition. J'ai vécu comme cela jusqu'à mes trente-quatre ans, mon corps devait répondre aux stéréotypes masculins.

Mes premières amours, à quinze ans, m'ont conduit à parler à un tiers, pour la première fois, de mon histoire médicale. Je n'avais alors pas ou peu de mots pour évoquer cela. Mes premières expériences sexuelles ont été catastrophiques avec, déjà, des douleurs. La honte pèse, le silence est roi. Je suis une formation d'infirmier à vingt-et-un ans. Je rentre dans le champ de la santé.

Je rencontre une personne qui, après quelques années, souhaite avoir des enfants. Se pose alors la question de la transmission, car je ne voulais pas avoir un enfant qui souffre des mêmes maux. À vingt-cinq ans, je me retourne de nouveau vers la médecine pour réaliser de nouveaux examens, mais elle ne peut expliquer les choses : je ne suis pas malade. En revanche, je dois désormais surveiller de nombreux problèmes, dont des kystes prostatiques contractés du fait des opérations.

Un professeur de médecine, impuissant à m'aider, me soumet une proposition de recherche d'un anthropologue sur le processus de subjectivation des personnes intersexes. C'était la première fois que j'entendais ce terme. Au cours de cet entretien avec ce chercheur, j'ai pu m'ouvrir du drame que je vivais. Il s'est passé dix ans, avec des psychothérapies et de longues études ( master en anthropologie de la santé), avant que je puisse penser et mettre des mots sur mon histoire. Je n'ai pas à avoir honte de mon corps, je n'avais pas à subir ces mutilations.

Aujourd'hui, à trente-sept ans, j'ai des douleurs régulières dans les zones génitales. Les médecins ne veulent pas ou ne peuvent pas intervenir sur mon corps, car il y a trop de risques. J'ai dépassé la honte, je vis une sexualité épanouissante malgré les douleurs physiques encore présentes. Je fais sauter le verrou du silence imposé par notre société sur les enfants qui naissent en situation d'intersexuation. Je prends la parole pour dénoncer ces pratiques médicales encore existantes en France. La médecine continue d'intervenir sur des enfants en bonne santé afin de normaliser leur apparence physique pour les faire correspondre aux stéréotypes masculin et féminin. Or, si tout le monde a un sexe, il n'y en a pas deux qui soient identiques. Et la sexualité est un domaine de relations, de création, de plaisir pour les gens qui y consentent.

Je suis infirmier dans un hôpital pour enfants à Bordeaux depuis trois ans. Je peux témoigner que la médecine continue à intervenir sur des corps d'enfants en bonne santé dans le but de les conformer physiquement. Comme je travaille aux urgences pédiatriques, je vois certaines choses. J'ai vu récemment un enfant de dix-huit mois, car la sonde qui lui avait été posée s'était déplacée et le faisait saigner. C'est le début de l'enfer pour cet enfant. Il y a quelques mois, un enfant de onze ans était amené par les pompiers car il avait retourné le bureau de sa pédiatre qui ne comprenait pas ce qui se passait. Elle me raconte que cet enfant a subi dix interventions chirurgicales qui ont provoqué chez lui un traumatisme, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. Il y a deux mois, j'ai rencontré une adolescente de seize ans qui doit vivre avec une sonde car le chirurgien a probablement lésé les nerfs qui contrôlent ses sphincters. Depuis trois ans, je vois régulièrement à l'hôpital un adolescent qui est sous traitement psychotrope pour des troubles du comportement, après une vie de surveillance médicale.

La médecine bénéficie de technologies mais ne se pose pas toujours la question de ce qui fonde sa pratique. Elle oublie ce qui la rend légitime : soigner des personnes. En matière d'intersexuation, dans la très grande majorité des cas, la pratique médicale s'appuie sur des conceptions morales de la normalité dans le domaine du sexe et de la sexualité. Or ce n'est pas à la médecine de déterminer la vie sexuelle des personnes.

Mes revendications sont similaires à celles qui ont été exposées par Vincent Guillot. Il est urgent d'arrêter toute intervention sur les enfants, dès lors que le pronostic vital n'est pas en jeu. Il faut mettre en place des dispositifs pour accueillir non seulement les enfants qui naissent en situation d'intersexuation, mais aussi leurs parents. Il faut que ces dispositifs leur permettent de rencontrer d'autres personnes ayant le même vécu. Ces échanges doivent pouvoir aider les familles à prendre des décisions en conscience. Il est nécessaire que la médecine et l'État reconnaissent l'horreur de ces pratiques et qu'un dispositif de réparation soit constitué.

Chantal Jouanno, présidente . - Merci de votre beau témoignage. J'observe que vous avez, vous aussi, posé la question de la nécessité du traitement médical. Je vous propose de poursuivre avec le témoignage de Sylvaine Telesfort.

Sylvaine Telesfort, Association Maison intersexualité et Hermaphrodisme Europe (AMIHE) - En 2003, une personne transsexuelle me posait la question suivante : « C'est quoi, être hermaphrodite ? ». Ma réponse fut : ce sont des mutations génétiques de la septième semaine de gestation agissant sur le développement sexuel.

Aujourd'hui, cette personne, sous l'appellation intersexes, se revendique hermaphrodite. Je ne sais pas ce que cette personne a pu comprendre, mais de cette mutation génétique, elle a fait une orientation sexuelle, voire une identité de genre. Elle affirme que les personnes intersexuées auraient subi une mutilation de leurs organes génitaux. Or la vérité est que l'anomalie du développement sexuel (ADS) a pour conséquence première l'infertilité des intersexes qui, par voie de conséquence, les met dans l'incapacité de se reproduire, puisque leurs organes de reproduction sont atrophiés à la naissance. Dans certains cas, une chirurgie réparatrice peut être envisagée sur proposition du corps médical, réuni en équipe pluridisciplinaire, ou - le plus souvent - sur demande des parents.

Une pathologie intersexes est avant tout un dossier médical de maladie rare. Il peut s'agir d'une mutation génétique simple ou une intrication de maladie rare, ce qui rend le diagnostic difficile. De nos jours, on procède de moins en moins à ces opérations. En effet, la génétique a fait des progrès fulgurants depuis quelques années. Les chirurgiens ne sont plus les seuls « maîtres à bord » pour décider du bien-fondé d'une opération. Les équipes médicales disposent aujourd'hui d'importants moyens d'exploration qui leur permettent de poser rapidement un diagnostic précis de la pathologie, particulièrement si l'on soupçonne une maladie rare. Face à un cas d'intersexes, c'est l'ADN qui sera analysé, avec l'espoir de comprendre les mutations génétiques dont est victime l'enfant concerné. Chaque personne intersexes est spécifique et le diagnostic est donc strictement individuel. Aucune généralisation n'est possible, contrairement à la transformation transsexuelle qui se décide nécessairement à l'âge adulte.

Plusieurs maladies rares touchent les organes génitaux. Contrairement à l'hermaphrodisme ou à l'intersexuation, les anomalies diagnostiquées n'affectent pas systématiquement la capacité de reproduction des individus concernés. L'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) se soigne bien. Cette pathologie affecte les glandes situées au-dessus des reins qui produisent notamment le cortisol, les androgènes et l'aldostérone. Une HCS limite la production des hormones par les surrénales aux androgènes uniquement. Un traitement hormonal approprié permet que les autres hormones soient créées. D'autres pathologies sont des anomalies chromosomiques comme le syndrome de Klinefelter (47XXY). Ce syndrome est diagnostiqué chez le jeune garçon. L'enfant recevra un traitement de testostérone pour pouvoir, une fois adulte, produire suffisamment de gamètes et assurer sa propre descendance. Nous pouvons citer aussi l'hypospadias qui est une maladie uro-génitale, c'est-à-dire une malformation du canal de l'urètre.

La France peut s'honorer d'avoir créé la base de données Orphanet , ce qui a permis à l'Union européenne de créer le premier Plan des maladies rares. La France s'est dotée d'une Banque nationale sur les données liées aux maladies rares (Bamara), placée sous l'égide du ministère de la Santé. C'est un outil national de santé publique au service des maladies rares. Cette banque de données vise à suivre les patients, même lorsqu'ils changent de département ou de région. Elle s'appuie sur un système de codage non nominatif des personnes nées avec une ou plusieurs maladies rares. Ce dont ont besoin les enfants porteurs d'une ADS, c'est de le savoir au plus tôt pour mieux appréhender leur vie future.

Pendant notre enfance et notre adolescence, nous avons bénéficié de la bienveillance de nos parents, seuls responsables de notre avenir. À ce titre, ils portent une lourde charge. Par conséquent, les parents doivent être correctement informés par les équipes médicales dès la naissance de leur enfant. Ils doivent savoir qu'il ne faut pas tenir compte de la seule apparence des organes génitaux externes, accepter des investigations poussées et envisager les conséquences à terme de l'anomalie, tout particulièrement lors de la puberté de l'enfant. Ils ne doivent pas écouter certains militants théoriciens qui affirment n'importe quoi. Pour eux, tout ce qui sort de l'ordinaire devient intersexes.

En 2014, nous nous sommes rapprochés des centres de référence de Paris et de Lyon afin d'obtenir des statistiques sur le nombre de naissances d'enfants intersexués. Il en ressort que l'ADS concernerait une naissance sur 4 500 à 5 000, soit entre 160 et 178 enfants par an pour 800 000 naissances.

Je déplore que le mouvement LGBT+ entretienne la confusion et persiste à faire coexister transsexualité et intersexes dans une même similitude alors que la transsexualité est une identité de genre pour laquelle les transformations sont un choix personnel. Les ADS en revanche relèvent d'une mutation génétique au cours de la gestation. Je suis née sans le demander, je vais mourir sans le vouloir, mais puis-je au moins vivre ma vie ?

Chantal Jouanno, présidente . - Votre témoignage vient illustrer la diversité des points de vue, mais aussi la complexité de la question qui nous rassemble aujourd'hui.

Christèle Fraïssé, maître de conférences en psychologie sociale à l'Université de Bretagne occidentale (UBO) . - Je suis enseignante-chercheure en psychologie sociale. J'enseigne la psychologie, de la licence au master , à des étudiants qui exerceront le métier de psychologue pour certains dans le milieu hospitalier ou en libéral, et qui pourront être amenés à accompagner des enfants intersexués et leurs familles. En tant que chercheure en psychologie sociale, je m'intéresse aux relations entre les individus et la société et, plus particulièrement, je travaille sur les représentations sociales que nous élaborons et qui nous permettent de comprendre notre réalité quotidienne. J'étudie plus précisément les représentations de l'homosexualité et de l'homoparentalité et l'influence de ces représentations sur les relations avec des personnes homosexuelles ou des familles homoparentales. Dans le cadre de mes recherches, je me suis intéressée à l'homophobie, qui consiste en un rejet des personnes homosexuelles par des insultes, des agressions ou des mises à l'écart. Mais, pour mieux comprendre la diversité des discriminations en lien avec ces représentations, je me suis également intéressée à l'hétéro-sexisme, que l'on peut décrire comme un système idéologique qui invisibilise les sexualités autres qu'hétérosexuelles, et qui établit une hiérarchie des sexualités au sein de notre société. Je me suis aussi intéressée à l'hétéro-normativité, qui prône que l'hétérosexualité est la norme, ce qui signifie que c'est la seule sexualité valorisée et présupposée dans tous les espaces sociaux, qu'ils soient privés ou publics.

Avant d'aller plus loin, je tiens à vous faire part de ma position : je souhaite qu'il soit mis fin aux opérations qui sont des mutilations génitales réalisées sans l'accord de la personne concernée et sans qu'aucun pronostic vital ne soit engagé. Ces opérations visent à normaliser les corps des enfants qui naissent avec ce que l'on nomme une « ambiguïté sexuelle » ou encore un « désordre, un trouble, une anomalie du développement sexuel ».

Il faut que les enfants et leurs familles soient accompagnées pour que ces enfants exercent leur droit à l'autodétermination et décident du sexe - que l'on peut considérer comme social comme c'est le cas pour nous toutes et nous tous - qui sera inscrit à l'état civil. Cette décision permettrait de différer les opérations et/ou les traitements hormonaux, ou de ne pas les entreprendre, en fonction des souhaits de l'enfant, de l'adolescent ou de l'adulte. Cela implique que l'état civil puisse être facilement modifié dans le cas où le choix effectué à la naissance ne conviendrait pas à la personne, voire que la mention du sexe à l'état civil disparaisse. La disparition de cette mention constituerait, à mon sens, un progrès pour nous tous-tes.

Je défends cette position à partir de mon activité de recherche sur les processus d'homophobie, d'hétéro-sexisme et d'hétéro-normativité. Me situant dans le champ théorique des représentations sociales, j'ai mis en évidence que ces processus fonctionnent à partir d'une même représentation de la différence des sexes. Selon cette représentation, les sexes sont pensés comme deux catégories strictement différentes et étanches l'une à l'autre. On considère ainsi que l'on est homme ou femme, il n'existe pas d'autre possibilité. Selon cette représentation, ces catégories sont aussi pensées comme complémentaires l'une de l'autre, c'est-à-dire que l'homme et la femme sont « faits l'un pour l'autre ». Cette représentation, fondée sur la nature et la biologie, implique des pratiques normatives de régulation de l'expression du genre, qui vont avoir pour effet de favoriser l'expression de certaines formes du genre et d'interdire l'expression d'autres formes. Ces pratiques peuvent être mises en oeuvre par l'individu lui-même, dans un comportement d'autorégulation. J'autorégule mon comportement et mon apparence pour me conformer à l'expression du genre que j'estime convenable pour la société. Ce sont aussi des pratiques qui peuvent être mises en oeuvre par d'autres personnes dans l'entourage, notamment l'entourage proche, pour réguler le comportement des autres. C'est le cas de la sphère familiale, des amis, des collègues de travail, etc. Ce sont aussi des pratiques mises en oeuvre par un entourage plus éloigné, c'est-à-dire dans les espaces publics. Ces pratiques de régulation vont intervenir aussi bien dans la vie quotidienne, voire intime, que dans la sphère des institutions.

Les opérations réalisées sur les enfants qui naissent intersexués font partie de ces pratiques régulatoires visant à normaliser leur corps et à le rendre compatible avec cette représentation binaire de la différence des sexes. Cette situation conduit à de l'invisibilité, au secret, à l'indicible comme cela a été évoqué par les intervenant-e-s précédent-e-s. Ces opérations sont présentées comme visant au bien-être psychosocial de l'enfant, voire de ses parents, mais ne répondent pas à une nécessité médicale vitale.

Dans un article de 2016 écrit par un collectif de médecins proposant un état des lieux de la médecine et de la chirurgie par rapport au « désordre du développement sexuel », neuf objectifs de la chirurgie sont décrits. Les trois derniers sont : favoriser le développement de l'individu et de son identité sociale, éviter la stigmatisation liée à une anatomie atypique, et répondre au désir des parents d'élever leur enfant dans les meilleures conditions possibles. Ces objectifs ne sont, à l'évidence, pas médicaux ! Le cinquième de ces objectifs est d'éviter une virilisation tardive au moment de la puberté pour les personnes élevées comme des filles, ou le développement de la poitrine pour les enfants élevés comme des garçons.

Cette déclaration médicale démontre qu'on ne laisse pas se faire le développement de ces personnes. Or le corps et le psychisme se développent conjointement avec des évolutions plus ou moins importantes et plus ou moins perturbantes pour chacun et chacune d'entre nous. On ne peut donc pas envisager un bien-être psychosocial si l'on empêche ce développement conjoint du corps et du psychisme en transformant le corps sans l'accord des individus. Par ailleurs, on constate que les opérations sont réalisées en partant d'un présupposé d'hétérosexualité. Il s'agit en effet de fabriquer un corps masculin ou un corps féminin dans l'optique de rapports hétérosexuels. En effet, le premier objectif cité par ce collectif de médecins est de restaurer une anatomie génitale fonctionnelle afin de permettre de futures relations sexuelles pénétrantes comme un homme ou comme une femme. On voit ici comment la médecine et les médecins sont tributaires de la société dans laquelle ils exercent, et ceci au-delà de la dimension médicale et scientifique.

Ceci n'est pas nouveau puisque c'est déjà ce qu'écrivait Foucault dans Le vrai sexe en 1978, en invoquant l'intérêt moral du diagnostic médical du vrai sexe que l'on peut traduire, ou extrapoler ici, par l'intérêt social et normatif de l'intervention médicale sous forme d'opérations et de traitements hormonaux pour fabriquer un vrai sexe. D'où l'intérêt d'arrêter ces interventions sur des personnes qui n'ont pas donné leur accord.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour cette intervention. Je vous propose maintenant d'entendre l'intervention à trois voix des juristes que nous avons invités.

Benjamin Moron-Puech, docteur en droit . - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'organiser cette table ronde historique qui témoigne du souci d'une partie de nos institutions de résoudre les problèmes rencontrées par les personnes intersexuées dans notre société.

Si, avec mes collègues juristes ici présents, nous sommes aujourd'hui devant vous, c'est parce que nous sommes préoccupés par le sort réservé en France aux personnes intersexuées et notamment aux jeunes enfants. Il nous semble en effet, en notre qualité de juristes, que les droits fondamentaux de ces personnes - droits au fondement même de notre système juridique - ne sont pas respectés. Ces droits sont d'une part le droit à l'intégrité physique et d'autre part le droit à la vie privée.

Au cours des interventions qui vont suivre, nous allons tenter de vous proposer quelques mesures législatives qui permettraient de mieux assurer le respect de ces droits.

En premier lieu, renforcer le droit à l'intégrité physique. Comme les témoignages que nous avons entendus le démontrent, le bien-fondé des actes médicaux réalisés sur les personnes intersexuées est en débat, qu'il s'agisse des actes réalisés in utero , des interruptions de grossesse pour diagnostic thérapeutique après douze semaines de grossesse, des traitements de féminisation à la dexaméthasone, ou des actes réalisés sur les enfants après leur naissance pour les assigner dans un sexe masculin ou féminin.

Pour les uns, ces actes médicaux seraient des mutilations car il n'y aurait pas de pathologie ; pour les autres, ces actes seraient des traitements. Qu'en pense le droit ? Qu'en pensent les juristes ? Le propos qui va suivre se limitera au cas des enfants traités après leur naissance, mais vous aurez toute latitude pour nous interroger sur les traitements in utero dans les échanges qui suivront. Quelle est donc la licéité des actes médicaux d'assignation sexuée réalisés sur les jeunes enfants ?

Clément Cousin, doctorant à l'Université Paris II-Panthéon Assas . - Notre droit protège spécialement le corps humain et prohibe toute atteinte au corps. Notre droit pénal réprime ainsi les atteintes au corps humain ou à la vie de la personne. Pour agir sur le corps de la personne, il faut « désarmer » le droit pénal. Cela peut se faire en démontrant une cause d'irresponsabilité pénale. Parmi les causes d'irresponsabilité pénale, il y a l'autorisation de la loi.

Or l'article 16-3 du code civil 144 ( * ) dispose que les actes médicaux doivent remplir deux conditions : d'une part, le consentement éclairé de la personne ou de son représentant légal ; d'autre part, la nécessité médicale pour la personne. Il faut donc que la balance entre les avantages et les inconvénients soit positive et que l'intervention soit la meilleure alternative. Il faut aussi que l'acte soit médical, ce qui ne signifie pas que l'acte soit effectué par un médecin. L'acte peut avoir un but thérapeutique ou non thérapeutique. Si l'acte n'a pas de but thérapeutique, il peut être autorisé par des textes spéciaux, comme l'assistance médicale à la procréation (AMP) et l'avortement. Il faudrait donc apporter une précision à l'article 16-3 pour évacuer ce que les médecins ressentent comme un risque médico-légal en disposant que répondent à une nécessité médicale, les actes médicaux poursuivant un but thérapeutique ou un but autorisé par une disposition spéciale. Il faut enfin que la personne subissant cet acte médical soit apte à consentir ou, à défaut, que l'on se fonde sur l'avis d'autres personnes placées dans une même situation.

Je rappelle néanmoins que ces deux critères - le consentement et la nécessité médicale pour la personne - sont cumulatifs, c'est-à-dire que le consentement ne suffit pas. Il faudrait donc que les actes non thérapeutiques soient autorisés par un texte spécial, à défaut de quoi ils seraient illégaux.

Benjamin Moron-Puech . - Si l'on s'intéresse à l'application du critère de la nécessité médicale dans le cadre des personnes intersexuées, il ne semble pas possible de dire que ce critère est rempli pour les actes d'assignation sexuée. À s'en tenir tout d'abord au caractère nécessaire de ces actes, les témoignages précédents font état des très nombreux inconvénients de ces actes médicaux : douleurs ressenties, pertes de sensibilité, pertes fonctionnelles, souffrances psychiques, lesquelles permettent de douter que ces inconvénients seraient supérieurs aux avantages avancés par les défendeurs des actes d'assignation sexuée. Il n'est pas plus démontré que la qualité de vie des enfants intersexués soit meilleure après l'opération, par rapport à des méthodes alternatives (suivi psychologique de l'enfant et des parents par exemple). Ces opérations sont pratiquées depuis cinquante ans, mais ce doute sur leur nécessité n'est toujours pas levé puisqu'aucune étude ni aucune cohorte n'est menée pour suivre sur une période de temps l'état de santé des personnes opérées par rapport à celui de personnes qui ne le sont pas. Il serait donc difficile, en cas de contentieux, d'apporter la preuve de la nécessité de ces actes.

Ensuite, le caractère médical de ces actes n'est pas prouvé car ces actes d'assignation sexuée ne peuvent pas prétendre soigner une maladie, dès lors que le pronostic vital n'est pas en jeu. Selon certaines analyses médicales, ces actes permettraient d'éviter une souffrance psychique : or tous les enfants intersexués ne sont pas confrontés à une telle souffrance. Dès lors leur caractère thérapeutique n'est pas établi. En outre, aucun texte ne prévoit aujourd'hui que ces actes non thérapeutiques soient autorisés, contrairement à l'avortement. Ils sont donc, à mon avis, illégaux.

Clément Cousin . - Compte tenu de l'importance du débat, il apparaît important que le législateur intervienne explicitement, sans attendre que le juge se prononce, pour préciser que ces actes n'ont pas de caractère thérapeutique. Néanmoins il faut bien cibler cette interdiction car des personnes, qui seraient aptes à en exprimer le besoin, qu'elles soient intersexuées ou transsexuées, doivent pouvoir les subir si elles le souhaitent. Pour ce faire, il nous semble souhaitable que le législateur use de son droit d'initiative législative pour élaborer une proposition de loi sur les personnes intersexuées.

On peut considérer que les actes médicaux d'assignation sexuée réalisés sur des personnes inaptes à consentir ne peuvent répondre à une nécessité thérapeutique pour la personne, au sens de l'article 16-3 du code civil. Leur réalisation devrait être pénalement sanctionnée. Ce faisant, nous vous proposons de conditionner l'exercice d'actes d'assignation sexuée à l'aptitude à consentir de la personne. Afin d'assurer l'effectivité de cette interdiction, deux mesures supplémentaires peuvent sembler nécessaires : empêcher la prise en charge par la Sécurité Sociale ; faciliter le dépôt de plaintes par les associations.

Les actes d'assignation sexuée sont aujourd'hui pris en charge par la Sécurité Sociale sous la codification « correction des ambiguïtés sexuelles ». La loi n'est certes pas le moyen le plus adapté pour modifier ces dispositions réglementaires. Néanmoins, il ne faut pas négliger l'efficacité de cette classification puisque celle-ci conditionne le financement des interventions et réglemente les conditions d'exercice de celles-ci. Deux solutions s'offrent au législateur. Vous pouvez enjoindre la Sécurité Sociale de supprimer ou de préciser les dispositions réglementaires concernant la classification des actes médicaux autorisant la prise en charge par les organismes d'assurance-maladie des actes de correction des ambigüités sexuelles. La Sécurité Sociale peut ainsi inclure, au début de la section concernée, une précision au terme de laquelle les actes d'assignation sexuelle ne peuvent être pris en charge. La seconde solution est de recourir à la loi pour inclure au sein du code de la Sécurité Sociale le principe selon lequel elle ne peut pas prendre en charge des actes illégaux - même si c'est une évidence. Cela reviendrait à insérer un nouvel article dans le code de la Sécurité Sociale, rédigé comme suit : « Les actes d'assignation sexuée ne peuvent être pris en charge par les organismes d'assurance-maladie que s'ils sont réalisés sur des personnes aptes à consentir ».

Mila Petkova, avocat . - Les associations qui défendent les personnes intersexuées sont récentes. Pour qu'elles puissent se constituer en partie civile, il faudrait pouvoir lever la condition qui exige que ces associations aient une antériorité de cinq ans, prévue par les articles 2-2, 2-3 et 2-6 du code de procédure pénale.

Benjamin Moron-Puech . - Quelles solutions pourraient être proposées aux personnes opérées par le passé ? Tant pour les victimes que pour les auteurs des actes, les dispositions existantes en matière de responsabilité civile ou pénale ne sont pas satisfaisantes. Il conviendrait donc de créer un fonds d'indemnisation.

En effet, les victimes doivent aujourd'hui faire face à un obstacle psychologique, car mener un procès requiert de l'énergie et suppose d'être inséré dans la société. Or, lorsque vous luttez quotidiennement pour trouver un logement ou même pour vous lever le matin, il semble difficile de mobiliser l'énergie nécessaire pour prendre part à un procès. Ceci explique pourquoi ces procès sont si rares. Un ou deux sont en cours en Allemagne et seulement un en France.

L'obstacle est également probatoire et tient au fait que les victimes n'ont pas accès à leur dossier médical, notamment parce que les durées de conservation sont trop courtes. Par ailleurs, dans la pratique, nous constatons que certains dossiers se perdent... C'est curieux !

Le dernier obstacle tient à la prescription. Souvent, la victime n'est en mesure d'intenter un procès qu'après un long cheminement personnel alors qu'il est trop tard pour agir juridiquement. Du point de vue des victimes potentielles, le droit de la responsabilité n'est donc pas forcément le meilleur mécanisme pour régler cette difficulté pour le passé.

Le droit de la responsabilité n'est pas non plus forcément un outil idéal si l'on adopte le point de vue des professionnels de santé. Ceux-ci pourraient en effet considérer qu'ils n'ont été que le « bras armé » d'une société victime de ces stéréotypes de genre et pourraient considérer comme inéquitable que l'intégralité de la responsabilité pèse sur eux. D'autant que cette responsabilité individuelle qui pèserait sur eux comporterait des risques importants tant sur le plan financier (leur assurance ne pourrait sans doute pas fonctionner) que sur le plan pénal.

Pour ces deux raisons, il nous semble utile de constituer un fonds d'indemnisation, comme le propose le Conseil d'éthique allemand.

Il me semble en outre que c'est une obligation pour le législateur. En effet, l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 ouvre un droit à la solidarité nationale, par exemple en présence de calamités nationales. Par le passé, le législateur, devant des catastrophes sanitaires de même ampleur (sang contaminé, hormones de croissance), a pris une décision similaire. Pour des raisons d'égalité, il me semble que la solidarité nationale doit jouer et que le fonds qui serait créé soit rattaché aux mécanismes d'indemnisation existants.

Mila Petkova . - Un dernier point reste à aborder concernant l'inscription à l'état civil. Le droit à la vie privée des personnes intersexuées est aujourd'hui méconnu pour deux raisons principales : d'une part, l'impossibilité d'établir le détail de son identité sexuée ; d'autre part, l'obligation de révéler trop souvent son identité sexuée aux tiers.

La reconnaissance de l'identité intersexuée résulte de l'obligation pour la France de sortir d'un système binaire de l'état civil, en application de ses engagements internationaux. Aujourd'hui, au nom du droit à la vie privée, toutes les instances européennes saisies de la question préconisent de sortir du système binaire actuel, pour reconnaître, d'une part, les lignes directrices du Conseil de l'Union européenne du 24 juin 2013 en faveur de la reconnaissance de l'existence d'autres catégories de sexes que le féminin et le masculin, ou les recommandations formulées par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur les personnes intersexuées pour faciliter la reconnaissance des personnes intersexes devant la loi. La France, qui adhère à ces conventions internationales qui reconnaissent le droit à l'autodétermination, est tenue de les exécuter de bonne foi.

Le droit français ne semble pas s'opposer à la reconnaissance de plusieurs identités sexuées. L'article 57 du code civil n'impose pas de mentionner un sexe masculin ou féminin sur les actes d'état civil et aucun texte n'interdit autre chose que ces deux catégories sexuées. Ces textes disent simplement qu'un sexe doit être mentionné. La jurisprudence récente s'est prononcée en faveur du rejet de la binarité du système actuel, au nom du respect du droit à la vie privée. Dans ces deux cas, les tribunaux ont estimé qu'il s'agissait de décisions individuelles des requérants et qu'il appartenait au législateur de régler cette difficulté qui relève de l'intérêt général.

On ne peut pas se contenter de solutions au cas par cas, risques d'interprétations divergentes. L'absence de loi pose des problèmes pratiques. Le droit d'appartenir à une catégorie non binaire n'étant pas reconnu par les textes, il n'est pas reconnu par les autorités administratives. Par exemple, l'Insee, qui a été saisi de cette question, refuse toujours d'enregistrer les personnes intersexuées.

Le silence de la loi pose aussi des problèmes d'accès au droit. Il reste à savoir comment mettre en oeuvre le rejet de la binarité de manière concrète, en créant une identité « autre » pour les personnes majeures et les mineurs doués de discernement. Pour la déclaration du sexe à la naissance qui concerne les mineurs dépourvus de discernement, les associations intersexes sont unanimes à demander que l'enfant soit rattaché au sexe masculin ou féminin le plus probable à la naissance. Par ces dispositions, le droit pour toute personne intersexuée d'établir le détail de son identité, corollaire du droit à la vie privée, serait respecté. Subsisterait néanmoins une atteinte à la vie privée résultant des trop nombreuses obligations faites aux personnes intersexuées de révéler leur identité sexuée.

En application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'identité sexuée appartient à la vie privée. Or, il existe aujourd'hui plusieurs textes qui obligent la révélation de l'identité sexuée sans pour autant que cela soit justifié par un but légitime, par exemple pour obtenir un service, alors que cette information ne conditionne pas la délivrance de ce service. C'est le cas notamment pour le formulaire de demande de logement social ou la demande d'un hébergement d'urgence. D'autres textes obligent à mentionner l'identité sexuée de la personne sur des titres d'identité, alors que le sexe ne permet pas d'identifier la personne comme le permettent le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance. Le permis de conduire français ou la carte d'identité allemande ne comportent pas de mention de sexe. Ces obligations de révéler son identité créent des discriminations à l'encontre des personnes intersexuées lorsqu'il existe une différence entre le sexe perçu et la mention indiquée sur les documents d'identité (suspicion d'usurpation d'identité notamment). Au nom du respect du droit à la vie privée, pour toute personne et non uniquement pour les personnes intersexuées, le sexe ne devrait pas figurer sur les pièces d'identité. À tout le moins, il faudrait reconnaître la possibilité pour chacun de décider s'il souhaite ou non que la mention de son sexe figure sur ses papiers d'identité. Plus globalement, il devrait être prévu par la loi que l'obligation de révéler son identité sexuée n'est justifiée que si elle est rendue nécessaire par un but légitime.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour votre intervention. Je donne la parole à M. Philippe Reigné, agrégé des facultés de droit et professeur du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Philippe Reigné . - Voyez ma main. Elle compte cinq doigts, mais pourrait en compter six. Elle possède un seul pouce, mais pourrait en avoir deux. Cela s'appelle la polydactylie : c'est une variation absolument naturelle de la main. Tous nos organes, quels qu'ils soient, sont susceptibles de variations qui apparaissent au fil des générations. Certaines sont retenues par le processus de la sélection naturelle, d'autres non. La couleur de la peau est la variation la plus connue et la moins rare. L'intersexuation est aussi une variation, relative aux organes génitaux. Les questions sociales, sociologiques, juridiques que nous nous posons ont donc pour origine un phénomène parfaitement naturel. Ces variations sont un avenir possible de notre espèce en cas de changement de milieu ou de circonstances. La polydactylie, l'intersexuation pourraient être l'avenir du genre humain...

Pourquoi administre-t-on, dès la naissance, des traitements chirurgicaux ou hormonaux aux personnes intersexuées ? Parce que nous obéissons encore à la logique du « sexe d'élevage », que formalisent, dans les années 1950 aux États-Unis, les travaux du sexologue John Money. Celui-ci propose de modifier les organes génitaux des enfants intersexués au plus tôt, pour que ceux-ci puissent s'identifier à l'une des catégories de sexe dès la petite enfance. C'est pourquoi il y a intervention sur les nouveaux-nés et non plus tard.

Qu'est-ce que le sexe sur le plan juridique ? Jean Carbonnier, un des grands juristes du XX ème siècle, qui a participé à la réforme de la filiation dans les années 1970, disait que « le sexe est un classement de l'individu qui échappe à sa volonté ». Aujourd'hui, cette conception ne peut plus être soutenue. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans deux arrêts rendus en 2003 et en 2015, a dégagé du droit au respect de la vie privée, qui figure à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un droit à l'autodétermination qui inclut la liberté de définir son appartenance sexuelle. La CEDH a rappelé, dans son arrêt du 10 mars 2015 que la liberté de définir son appartenance sexuelle s'analyse comme un des éléments les plus essentiels du droit à l'autodétermination. Ainsi, le sexe n'est plus aujourd'hui un classement qui échappe à la volonté de l'individu. Par conséquent, les traitements chirurgicaux et hormonaux pratiqués sur les nouveaux-nés qui ont pour but de les faire adhérer psychologiquement à l'une ou l'autre des deux catégories de sexe, sont radicalement contraires au droit à l'autodétermination. Il n'est pas possible de les concilier avec la jurisprudence de la CEDH. Nous sommes clairement dans un cas de violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et, puisque ces traitements s'appliquent à des enfants nouveaux-nés, de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Est entré en vigueur, le 1 er janvier 2016, un nouvel article 387-2 du code civil issu de l'ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, selon lequel « l'administrateur légal ne peut, même avec une autorisation, aliéner gratuitement les biens ou les droits du mineur (...) ». Autrement dit, les parents ne peuvent pas consentir de donations au nom du mineur, même avec l'autorisation du juge. Tout le monde le comprend ; il ne faut pas appauvrir le mineur car, une fois cette donation consentie, celle-ci aura des conséquences irréversibles sur son patrimoine.

La même logique devrait s'appliquer avec autant d'évidence aux traitements hormonaux et chirurgicaux sur les nouveaux-nés ; il faut attendre que les enfants aient atteint un âge leur permettant de décider par eux-mêmes. Ce qui est prévu par les textes en matière patrimoniale doit être étendu, dans le domaine des droits humains, à l'intégrité physique et psychique des enfants. On nous répond que les parents sont désemparés et que les enfants le seront aussi lorsqu'ils prendront conscience de leur situation. Toutefois, des accompagnements psychologiques sont possibles pour aider parents et enfants à surmonter ces difficultés.

Mes collègues viennent de suggérer à l'instant l'inscription, sur les registres d'état civil, d'une mention « sexe neutre ». Toutefois, une telle disposition nécessiterait de réformer le droit de la filiation, car celui-ci est sexué, hors le cas de la filiation adoptive : reconnaissance de paternité et reconnaissance de maternité ne sont pas rédigées dans les mêmes termes ; la présomption de paternité n'a pas d'équivalent pour la mère, etc. Il vous faudra donc achever la réforme de la filiation entamée en 2013 avec l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, en « désexuant » complètement la filiation. La suppression de la mention du sexe à l'état civil en découlera alors et rendra inutile la mention de sexe neutre.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie de nous renvoyer à nos difficultés...

Jacqueline Descarpentries, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Paris VIII-Vincennes . - Je remercie les personnes intersexes qui ont accepté d'aborder avec nous des sujets très intimes. Étant chercheure en sciences de l'éducation, je suis habituée à la pluridisciplinarité et à l'interdisciplinarité, et je me réjouis donc des apports pluriels de disciplines diverses lors de ce débat consacré à l'intersexualité. On pourrait s'étonner que les sciences de l'éducation s'intéressent à ce sujet. Mes travaux l'ont toutefois abordé sous le prisme de l'éducation à la sexualité, plus particulièrement sous l'angle de l'éducation à la santé. À ce titre, j'ai créé à Lille le premier master en sciences humaines et sociales, chargé de développer des compétences et des connaissances en matière de prévention et d'éducation à la santé, ce qui constitue une approche différente de celle qui consiste à réduire la prévention à la connaissance des facteurs de risque et à la seule approche biomédicale de la prévention.

Une approche pluridisciplinaire de l'éducation à la sexualité m'a amenée à former à la fois les directeurs des centres de prévention : Comité régional d'éducation pour la santé (CRES), Comité départemental pour l'éducation à la santé (CODES), qui dépendent directement de l'Institut pour la prévention et l'éducation à la santé (INPES), et des directeurs et intervenants des centres de Planning familial.

Ce qui est au coeur du débat qui nous réunit aujourd'hui est la question de la norme, en particulier de la normativité biologique, qui va nous déterminer en tant qu'être « normal », en tant qu'homme ou femme. La supériorité de la normativité biologique sur la normativité sociale induit des processus d'éducation à la sexualité à la fois binaristes et genrés. Les travaux de Michel Foucault ont d'ailleurs parfaitement démontré comment l'éducation participe à la normation des corps et comment la normativité biologique utilise l'éducation à la sexualité pour normer les corps, pour construire un corps masculin et un corps féminin. L'éducation à la sexualité va être essentiellement basée sur la protection du corps de l'homme, les matériaux pédagogiques utilisés dans les centres de prévention reposent sur ce principe. Tous les dispositifs de prévention se basent sur la nécessité de se préserver des maladies sexuellement transmissibles. Par ailleurs, la question de l'intersexualité n'est pas abordée par ces programmes et/ou n'est pas connue, comme j'ai encore pu le constater lors de ma dernière intervention pour le quarantième anniversaire du Planning familial, alors que j'intervenais devant un parterre de professionnels de l'éducation à la sexualité. Nous avons donc une responsabilité majeure à assumer en termes de formation des éducateurs à la santé.

Nous devons aussi intégrer une véritable prise de conscience des pratiques d'éducation à la sexualité, c'est-à-dire comprendre les enjeux majeurs de l'éducation à la sexualité telle qu'elle est enseignée, car les éducateurs ne font aujourd'hui que renforcer la binarité. On aborde de plus en plus la transsexualité et on informe qu'il existe d'autres formes de pratiques que l'hétérosexualité, mais il n'en demeure pas moins vrai que les outils proposés se bornent encore à enseigner l'utilisation du préservatif. Nous avons une vision gonadique de l'éducation à la sexualité.

Un travail doit donc être résolument mené dans les écoles (éducateurs, acteurs de la prévention) mais aussi dans les facultés de médecine pour qu'elles intègrent ces questions. Il faut sortir de cette vision anatomo-centrée uniquement basée sur la binarité sexuée. Ces actions doivent aider à développer une éducation à la tolérance et à la différence.

Chantal Jouanno, présidente . - Il est essentiel que l'éducation à la sexualité intègre les notions de respect, de consentement et d'amour.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Je souhaite tout d'abord saluer les intervenants qui ont porté ces témoignages. Je sais qu'il est toujours difficile de parler de soi, mais il était important que vous soyez là pour nous exposer vos expériences. La réalité de ce que vous vivez et de ce que vous exprimez est très différente de ce que certains d'entre nous, pourtant sensibilisés à ce sujet, pourraient en dire. Vos paroles ont pu nous éclairer et je vous en remercie, ainsi que de vos diverses propositions.

Je remercie également Jacqueline Descarpentries pour son exposé sur l'éducation à la sexualité qui rejoint un domaine qui m'intéresse tout particulièrement, celui de l'éducation et du suivi de la santé à l'école. Dans le cadre de travaux que mes collègues et moi-même avions menés sur le sujet du changement d'état civil des personnes transsexuelles, nous avions entendu un groupe d'infirmiers scolaires. Certains d'entre eux, sensibilisés par le mal-être récurrent de jeunes intersexes ne parvenant pas à parler de leur souffrance, ont décidé de se spécialiser dans l'accompagnement des enfants et de leurs parents. Ils ne sont certes qu'une minorité mais c'est néanmoins un début.

Chantal Jouanno, présidente . - Il faut souligner la grande force de caractère qu'il faut avoir pour témoigner devant nous ; ces témoignages sont particulièrement nécessaires au débat, afin de faire évoluer le droit et les consciences.

Michelle Meunier . - Je souhaite vous remercier pour la qualité de vos interventions et pour leur grande richesse et leur diversité, mais je trouve dommage que nous n'ayons pas pu entendre également des médecins. Le corps médical méconnaîtrait-il cette question, ou refuse-t-il de la voir, comme cela a été le cas pour certains enfants victimes de violences ou de maltraitance ?

Quant à la question de la filiation, M. Reigné a très bien résumé le bouleversement créé par la loi sur le mariage des personnes de même sexe sur ce point.

Mme Telesfort, pouvez-vous nous confirmer que 160 à 170 enfants intersexes naissent chaque année ?

Sylvaine Telesfort . - On estime que ce nombre est compris entre 160 et 178 naissances par an en France.

Michelle Meunier . - Il ne faut pas baisser la garde. Pour les personnes transsexuelles, nous avons pensé que la simplification des démarches administratives serait possible. Mais notre démarche n'a pas pu aboutir. Pour ce qui concerne la question de la filiation, je n'imagine pas qu'il soit possible de faire adopter une proposition de loi spécifique d'ici 2017.

Françoise Laborde . - Je vous remercie pour vos propos très riches qui soulèvent de nombreuses questions. Notamment, la question statistique n'est pas clarifiée. Combien d'enfants sont ainsi traités médicalement, et probablement mutilés chaque année ? De toute évidence, la Sécurité Sociale doit disposer de ces données, même si elle ne souhaite pas communiquer les chiffres.

Nous avons entendu des témoignages des personnes directement concernées et de leurs souffrances physiques et psychologiques, mais pas la parole des parents. C'est un sujet qui reste encore à explorer.

Je note également que la formation des professionnels est essentielle. Sur de nombreux sujets, nous constatons que les militants des associations connaissent parfois mieux le sujet que les spécialistes.

Enfin, il me paraît que le droit à l'autodétermination dont ont parlé les juristes est important. C'est un point essentiel que nous devons faire apparaître dans notre rapport.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Je suis rigoureusement dans le même esprit que mes collègues. J'espère que la réflexion que nous commençons ce matin aboutira à un travail qui vous sera utile pour faire reconnaître la situation dans laquelle vous vous trouvez. Il y a une véritable méconnaissance du sujet. L'injustice à laquelle vous faites face me bouleverse et me conduit à réagir. Vous avez subi des tortures, des mutilations et je comprends vos réactions. Je trouve normal que vous préconisiez de ne pas intervenir médicalement sans que la personne puisse prendre sa décision en connaissance de cause. Il faut aussi accompagner les parents qui pourraient, pour le bien-être de leur enfant, accepter ces mutilations, sans avoir vraiment été éclairés sur les conséquences de ces interventions. Enfin, la norme de la binarisation des sexes renvoie aussi à la notion de pouvoir. Or, la société a le vertige dès que l'on cherche à toucher à ce pouvoir, et en premier lieu au pouvoir patriarcal.

Encore une fois, je salue le courage qu'il vous a fallu pour témoigner.

Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons tenu des propos pessimistes sur la possibilité d'une évolution rapide du droit compte tenu du contexte actuel, peu propice à des débats sereins. Néanmoins, si la question de la filiation et de l'état civil reste difficile à traiter, en revanche, poser le principe du report des actes médicaux qui ne sont pas nécessaires pourrait être possible plus rapidement. Il n'est certes pas satisfaisant de séparer les deux sujets sur le plan légal, mais dans un souci de cohérence, ce serait une manière d'avancer plus vite.

Nadine Coquet . - Je souhaite réagir brièvement à vos propos sur la normativité pour indiquer que, pour se conformer à la pseudo-norme attachée à un sexe, beaucoup d'individus passent par la chirurgie esthétique ou par des privations de nourriture. Ce débat dépasse les questions intersexes et concerne tout le monde.

Mathieu Le Mentec . - Je souhaite aussi réagir sur la question du nombre de personnes concernées en France car cette bataille des chiffres est problématique. La France est dans l'incapacité de produire des chiffres fiables. D'après une chercheure américaine, Anne Fausto-Sterling, ces situations concerneraient 1,7 % des naissances. Il semble toutefois s'agir d'une fourchette basse. Par ailleurs, un médecin, qui a effectué la quasi-totalité de sa carrière à Necker a reconnu, au moment de sa retraite, qu'il était pratiqué 2 000 primo-interventions par an. Il serait nécessaire que l'État produise des chiffres sérieux.

Concernant l'avis des parents, je souhaite évoquer mon propre cas. Lorsque j'ai dit à ma mère que j'allais intervenir devant vous, elle m'a avoué être toujours inquiète. Elle m'a dit : « Tu vas me tuer psychologiquement, à prendre ainsi la parole ». Je lui ai répondu qu'elle n'avait pas à avoir honte. La honte est du côté de ceux qui ont pratiqué ces actes sans nous les expliquer. La question des intersexes n'est apparue sur la scène sociale que depuis le milieu des années 1990, alors que les opérations étaient systématiques depuis les années 1960/1970, car c'est une vraie bataille pour accéder à une parole libre.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - On ne va pas ici se livrer à la bataille des chiffres. Il n'y aurait qu'une opération par an qu'elle serait déjà une injustice faite à tous. Je pense que ces cas sont beaucoup plus nombreux que ce que l'on croit. Il n'y a pas un établissement scolaire où la question ne se pose pas. Pour cette raison, je suis une fervente militante de l' open data . Il faudrait que la Sécurité Sociale soit beaucoup plus encline à communiquer les chiffres. Certains, notamment des médecins, n'y sont pas favorables, car ils s'estiment remis en cause ou pensent, en toute bonne foi, avoir fait ce qui était nécessaire pour traiter ces situations.

Au-delà de l'hostilité de quelques-uns, ce qu'il faut combattre avant tout, c'est l'ignorance. Cela suppose de la pédagogie.

La France passe son temps à donner des leçons mais doit faire son autocritique afin de rendre à tous ces citoyens leur droit de cité. Je rêve donc que l'on puisse avoir un débat en séance et que nous puissions aborder cette question avant le prochain renouvellement du Sénat.

Sylvaine Telesfort . - En ce qui concerne les chiffres, j'appelle à dissocier les mutations génétiques des malformations congénitales.

Vincent Guillot . - Les organisations intersexes du monde entier ne sont pas en demande d'une modification du droit ou de la création d'une autre catégorie de personnes. Nous demandons en premier lieu l'arrêt des mutilations. Nous ne sommes pas contre les opérations si la personne les demande. Par contre, nous sommes contre les opérations dans la petite enfance qui ne seraient pas justifiées par un risque vital. Les seuls chiffres qui sont intéressants sont ceux qui portent sur le nombre d'opérations génitales non consenties sur des enfants, que la personne soit intersexes ou non.

Philippe Reigné . - Pour agir rapidement, il existe aussi la possibilité d'intervenir par voie administrative. Ces opérations pourraient faire l'objet d'un moratoire, simple décision de l'administration, afin de se donner le temps d'y voir plus clair. De plus, une telle décision n'engage pas l'avenir et ne dépend que du ministère de la Santé.

Vincent Guillot . - Le moratoire est une bonne possibilité. L'équipe de Strasbourg nous a proposé de faire un moratoire sur les opérations, nous n'y avons pas répondu car nous souhaitons l'arrêt des opérations. Mais des médecins en France sont pour un moratoire, à Strasbourg, justement.

Benjamin Moron-Puech . - Sur la question des chiffres, il faudrait pouvoir connaître le coût des remboursements et le nombre d'interventions. Ce sont des chiffres que les parlementaires peuvent réclamer. Par ailleurs, le fonds dont nous demandons la création pourrait dédommager les parents qui, de par ce qu'ils ont vécu dans le passé, sont aujourd'hui en grande souffrance psychologique. Pour l'avenir, il faudrait que chaque maternité puisse donner à ces parents les coordonnées d'une association compétente sur l'intersexuation.

Philippe Reigné . - Tout d'abord, l'arrêt des interventions chirurgicales et des traitements hormonaux est essentiel. Ensuite, je rappelle que la mention de sexe neutre interdit d'établir une filiation, sauf, peut-être, par voie adoptive.

Clément Cousin . - Je suis également surpris par la faible présence des sciences sociales dans le cursus des médecins, ce qui contribue à expliquer les situations actuelles.

Mila Petkova . - Les cours d'éthique et de droit dans les facultés de médecine sont dispensés par les médecins.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous propose de clore nos débats. Merci à toutes et à tous de nous avoir éclairés sur ce sujet complexe.

Audition des Docteurs Pierre Mouriquand, chef du service de chirurgie uro-viscérale de l'enfant du CHU de Lyon
et Claire Bouvattier, endocrinologue,
de Mmes Laurence Brunet, du centre d'Éthique clinique de l'hôpital Cochin et Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales

(25 mai 2016)

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Merci à toutes et à tous de votre présence.

Notre rencontre d'aujourd'hui fait suite à la table ronde que nous avons organisée le 12 mai dernier avec des associations représentant les personnes dites intersexes. Ces entretiens visent à nous permettre de procéder à un état des lieux des problèmes rencontrés par ces personnes, dans le cadre d'un rapport de la délégation, dont ma collègue Corinne Bouchoux et moi-même sommes les co-rapporteures.

Les témoignages entendus lors de cette table ronde mettent en cause de manière parfois assez virulente les interventions médicales et chirurgicales, allant jusqu'à les assimiler à de la torture : il était donc important de donner sur ce sujet la parole aux médecins.

Nous aimerions donc savoir où en est la pratique médicale à l'égard de ces enfants. Plus particulièrement, comment réagissez-vous à ces témoignages faisant état d'une telle souffrance psychologique et physique, que ces personnes imputent aux interventions médicales et chirurgicales ? Dans ce domaine, la pratique médicale a-t-elle évolué ? Les opérations sont-elles toujours systématiques ? Est-il toujours jugé nécessaire d'intervenir le plus tôt possible ?

Les parents sont au coeur de ces questions. Comment sont-ils informés ? Leur donne-t-on le choix du moment ?

Y a-t-il un suivi psychologique systématique des parents et des enfants ?

Je suis membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'ai collaboré aux travaux de ma collègue Marlene Rupprecht 145 ( * ) sur le droit des enfants à l'intégrité physique. J'ai participé dans ce cadre à de nombreuses auditions au cours desquelles j'ai entendu des témoignages de médecins et de juristes. Ce rapport a permis de faire évoluer la législation en Allemagne.

Quelles réponses apportons-nous en France à ces « cas » et qu'en est-il de la coopération avec vos homologues à l'étranger ? Est-il toujours nécessaire de recourir à la chirurgie ? Comment le faites-vous et comment y associez-vous les parents ?

Dr Pierre Mouriquand, chef du service de chirurgie uro-viscérale de l'enfant du CHU de Lyon . - Je vais vous parler de la façon dont se présentent ces enfants dans notre pratique quotidienne, aussi bien sous l'angle de l'endocrinologue pédiatre, qui est souvent le premier médecin à rencontrer ces patients, que sous l'angle du chirurgien. Je précise que nous travaillons en étroite collaboration avec les associations qui s'occupent de certaines de ces pathologies.

Je souhaiterais éviter un certain nombre de termes qui ajoutent de la confusion à ces questions et qui sont la source de controverses qui ne me paraissent pas constructives. Ces termes ont fait l'objet de critiques et de débats lors de la Conférence de Consensus qui s'est tenue à Chicago en 2005, qui a permis de renommer et de reclassifier ces situations compliquées. Le terme d'« intersexes » me paraît inapproprié pour désigner ces patients. Je comprends qu'il soit délicat de qualifier ces situations car nous ne sommes pas tous d'accord sur les mots à employer.

J'aimerais rappeler rapidement le contexte du diagnostic des enfants qui naissent avec des anomalies des organes génitaux, terme qui est le moins controversé pour désigner ces pathologies.

Il existe quatre situations, très différentes, dans lesquelles sont décelées ces anomalies :

- avant la naissance : un certain nombre de ces anomalies anatomiques peuvent être révélées lors des échographies pratiquées pendant la grossesse. Lorsqu'il existe des contradictions entre les constatations anatomiques et échographiques et les constatations biologiques - en particulier le caryotype -, il est possible de poser un diagnostic d'anomalie du développement génital à partir de la vingt-troisième semaine de gestation ;

- à la naissance : face à un aspect inhabituel des organes génitaux, les endocrinologues pédiatres sont les premiers à être contactés ;

- pendant l'enfance : la situation la plus typique est celle de la petite fille chez qui l'on découvre, au cours d'une intervention chirurgicale banale destinée à réparer une hernie inguinale, deux testicules. Cette situation porte le nom d'« insensibilité aux androgènes ». Je vais l'évoquer dans un instant ;

- à la puberté : une enfant considérée jusqu'alors comme une fille se « virilise », ou un enfant considéré depuis sa naissance comme un garçon voit ses seins se développer.

Le diagnostic se fait dès l'enfance, mais à des âges qui diffèrent : c'est donc sur ce point que peut exister le débat sur l'âge auquel ces enfants commencent à être traités, lorsqu'ils le sont. Mon service les prend en charge jusqu'à leur puberté, ils sont ensuite dirigés vers des endocrinologues traitant les adultes.

Il est important de savoir de quelles personnes nous parlons. Il y a une tendance à considérer comme identiques des situations qui n'ont rien à voir entre elles. C'est la raison pour laquelle il existe, à mon sens, des controverses, et parfois de la virulence dans les propos, car on parle de situations qui en réalité sont bien distinctes.

Depuis la Conférence de Chicago, on distingue ces différentes situations selon les chromosomes. Cela peut être tout à fait contestable, mais il n'en demeure pas moins que cette méthode a quand-même considérablement simplifié notre approche et nous a permis d'évacuer des termes qui étaient déplaisants, voire insultants, pour un certain nombre de patients, comme « hermaphrodisme », « pseudohermaphrodisme », « sous-virilisé » et, en particulier, ce terme d'« intersexes » que nous n'utilisons plus afin d'éviter de froisser certaines personnes.

Nous distinguons cinq groupes de patients en fonction de leur profil chromosomique.

Le premier groupe, le 46,XX Disorder of Sex Development ( DSD ), concerne les enfants - génétiquement des filles - qui naissent avec des organes génitaux anormaux. Ces filles sont « virilisées », elles ont un développement inhabituel du clitoris et ne possèdent pas d'ouverture du vagin au périnée. Pour ce groupe, l'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) est la principale cause de ces anomalies. Ce ne sont pas des états intersexués, ce sont des filles qui naissent avec des organes génitaux masculinisés. Il n'y a pas d'ambiguïté sur la direction à donner.

Le deuxième groupe, beaucoup plus hétérogène, concerne les enfants 46,XY DSD qui naissent avec un profil génétique de garçon. Plusieurs situations existent au sein de ce groupe, complètement distinctes les unes des autres :

- les anomalies de la stéroïdogenèse sont des anomalies de la fabrication des hormones. Elles peuvent mener à des sujets garçons présentant des organes génitaux insuffisamment formés sur le plan masculin ;

- la dysplasie (dysgénésie gonadique) concerne les garçons nés avec des gonades malformées qui ne fabriquent pas ces hormones en quantité suffisante ;

- certains enfants naissent avec des testicules normaux, qui fabriquent ces hormones en quantité suffisante, mais leur corps ne possède pas les récepteurs permettant de répondre à cette stimulation hormonale (anomalie 5á réductase) ou possèdent des récepteurs aux androgènes ne permettant pas aux hormones de pouvoir transformer le petit garçon sur le plan masculin. Lorsque l'insensibilité aux androgènes est complète, les enfants sont entièrement féminins extérieurement mais portent intérieurement des testicules et fabriquent des hormones masculines qui sont totalement inefficaces ;

- les anomalies du contrôle de ces hormones au niveau central (déficit en gonadotrophines) ;

- enfin, il existe une catégorie d'enfants dont on ignore les raisons pour lesquelles ils naissent avec des organes génitaux incomplètement formés.

Le troisième groupe concerne les enfants qui naissent avec des « ensembles » chromosomiques (« mosaïques ») qui ne sont pas habituels dans l'un ou l'autre sexe. L'anomalie la plus couramment rencontrée est la 45,X/46,XY, c'est-à-dire des enfants qui ont plusieurs groupes de chromosomes et dont les organes génitaux ne sont pas bien formés.

Le quatrième groupe, très rare (300 à 400 cas publiés à ce jour) concerne les enfants Ovo-testicular DSD (autrefois appelés « hermaphrodites vrais ») chez lesquels cohabitent les structures masculines et féminines.

Le cinquième et dernier groupe concerne les enfants qui fabriquent des hormones normales, qui ont des chromosomes normaux, mais présentent des malformations graves de la partie inférieure du corps. On ne reconnaît plus chez eux de structure génitale ( DSD non-hormonales). Ces DSD non-hormonales correspondent principalement aux exstrophies vésicales, exstrophies du cloaque, certaines malformations cloacales et les aphallies.

Ces cinq groupes sont très différents les uns des autres. Il faut distinguer les patients cas par cas, car les approches sont différentes selon la pathologie. Cette nomenclature est désormais utilisée depuis la Conférence de Chicago en 2005.

Les chiffres qui ont circulé dans la presse ne correspondent pas véritablement, à mon sens, à ce que nous rencontrons au quotidien.

Les anomalies congénitales du développement génital représentent, tous groupes inclus, une naissance sur cinq mille :

- le groupe 46,XX DSD , essentiellement les hyperplasies congénitales des surrénales, représente une naissance sur 12 000 à 15 000. En France, cela représente cinquante naissances par an, les deux sexes confondus ;

- le nombre de naissance dans le groupe 46,XY DSD est extrêmement faible, quasiment impossible à déterminer. Il existe des régions dans le monde - Nouvelle Guinée, République dominicaine, Bande de Gaza - où les naissances sont plus nombreuses, en raison d'une consanguinité importante qui facilite ce type d'anomalie.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - D'où proviennent ces chiffres ?

Dr Pierre Mouriquand . - Ils sont issus des revues de la littérature médicale.

Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales . - Le dépistage systématique à la naissance de l'hyperplasie congénitale des surrénales est généralisé depuis 1996. Chaque année, pour cette maladie, nous savons quel est le nombre de naissances dans chaque région de France et départements d'outre-mer : par exemple 47 cas en 2015, (source : www.afdphe.org).

Dr Pierre Mouriquand . - Pour les autres groupes, un gros effort est fourni au niveau national, par l'intermédiaire des Centres de référence et des Centres de compétences. Il existe un Centre de référence sur les DSD qui fait partie de la Filière Maladies Endocriniennes (FIRENDO) dont la mission est de recenser ces différentes pathologies au moyen d'une base de données mise en place avec le Gouvernement.

Ces pathologies restent très rares au regard de l'ensemble de la population.

Quelles sont les situations pour lesquelles il existe un problème d'assignation du genre, c'est-à-dire pour lesquelles la pathologie détectée ne permet pas de déterminer clairement le genre vers lequel nous devons orienter cet enfant ?

Dans le premier groupe, celui des 46,XX DSD , la quasi-totalité des cas d'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) ne pose pas de problème de détermination du genre : ce sont des filles et elles seront élevées dans le sexe féminin. Le problème survient lorsque le diagnostic est tardif, c'est-à-dire non détecté à la naissance. On se trouve alors devant une enfant de quatre ans, cinq ans, voire dix ans, dont le processus de virilisation est très engagé. Elle ressemble extérieurement beaucoup plus à un petit garçon qu'à une petite fille. Faut-il que l'enfant reste dans le sexe qui lui a été assigné au départ ou peut-il y avoir discussion à ce sujet ? Cette situation est critique mais peu fréquente.

Les enfants appartenant au deuxième groupe, celui des 46,XY DSD , naissent avec un phénotype féminin et se masculinisent à la puberté. Là encore se pose le problème de savoir si l'on maintient l'enfant dans le genre qui a été déterminé à sa naissance.

Dans certaines anomalies du développement des testicules et des gonades, on peut être amené à se poser les mêmes questions pour des enfants dont les testicules ne peuvent pas produire suffisamment d'hormones pour permettre la virilisation de ces enfants.

Il y a, enfin, des anomalies des tissus cibles - je vous ai parlé des récepteurs aux androgènes. Certains enfants répondant très mal à la stimulation par les hormones, la question du genre peut se poser. En 2016, il est très rare qu'un enfant porteur de matériel Y ne soit pas orienté vers le sexe masculin. Il existe, en revanche, une situation dans laquelle des enfants 46,XY DSD sont orientés dans le sexe féminin : ce sont ceux qui présentent une insensibilité complète aux androgènes car ils sont physiquement des filles.

Cela devient plus compliqué pour les enfants « mosaïques », c'est-à-dire présentant une diversité chromosomique, dont l'orientation pose problème dès le diagnostic. Autrefois, ces enfants étaient automatiquement orientés dans le sexe féminin. Aujourd'hui, la majorité de ces enfants, qui possèdent du matériel Y, est orientée vers le sexe masculin. Ce choix offre l'avantage de permettre une certaine réversibilité. Je reviendrai sur ce sujet tout à l'heure.

Pour ce qui concerne les hermaphrodites vrais, c'est-à-dire les Ovo-testicular DSD - je vous rappelle qu'il existe 400 cas publiés dans le monde - ces cas ne peuvent être abordés que dans un cadre interservices et interdisciplinaire.

Aucun praticien ne décide plus, aujourd'hui, seul, des moyens à mettre en oeuvre pour résoudre les situations extrêmement difficiles que je viens de vous exposer. C'est à l'issue de réunions nationales fréquentes réunissant des psychologues, des pédopsychiatres, des chirurgiens, des endocrinologues, des généticiens, des biologistes, des imageurs, que nous procédons à la synthèse de chaque situation.

Brigitte Gonthier-Maurin . - Les enfants et les familles sont-ils conviés à ces réunions ?

Dr Pierre Mouriquand . - Le corps médical ne prend plus aujourd'hui de décision contre l'avis des parents. Ceux-ci ont un rôle prioritaire.

À sa naissance, l'enfant ne peut par définition participer à la discussion concernant sa situation. Lorsqu'il est possible d'attendre pour permettre à l'enfant de prendre une décision, il est évident que nous préférons pouvoir l'associer.

Je suis cependant suffisamment âgé pour avoir connu une période où les choses ne se passaient pas de cette façon, ce qui est sans doute à l'origine d'une grande partie des remarques que vous avez entendues lors de la table ronde que vous avez organisée le 12 mai dernier.

Michelle Meunier . - À quelle date est intervenu ce changement dans l'attitude du corps médical ?

Dr Pierre Mouriquand . - Il y a eu des événements déclencheurs. Vous avez peut-être entendu parler, aux États-Unis, de l'affaire « Joan/John ». C'est l'histoire d'un enfant qui est né masculin, tout-à-fait bien formé, qui a eu une circoncision qui s'est mal passée, la verge de l'enfant a été amputée. Il a été décidé de le transformer en fille parce que l'on considérait à l'époque qu'un enfant dépourvu de pénis ne pouvait être que féminin. De John, il est donc devenu Joan.

Cet enfant qui a été élevé en fille s'est senti très mal dans sa peau à l'adolescence. Découvrant ce qui lui était arrivé, il s'est naturellement rebellé, de manière tout-à-fait logique, contre les gens qui avaient pris ces décisions. Il a donc été opéré à nouveau et est redevenu un garçon. Il s'est suicidé, si ma mémoire est bonne, au début des années 2000.

Cette histoire est l'un des événements importants qui sont à l'origine de cette fameuse Conférence de Chicago. Toutes les spécialités médicales y étaient représentées, y compris les psychologues, les psychiatres et les associations.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Les familles ont-elles témoigné ?

Dr Pierre Mouriquand . - Le compte rendu de cette conférence ainsi que ceux des multiples réunions qui ont suivi relatent les témoignages qui sont à l'origine des changements d'attitude du corps médical, dont nous parlons cet après-midi.

Je vous ai communiqué des chiffres au début de cette réunion, je souhaite maintenant vous projeter les images de quelques-unes des situations concrètes auxquelles nous devons faire face.

La première situation que je vous montre est celle de l'hyperplasie congénitale des surrénales : les hormones masculines engendrent un phénomène de virilisation qui empêche la séparation entre l'étage urinaire, génital et digestif. La petite fille possède une vessie et un canal de l'urètre tout-à-fait normaux, mais le vagin ne parvient pas à se séparer de l'urètre, il est branché sur l'urètre et le clitoris présente une taille importante. Les organes génitaux internes - utérus et ovaires - sont normaux, les possibilités de reproduction sont assurées. Mais si rien n'est entrepris par voie chirurgicale, les rapports sexuels sont impossibles et l'évacuation des menstruations ne se fait pas ou se fait par l'urètre, qui n'est pas le conduit physiologique approprié.

Certaines petites filles présentent à la naissance des signes de virilisation si importants qu'elles sont déclarées comme étant des garçons - vous pouvez voir sur la diapositive suivante qu'il est difficile d'en faire grief à la sage-femme - ce qui crée d'énormes difficultés sur le plan administratif. Une des plus graves insultes qui puisse exister pour ces personnes est de recevoir leur extrait complet d'acte de naissance, sur lequel il est écrit « né garçon, transformé en fille ». C'est une situation que nous considérons comme inacceptable. Nous avons connaissance de plusieurs patients qui ont été détruits psychologiquement, car on leur rappelle par le biais d'un document administratif émanant de l'État qu'ils ont été, à leur naissance, orientés vers un sexe qui n'était pas le sexe apparent à la naissance...

Claudine Colin . - Effectivement, la première mention qui apparaît dans la copie intégrale de l'acte de naissance est que l'enfant est « né de sexe masculin », ainsi que le prénom qui lui avait été donné. Ce sont des petites lignes, tout en bas du document, qui font mention du prénom et du sexe féminins.

Laurence Cohen . - Si le diagnostic n'a pas été fait avant la naissance, on peut comprendre que la sage-femme l'ait déclaré garçon...

Dr Claire Bouvattier, endocrinologue - Mais ce bébé est né avec des ovaires. Avant sa sortie de la maternité, chaque enfant est examiné par un pédiatre. Si le médecin ne décèle pas de testicules lorsque l'enfant présente une apparence masculine, il doit rechercher une possible HCS.

Il est courant chez un petit garçon que l'un ou les deux testicules ne soient pas descendus à la naissance. Un pédiatre de maternité, qui rencontrera peut-être une seule fois dans sa vie professionnelle une HCS, préfère ne pas inquiéter les parents avec des informations sur une maladie que leur enfant ne présenterait finalement pas. Mais ne pas avoir procédé à cet examen constitue une faute médicale que le patient portera toute sa vie.

Dr Pierre Mouriquand . - Je vais maintenant vous présenter deux photographies : celle d'une petite fille née avec des organes génitaux externes paraissant féminins et celle de sa soeur.

Ces deux fillettes sont nées de parents turcs consanguins vivant en France mais ne parlant pas français. L'aînée des fillettes est née avec des chromosomes 46,XY DSD ; elle était donc un garçon sur le plan génétique. Diagnostiquée très jeune, l'enfant a été opérée et entièrement féminisée - création d'une cavité vaginale et ablation des gonades masculins avant sa puberté. Cette enfant a été mariée à l'âge de quatorze ans. Souffrant psychologiquement d'être devenue stérile après l'intervention du chirurgien, elle a conseillé à sa soeur de ne jamais consulter un médecin.

Ce n'est qu'à l'âge de seize ans que sa cadette a fait cette démarche car elle s'inquiétait de ne pas avoir de poitrine. Elle n'avait aucune notion des anatomies féminine et masculine normales. Outre des organes génitaux et un torse masculin, elle présentait également une pilosité importante sur le visage, une voix grave et une grande taille.

Le vote de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, l'a contrainte à retirer le voile qu'elle portait pour aller à l'école. Ayant eu à subir des moqueries et des critiques sur son apparence physique et sur sa voix, elle a décidé d'abandonner ses études.

Avec l'aide de pédopsychiatres et de psychologues, nous lui avons expliqué sa situation. Nous avons ensuite envoyé toute la famille en Turquie, afin que des médecins leur explique, dans leur langue, les mêmes informations.

Cette jeune fille, aujourd'hui majeure, a reçu un traitement hormonal - des oestrogènes - et nous avons réalisé, à sa demande, l'intervention chirurgicale destinée à lui donner des organes génitaux extérieurs féminins. Elle est aujourd'hui mariée, stérile car elle n'a pas d'utérus, mais elle affirme avoir une vie intime satisfaisante.

Cette histoire illustre la difficulté qui est la nôtre de faire prendre la bonne orientation sexuelle à la naissance d'un enfant présentant ce déficit biochimique, dans un contexte social de parents ne parlant pas le français.

La situation suivante est celle d'un enfant qui présentait à sa naissance des organes génitaux plutôt féminins. Le pédiatre qui assurait son suivi l'a diagnostiqué, à l'âge de un an, comme 46,XY DSD , c'est-à-dire un garçon. Ses parents l'ont néanmoins élevé comme une fille.

Dès lors, la question se pose de savoir ce qu'il faut faire. Si rien n'est fait, à la puberté, cet enfant va se masculiniser. Dans certaines des régions dont je vous ai parlé -Nouvelle Guinée, République dominicaine, Bande de Gaza - il y a tellement de patients porteurs de cette anomalie qu'un troisième sexe a été admis.

Autrefois, on enlevait très tôt les testicules pour que ces enfants ne se virilisent pas à la puberté, aujourd'hui ce n'est plus le cas.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Comment pose-t-on ce diagnostic ?

Dr Claire Bouvattier . - Par un examen génétique qui sera de toute façon effectué à la vue des anomalies physiques présentées par l'enfant. En France, le diagnostic se fait chez le nourrisson, grâce à l'examen avant la sortie de la maternité.

Les premiers articles parus sur les DSD provenaient de pays où les nouveaux-nés ne subissaient pas d'examen de sortie de la maternité ; la situation de ces enfants n'était alors connue que lorsqu'ils venaient consulter lors de leur puberté.

En France, les parents demandent un examen dès qu'ils soupçonnent - ou constatent - un développement de leur enfant qui leur semble anormal. Les centres de Protection maternelle et infantile (PMI) peuvent aider les parents dans leur recherche des services médicaux appropriés.

Dr Pierre Mouriquand . - Pour les enfants présentant un déficit en 5á réductase, si l'on décide une assignation en fille, la première question qui se pose est de savoir quand retirer les gonades - s'il faut les enlever. Doit-on attendre l'âge hypothétique où l'identité individuelle est établie pour prendre une décision ? Si oui, j'aimerais que l'on me dise quel est cet âge. Enfin, si on garde les gonades, il faut bloquer la puberté chez ces enfants à l'aide d'un traitement hormonal lourd qui leur permet d'attendre cet âge hypothétique qui, très régulièrement, nous est opposé dans nos décisions.

S'il est décidé d'assigner l'enfant en garçon, même en considérant qu'il est possible de développer son tubercule génital en utilisant des hormones telles que la dihydrotestostérone (DHT), il est fort probable qu'il présentera à la puberté un pénis peu développé. Aucune des deux décisions que je viens d'évoquer n'est totalement satisfaisante pour le patient.

La photographie suivante montre un garçon de quatorze ans présentant une insensibilité partielle aux androgènes. En dépit de multiples chirurgies et d'un traitement hormonal conséquent, il n'a pas été possible d'obtenir un résultat probant. Ce garçon, aujourd'hui âgé de dix-sept ans, est désormais pris en charge par un chirurgien qui pratique des phalloplasties. Mais bien que les techniques de ces interventions aient évolué, elles ne sont que partiellement satisfaisantes.

Vous voyez maintenant l'illustration du cas très courant dont je vous ai parlé, celui de la découverte de deux testicules chez une petite fille opérée pour fermer une hernie inguinale. Nous n'enlevons pas ces gonades, nous traitons seulement la hernie. À la sortie du bloc opératoire, il faut expliquer à ces parents la situation complexe de leur fille.

Ces enfants sont des filles qui le resteront. L'illustration la plus répandue est celle qui figure sur les couvertures des magazines : ce sont ces grands mannequins longilignes, qui sont de très belles femmes qui, dans l'ensemble, ne présentent pas de dysphorie du genre, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas mécontentes du sexe qu'elles présentent depuis leur naissance.

Pourquoi laisse-t-on leurs gonades à ces enfants ? Lors de la puberté, les testicules vont se « mettre en marche ». Une autre enzyme, l'aromatase, va permettre la conversion des androgènes en oestrogènes et ces derniers vont permettre aux seins de se développer. Il est également important, pour la maturation des os, de conserver ces gonades. Par ailleurs, ces femmes ne possèdent pas d'utérus et présentent une cavité vaginale qui, bien que souvent très petite, ne nécessite que rarement une intervention chirurgicale destinée à permettre des relations sexuelles.

La situation de ces femmes leur permet de prendre seules la décision d'enlever ou de garder ces testicules, en toute connaissance de cause...

Dr Claire Bouvattier . - C'est le cas aujourd'hui mais il y a dix ans, ces femmes ne savaient rien sur leur situation !

Dr Pierre Mouriquand . - En effet, j'ai connu l'époque où, lorsque ce diagnostic avait été posé et écrit, on arrachait parfois la page du dossier médical ou du carnet de santé ! Ces femmes qui possèdent des testicules qui fonctionnent devront donc se poser la question de savoir si elles souhaitent les conserver ou non, car ces gonades présentent un risque de développer des tumeurs important.

Dr Claire Bouvattier . - On se servait autrefois de cet argument pour inciter les patientes à retirer ces gonades. Mais le risque est inférieur à 15 %.

Dr Pierre Mouriquand . - Nous n'avons malheureusement pas de matériel échographique qui nous permette une vision satisfaisante de l'évolution de ces gonades dans l'abdomen. Toutefois, même si le risque tumoral n'est pas supérieur à celui présenté par des testicules non descendus, un pourcentage non négligeable de cancer du testicule chez l'adulte est dû à des gonades non descendus dans l'enfance : il ne faut pas sous-estimer ce risque.

Laurence Cohen . - Je comprends qu'il soit important de conserver les testicules pour la maturation des os, pour la formation des seins. Mais une fois que la puberté est achevée, le travail de ces gonades étant terminé, la décision de les enlever est-elle prise en concertation avec la personne ?

Dr Claire Bouvattier . - La décision de conserver les gonades est motivée par le fait que si elles sont retirées avant la puberté, la jeune fille devra prendre un traitement hormonal substitutif.

Dr Pierre Mouriquand . - Certaines femmes ayant subi l'ablation de ces gonades se plaignent d'une libido très diminuée, ce qui peut également motiver la décision de les conserver.

Chantal Jouanno, présidente . - Nous n'avons pas beaucoup de recul pour analyser les conséquences de la conservation de ces organes chez ces femmes, puisque ce choix est assez récent...

Dr Pierre Mouriquand . - Un des premiers médecins qui a proposé à ces femmes de conserver leurs gonades est le docteur Claire Nihoul-Fékété, à l'époque chef de service de chirurgie pédiatrique viscérale à l'hôpital Necker Enfants Malades, il a y environ vingt ans. Nous ne faisions pas ce choix à Lyon où j'exerce.

Dr Claire Bouvattier . - Il est parfois difficile pour un médecin d'annoncer à une jeune adolescente qu'elle n'a pas d'utérus, qu'elle n'aura jamais de règles et qu'elle possède un caryotype de garçon. C'est extrêmement douloureux pour ces jeunes femmes. Il est plus facile de mentir, de prendre la décision à la place de l'enfant qui n'est pas en âge de la prendre et de l'imposer aux parents. Il faut reconnaître que le pouvoir du corps médical est grand face à des gens désemparés par l'annonce du diagnostic.

Il faut aussi se rendre compte à quel point il est difficile d'entendre, lorsque l'on est une femme, que l'on possède des testicules, et le supporter psychologiquement. C'est difficile pour le patient, pour les parents, mais aussi pour le médecin. Dans certaines situations, la transparence peut révéler ses limites.

Dr Pierre Mouriquand . - Je vais maintenant vous présenter la situation, très difficile pour nous, des enfants « mosaïques ». L'enfant possède un testicule, une verge hypospade, une grande lèvre, un vagin et un utérus. Cette situation génère un haut risque de cancer car la gonade qui est dans le ventre contient du matériel Y. La plupart de ces enfants sont élevés dans le sexe masculin qui présente l'avantage de la réversibilité.

Dr Claire Bouvattier . - Mais c'est en fait, à mon avis, de l'hypocrisie : la formule consiste à ne pas intervenir et si, un jour, ce patient souhaite devenir une femme - ce qui serait particulièrement difficile -, vous pouvez faire valoir que vous n'avez pas fait de geste définitif. Mais comment dire que cette enfant, qui possède un testicule, est une fille ? La société ne l'accepte pas.

Dr Pierre Mouriquand . - L'exemple suivant est celui de l'hermaphrodisme vrai, c'est-à-dire un enfant qui possède les deux appareils génitaux : utérus, testicules, ovaires, bourgeon génital, trompes, canal déférent. Que faire ? Vers quel genre orienter cet enfant ? Les réunions interdisciplinaires sont indispensables pour aider les parents face à cette situation dramatique.

Le dernier exemple que vous voyez est une situation pour laquelle ni les chromosomes ni les hormones ne sont en cause : c'est un enfant dont la partie inférieure du tronc est malformée et qui présente une exstrophie cloacale. Cette malformation, lorsqu'elle est détectée par l'échographie prénatale, conduit généralement à une interruption médicale de la grossesse (IMG).

Dans ce genre de situation, interrompre la grossesse a du sens, mais des familles refusent l'IMG, pour des raisons religieuses notamment. Cette situation constitue cependant un risque vital pour l'enfant et, malheureusement, elle générera ensuite des handicaps importants : incontinence, absence de verge, colostomie, qui affecteront lourdement sa qualité de vie.

Pour terminer, j'aimerais vous exposer les raisons pour lesquelles nous opérons les enfants présentant des anomalies congénitales du développement génital. Nous essayons de reconstruire les organes génitaux externes pour permettre au patient d'avoir des rapports sexuels et de faciliter la reproduction ; vous avez compris que cela n'est pas toujours facile ni possible. Un certain nombre de ces enfants présentent des problèmes urologiques liés à l'anatomie de leurs organes génitaux externes. Les infections urinaires successives accompagnées de fièvre peuvent détruire leur fonction rénale : le risque médical est important.

Cette chirurgie n'est pas que « cosmétique ». Elle vise à éviter, au moment de la puberté, les rétentions liquidiennes dans l'utérus et le vagin, à éviter la virilisation tardive chez le garçon élevé en fille et, à l'inverse, à éviter le développement de seins chez l'individu élevé en garçon. Nous travaillons aussi, par le biais de ces opérations, à réduire les cancers des gonades qui sont la cause de trop de décès chez les enfants.

Ces opérations visent également à favoriser la construction identitaire : je pense qu'il est important pour un enfant de pouvoir s'identifier au monde qui l'entoure. La majorité des consultations dans mon service sont motivées par la volonté des parents d'éviter la stigmatisation de leur enfant. Personne ne niera que les enfants sont très cruels entre eux : certains enfants présentant un sexe neutre ou des organes génitaux indéfinis ont arrêté de faire du sport. Les moqueries et critiques permanentes entendues dans les vestiaires ont eu pour conséquence de les y faire renoncer.

Nous pensons également aux parents et à leur souhait, très légitime, que leur enfant vive dans les meilleures conditions possibles au sein de la société qui est la nôtre.

Faut-il opérer ces enfants et à quel moment faut-il le faire ?

Je voudrais vous donner le point de vue du chirurgien. L'intervention précoce présente l'avantage de la disponibilité des tissus et du climat hormonal de l'enfant. Il existe en outre, souvent, une certaine pression des parents. D'après ce que nous disent nos psychologues et nos psychiatres, l'impact psychologique d'une intervention chez le bébé est probablement moindre que chez une adolescente au moment de sa puberté. L'inconvénient de cette chirurgie précoce, d'après les techniques utilisées il y a vingt ans, est toutefois qu'elle aboutit à un taux de révision à la puberté important, de l'ordre de 60 %. La question qui se pose alors est : pourquoi les opérer de manière précoce si vous devez intervenir à nouveau plus tard ?

Depuis vingt ans, la chirurgie a connu des évolutions techniques importantes. Toute la difficulté est de savoir si les techniques utilisées maintenant apporteront, dans vingt ans, des résultats satisfaisants et limiteront le nombre des interventions ultérieures. Nous ne sommes pas capables de l'affirmer aujourd'hui, mais nous l'espérons.

Les interventions qui sont décidées à un âge plus avancé permettent de recueillir le consentement de l'individu. C'est un avantage évident. Mais la chirurgie à l'âge de la puberté est beaucoup plus lourde, beaucoup plus complexe, et présente beaucoup plus de risques (hémorragies, infections). Les médecins ne disposent pas de la même magnitude de chirurgie lors d'une intervention sur un adolescent ou sur une adolescente que lors d'une intervention sur un nourrisson.

L'intervention chirurgicale de féminisation consiste à ouvrir le vagin au périnée, à réduire la taille du clitoris si nécessaire et à redonner au périnée un aspect féminin. Je ne connais pas de chirurgien qui pratique aujourd'hui, en France, des opérations premières de féminisation à la puberté ou à l'âge adulte dans le cadre des DSD . Il n'existe aucune publication, à ma connaissance, rapportant une chirurgie première sur des DSD à l'âge adulte et leurs résultats. Il est donc surprenant que certains prônent la chirurgie première tardive alors que personne n'est en mesure de rapporter des résultats. La plupart des experts en chirurgie dans ce domaine sont des chirurgiens-pédiatres, comme je le suis. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire ces interventions, mais il faut être conscient qu'il risque d'y avoir, si on intervient tardivement, des problèmes non négligeables.

Laurence Cohen . - Cette approche est-elle la même dans les autres pays du monde ?

Dr Pierre Mouriquand . - Je suis membre de plusieurs sociétés américaines et nord-européennes et je peux vous certifier que cette approche n'est pas seulement franco-française.

Laurence Brunet, centre d'Éthique clinique de l'hôpital Cochin . - L'amélioration de la chirurgie effectuée sur les personnes transsexuelles n'a-t-elle pas permis de contribuer à faire évoluer la chirurgie sur les adolescents ou les adultes présentant des DSD ?

Dr Pierre Mouriquand . - La phalloplastie reste une chirurgie extrêmement compliquée, avec un taux de difficultés post-opératoires élevé. Compte tenu des difficultés rencontrées, les patients subissent parfois plusieurs opérations avant d'obtenir un résultat satisfaisant. Les opérations de féminisation d'un patient masculin adulte sont également très compliquées, car les individus sont musclés, présentent une vascularisation pelvienne différente et un risque infectieux plus sérieux. Les risques de thrombose ou de phlébite sont importants.

La production d'androgènes chez un garçon modifie radicalement, outre son aspect physique, les suites de la chirurgie. La cicatrisation est beaucoup moins bonne chez un individu qui produit des androgènes que chez un petit garçon qui n'en produit pas.

Les chirurgies de féminisation sont également très lourdes. Nous le savons tous, l'adolescence n'est pas une étape très simple de la vie ; si l'on y ajoute des interventions chirurgicales génitales susceptibles d'entraîner des suites opératoires pénibles, l'impact psychologique peut être très sérieux.

Les publications récentes sur le sujet de la chirurgie précoce font état, pour les patients atteints de ces pathologies ayant subi à la fois des interventions précoces et à l'âge adulte, d'une très nette préférence pour les interventions précoces. C'est le cas, par exemple, des patients présentant une HCS. Ces résultats concernent le nord des États-Unis, l'Europe du Nord et la France.

Dans mon service du CHU de Lyon, nous voyons aujourd'hui des patients devenus adultes qui ont été opérés pour des HCS. Nous leur demandons leur sentiment et leur ressenti sur le choix qui a été fait de les opérer alors qu'ils étaient encore petits. Dans une très grande majorité, ces patients disent qu'il est préférable d'opérer tôt.

Nous ne sommes pas opposés à évoluer, mais il faut faire preuve de prudence face à des positions qui sont rigoureusement contradictoires.

Laurence Brunet . - Je n'imagine pas qu'une personne qui a été opérée à un âge très jeune puisse, vingt ans après, répondre qu'elle regrette d'avoir été opérée. Il faudrait qu'elle avoue ne pas être satisfaite de sa condition. Ne pourrait-on pas mener ces études comparatives d'une façon différente ?

Dr Claire Bouvattier . - Mais nous ne disposons d'aucune cohorte de patients qui ont été opérés à l'âge adulte...

Dr Pierre Mouriquand . - Les gens insatisfaits peuvent aussi exprimer leur mécontentement...

Dr Claire Bouvattier . - Mais ils ne le font pas lors de nos consultations...

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - La loi de 2002 146 ( * ) a permis à chaque patient d'accéder à son dossier médical, mais il n'en reste pas moins que ces dossiers ont parfois été tronqués ou ont complètement disparu...

Dr Pierre Mouriquand . - Quelles sont les alternatives à la chirurgie ? Un traitement hormonal bien administré peut permettre d'éviter certaines chirurgies - celle visant par exemple à la réduction de la taille du clitoris. Mais un traitement hormonal ne peut en aucun cas remplacer une opération visant à ouvrir le vagin sur le périnée.

Les chirurgies utilisées autrefois nécessitaient beaucoup de reprises. Elles étaient, elles sont encore en majorité, irréversibles ; cela pose des problèmes si le sujet n'a pas été consulté et n'a pas donné son consentement. Il peut y avoir des conséquences sur la fonction vésicale et sur la continence du patient en raison des inflammations chirurgicales. Je rappelle que, chez l'enfant post-pubère et chez l'adulte, les pertes sanguines et le risque infectieux sont beaucoup plus importants.

Pour éviter la chirurgie, lorsque l'on prescrit un traitement hormonal, lors de sa grossesse, à une femme qui porte une petite fille atteinte d'une HCS, il est possible de réduire considérablement la virilisation de l'enfant. Ce traitement est très controversé car les effets secondaires peuvent être sérieux, non seulement chez la mère - hypertension, vergetures, diabète - mais également chez l'enfant qui peut présenter des troubles cognitifs très importants. Ce sont les raisons pour lesquelles certains pays - la Suède ou les États-Unis - ont abandonné ces traitements hormonaux.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Qu'en est-il en France ?

Dr Pierre Mouriquand . - Nous continuons à les prescrire.

Dr Claire Bouvattier . - La consigne officielle est l'abandon de ces traitements hormonaux sauf si les parents, par l'intermédiaire d'un centre de référence par exemple, sont parfaitement informés sur les risques encourus. Certains gynécologues en prescrivent également.

Dr Pierre Mouriquand . - Je terminerai en disant que ne pas prendre de décision est aussi une décision. Entre 1996 et 2003, sur 167 patients diagnostiqués pour une HCS, seuls 40 % d'entre eux avaient bénéficié d'une prise en charge optimale : 25 enfants atteints d'une HCS naissent chaque année en France, nous avons 30 CHU sur tout le territoire. Il n'est pas possible d'avoir une expérience satisfaisante lorsque l'on n'opère qu'un enfant par an. Pour cette raison, nous aimerions qu'il existe des réseaux de soins et que l'on désigne clairement les centres habilités à opérer ce type de patients.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Je vous remercie pour votre exposé très complet.

Françoise Laborde . - Est-ce que l'on envoie aujourd'hui ces patients dans des centres spécialisés ? Cela fonctionne-t-il ? Les chirurgiens acceptent-ils tous que leurs patients soient opérés par un confrère d'un autre CHU ?

Dr Pierre Mouriquand . - Il existe aujourd'hui des centres qui, de par leur petite taille, ne devraient pas prendre en charge un certain nombre de pathologies. Pour cette raison, je pense que ce sont des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) qui devraient décider des suites à donner à la situation d'un enfant présentant une des situations extrêmement complexes que je viens de vous présenter. Les dossiers devraient être soumis à des groupes d'experts, à des parents, à des associations. Nous avons la chance de pouvoir tenir ces réunions avec certains centres à Paris et en province. Tous les dossiers qui nous posent problème font l'objet d'une discussion entre nous afin que la décision soit collégiale.

Mais nous avons tous notre ego ! Il existe encore aujourd'hui des services qui refusent de laisser partir un patient vers un centre spécialisé !

Michelle Meunier . - Les centres médicaux en province qui prennent en charge les personnes souffrant de DSD sont-ils les mêmes que ceux qui opèrent les personnes transsexuelles ?

Dr Pierre Mouriquand . - Même s'il existe des techniques opératoires communes aux deux situations, il ne faut pas, à mon sens, comme le font certaines associations, faire un amalgame entre les personnes transsexuelles et les personnes souffrant de DSD . Pour le corps médical, cela n'est pas du tout la même chose. Les enfants dont je viens de vous parler ne sont pas des enfants « intersexués », mais des enfants qui présentent des anomalies génitales et biologiques.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - La différence de gravité des situations que nous avons vues peuvent-elles être l'origine d'une demande de changement de sexe à l'âge adulte ?

Dr Claire Bouvattier . - Des études ont été menées dans le nord de l'Europe et aux États-Unis : 1 % des enfants qui naissent avec des anomalies des organes génitaux demandent à changer de sexe dans le cadre d'une procédure de dysphorie du genre.

Il y a aujourd'hui, à Paris et à Toulouse, des équipes de pédiatres qui prennent en charge des adolescents pour des dysphories du genre, mais aucun de ces enfants ne présentait d'ambiguïté physique à la naissance.

Les situations d'un adulte qui demande une chirurgie en conscience et d'un nourrisson dont les parents vont devoir prendre une décision sont tout à fait différentes.

Le transsexualisme est, en France, un phénomène encore majoritairement psychiatrisé et qui n'a aucun lien avec une maladie hormonale.

Mme Claudine Colin . - En ce qui concerne l'association Surrénales , les familles nous contactent lorsqu'ils ont déjà pris la décision de faire opérer leur enfant, pour que nous leur fournissions les coordonnées des centres dans lesquels ils peuvent se rendre.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Comment ont-ils connaissance de votre existence ?

Dr Claire Bouvattier . - Ce sont les médecins qui orientent les parents vers l'association Surrénales .

Claudine Colin . - Ils doivent donner les coordonnées de notre association, c'est inscrit dans le protocole national de diagnostic et de soin (PNDS) pour l'HCS.

Notre association souhaiterait, tout comme le Pr Mouriquand, qu'il existe une liste des chirurgiens et des centres spécialisés dans la prise en charge des patients présentant une HCS. Les parents doivent pouvoir choisir de confier leur fille à un chirurgien dont l'expertise et l'habitude auront un impact positif sur l'avenir de celle-ci. Dans certains CHU, il n'y a pas de psychologue connaissant bien l'HCS et les problèmes particuliers de cette maladie. Or, lorsqu'il y a chirurgie, il est nécessaire pour les parents et pour les enfants de pouvoir compter sur une équipe pluridisciplinaire. Il faut une prise en charge globale de ces patients.

Dr Claire Bouvattier . - Mais ces chirurgiens experts sont peu nombreux. Il y a vingt-cinq filles qui naissent, chaque année, avec une HCS. Cinq ne seront pas opérées. Il serait souhaitable de créer, à Paris, deux centres spécialisés dans la prise en charge des vingt autres petites filles. Mais les CHU de province sont contre cette idée.

Il n'y a pas, en France, de maladies rares pour lesquelles il existe une liste de médecins. Dans la majorité des cas, les familles se débrouillent.

Pour l'hyperplasie congénitale des surrénales, nous avons la chance d'avoir des centres de référence, mais il n'est pas certain que le grand public soit au courant de leur existence.

Dr Pierre Mouriquand . - En conclusion, je voudrais rappeler qu'il existe des situations très difficiles pour lesquelles le résultat, quelle que soit la décision qui va être prise, ne sera pas du tout satisfaisant.

Pour ces situations, les anglais ont introduit le concept de coping - to cope with - c'est-à-dire l'accompagnement des enfants et de leurs familles. L'accompagnement est parfois plus important que les traitements ou la chirurgie que l'on propose. Accompagner les parents et l'enfant tout au long de la croissance, répondre à leurs questions, constitue la véritable prise en charge de ces familles.

Il est important que les médecins se rencontrent et qu'il y ait des réunions de concertation pluridisciplinaires nationales ou régionales. La création des centres de référence constitue un progrès.

Par ailleurs, ma consoeur Claire Bouvattier travaille sur deux projets européens importants et je participe moi-même à toutes les réunions américaines.

Dr Claire Bouvattier . - L'étude européenne DSD life est menée auprès d'un panel de 1 500 personnes DSD , qui sont aujourd'hui des adultes ayant été opérés alors qu'ils étaient des enfants. L'étude porte sur leur vie sociale et socio-professionnelle, sur leurs revenus et sur leur qualité de vie.

Les militants intersexes, en France, ne veulent pas participer à ces études. Leur objectif prioritaire semble être l'indemnisation des préjudices qu'ils considèrent avoir subis. Il n'en reste pas moins que l'émergence de leur parole a obligé le corps médical à entreprendre une réflexion et à se remettre en question. C'est un point positif.

Il y a, pour ces maladies, beaucoup de « perdus de vue ». Nous sommes pédiatres, ce qui signifie que lorsque nos patients atteignent l'âge de quinze ou seize ans, nous les confions aux équipes médicales qui prennent en charge des adultes. Neuf fois sur dix, au bout d'un an, les patients ont disparu, pour des raisons diverses : parce qu'ils vont mal, parce qu'ils préfèrent voir leur médecin généraliste qui leur prescrit tout aussi bien leur traitement, parfois parce qu'ils en ont assez de voir des médecins.

Nous ne savons pas vraiment si les patients qui reviennent à l'hôpital se portent bien ou, à l'inverse, si ceux qui reviennent ne sont que les mécontents. Les médecins sont donc obligés de composer : si tout va bien, c'est peut-être parce que les mécontents ne reviennent pas ; si tout va mal, c'est peut-être parce que ceux qui vont bien ne reviennent pas... Aux États-Unis, les patients engagés dans des protocoles bénéficient, ainsi que leur famille, d'une protection sociale : c'est un incitatif important et il n'y a donc pas de « perdu de vue » dans leur cohorte.

Par ailleurs, en France, les protocoles mis en place par la Sécurité Sociale pour obtenir l'adresse d'un patient qui a déménagé sont tellement lourds qu'il est quasiment impossible de le retrouver. Pourtant, obtenir le témoignage de patients devenus adultes serait fort utile à notre information. Nous entendons actuellement beaucoup plus la parole des personnes en souffrance.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - J'ai été militante LGBT à l'époque où l'on n'ajoutait pas encore le « I » pour « intersexes ». J'ai entendu un certain nombre de témoignages qui m'ont sensibilisée sur des situations dont je n'avais pas connaissance.

Je vous remercie beaucoup pour votre exposé très éclairant. Les pratiques médicales ont évolué et les patients s'impliquent aujourd'hui dans leur parcours thérapeutique.

Ma question va peut-être vous sembler terre à terre : les documents que l'on fait signer aujourd'hui aux parents sont-ils différents de ceux qu'ils signaient, ou pas, il y a trente ans ? Le corps médical est-il aujourd'hui plus explicite envers les familles ?

Claudine Colin . - Je peux témoigner qu'il y a eu une énorme évolution des relations entre les médecins et les patients. Aujourd'hui, les patients exigent plus d'explication et n'hésitent pas à reposer plusieurs fois une question à laquelle le médecin n'a pas répondu. De la même façon, si la relation avec le médecin ne les satisfait pas, les patients et leurs familles n'ont aucune difficulté à changer de praticien. Les réseaux sociaux et Internet ont beaucoup contribué à cette évolution. Développer l'information des malades, des professionnels de santé et du grand public sur les maladies rares était l'un des axes du « Plan national maladies rares 2005-2008 ».

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Vos pratiques médicales ont évolué. Avez-vous adapté les formulaires médicaux à en ce sens ou restez-vous toujours aujourd'hui dans l'oralité ?

Comment réagissez-vous lorsque vous entendez le débat sur la pratique médicale dans le domaine des anomalies congénitales du développement génital ? Les opposants à ces méthodes chirurgicales, qui en sont eux-mêmes des victimes, sont certes peu nombreux à prendre la parole ; il faut néanmoins les entendre.

Vous nous avez dit être un certain nombre de médecins à travailler sur ce sujet, sur le plan national et international. Comment envisagez-vous la question de la résilience ? Quel est votre regard de professionnel sur ce sujet ? Lors des réunions organisées avec vos confrères des autres pays, évoquez-vous ce sujet de la résilience ou cette question reste-t-elle sans réponse, laissant chacun face à des non-dits ?

Peut-on prendre le parti de ne rien faire ? Ne peut-on pas aussi, s'agissant du passé, considérer que tout le monde - médecins, parents - était certain de bien faire, d'agir uniquement pour le bien de l'enfant ? Même si le ressenti de ce dernier, une fois devenu adulte, est négatif ?

Dr Pierre Mouriquand . - Nous sommes désormais beaucoup plus précis dans les explications que nous donnons aux parents, que ce soit sur le diagnostic ou sur le traitement. Nous avons mis en place au CHU de Lyon un conseil d'éthique pédiatrique - composé notamment de juristes, de psychiatres, de religieux. Ce conseil d'éthique rencontre les parents autant de fois que nécessaire de manière à ce qu'ils comprennent les « troubles » ressentis par les médecins. Il me semble que nous avons perdu une certaine arrogance au profit de l'expression de nos doutes. Personne ne détient la vérité, nous en sommes bien conscients. Nous avons besoin d'expliquer aux parents les procédures ou protocoles mis en oeuvre pour leur enfant, nous le faisons en parlant avec eux ou par écrit. Les courriers que j'écris aux parents leur font part de toutes mes hésitations, car il faut aussi, c'est compréhensible, que je puisse me défendre face à d'éventuels contentieux.

Nous sommes très souvent critiqués et attaqués au sujet des décisions que nous avons prises. Je souhaiterais que l'on accepte de comprendre quel était le contexte du moment. Ce n'est pas que je réclame de l'indulgence, mais je souhaite simplement que l'on se rappelle les conditions dans lesquelles nous posions par le passé le diagnostic des pathologies que je vous ai exposées. On nous reproche aujourd'hui des décisions que nous avons prises à un moment où l'échographie, l'imagerie médicale et la biologie moléculaire n'existaient pas ou n'étaient pas aussi sophistiquées qu'aujourd'hui. Nous avons évolué et nous évoluerons encore, je l'espère, car beaucoup de problèmes ne sont pas encore résolus à ce jour.

Dr Claire Bouvattier . - Mais si les patients d'il y a vingt-cinq ans n'avaient pas pris la parole et ouvert ce débat, nous n'aurions pas évolué. S'ils n'avaient pas été capables d'exprimer leurs souffrances, s'ils ne nous avaient pas - parfois - rudement interpellés, nous serions-nous posé des questions ? Ce débat est donc positif...

Dr Pierre Mouriquand . - Je suis tout à fait d'accord, cette prise de parole, aussi dure qu'elle soit, a un effet positif. Nous ne pourrons plus continuer à faire ce type d'approche du diagnostic et de la thérapeutique à mettre en oeuvre sans nous entourer d'un collège de personnes - psychiatres, juristes, etc. Mais je n'aimerais pas que nous arrivions au stade où, comme en Australie par exemple, la décision serait prise par un tribunal.

Je vais être franc : le corps médical a besoin d'aide. De temps en temps, comme en ce moment, nous devons faire face à des propos virulents, voire agressifs. J'espère que vous avez entendu aujourd'hui le message du corps médical.

Laurence Brunet . - J'entends très bien, Professeur Mouriquand, vos propos sur les questions que se pose le corps médical.

En 2015, lors d'un colloque organisé par une psychiatre spécialisée dans le domaine de la transsexualité, une psychologue de l'hôpital Necker nous a raconté l'histoire d'une femme, originaire d'Amérique du Sud, mère d'un enfant DSD défini à l'état civil comme une fille, qui était réticente à le faire opérer. L'équipe médicale de l'hôpital a circonvenu cette femme, exerçant sur elle une forte pression jusqu'à ce qu'elle accepte que son enfant soit opéré. Or toutes nos sociétés ne pensent pas la même chose, les parents hésitent et se posent des questions. Cette psychologue nous a clairement dit - au cours d'un atelier destiné à former d'autres psychologues ! - qu'elle estimait être la seule à savoir ce qui était le mieux pour cet enfant, et cela m'a semblé difficile à entendre. Ni l'enfant ni ses parents ne semblaient avoir une quelconque importance pour elle.

Certains professionnels et hôpitaux sont effectivement très ouverts à la discussion pour faire évoluer les pratiques médicales et les approches thérapeutiques, comme c'est le cas des Dr Mouriquand et Bouvattier, avec lesquels je travaille.

Lorsque j'entends la réalité de ce qui existe encore aujourd'hui, je conçois tout à fait que les militants intersexes ne puissent pas entendre cet argument de « contexte du moment », puisque ce moment est toujours d'actualité dans certaines équipes médicales qui ne sont pas toutes ouvertes à la discussion et favorables au changement.

Par ailleurs, je suis juriste et la législation européenne me paraît évoluer de manière très inquiétante.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - En quoi ces textes vous semblent-ils inquiétants ?

Laurence Brunet. - Vous connaissez toutes et tous l'Instruction générale relative à l'état civil (IGREC) élaborée en 1955. Le paragraphe 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, permet aux parents d'un enfant présentant un DSD un délai de « réflexion » ou d'« indétermination » pouvant aller jusqu'à deux ans. Mais il faut demander cette autorisation au procureur de la République et pouvoir justifier ce délai par le fait que le médecin estime, après que l'enfant aura suivi un traitement approprié, pouvoir permettre une assignation dans un des deux sexes autorisés par l'état civil à l'échéance d'un ou deux ans. C'est ce qui me paraît inquiétant : la décision est du ressort du médecin.

Il faudrait modifier cette circulaire. Laisser du temps est une bonne chose mais, à mon sens, ce temps ne devrait pas être uniquement sous tension médicale, et le procureur de la République ne devrait pas être impliqué dans cette procédure.

Pour revenir à ce que disait Mme Colin sur l'état civil, il faut savoir ce qu'est la copie intégrale d'un acte de naissance. Cet acte est la recension de tout ce que la personne est ou de tout ce qu'elle a fait : naissance, nom des parents, mariage, enfants, divorce, remariage, etc. Il constitue l'historique administratif d'une vie et n'est modifié que par les mentions marginales.

Lorsqu'une personne demande à justifier de son état civil par sa filiation, pour une demande de passeport par exemple, il faut fournir un extrait d'acte de naissance. Mais la préfecture a-t-elle besoin de toutes les mentions marginales y figurant ? A-t-elle besoin de savoir quelle était la situation de cette personne à sa naissance et si elle a été ensuite, ou non, rectifiée ? Non, il suffit de pouvoir justifier de sa parenté et de sa filiation. Comme Mme Colin, je pense que les extraits d'acte de naissance comportant des mentions très personnelles circulent beaucoup trop. Cela peut être préjudiciable aux personnes, dans certains cas.

Le législateur devrait se pencher sur la publicité des actes d'état civil. Le conjoint doit-il tout savoir par le biais de l'extrait de naissance ?

J'ai été membre du groupe de travail « Filiation, origines, parentalité » présidé par Irène Théry. Nous avons beaucoup insisté sur le fait que certaines mentions devaient rester strictement réservées à l'enfant et à ses parents, que ce soit pour l'adoption ou pour l'accès à ses origines.

Le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de l'Assemblée générale des Nations Unies a fait figurer, dans son rapport de 2013, la question des réassignations comme étant « un des exemples de traitements inhumains, cruels et dégradants ».

Le Conseil de l'Europe 147 ( * ) a pris, à la suite du rapport 148 ( * ) de la députée Marlene Rupprecht, une résolution qui fait mention d'une catégorie de violences particulières, celles qui sont infligées à l'enfant 149 ( * ) .

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se saisit parfois de ces résolutions - elle le fait en ce moment en ce qui concerne le transsexualisme - dans le but de contraindre les États parties de l'Union européenne à adapter leur législation.

La résolution 1952 a été adoptée. Elle insiste sur le fait qu'« il faut mettre fin aux traitements de normalisation des personnes intersexes médicalement non justifiés, y compris la chirurgie irréversible des organes génitaux, la stérilisation, lorsque ces traitements sont forcés, ou pratiqués sans le consentement libre et pleinement éclairé de la personne concernée ».

Les commissions nationales d'éthique allemande et suisse ont mené une réflexion parallèle. Ils sont tombés d'accord, en 2010 et en 2012, sur le fait qu'aucune intervention visant à déterminer le sexe d'un enfant de manière irréversible, s'il n'existe pas de nécessité médicale ou d'urgence, ne doit être effectuée avant que l'enfant ne puisse se prononcer lui-même.

La commission nationale d'éthique suisse a proposé que cette décision puisse être prise entre l'âge de dix et quatorze ans, tout en soulignant que l'identité sexuée peut, bien souvent, être définie avant l'âge de dix ans. La Cour constitutionnelle colombienne a pour sa part considéré qu'un enfant de huit ans pouvait être à même de donner son avis.

Le Comité sur les droits de l'enfant de l'ONU ( CRC ) a tancé récemment la France sur le fait qu'elle laissait pratiquer « en routine » des opérations d'assignation sexuée sans aucune nécessité médicale sur les enfants intersexes. Il est donc nécessaire de mettre en place un cadre plus respectueux de l'information et du consentement des enfants eux-mêmes.

Il ne faut pas que ces interventions deviennent des opérations routinières et il faut absolument réfléchir avant d'entreprendre toute chirurgie.

La République de Malte a également changé sa législation sur ce point.

Maryvonne Blondin, co-rapporteur . - La présidente de la République de Malte a été l'une de mes collègues à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Malte a effectivement modifié sa législation afin d'autoriser ses citoyens transsexuels à changer d'état civil sur simple déclaration.

Laurence Brunet . - Un pays peut faire preuve d'ouverture d'esprit en matière d'identité sexuelle mais ne pas admettre l'IVG. Nous n'avons pas de leçons à recevoir ni à donner, mais peut-être pourrions-nous nous inspirer des questions que se posent certains États...

Dr Pierre Mouriquand . - Je voudrais vous signaler qu'un groupe de nos confrères et consoeurs endocrinologues européens a décidé de répondre au Conseil de l'Europe - Response to the Council of Europe Human Rights Commissioner's Issue Paper on Human Rights and Intersex People - sur la question notamment de l'assimilation de la chirurgie des enfants souffrants de DSD à des actes néfastes. Cet article sera publié dans la revue European Urology . 150 ( * )

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Je vous remercie tous d'être venus et que nos échanges se soient déroulés dans une atmosphère sereine.

Dr Claire Bouvattier . - Nous sommes désormais très réticents à nous exprimer dans un but de confrontation. Nous avons beau comprendre la violence de certains discours, il faut comprendre que l'emploi de mots tels que « bouchers » ou « assassins » n'est pas de nature à nous inciter au dialogue avec certains militants.

Audition de l'association Surrénales

(19 octobre 2016)

Maryvonne Blondin , co-rapporteure . - Nous sommes très heureuses que vous ayez pu revenir. Nous vous avions rencontrée le 25 mai dernier dans le cadre de l'audition des docteurs Pierre Mouriquand et Claire Bouvattier sur les enfants à identité sexuelle indéterminée. Mais, en raison de la richesse et de l'abondance des échanges, nous n'avions pas eu le temps de vous entendre autant que nous l'aurions souhaité. Pour conforter et compléter notre information, nous sommes heureuses que vous ayez pu nous rejoindre aujourd'hui. Étant donné que vous connaissez l'objet de nos travaux, nous vous proposons de commencer l'échange sans plus attendre.

Claudine Colin, présidente de l'association Surrénales . - J'accompagnais effectivement ces deux médecins le 25 mai dernier. Je suis membre de l'association Surrénales depuis 2001 et présidente depuis 2007. De 2002 à 2007, j'étais chargée de l'accueil et de la prise en charge des parents et des adultes sur l'hyperplasie congénitale des surrénales 151 ( * ) au sein de l'association. J'ai donc une longue expérience de l'écoute concernant cette maladie.

Nous ne considérons pas les enfants atteints de l'hyperplasie congénitale des surrénales comme des personnes à identité sexuelle indéterminée ou intersexes. Ni les parents, ni les grands-parents qui nous contactent souvent, n'ont jamais évoqué cette question sous cet angle. Il faut bien préciser cependant que nos adhérents sont généralement plus jeunes que les personnes que vous avez entendues lors de votre table ronde du 12 mai 2016. Les personnes de plus de 50 ans qui viennent vers nous nous posent généralement des questions d'ordre médical. Elles se demandent comment elles vont vivre leur traitement avec la ménopause, comment leur vieillesse va se passer.

Mme C. - Je suis atteinte d'hyperplasie congénitale des surrénales. Nous avons découvert l'association par Internet en 2001 alors que j'avais 17 ans. Je ne me reconnais pas du tout dans les propos des personnes dites intersexes et je ne comprends pas leur volonté d'inclure l'hyperplasie congénitale des surrénales dans le périmètre de leur mouvement. Ce sont deux problématiques différentes, à mon avis.

Ma maladie a été découverte à ma naissance, j'avais une malformation de stade 3. Mes parents m'ont fait opérer. Alors qu'elle n'était pas au courant de ma maladie, ma mère a pris de la cortisone pendant sa grossesse, ce qui, par chance, a permis de réduire la malformation.

Claudine Colin. - C'est ce que m'ont dit les médecins à l'époque. D'ailleurs, s'il y a un cas de cette maladie dans une famille, il peut être proposé à la femme enceinte de prendre une forme de cortisone, la dexaméthasone, pour réduire les malformations du foetus.

Ma fille est née en 1983. Elle a été opérée à l'âge de deux ans et demi. À l'époque les chirurgiens opéraient entre deux et trois ans, car ils craignaient l'impact psychologique de l'opération sur des enfants de plus de trois ans. Aujourd'hui, l'opération est même proposée plus tôt. L'information qui nous a été faite à l'époque était bonne, même si elle n'a évidemment rien à voir avec celle qui peut être donnée aujourd'hui.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Vous connaissiez l'existence de ce type de maladie ?

Claudine Colin. - Pas du tout.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Le médecin vous l'a-t-il annoncée à la naissance ?

Claudine Colin. - J'ai accouché par césarienne. Quand notre enfant est née, elle a été placée en couveuse. Le gynécologue m'a dit que tout allait bien mais qu'il y avait une malformation au niveau du sexe et que celle-ci s'opérait très bien, vers l'âge de deux ans. On m'a dit que j'avais une fille, il n'y a pas eu d'ambiguïté là-dessus. J'ai eu beaucoup de chance. Car chaque terme, chaque mot est important et peut laisser une marque.

Ainsi, à la clinique de proximité où j'ai accouché, la pédiatre m'avait dit de ne pas donner à ma fille un prénom féminin, mais mixte, comme Frédérique. Les mots qu'elle a prononcés sont restés, 33 ans après. Aujourd'hui, au contraire, les médecins déconseillent de donner un prénom mixte. Mais ce type de réaction peut encore se rencontrer dans des cliniques qui n'ont jamais traité de cas d'enfant atteint d'une hyperplasie.

Sur les conseils d'un parent médecin, nous avons emmené notre fille au plus vite dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Lorsque ma fille a été transférée au CHU de Rouen, la prise en charge médicale a commencé.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Cette prise en charge médicale a-t-elle duré longtemps ?

Mme C.  - Je n'ai pas de souvenir de cette époque. Je ne me souviens pas de l'opération que j'ai subie à deux ans et demi, seulement de celle de mes 14 ans. Quand j'étais petite, le terme employé était « pseudohermaphrodisme féminin », ce qui est incorrect puisqu'il n'y a pas d'hermaphrodisme 152 ( * ) .

Je jouais beaucoup aux jeux de garçon : j'ai fait du foot et non de la danse, j'avais des Lego ® et non des Barbie ® . Je travaille dans un milieu masculin, l'informatique. Mais cela ne m'empêche pas d'avoir un compagnon.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Vous dites n'avoir pas de souvenir de votre première opération. Quel souvenir gardez-vous d'après ? Avez-vous eu l'impression d'être soumise à un traitement ou des opérations régulières ?

Mme C. - Je dois prendre des médicaments quotidiennement, c'est impératif. Et je me souviens de l'intervention que j'ai eue à 14 ans pour vérifier les suites de la première opération. Car la chirurgie d'aujourd'hui n'est pas la même que celle d'il y a trente ans.

Claudine Colin. - La deuxième opération, sous anesthésie générale, visait à s'assurer que tout allait bien et que notre fille pouvait avoir une vie de femme normale. Il fallait vérifier qu'elle pouvait avoir des rapport sexuels, contrôler qu'il n'y avait pas de sténose 153 ( * ) du vagin. Parfois, lors de ce contrôle, les chirurgiens peuvent intervenir s'ils estiment que c'est nécessaire, d'où l'anesthésie générale. Mais pour ma fille, tout allait bien.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Avez-vous eu l'impression d'être bien accompagnée ? Vous n'aviez pas le sentiment d'être perturbée ?

Mme C. - J'ai vu une psychologue mais j'ai rapidement arrêté car je considérais que j'allais bien.

Claudine Colin. - Cela faisait partie d'un nouveau protocole. Quand une chirurgie de cet ordre est pratiquée, des séances avec un psychologue sont obligatoires.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - C'est une bonne chose. Vous n'en n'avez pas éprouvé le besoin, mais d'autres le ressentent peut-être.

Mme C. - On me demande souvent comment on m'a annoncé ma maladie et mon opération. En quelque sorte, on ne me l'a jamais annoncée. Je l'ai toujours su, c'est tout. J'ignore comment je l'ai appris. Pour moi, c'est une malformation au même titre qu'un bec de lièvre. C'est une erreur de la nature qu'il faut réparer.

Tout se passe bien pour moi par ailleurs. Mon côté masculin - comme jouer aux jeux de garçon ou évoluer dans un milieu professionnel masculin - est peut-être dû à la maladie, à la production d'androgènes 154 ( * ) . Mais cela n'a rien à voir avec les opérations. Je n'ai jamais reproché à mes parents de m'avoir fait opérer.

Je suis convaincue qu'il faut opérer le plus tôt possible pour n'en avoir aucun souvenir et pouvoir se construire. Je suis une fille. Au niveau chromosomique, c'est très clair.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Nous avons compris, lors de notre rencontre avec le corps médical, qu'il y avait différents stades de la maladie. Dans votre cas, la maladie se situait à un stade peu avancé ?

Claudine Colin. - Effectivement, dans le cas de ma fille, l'opération était assez simple car la malformation était à un stade peu avancé.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Je vous remercie. Mme D., pourriez-vous nous faire part de votre témoignage ?

Mme D. - J'ai deux filles. L'aînée de huit ans est atteinte de la maladie. La seconde de cinq ans n'est pas malade, ce qui me donne une sorte de repère. La maladie de mon aînée a été découverte à la naissance, il n'a pas été possible de détecter la malformation avant. On me l'a annoncé pendant l'accouchement. Je rejoins Claudine Colin sur ce point : il y a des mots qui marquent. Nous avons toujours considéré notre enfant comme une fille, et non comme un enfant intersexes. Quand j'ai accouché en 2008, on m'a annoncé plusieurs possibilités : l'hermaphrodisme et les maladies hormonales comme l'hyperplasie congénitale des surrénales.

On m'a dit que tout allait être exploré pour nous apporter des réponses le plus rapidement possible. Trois jours plus tard, nous avons été reçus à l'hôpital Trousseau pour connaître les résultats du prélèvement 17 OHP qui dépiste la maladie. Les résultats n'étaient pas encore disponibles mais plusieurs endocrinologues nous ont reçus. On a fait une échographie à ma fille qui a révélé la présence de la partie haute du vagin, de l'utérus et des ovaires dont l'un présentait des follicules. Il n'y avait plus de doute : c'était une fille. On nous a expliqué qu'il y aurait une opération si nous étions d'accord. Nous avions le choix, nous ne nous sommes jamais sentis obligés de le faire. Notre objectif était qu'elle puisse grandir, physiquement et psychologiquement, de la manière la plus fluide possible. Il a toujours été clair pour nous que nous lui dirions tout. Nous avons aussi tout expliqué à la famille.

Les témoignages négatifs que l'on rencontre sur les forums Internet concernent plutôt des personnes des générations précédentes. Les pratiques que ces personnes mettent en cause n'ont rien à voir, il me semble, avec celles d'aujourd'hui. Si nous allions voir l'endocrinologue tous les deux jours, c'était dans le but de vérifier que le traitement hormonal de ma fille était correct afin qu'elle reste en vie. La priorité n'était pas de l'opérer mais de parvenir à lui faire avaler ses médicaments - chose difficile avec un bébé - et de vérifier qu'elle ne décompense 155 ( * ) pas ou qu'elle ne se déshydrate pas. L'endocrinologue s'est toujours montré disponible pour répondre à nos questions. Nous avons également eu la chance d'être pris en charge par un chirurgien exceptionnel qui a vraiment su nous écouter.

Notre fille a d'abord subi une cystographie 156 ( * ) lors de laquelle, grâce à un produit de contraste, on regarde comment se présentent les organes. Elle est atteinte d'une malformation plus importante que ma voisine car elle avait un Prader 157 ( * ) de type 4 : la partie haute de son vagin débouchait dans l'urètre. Elle a été mise sous antibiotiques pendant trois mois pour éviter les infections. Pour moi, il était inenvisageable que ma fille soit sous antibiotiques pendant quinze ans. L'opération allait de soi. Elle a ensuite subi deux examens sous anesthésie générale afin de préparer l'opération. Elle a été opérée à l'âge de huit mois, en juin 2009. Notre souci était avant tout qu'elle ne souffre pas et que sa vie ne soit pas en danger. Nous avions aussi des craintes concernant sa vie sexuelle future. C'était notre rôle à nous, en tant que parents.

Nous avons été bien informés sur l'opération. L'anesthésiste a répété son protocole autant de fois que j'en ai ressenti le besoin pour être rassurée. L'opération a duré six heures. Le chirurgien devait veiller à ne pas léser les nerfs. L'opération s'est très bien passée et à aucun moment je n'ai eu l'impression que ma fille avait souffert. À huit mois, elle ne s'asseyait pas et portait des couches, ce qui était un gros atout pour l'opération : c'était donc, je pense, le bon moment pour le faire. Ce qui lui était désagréable, c'était les prélèvements faits pour vérifier ses dosages. Mais, même dans ces moments, tout était fait de façon attentionnée : à l'hôpital, ma fille était endormie à l'aide de patches pour ne pas souffrir.

Aujourd'hui, elle va très bien. Elle suit une scolarité normale. Elle est extrêmement sportive. Elle va dans les vestiaires avec ses copines. Elle n'est pas gênée de se déshabiller. À aucun moment elle ne s'est sentie différente. Nous lui parlons beaucoup, elle sait qu'elle a été opérée. Quand je lui demande si elle aurait voulu attendre pour l'opération, elle me répond qu'elle est bien contente d'en être débarrassée.

Elle est suivie par un chirurgien qu'elle voit tous les deux ans. Il a voulu l'examiner et nous a demandé notre permission. Elle avait alors six ans et demi. Nous nous demandions si le fait qu'il soit un homme n'allait pas la perturber. Tout a été fait pour qu'elle ne soit pas gênée : l'examen s'est fait en présence d'une infirmière qui lui parlait pour la distraire et après inhalation de MEOPA, un gaz apaisant. Le médecin a pu nous confirmer que tout allait bien, que la partie basse de son vagin avait bien grandi. Elle devra revoir le chirurgien autour de ses dix ans et éventuellement avant l'âge des premiers rapports sexuels pour un contrôle.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Votre fille suit donc un traitement quotidien ?

Mme D. - Oui, elle prend tous les jours un traitement à la fludrocortisone et l'hydrocortisone. Il est vital pour elle.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Merci de la clarté de votre propos et de votre franchise. Si j'ai bien compris votre réaction, Mme C., vous ne vous reconnaissez pas dans les témoignages recueillis lors de la première table ronde que nous avons organisée ?

Mme C. - Je ne me reconnais pas dans le débat qui a été soulevé sur les intersexes, l'identité, le genre. Je n'ai jamais eu de doute sur ma féminité. Je ne me suis jamais demandé si j'étais un garçon. Je suis une fille qui joue à des jeux de garçon, une fille qui fait une profession plutôt masculine.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - J'entends ce que vous dites. Pouvez-vous néanmoins comprendre cette réaction de la part de ceux à qui on a menti ? Car nous parlons de deux situations différentes. À l'époque, les médecins taisaient la vérité aux parents qui eux-mêmes la taisaient aux enfants. Ces personnes sont en colère d'abord parce qu'elles ont été privées de la vérité. Votre témoignage nous intéresse beaucoup car, finalement, c'est est un plaidoyer en faveur de la vérité scientifique.

Je voudrais vous poser une question concernant les groupes de paroles pour les enfants et les parents. Comment travaillez-vous sur cette parole qui est visiblement apaisante et vertueuse, là où le silence a été source de souffrance et de difficultés ?

Mme C. - Au début, j'ai participé à l'association pour avoir des réponses, maintenant je m'emploie à donner à d'autres ces réponses dont ils ont tant besoin.

Oui, je suis convaincue que, sur plan médical, il faut tout dire. Et cela ne concerne pas seulement l'hyperplasie congénitale.

Les personnes que vous avez rencontrées lors de la table ronde du 12 mai 2016 étaient-elles atteintes d'une hyperplasie congénitale des surrénales ?

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Je pense que certaines l'étaient. Mais c'est quelque chose qui n'était pas dit, parfois même pas connu.

Ces personnes sont en colère car elles ont l'impression d'avoir été prises pour des objets. L'évolution des pratiques médicales, la préparation et l'accompagnement dont vous avez bénéficié vous ont permis l'acceptation de la maladie. Ces personnes en ont été privées. Quand elles ont découvert la vérité, elles ont à nouveau rencontré une grande frustration car bien souvent elles n'ont pas eu accès à leur dossier médical. On peut ainsi expliquer leur virulence et leur défiance vis-à-vis du corps médical. Les pratiques n'étaient pas les mêmes. Vous évoquiez d'ailleurs la réaction dépassée de la pédiatre dont le propos vous a blessée. L'évolution des pratiques est visiblement positive. Il faudrait sans doute s'inspirer de certaines d'entre elles pour le dialogue et l'accompagnement des familles. Vous parliez par exemple des endocrinologues qui vous recevaient à plusieurs.

Mme D. - En effet, à l'hôpital Trousseau, qui est le centre de référence pour cette maladie, les décisions sont prises collégialement. Tous les endocrinologues connaissent donc ma fille et peuvent à tout moment répondre à mes questions. Car chaque cas est différent. Chaque organisme réagit d'une manière spécifique en matière de décompensation. Il est nécessaire de recevoir des réponses adaptées.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Il est donc important d'avoir des centres de référence.

Claudine Colin. - Depuis 2004, tous les quatre ans nous faisons venir des chirurgiens lors des assemblées générales de l'association. Dans ce cadre, ils interviennent au profit de tous les adhérents. Nous pouvons ainsi apprécier les évolutions de la prise en charge médicale et chirurgicale au fil des ans.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Je vous remercie. Avant de vous libérer, je souhaiterais savoir si vous avez déjà rencontré dans l'association des situations de désaccord au sein des familles. Dans de tels cas, l'association joue-t-elle un rôle d'intermédiaire ?

Claudine Colin. - Un groupe de discussion pour l'hyperplasie congénitale des surrénales a été créé en 2003. Aujourd'hui, les groupes facebook sont davantage actifs. Tout au long de mon expérience des groupes de discussion, je ne me suis jamais heurtée à un problème de désaccord entre les parents. Il n'est jamais question de savoir si l'on doit opérer ou non. Dans la plupart des cas, l'opération est souvent déjà programmée et les gens cherchent à savoir comment elle s'est passée pour d'autres.

Mme C. - Concernant la chirurgie, la seule demande qui est formulée a trait au nom d'un chirurgien.

Claudine Colin. - L'état des lieux publié par l'Association Française pour le Dépistage et la Prévention des handicaps de l'Enfant montre que l'hyperplasie congénitale des surrénales est moins présente dans certaines régions que dans d'autres. Les chiffres oscillent entre une naissance sur 25 000 et une naissance sur 7 000. Là où il y a une naissance sur 25 000, les chirurgiens opèrent logiquement extrêmement peu cette malformation. Nous encourageons donc les familles à consulter des chirurgiens qui ont une expérience de cette maladie, ou à prendre au moins un deuxième avis auprès de nos centres de référence.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Les chiffres dont nous disposons indiquent entre 50 et 60 naissances par an. Confirmez-vous cet ordre de grandeur ?

Claudine Colin. - Oui.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Concernant la répartition de la maladie sur le territoire, les médecins que nous avons rencontrés ne semblaient pas être d'accord. Avez-vous des données nationales sur la répartition de la maladie ? Est-elle répartie de façon équilibrée ou bien, au contraire, est-elle plus prononcée chez certaines populations ?

Claudine Colin. - Oui, il y a des régions où il y a plus de cas que d'autres. Mais le taux de cas pour chaque région varie aussi en fonction des années. Le dépistage systématique nous permet d'avoir un recul sur 15 ans. On sait notamment que les techniques opératoires ont beaucoup évolué - par exemple, il y a eu des découvertes concernant l'innervation 158 ( * ) .

Il existe déjà des centres de référence et de compétence, ce qui est très important. Pour autant, nous souhaiterions également disposer d'une liste de chirurgiens ayant une expertise de la maladie afin d'améliorer la qualité de vie des patients.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Avez-vous pu mener des études sur les régions avec une plus forte prévalence ? Quels sont les types de régions les plus concernées (plus urbaines, plus rurales) ?

Mme D. - Il me semble qu'un document recensant les résultats de la prévalence de la maladie a circulé sur le groupe facebook . À La Réunion par exemple, si la prévalence est un peu plus forte, cela s'explique par le caractère héréditaire de la maladie.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Le travail de réparation est entamé, le dépistage est mis en place. Mais il faudrait effectivement aller plus loin et s'interroger sur les causes de la maladie. Un travail a-t-il été engagé par des équipes médicales et des chercheurs à ce sujet ? Est-elle simplement d'origine génétique ?

Claudine Colin. - Il s'agit d'une maladie génétique récessive. Je peux vous rapporter le cas d'une famille en Belgique dans laquelle la mère avait eu, d'un premier mariage, une fille atteinte d'une hyperplasie congénitale des surrénales. Avec un autre homme, lui aussi porteur de la mutation, elle a eu une seconde fille, elle aussi atteinte de la maladie.

Une personne sur 60 est porteuse de la mutation. Quand deux porteurs se rencontrent, le risque d'avoir un enfant malade est de un sur quatre. C'est pour cette raison que nous insistons sur la diffusion d'une information et d'un conseil en génétique auprès des futurs parents. Lors de nos réunions, nous les sensibilisons systématiquement sur ce point.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure - Ce risque génétique est-il évoqué pendant la grossesse ? Je sais notamment que, s'il n'y avait à mon époque aucune prévention ni information sur le syndrome d'alcoolisation foetale, c'est aujourd'hui le cas. Est-ce la même chose pour l'hyperplasie congénitale des surrénales ?

Mme D. - Lors de ma première grossesse, je n'ai jamais été informée sur cette maladie. Pour ma deuxième grossesse en revanche, un dépistage a été fait en amont. Des tests génétiques ont été pratiqués sur mon conjoint et moi-même : il s'est avéré que nous étions tous les deux porteurs du gène. Une prise de sang a été effectuée à cinq semaines de grossesse pour déterminer le sexe de l'enfant à venir. Comme c'était une fille, j'ai suivi un traitement à la dexaméthasone qui permet de réduire les malformations. Ce traitement a beaucoup d'effets secondaires sur les mamans. C'est en connaissance de cause que j'ai décidé de le prendre. À ma 11 ème ou 12 ème semaine de grossesse, j'ai subi une ponction de villosités choriales 159 ( * ) qui consiste à pratiquer une biopsie du trophoblaste : un bout de placenta a été prélevé pour analyser les cellules du bébé. Les résultats n'ayant pas révélé d'anomalie, j'ai pu réduire le traitement puis l'arrêter. Si ma fille avait été atteinte de la maladie, j'aurais poursuivi le traitement jusqu'au terme de ma grossesse avant de l'arrêter progressivement.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Merci de votre témoignage qui nous permet d'avoir une vision plus globale de la situation qu'à l'issue de la première table ronde. On pourra noter les progrès réalisés au niveau de la médecine et de l'accompagnement psychologique des parents. Notre rôle de législateur est d'entendre tout le monde pour identifier les difficultés et voir ce qui peut être amélioré. Au Sénat, c'est la première fois que nous nous penchons sur cette question. Nous pensons qu'il est important que votre parole soit entendue et qu'elle existe à travers nous.

Claudine Colin. - Je voudrais insister sur un dernier point. Il y a des cas où une petite fille atteinte de cette maladie est déclarée garçon à la naissance. Et, une fois que les parents ont compris la situation, ils rencontrent de réelles difficultés concernant l'état civil. Cette situation est extrêmement dure psychologiquement. Au sein de l'association, nous avons connaissance de tels cas, y compris dans des villes de taille moyenne. Nous nous efforçons chaque année de faire avancer les choses, sans savoir comment faire. Il est très important de trouver des solutions.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Nous nous efforcerons d'apporter notre contribution pour apporter des solutions ou des réponses à ces cas douloureux et nous mesurons les difficultés auxquelles se heurtent ces personnes.

Audition de Mme Astrid Marais, professeure de droit
à l'Université de Bretagne Occidentale

(13 décembre 2016)

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Nous vous remercions d'avoir accepté de nous rencontrer, Corinne Bouchoux et moi-même, pour poursuivre notre réflexion sur les enfants dits « intersexes ». Avec l'accord de la délégation aux droits des femmes, ce travail sur les personnes présentant des anomalies de développement sexuel, ou « intersexes » - le terme, nous en avons conscience, est contesté - a été lancé en mai dernier. Nous avons déjà mené plusieurs auditions d'associations, de juristes et de médecins. Nous souhaitons que vous puissiez nous faire part de votre point de vue et de votre expérience sur ce sujet, puisque vous avez déjà eu l'occasion de travailler sur la question du statut juridique des personnes dites « intersexes ».

Deux récentes décisions de justice rendues par le tribunal de grande instance (TGI) de Tours et la cour d'appel d'Orléans ont interrogé ce statut. Pour ma part, je relève que l'autorisation de voyage électronique que j'ai dû remplir pour me rendre au Canada offre à présent aux personnes la possibilité d'enregistrer leur sexe comme « indéterminé ». On voit que les choses évoluent.

Astrid Marais, professeure de droit à l'Université de Bretagne Occidentale . - Je me propose de répondre globalement aux questions que vous m'avez adressées préalablement à l'audition, en essayant de procéder de la façon la plus structurée possible.

La première chose à noter est que le sexe est une notion complexe. Certaines composantes sont dites objectives : parmi elles, le sexe anatomique (ou morphologique) révélé par les organes génitaux externes, mais aussi le sexe chromosomique (le sexe génétique) et encore le sexe hormonal . D'autres composantes sont subjectives : il s'agit du sexe psychologique (le sentiment d'appartenir à un sexe) et du sexe social (le comportement adopté en société en conformité avec le sexe).

Le droit fait du sexe de chaque individu un élément de l'état des personnes qui participe à son identification dans la société. En tant qu'élément de l'état des personnes, le sexe relève de la compétence du législateur en application de l'article 34 de la Constitution. L'article 57 du code civil impose d'indiquer sur l'acte de naissance  « le sexe de l'enfant ». Pour le déterminer, on se fonde sur le sexe morphologique, car on présume que le sexe anatomique coïncide avec les autres éléments du sexe.

Mais parfois le sexe morphologique est ambigu. Or, les causes et les manifestations de ces ambiguïtés sont tellement variées qu'il est très difficile de les appréhender de manière identique. Cette hétérogénéité est le coeur du problème. On regroupe sous le terme d'intersexualisme - qui est parfois contesté - des situations qui n'ont rien en commun. Les médecins préfèrent parler de « désordre du développement sexuel » (DSD). Certaines ambiguïtés sont visibles à la naissance, d'autres sont découvertes à l'adolescence ou à l'âge adulte (dans les cas de testicules intra abdominaux notamment).

Deux questions se posent en droit. La première consiste à se demander, lorsque le doute sur le sexe de l'enfant apparaît à la naissance, si les interventions médicales qui visent à lever l'ambiguïté en assignant un sexe masculin ou féminin à la personne sont licites. La seconde impose de déterminer quel sexe inscrire à l'état civil en présence de telles ambiguïtés.

S'agissant des interventions médicales sur le corps de l'enfant, elles sont licites à la condition de répondre, selon l'article 16-3 du code civil, à une « finalité médicale ». La « finalité médicale » est un terme large qui englobe des actes médicaux de nécessité et de gravité variables. Il y a des actes nécessaires et d'autres simplement utiles. De même, certains actes portent une atteinte grave à l'intégrité de la personne, alors que d'autres lui causent une atteinte bénigne. En raison de cette variabilité, chaque médecin est tenu, en vertu de la règle de la raison proportionnée, de s'assurer, avant de porter atteinte à l'intégrité du patient, que les bénéfices de l'acte sont proportionnés à ces risques ; plus les bénéfices sont limités, moins l'atteinte doit être grave. En application de la règle de la raison proportionnée, l'article R. 4127-41 du code de la santé publique interdit au médecin de pratiquer une intervention mutilante sans motif médical très sérieux.

Pour apprécier la licéité de l'acte médical « d'assignation » d'un sexe à un enfant, il est impératif de peser ses risques et ses avantages, avec d'autant plus d'attention que l'enfant en bas-âge, par définition, n'a pas la faculté de discernement lui permettant d'exprimer son consentement éclairé, et que nul ne pourra, à sa place, garantir quel sera son sexe psychologique.

En matière d'intersexuation, certaines interventions répondent à une finalité médicale certaine : il en est ainsi parfois des personnes qui ont un génotype féminin et un sexe apparent masculin. Les interventions qui visent à les féminiser se justifient dès lors que l'absence de traitements hormonaux pourrait mettre la vie de l'enfant en danger et que les traitements chirurgicaux sont destinés à permettre l'évacuation des menstruations et à rendre possible les rapports sexuels.

En revanche, la finalité médicale du traitement d'autres ambiguïtés sexuelles est parfois plus controversée. Ce qui est le cas pour certains enfants ayant un génotype masculin, mais une apparence plutôt féminine. Le bilan risque/bénéfice de l'acte doit alors être soigneusement réalisé par une équipe médicale. Si, à l'issue du bilan, un doute persiste sur la nécessité médicale de pratiquer une chirurgie irréversible, il y a lieu d'attendre que l'enfant puisse prendre, lui-même, la décision en fonction de son degré de maturité, voire de la retarder jusqu'à sa majorité, afin qu'il puisse exprimer la réalité de son sexe psychologique. Concernant la majorité, une question se pose : faut-il attendre la majorité civile (dix-huit ans) ou seulement la majorité sexuelle (quinze ans) ? En l'espèce, si l'intervention médicale pouvait faciliter l'appréhension des rapports sexuels des mineurs, ne faudrait-il pas permettre à ce mineur de quinze ans d'autoriser une telle intervention ?

À défaut de nécessité médicale, la responsabilité du médecin qui pratiquerait une intervention mutilante sur un enfant « intersexué » pourrait être engagée. Mais, à ce jour, aucun médecin n'a été condamné. Le fait que ces opérations soient, aujourd'hui, réalisées dans « un centre de référence des maladies rares du développement sexuel » 160 ( * ) permet sans doute d'en garantir la licéité. Il faut néanmoins observer que, dernièrement, le Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies (ONU), le 29 janvier 2016, et son Comité contre la torture, en mai 2016, ont reproché à la France de soumettre les enfants dits « intersexués » à des actes médicaux irréversibles et pourtant non nécessaires. Ils ont rappelé qu'il fallait non seulement s'abstenir de pratiquer des interventions médicales précoces comportant des conséquences irréversibles, si elles n'étaient pas nécessaires ou urgentes, mais aussi veiller, lorsqu'un traitement était envisagé, à ce que les enfants et les parents soient informés de toutes les options qui s'offraient à eux.

S'agissant de la seconde question, liée à la détermination du sexe de l'enfant à l'état civil, l'article 57 du code civil exige d'indiquer le sexe de l'enfant dans l'acte de naissance. Mais il ne précise pas que le sexe doit être féminin ou masculin. La binarité des sexes était une évidence autrefois. Le législateur a d'ailleurs construit toutes les règles de la filiation sur cette binarité. Pourtant les évidences d'autrefois sont nos incertitudes d'aujourd'hui.

Une circulaire du 28 octobre 2011, relative aux règles particulières à divers actes d'état civil relatifs à la naissance et la filiation 161 ( * ) , a pris la mesure de cette incertitude. Elle prévoit que, lorsque le sexe d'un nouveau-né est incertain, il y a lieu d'éviter d'indiquer la mention « sexe indéterminé ». Les parents doivent demander au médecin de lui indiquer quel est le sexe qui apparaît le plus probable, compte tenu des résultats prévisibles des traitements médicaux. En cas d'erreur, ce sexe pourra être rectifié, par la suite, par voie judiciaire, sur le fondement de l'article 99 du code civil.

La cour d'appel de Versailles, dans un arrêt du 22 juin 2000, avait admis que si le sexe indiqué à l'état civil ne correspondait pas finalement à celui dont l'enfant est le plus proche, il y avait lieu d'en rectifier la mention. En l'espèce, un enfant avait été déclaré à l'état civil comme un garçon. Son caryotype avait révélé qu'il était génétiquement un garçon, mais il présentait dès la naissance, en 1995, « des organes sexuels masculins insuffisants ». Après l'échec de la stimulation des organes sexuels, les médecins réalisèrent en 1996 une intervention de féminisation, avec l'accord des parents. La Cour d'appel a fait droit à la demande de rectification de la mention du sexe sur l'acte civil en posant trois conditions : d'une part, la modification du sexe ne doit pas résulter d'une démarche volontaire et prédéterminée de la part des parents qui n'auraient pas eu un enfant du sexe souhaité, mais doit constituer « l'aboutissement juridique d'une situation médicalement constatée et conseillée ». D'autre part, il faut une impossibilité médicalement constatée de mettre fin à l'ambiguïté sexuelle dans le sens du sexe déclaré à l'état. La troisième condition, qui me semble très maladroitement formulée, pose que, une fois réalisée l'opération de féminisation, l'enfant doit avoir un « sexe d'élevage féminin ».

Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Cette formulation exacte figure-t-elle dans l'arrêt ?

Astrid Marais . - Oui, elle est mise entre guillemets. Peut-être fait-elle référence aux propos des médecins. On peut la traduire comme une sorte de possession d'état de femme : l'enfant doit être considéré et élevé comme une fille. Mais une telle notion contribue à véhiculer des stéréotypes regrettables...

Le principe d'indisponibilité de l'état des personnes n'est pas contredit par une telle rectification de l'état civil : en effet, l'indisponibilité de l'état s'oppose sans doute à ce que la personne puisse choisir initialement les éléments de son état qui servent à l'identifier dans la société ou à ce qu'elle puisse les modifier, ultérieurement, comme elle le souhaite. Mais l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle à toute modification. L'état civil doit refléter la réalité, car il sert à identifier les sujets dans la société. Les modifications de l'état civil sont possibles dès lors que le changement vise à mettre en conformité l'état civil avec la réalité.

Si les parents avaient échoué dans leur action en rectification, la personne dite « intersexes » devenue majeure aurait pu agir sur le fondement du changement d'état civil. Depuis la loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle 162 ( * ) , l'article 61-5 du code civil autorise une personne à obtenir « la modification à l'état civil de la mention de son sexe, si elle démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas au sexe dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue ». Il est précisé à l'article 61-6 que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux (...) ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ».

Le droit distingue ainsi les rectifications de l'état civil et les changements (les modifications) des actes de l'état civil. Les rectifications visent à réparer des erreurs initiales (par exemple, l'orthographe défectueuse d'un nom, l'absence d'indication de la date ou du lieu de naissance...) et s'intègrent, de manière rétroactive, dans l'acte originaire (art. 99 et suivants du code civil). Les changements des actes de l'état civil concernent quant à eux les modifications qui affectent l'état de la personne au cours de sa vie (mariage, divorce, changement de nom...) et agissent pour l'avenir, sans caractère rétroactif.

La rectification de la mention de sexe d'un acte d'état civil n'est possible que pour corriger une erreur : il faut au préalable savoir quelle est la réalité du sexe afin d'apprécier si son indication sur l'acte de naissance est erronée. Mais la réalité n'est pas nécessairement binaire. La circulaire de 2011 admet ainsi que si, de façon exceptionnelle, « le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d'un nouveau-né, mais si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d'un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l'accord du procureur de la République, qu'aucune mention sur le sexe de l'enfant ne soit immédiatement inscrite dans l'acte de naissance ». L'indétermination, semble-t-il, ne peut donc durer que deux ans. Au-delà, il faut trancher en indiquant à l'état civil le sexe, masculin ou féminin, de l'enfant. Même si la circulaire laisse planer le doute, l'obligation de donner un sexe à l'issue des deux ans ne justifie pas pour autant la réalisation d'une intervention mutilante sur l'enfant, en l'absence de nécessité médicale. Bien au contraire, le médecin qui la réaliserait engagerait sa responsabilité.

Si l'individu « intersexes » devenu adulte ne se sentait ni homme ni femme, pourrait-il obtenir un changement, voire la rectification de son état civil, pour y inscrire la mention de « sexe neutre » ? La cour d'appel d'Orléans l'a refusé dans un arrêt du 22 mars 2016 163 ( * ) que vous avez rappelé.

En l'espèce, une personne « intersexes » née avec une ambiguïté anatomique, de caryotype masculin, avait été inscrite à l'état civil comme étant de sexe masculin. Elle avait subi à l'âge de 35 ans des traitements hormonaux visant à lui donner une apparence masculine. Cette personne s'était mariée en 1993 avec une femme et avait adopté un enfant. Néanmoins, elle ne se sentait véritablement ni homme ni femme. À 64 ans, elle demanda à ce que la mention de son sexe masculin à l'état civil soit remplacée par la mention de sexe neutre. La cour d'appel d'Orléans a refusé cette substitution car elle a considéré que la reconnaissance de l'existence d'une catégorie autre que « sexe féminin » ou « sexe masculin » ne relevait pas du pouvoir du juge. Afin de garantir l'équilibre entre la protection de l'état des personnes, qui est d'ordre public, et le respect de la vie privée, la seule solution, selon la cour, est de n'indiquer aucune catégorie sexuelle dans l'acte de naissance (même si la circulaire limite à deux années la période pendant laquelle on peut accepter l'absence de mention de sexe), ou de modifier la mention de sexe, inscrite à l'état civil, dès lors qu'elle ne correspond pas à l'apparence physique ou au comportement social de l'individu. Or ce n'était pas le cas en l'espèce. L'homme avait une apparence d'homme et avait un comportement social d'homme : il s'était marié avec une femme à un moment où seul le mariage hétérosexuel était admis.

À juste titre - à mon avis -, la cour d'appel d'Orléans indique que la création de la mention du sexe neutre relève du seul pouvoir du législateur, en application de l'article 34 de la Constitution. On peut d'ailleurs se demander si la circulaire de 2011 qui autorise à ne pas déterminer le sexe d'un enfant pendant deux ans ne dépasse pas la simple interprétation pour créer du droit, en contradiction avec la loi qui, elle, impose à l'article 57 du code civil de donner un sexe à l'enfant dès sa naissance, la déclaration devant être faite dans les cinq jours. À mon sens, cette circulaire court le risque d'être remise en cause, étant entendu que la Cour de cassation n'accorde aucune valeur normative aux circulaires. Le législateur devrait intervenir pour prévenir ce risque.

Si l'on reconnaît la prévalence du sexe psychologique sur le sexe biologique, il faut alors considérer qu'assigner un sexe féminin ou masculin à un individu qui ne se sent ni homme ni femme ne correspond pas à la réalité. Si cela ne correspond pas à la réalité, alors le principe d'indisponibilité ne saurait justifier de maintenir l'individu intersexes dans le sexe féminin ou masculin assigné à la naissance. Bien au contraire, une telle assignation reviendrait à violer le droit au respect de la vie privée de l'individu « intersexes ».

Le droit accepte-t-il de faire prévaloir le sexe psychologique sur le sexe biologique ? Oui, il l'a fait, autrefois, en matière de transsexualisme, à la suite d'une longue évolution jurisprudentielle. Mais le sexe psychologique à la naissance d'un enfant « intersexes », par hypothèse, ne peut pas être connu. Dans la mesure où la circulaire de 2011 semble contestable en droit, il est impératif que le législateur s'empare de la question en permettant de ne pas indiquer le sexe dans l'acte de naissance, en présence d'une incertitude sur celui-ci. Il devrait fixer une durée maximale à cette absence d'indication, qui, dans l'intérêt de l'enfant, ne devrait pas dépasser l'âge de l'entrée à l'école. À l'expiration de cette durée (deux ou trois ans maximum), un sexe féminin ou masculin devrait être inscrit à l'état civil de l'enfant. Il est de l'intérêt de l'enfant de lui assigner à ce moment un sexe, même si celui-ci ne correspond pas à la réalité de son sexe psychologique qui ne se révèlera que plus tard. Il devrait aussi être rappelé que cela n'impose pas de réaliser une intervention mutilante sur l'enfant, hors nécessité médicale strictement appréciée.

Si l'individu « intersexes » devenu adulte ne se sentait ni homme ni femme, le législateur serait le seul compétent pour lui permettre de voir inscrire à son état civil, le cas échéant, la mention de « sexe neutre ». Si cette réforme était adoptée, il faudrait préciser que l'intéressé doit établir « la réalité » de son sexe neutre.

Depuis la loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle 164 ( * ) , pour obtenir un changement de sexe à l'état civil (sans effet rétroactif), on s'appuie moins sur le sexe psychologique que sur le comportement social. En faisant du comportement social le critère exclusif du changement de sexe, cette loi est fondée sur l'idée, peut-être critiquable, qu'il y a des comportements typiquement féminins et masculins dans la société, ce qui risque d'avaliser les « stéréotypes de genre ». Dès lors, si le législateur acceptait la création d'un sexe neutre, tout individu, même non affecté d'un DSD, pourrait obtenir, à l'âge adulte, le changement de la mention de son sexe en démontrant avoir un comportement social « neutre » (par exemple l'usage d'un prénom neutre comme « Dominique »). Ce changement de sexe à l'état civil serait sans effet rétroactif.

Pour la personne « intersexes », dont la morphologie sexuelle était incertaine à la naissance, mais qui se serait vue assigner un sexe masculin ou féminin à l'état civil, il faudrait agir non pas par changement d'état civil, mais plutôt par la voie de la rectification d'état civil (avec effet rétroactif), pour faire apparaître la mention « sexe neutre » sur l'acte de naissance, à la condition de démontrer la réalité de son sexe psychologique.

Néanmoins l'admission d'un sexe neutre, en théorie envisageable, ne pourrait se faire sans envisager ses répercussions sur les règles de droit construites à l'aune de la binarité des sexes. Même si ces règles tendent à disparaître aujourd'hui (avec notamment le mariage des personnes de même sexe), certaines perdurent. Il en est ainsi des règles de la filiation et de la procréation artificielle.

Les modes d'établissement de la filiation varient selon le sexe des parents : l'accouchement désigne la mère, dont le nom est indiqué dans l'acte de naissance (art. 311- 25  et 325 al. 2 du code civil), tandis que l'homme, s'il est marié avec cette dernière, est présumé le père de l'enfant par le biais de la présomption de paternité (art. 312 du code civil). À défaut, il devra reconnaître l'enfant.

Ces règles risquent-elles d'être déstabilisées par l'admission d'un sexe neutre ? Une telle évolution pourrait par exemple avoir pour conséquence de revenir sur le passé familial de l'individu « intersexes » : dans l'hypothèse où il aurait eu des enfants avant d'obtenir la rectification de son sexe, cette dernière, puisqu'elle opère rétroactivement, remettrait en cause la filiation paternelle ou maternelle reliant l'enfant à la personne intersexes. Pour sauvegarder ces liens, seule l'action en changement de sexe - et non en rectification - devrait alors être ouverte à la personne « intersexes » qui aurait déjà eu des enfants, car le changement n'a pas d'effet rétroactif.

L'admission du sexe neutre aurait également un impact sur l'avenir familial de l'individu « intersexes » qui voudrait avoir des enfants après être devenu de sexe neutre. En effet, il serait impossible d'établir le lien de la filiation qui, en l'état actuel, ne peut être que paternelle ou maternelle. La solution pourrait être de décider que l'individu de sexe neutre qui accoucherait d'un enfant verrait sa maternité établie, en raison de cet accouchement, selon les règles de la filiation maternelle ; en conséquence de cet accouchement, il serait automatiquement « rétabli » de sexe féminin à l'état civil. Inversement, la personne de sexe neutre dont la compagne accoucherait d'un enfant pourrait se voir appliquer les règles de la filiation paternelle pour établir sa paternité. Mais, dès lors qu'on appliquerait à cet individu les règles de la filiation paternelle, il faudrait le « rétablir » dans un sexe masculin à l'état civil.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Il s'agit là sans doute de cas extrêmes...

Astrid Marais. - Effectivement, beaucoup d'individus « intersexes » sont stériles et les cas de ce type ne devraient pas être fréquents. Toutefois, la démédicalisation du changement de sexe opérée par la loi de novembre 2016 pourrait permettre à des personnes non affectées d'un DSD de revendiquer un sexe neutre dès lors que leur comportement social serait « neutre ». Quoi qu'il en soit, se pose également la question de savoir si la procréation artificielle, actuellement réservée aux couples hétérosexuels, ne devrait pas être ouverte aux individus de sexe neutre. Pour que l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) puisse leur être garanti, l'individu intersexes devrait, en l'état actuel du droit de la filiation, accepter d'abandonner son sexe neutre au profit d'un sexe masculin ou féminin.

Je tiens à préciser que mes questionnements et réponses sont sans aucun doute trop théoriques : ils ne se fondent pas suffisamment sur la pratique. L'intersexuation étant très diverse, il est difficile d'avoir accès à des données qui permettent de connaître, parmi les individus intersexes, la proportion de ceux qui ne se sentent ni homme, ni femme et dont les facultés procréatives ne sont pas altérées, ou qui, dénués de telles facultés, souhaiteraient recourir à la procréation artificielle. De telles données sont pourtant indispensables et j'aimerais y avoir accès.

Mme Maryvonne Blondin, co-rapporteure . - Vous soulignez à juste titre des points qui ont déjà été évoqués lors de précédentes auditions : d'une part, la variété des situations d'intersexualité rend complexe l'appréhension globale de cette problématique et commande des réponses aussi diverses que les situations ; d'autre part, il y a un problème concernant l'accès aux données sur le nombre et la situation des personnes « intersexes ».

Certains intervenants ont également mentionné le problème de l'accès aux dossiers médicaux rencontré par plusieurs personnes « intersexes ». Ce problème concernait spécifiquement une certaine catégorie d'âge de personnes « intersexes » : les individus opérés jusque dans les années 1980, qui ont aujourd'hui un certain âge. La loi de 2002 relative aux droits des malades a prévu le droit du malade à accéder à son dossier médical. Je suppose que les données qui étaient difficiles à obtenir avant cette date devraient maintenant être connues.

Astrid Marais. - Votre réflexion m'amène à formuler une autre observation. Il est intéressant de constater que les cas juridiques rencontrés jusqu'ici concernent tous des personnes « intersexes » présentant un caryotype masculin et un phénotype féminin à la naissance. Or, les pratiques médicales relatives à ce type d'intersexualité ont considérablement évolué. On peut donc supposer qu'en raison de ces évolutions, ces personnes auraient, aujourd'hui, bénéficié d'une meilleure prise en charge étant enfants et qu'elles n'auraient pas rencontré, à l'âge adulte, les problèmes dont certaines vous ont fait part en vous rencontrant.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Nous avons bien noté qu'il faut prendre en compte l'évolution dans le temps des pratiques médicales.

Astrid Marais. - D'autres règles de droit pourraient également être perturbées par l'admission d'un sexe neutre. Je pense à celles visant à imposer des quotas afin de garantir l'égalité homme-femme 165 ( * ) . Devra-t-on constater que, confrontés aux mêmes discriminations fondées sur le sexe que les femmes, les personnes intersexes devraient bénéficier des quotas ? Dans l'affirmative, comment mettre en oeuvre ces quotas ? On rencontrera ici aussi le problème du manque de statistiques disponibles concernant la population des personnes « intersexes ».

L'admission du sexe neutre, si elle est en théorie souhaitable en ce qu'elle permet d'assurer le respect de la vie privée des personnes qui ne se sentent ni homme, ni femme, est néanmoins, à l'heure actuelle, susceptible de bouleverser des règles juridiques fondées encore sur la différence de sexe. Avant de consacrer une telle évolution, des études médicales et sociologiques devraient être soigneusement réalisées pour en mesurer la nécessité. D'autant plus qu'après le changement de sexe fondé sur le comportement social, l'admission d'un sexe neutre poserait la question du maintien de la mention de sexe comme élément de l'état des personnes.

On comprendrait donc que le législateur hésite à remettre en cause des règles qui fonctionnent dans la très grande majorité des cas. Toutefois, si le législateur refusait d'admettre la mention de « sexe neutre » ou de faire disparaître la mention de sexe à l'état civil, il devrait alors trouver d'autres moyens pour préserver la vie privée des individus intersexes. Il faut se souvenir ici des raisons qui ont conduit la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) à condamner la France en matière de transsexualisme. Le 25 mars 1992, elle estimait dans une décision que la France qui refusait au transsexuel opéré de changer de sexe plaçait ce dernier dans une situation « globalement incompatible avec le droit dû au respect de la vie privée » 166 ( * ) . La mention de sexe se trouve dans « toutes les pièces où apparaît le numéro d'identification attribué à chacun par l'Institut national de la Statistique et des Études Économiques (Insee). Or ce numéro (est) d'un usage systématique dans les rapports entre les caisses de sécurité sociale, les employeurs, les assurés ; il (figure) en conséquence sur les bordereaux de versement des cotisations et sur les feuilles de paye. Un transsexuel ne (pouvait) donc cacher sa situation à un employeur potentiel et à son personnel administratif, ni dans les multiples occasions de la vie quotidienne où l'on doit prouver la réalité et le montant de son salaire (conclusion d'un bail, ouverture d'un compte en banque, demande de crédit, etc.) ». A cet égard, l'individu « intersexes » se trouve aujourd'hui dans la même situation que le transsexuel hier (qui dorénavant peut obtenir la modification de son état civil).

Pour mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence de la CEDH en matière de transsexualisme, il avait été envisagé de faire disparaître la mention de sexe des principales pièces d'identité et/ou de modifier le numéro de l'Insee qui apparaît sur certains documents administratifs. Cela aurait permis de préserver la vie privée du transsexuel en évitant de le contraindre à révéler aux tiers sa situation.

On pourrait s'inspirer de ces propositions à l'égard de la personne « intersexes ». La mention du sexe pourrait être supprimée de certains documents d'identité, tels la carte d'identité ou la carte vitale. Déjà la mention de sexe n'apparaît plus sur le permis de conduire. Il y a donc un précédent. Il serait également possible d'en rendre l'inscription facultative, au même titre que le nom d'usage sur la carte d'identité. Sur ce point, je vous renvoie à un récent article de Benjamin Moron-Puech 167 ( * ) . Pour cela, l'intervention d'une loi, pour être possible, n'est pas nécessaire. En effet, la carte d'identité et la carte vitale sont des documents administratifs qui ne se substituent pas à l'état civil, et qui, à ce titre, sont régis par des textes réglementaires 168 ( * ) . Je me demande toutefois si, tout en faisant disparaître sur la carte elle-même le numéro 1 ou 2 qui indique le sexe de la personne, il ne serait pas possible de maintenir les indications relatives au sexe dans la puce, car elles peuvent être nécessaires lors de la prescription d'actes médicaux. Cette solution me semble envisageable mais je ne suis pas en mesure d'évaluer toutes les difficultés qu'elle pourrait poser.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - La question de la publicité des informations relatives au sexe a été soulevée dans le cadre d'une réflexion engagée depuis vingt ans sur les dossiers médicaux partagés. Lorsque nous avons commencé les auditions sur les personnes transsexuelles en 2010-2011, la solution que vous évoquez - qui consiste à conserver dans la puce de la carte vitale les informations relatives au sexe tout en ne les laissant pas apparaître sur la carte elle-même - avait effectivement été envisagée. Vous confirmez qu'une loi ne serait pas nécessaire pour appliquer cette mesure à la carte vitale ?

Astrid Marais. - Oui. Néanmoins, en ce qui concerne la circulaire de 2011 qui autorise à ne pas déterminer le sexe pendant deux ans, l'intervention du législateur me semble nécessaire. En effet, si cette circulaire était remise en cause, la situation dans laquelle se retrouveraient les enfants « intersexes », leurs parents et les médecins serait extrêmement délicate. Ils se verraient contraints d'assigner un sexe à l'enfant sans disposer du délai de réflexion nécessaire, au risque de choisir un sexe erroné et de nécessiter des actions en rectification. Lorsque le sexe apparaît incertain à la naissance, le législateur devrait prendre le relais de la circulaire, en permettant que le sexe ne soit pas indiqué dans l'acte de naissance pendant un certain temps. La circulaire avait fixé cette durée à deux ans, avant l'entrée de l'enfant à l'école. Dans l'intérêt de l'enfant, il me semble en effet préférable de déclarer un sexe à l'état civil lorsqu'il intègre l'école. Par ailleurs, il faudrait préciser expressément que l'exigence de détermination du sexe de l'enfant à l'état civil au-delà de ce délai n'impose pas d'appliquer des traitements mutilants pour mettre le sexe de l'enfant en conformité avec son état civil. Il me semble que les pratiques médicales d'aujourd'hui respectent ce principe. Mais, afin d'éviter toute nouvelle mise en cause de la France par l'ONU, il conviendrait de rappeler qu'aucune intervention chirurgicale irréversible ne devrait être admise, hors nécessité médicale, sur l'enfant, tant que celui-ci ne sera pas doté d'une faculté de discernement lui permettant de l'autoriser. Il faudrait peut-être attendre qu'il ait atteint l'âge de quinze ans, l'âge de la majorité sexuelle.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Vous n'avez pas évoqué la question de l'usurpation d'identité. Cette objection nous avait été opposée à l'occasion de notre travail sur les transsexuels.

Astrid Marais. - Vous voulez dire, dans l'hypothèse où le changement d'identité ne serait pas accepté, mais où les informations relatives au sexe disparaîtraient de certains documents d'identité ? Je ne vois pas très bien quel serait le problème. Le numéro de l'Insee resterait inchangé. D'ailleurs, l'avocat général Jéol qui avait commenté les décisions de 1992 169 ( * ) avait noté qu'il ne concevait pas que cette mesure puisse favoriser l'usurpation d'identité.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - C'est pourtant une objection qui nous a été faite plusieurs fois, de même que le principe d'indisponibilité de l'état des personnes.

Astrid Marais. - Concernant l'indisponibilité de l'état des personnes, il faut comprendre que le raisonnement de la Cour de cassation avant 1992 était justifié. Dans la mesure où la cour niait le sexe psychologique et faisait du sexe chromosomique le seul élément déterminant du sexe à l'état civil, il était logique qu'elle invoque le principe d'indisponibilité de l'état des personnes pour s'opposer à la modification du sexe. En revanche, à partir de 1992, la Cour de cassation a admis la réalité du sexe psychologique. Si le sexe psychologique de l'individu ne correspond pas à la réalité de son état civil, le principe d'indisponibilité de l'état des personnes ne peut pas être opposé à cet individu.

En conclusion, s'il est indispensable de garantir le droit au respect de la vie privée des personnes « intersexes », toute réforme du statut juridique de ces personnes devra être envisagée avec précaution. S'agissant de la loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle, il me semble que les incidences des nouvelles dispositions relatives au changement de sexe à l'état civil sur les règles de la filiation ont été insuffisamment prises en compte. Que va-t-il se passer si un individu déclaré homme à l'état civil est enceinte ?

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Cette question a été abordée à l'occasion des travaux préparatoires.

Astrid Marais. - Le texte laisse néanmoins un grand vide : le juge va être confronté à une situation inextricable.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Le cas que vous évoquiez, dans lequel un homme se retrouverait enceinte, s'est d'ailleurs déjà produit en Allemagne.

Astrid Marais. - Oui, et cela a donné lieu à une grande bataille judiciaire. On a reproché à la Cour de cassation l'interprétation qu'elle faisait du caractère irréversible du changement de sexe. Néanmoins, faire du sexe une notion qui dépend du seul comportement social, sans incidence médicale, risque de se retourner contre l'individu. Je pense notamment au changement de sexe d'apparence réalisé à des fins de prostitution. La présidente de la cour d'appel de Versailles rapportait des cas de personnes ayant réalisé des opérations de chirurgie esthétique à des fins de prostitution. Je regrette que la loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle ait été adoptée sans que des études médicales approfondies aient été réalisées au préalable.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - La loi est le résultat de plusieurs années de travaux préparatoires, à l'occasion desquels de nombreux avocats, mais aussi des médecins, ont été auditionnés.

Concernant les personnes « intersexes », d'autres pays sont déjà parvenus à réformer le statut juridique de ces personnes : à Malte ou en Allemagne (pays dans lequel il est autorisé de laisser la mention du sexe non renseigné jusqu'à l'âge de la majorité sexuelle), par exemple. Ces pays ont aussi développé des cliniques spécialisées.

Astrid Marais. - En France, un arrêté prévoit l'organisation de centres spécifiques, au Kremlin-Bicêtre et à Lyon.

Maryvonne Blondin, co-rapporteure. - Tout à fait. On observe une évolution de la prise en charge médicale de ces enfants « intersexes ». Mais la question reste complexe.

Ma collègue et moi vous remercions pour l'ensemble de ces éléments fort éclairants.

Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits

(16 février 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Jacques Toubon, Défenseur des droits, pour clôturer nos travaux sur le rapport relatif aux enfants à identité sexuelle indéterminée, que nous examinerons jeudi prochain.

Je rappelle que la délégation a souhaité se saisir de ce grave sujet à l'initiative de nos collègues Corinne Bouchoux, que je salue, et Maryvonne Blondin, qui ne peut malheureusement pas être présente aujourd'hui et qui vous prie de l'excuser.

Il nous a en effet paru que les problèmes de santé et de discrimination dont peuvent être victimes les personnes intersexes dès l'enfance sont en lien avec le champ de compétence de notre délégation, particulièrement sensible aux questions d'égalité et d'identité.

Nos travaux ont débuté au mois de mai dernier par une grande table ronde réunissant des personnes intersexes, des juristes et des spécialistes en sciences de l'éducation, et en sciences sociales.

Monsieur le Défenseur des droits, compte tenu de vos compétences, il nous paraissait particulièrement important de vous entendre sur cette question. J'avoue que la plupart des membres de la délégation ont découvert le sujet. Nous aimerions bénéficier de votre éclairage, notamment en ce qui concerne le respect des droits des personnes intersexes, qu'il s'agisse de leur droit à l'intégrité physique ou du respect de la vie privée. Ce dernier point touche à la portée juridique de la question des personnes intersexes, plus particulièrement tout ce qui concerne l'état civil.

Plusieurs rapports, notamment une étude publiée par le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe en 2015, attestent que les personnes intersexes sont victimes de discriminations dans de nombreux domaines : école, santé, sport. Quel pourrait être votre rôle pour garantir les droits des personnes intersexes en France ?

D'ailleurs, je me tourne vers Corinne Bouchoux, faut-il parler de personnes à identité sexuelle indéterminée ou de personnes intersexes ?

Mme Corinne Bouchoux , co-rapporteure . - Ce point ne fait pas consensus ; les associations ne sont pas d'accord entre elles.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits . - Je vous remercie de votre invitation ; je salue en particulier Corinne Bouchoux, qui est à l'origine de votre travail.

J'aborde cette audition avec beaucoup d'humilité, car les connaissances sur le sujet sont faibles. Gardons-nous de faire des choix clivants entre les pratiques professionnelles des uns et des autres, et restons prudents.

L'expérience du Défenseur des droits est relativement peu étendue. Néanmoins, les droits fondamentaux sont en cause. Nous avons donc la tâche de rechercher le chemin de l'égalité à travers une complexité indiscutable. Toutes les questions d'ordre médical ou qui concernent la reproduction et la sexualité exigent de nous, comme je m'y suis efforcé devant la mission Tasca sur la procréation médicalement assistée (PMA), à la fois une vision sociétale et beaucoup de délicatesse.

Aux termes de l'article 16-3 du code civil il « ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale ». Or la nécessité médicale, s'agissant des enfants dont nous parlons, ne fait pas consensus. La définition de l'intersexualité est très complexe. Ce que je souhaiterais que l'on appelle « les variations du développement sexuel » sont d'une très grande diversité. Il existe des interprétations différentes, voire divergentes, sur les éléments permettant de conclure à la « nécessité médicale ». De plus, les pratiques sont disparates, en France comme à l'étranger. Elles sont critiquées par certains, mais légitimées par d'autres, et font l'objet auprès du Défenseur des droits comme du Conseil de l'Europe de protestations et de revendications de la part d'associations françaises ou européennes.

Il importe de prendre en considération les préconisations des instances européennes et internationales. Chantal Jouanno a cité le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Cependant, les témoignages et les préconisations ne doivent pas avoir un caractère trop militant et il faut être prudent, car les études portent souvent sur un nombre limité de personnes et couvrent des périodes très éloignées, au cours desquelles les personnes ne faisaient pas l'objet de la prise en charge plus évoluée qu'on connaît aujourd'hui dans le cadre des centres de référence et de compétences. Pour ce qui concerne les situations actuelles, j'ajoute que nous ne pourrons mesurer réellement que dans quinze ou vingt ans les effets des traitements pratiqués aujourd'hui.

Par ailleurs, il convient de bien distinguer ce qui relève de la nécessité médicale de ce qui n'en relève pas. Et lorsque la nécessité médicale est éventuellement reconnue, il faut la différencier de l'urgence, qui conduit à pratiquer des opérations sur les tout-petits. Pour les cas qui ne sont pas urgents, l'intervention chirurgicale pourrait être réalisée plus tardivement, au moment où l'enfant est susceptible d'exprimer d'une manière ou d'une autre son consentement.

Jusqu'à maintenant, les médecins ont plutôt tendance à considérer qu'il y a urgence médicale ou but thérapeutique dans la majorité des situations. En revanche, un certain nombre de chercheurs spécialisés, de sociologues ou de juristes ont plutôt le sentiment inverse. C'est toute cette question qu'il nous faudra élucider.

Nous ne disposons pas sur le sujet de publications solides. Une étude européenne est en cours, à laquelle participent plusieurs pays, dont la France. Cette étude portera sur les enfants ayant subi une intervention, mais non sur les autres, c'est-à-dire ceux sur lesquels aucune opération n'aura été pratiquée. Malgré cette lacune, ce travail est d'un grand intérêt, car c'est la première fois qu'une telle réflexion rétrospective est engagée.

Autre point de vigilance, en dehors d'une recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur l'hyperplasie congénitale des surrénales et d'un encadrement des pratiques des centres de référence, qui remonte à 2002, il n'existe aujourd'hui aucun protocole officiel de diagnostic et de soins standardisé. Il serait essentiel d'avancer vers des guidelines .

Le dernier point sur lequel le Défenseur des droits veut s'exprimer est le droit fondamental à la vie privée, mentionné à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDSH). C'est le principal argument sur lequel s'appuient les juristes pour refuser l'assignation précoce. Quoi qu'il en soit, il convient de tenir compte aussi des nécessités de la société, de la volonté des familles et de l'intérêt supérieur de l'enfant, dont j'ai également la charge en tant que Défenseur des enfants. Ce sujet est donc pour moi une vraie préoccupation.

L'intersexualité est une notion très difficile à définir. Les caractéristiques des sexes et de leur binarité ont évolué au fil des avancées de la science. Aujourd'hui, aucune caractéristique n'est prépondérante pour déterminer le sexe. Il faut toutes les considérer ensemble ou à égalité : l'anatomie et les organes génitaux extérieurs, les gonades, les hormones et la génétique. À partir de là, il est possible d'établir que certains individus présentent des caractéristiques sexuelles ambiguës. Où mettre le curseur ? Quel est le niveau décisif du féminin ou du masculin ? C'est une sorte de quête infinie, mais les médecins doivent proposer des options et les familles et les enfants concernés auront des choix à faire.

Aujourd'hui, on enregistre une seule naissance de cette sorte sur 4 500 170 ( * ) . La Haute Autorité de Santé a estimé en 2009 que la fréquence d'une telle indifférenciation sexuelle pourrait atteindre 2 % des naissances en France 171 ( * ) . À en croire l' Organisation Internationale des Intersexes ( OII ), ce taux serait plus important. Selon elle, toute personne ne correspondant pas au standard morphologique du mâle ou de la femelle est de facto intersexuée. Les estimations, résultant d'extrapolations de plusieurs petites études, sont donc extrêmement variables.

L'organisation médicale actuelle en France comporte un centre national de références, qui comprend le pôle de référence de l'hôpital Bicêtre, dont on dit qu'il est plutôt tourné vers le médical, et la structure de Lyon, dont on dit qu'elle est plutôt tournée vers le chirurgical. Est-elle capable de produire une cartographie complète de la situation ? Il semble que le centre de références et les centres de compétences associés seraient en mesure d'avoir une connaissance à peu près totale du phénomène, si la demande leur en était faite. Reste à prendre la décision officielle d'entreprendre ce travail. Le troisième Plan national « Maladies rares », qui ambitionne d'intégrer les centres de compétences au sein du centre de référence, pourrait en fournir l'occasion, et le Parlement a un rôle à jouer à cet égard.

Vous connaissez les différentes catégories de la nomenclature DSD élaborée par la conférence de consensus de Chicago en 2005 ; je n'y reviendrai donc pas. Au-delà de cela, je pense qu'il faut traiter la question du vocabulaire. Si une partie des organisations de personnes intersexuées, comme l' Intersex Society of North America , acceptent cette nomenclature, d'autres la jugent inadaptée. Je suis plutôt favorable, comme beaucoup d'autres, à l'expression « variations du développement sexuel » : préconisée par la Commission nationale d'éthique suisse, elle évite de retenir l'idée d'un trouble, d'une anomalie, a fortiori d'une pathologie. Elle introduit l'idée d'une évolution, d'une variabilité. Elle évite aussi, ce qui est très important, tout risque de stigmatisation. Je pense que l'un des objectifs de votre réflexion devrait être d'avancer sur cette question du vocabulaire.

La deuxième question qui m'a été posée porte sur les saisines du Défenseur des droits. J'ai reçu en 2012 une saisine individuelle, relative à un différend entre des parents et un chirurgien. Nous avons organisé une médiation avec les chirurgiens, les endocrinologues, et abouti à un résultat globalement consensuel. Les parents n'ont pas déposé plainte, et les professionnels les ont suivis dans l'accompagnement de leur fille. C'est le seul exemple dont nous disposons de la difficulté posée par l'information aux parents.

Nous avons reçu aussi la réclamation collective, que vous connaissez, de la branche française de l' OII . Vincent Guillot nous a saisis des difficultés des personnes intersexes opérées, comme lui-même, il y a plus de vingt ans, et ayant été sexuellement assignées. Nous avons saisi le ministère des Affaires sociales et de la Santé, celui des Familles, de l'Enfance et des Droits des Femmes et celui de la Justice. Pour l'instant, nous avons obtenu une réponse des ministères des Affaires sociales et des Familles, qui ne porte pas sur le fond, mais pas du ministère la Justice, dont l'avis est évidemment essentiel sur les questions de droit civil et de droit à la vie privée.

La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) nous a indiqué, dans un courrier du 14 décembre 2016, qu'un travail de rassemblement de l'état d'avancement sur ce dossier était en cours auprès des différents ministères, que la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT avait été interrogée et qu'un entretien serait proposé à Vincent Guillot.

Entre la réflexion engagée au Sénat, chez le Défenseur des droits et dans les ministères, la question est donc prise en considération, ce qui est déjà un acquis important.

La troisième question concerne la prise en charge médico-chirurgicale passée. Sur ce point, nous avons travaillé à partir des deux dossiers dont nous disposons et de témoignages, notamment ceux de la table ronde organisée par votre délégation le 12 mai 2016. Nous avons également étudié les quelques contentieux qui ont eu lieu en Allemagne, et qui tous portent sur le défaut d'information préalable de la personne. Nous avons complété notre information par d'autres sources, notamment des documentaires, et nous avons procédé à nos propres consultations et auditions. Nous avons entendu des professionnels de santé exerçant notamment dans le centre de références, des juristes et des sociologues.

Par le passé, la variation du développement sexuel était perçue comme une pathologie et présentée comme telle aux parents, sans information complète sur la situation de l'enfant ni sur l'ampleur des interventions qui seraient réalisées tout au long de l'enfance, ni sur leurs conséquences physiques, sexuelles, reproductives et psychologiques. On peut donc penser que, à l'époque, les consentements des parents n'étaient pas, loin s'en faut, libres et éclairés, ce qui entache naturellement la légalité de ces interventions. Dès lors, on peut se demander s'il n'y a pas une responsabilité et s'il ne faut pas engager des procédures d'indemnisation.

Vous avez certainement consulté l'étude parue en Australie en 2016 sur plusieurs centaines de personnes intersexuées estimant avoir été mal informées. En voici l'une des conclusions : « Nombre de personnes sondées avaient été amenées à croire non seulement qu'elles n'avaient aucun autre choix que de se soumettre à différents actes médicaux, mais en outre qu'il y avait une indifférence institutionnelle à l'autonomie personnelle des personnes présentant des variations intersexuées, dans la mesure où leur pouvoir de décision et de choix n'était structurellement pas soutenu de manière adéquate et à un niveau acceptable par les professionnels de santé et les institutions ». C'est sur cette question du choix, du consentement, que le Défenseur des droits est particulièrement qualifié pour donner son opinion.

J'estime qu'il faut être très prudent sur l'idée de mise en cause de la responsabilité civile, a fortiori pénale, des médecins. Étant donné le contexte de l'époque, c'est-à-dire l'état de la science au moment où les décisions ont été prises, l'absence de protocole et de formation adéquate, l'absence de consensus et la chaîne très compliquée des responsabilités, notre sentiment est que l'aboutissement de procédures pénales ou civiles de réparation individuelle dirigées contre des médecins semble peu probable. La responsabilité individuelle des médecins, demandée par certains, semble donc devoir être écartée.

La Commission d'éthique suisse considère que les souffrances des personnes opérées doivent être reconnues, mais rappelle que « la pratique médicale se conformait alors à des jugements de valeur culturels et sociaux que la perspective éthique actuelle n'estime plus compatibles avec les droits fondamentaux de la personne, notamment avec le respect de son intégrité physique et psychique, ainsi qu'avec son droit à l'autodétermination ». En d'autres termes, pour cette commission, il y aurait un anachronisme intellectuel et scientifique à prendre aujourd'hui des positions qui ne se réfèrent pas au contexte de l'époque. Je crois honnêtement que cette position est raisonnable.

C'est la raison pour laquelle nous recommandons plutôt d'étudier la mise en place d'une indemnisation via un fonds. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) pourrait très bien devenir compétent dans ce domaine. Le Conseil d'éthique allemand a préconisé, de la même façon, une procédure d'indemnisation officielle et collective. Cette solution permettrait d'éviter l'engorgement des tribunaux, de répartir la charge de la faute entre l'ensemble des membres de la société, vu que, d'une certaine façon, à l'époque, la société était tout autant en cause que les professionnels, et de faciliter les procédures d'indemnisation, s'agissant tant des moyens de preuve que de la rapidité de traitement.

Le Comité des droits de l'enfant de Genève, avec lequel nous sommes en étroite relation, parle, pour le Népal, d'« adéquate compensation » et, pour la Nouvelle-Zélande, de « réparation aux victimes », mais il ne dit jamais qu'il faut condamner tel ou tel. Je pense que c'est la direction qu'il faut suivre.

J'en viens à la pratique médico-chirurgicale actuelle. Ce qui me paraît important, c'est, je le répète, de disposer d'une connaissance de la situation - ce qui est possible grâce au bon recueil des informations -, mais aussi d'élaborer un protocole. À cet égard, la bonne formule consiste sans doute à reprendre les lignes directrices de 2002 en les actualisant. Cela impliquera probablement de passer par une conférence de consensus, pour que personne ne continue de faire ce qui lui paraît bon dans son coin.

En ce qui concerne l'information des parents, la première étape, celle de l'annonce du problème, est essentielle. Doit-on parler de maladie, de pathologie, de difficulté, d'ambiguïté ? Nous devons avoir sur ce point un protocole bien établi. Ensuite vient l'étape de l'information sur les options médicales ou chirurgicales.

Vous savez très bien que le repérage peut avoir lieu avant la naissance, par échographie, ou au stade périnatal, immédiatement après la naissance, mais aussi intervenir plus tard. En effet, l'identification de la variation du développement sexuel peut être beaucoup plus tardive, d'autant que la plupart des pédiatres ne sont pas très informés de ces questions. C'est pourquoi l'information est primordiale et doit provenir de différentes disciplines. En particulier, il faut travailler sur la formation de tous les médecins : des médecins de famille, et pas seulement des urologues et des endocrinologues.

Ce qui se passe dans les premiers instants est déterminant. Une étude américaine a été menée en 2004 auprès de parents ayant un enfant dont les médecins avaient indiqué qu'il avait une « ambiguïté génitale ». Ces parents, estimant être dûment informés sur les inconvénients de l'opération d'assignation sexuée réalisée sur leur petit enfant, acceptaient globalement l'opération, malgré les risques de perte de sensibilité des zones érogènes, avec les conséquences que cette perte aurait sur la sexualité future. À l'inverse, une autre étude américaine, publiée en 1998, réalisée auprès de personnes auxquelles l'intersexuation n'était pas présentée sous un angle pathologique, a montré que les personnes interrogées, dans leur très grande majorité, auraient refusé pour elles-mêmes de telles opérations si elles leur avaient été proposées. On voit bien là le noeud que constitue la présentation de la situation, ne serait-ce qu'au plan du vocabulaire.

À cet égard, je rappelle qu'une juridiction française, la cour d'appel d'Orléans, a utilisé, dans sa décision du 22 mars 2016, la formule « variation du développement sexuel », recommandée par le Comité d'éthique suisse dès 2012.

L'information doit se caractériser par le fait de ne pas engager les parents immédiatement dans l'idée que c'est une maladie, sauf en cas d'hyperplasie congénitale des surrénales dont on sait qu'elle engage le pronostic vital. En outre, il est de la plus haute importance que les familles soient immédiatement orientées vers le centre de références regroupant à terme tous les centres de compétences ; le troisième plan « maladies rares » doit permettre de dégager sur ce point des positions très claires. Ainsi l'information pourra-t-elle être encadrée et normalisée. Aucune situation ne doit échapper à cet encadrement de l'information et des pratiques, un encadrement, je le répète, à caractère pluridisciplinaire.

Les parents doivent avoir devant eux un ensemble de professionnels qui discutent, qui ne sont peut-être pas d'accord au départ, mais qui, dans le cadre du protocole, arrivent à un consensus. C'est ainsi qu'ils seront en mesure de faire un choix véritablement libre et éclairé, sans subir une espèce de pression ni être influencés par une émotion au demeurant parfaitement compréhensible. En particulier, il faut que les différents délais soient bien expliqués aux parents : qu'est-ce qui doit être fait immédiatement, qu'est-ce qui peut l'être un peu plus tard, qu'est-ce qui peut attendre l'adolescence ? Les parents doivent avoir une vision claire de ce que peut devenir l'enfant, des interventions envisageables et de leurs conséquences.

Je signale que le Défenseur des droits a publié, en novembre 2015, une décision cadre relative au respect des droits des enfants et adolescents au sein des établissements de santé 172 ( * ) . Le groupe de travail « enfants et hôpital » mis en place par le Défenseur des droits avait alors identifié plusieurs obstacles dans la prise en charge des enfants, dont le manque d'information délivrée aux patients et à leurs parents, et avait formulé plusieurs recommandations. Le cas des variations du développement sexuel est particulièrement difficile, traumatisant et compliqué, et on manque de connaissances. Mais la question de l'information et du consentement au traitement se pose dans de nombreuses autres situations, relevant, pour le coup, de la pathologie. C'est ce que nous avions signalé, au nom des droits de l'enfant, dans cette décision cadre.

En résumé, l'information doit reposer sur l'idée d'une variation du développement sexuel, être pluridisciplinaire et être encadrée par les lignes directrices de 2002 actualisées. L'orientation vers le centre de références doit être systématique, de même que l'accompagnement des parents. Ce soutien ne doit pas se limiter à un mois ou deux. Il faut mettre en place une organisation permettant d'offrir aux parents un accompagnement personnalisé et social au long cours, car, pendant des années et des années, les parents et l'enfant vont vivre, plus ou moins bien, avec cette situation. Le Comité des droits de l'enfant de Genève a beaucoup insisté, dans certaines observations faites à la Grande-Bretagne, au Népal et à l'Irlande, sur ce point.

En ce qui concerne les traitements, la grande difficulté tient à la pression sociale et légale majeure qui s'exerce dans l'instant pour assigner l'enfant à l'un des deux sexes qui, socialement et juridiquement, sont aujourd'hui la norme, et pour que l'anatomie corresponde à cette assignation sociale et juridique. Cela conduit à la question de la nécessité thérapeutique et à celle de la souffrance de l'enfant et de sa famille. Quand la condition de la nécessité médicale est-elle véritablement remplie ? Aujourd'hui, on a quelquefois le sentiment que, le plus souvent, le but thérapeutique des interventions est mis en avant par le personnel médical, alors que, en dehors des cas d'urgence totale, il est très difficile de distinguer ce qui relève vraiment de la nécessité médicale.

Le but recherché par l'intervention est souvent de permettre à l'enfant une intégration dans sa famille, de lui éviter des complexes, de prévenir sa stigmatisation, par exemple en lui construisant des organes génitaux conformes aux stéréotypes du corps masculin ou féminin. On n'a pas le droit de considérer ces objectifs comme illégitimes. Mais il faut bien voir que, contrairement à certaines interventions immédiates pratiquées sur des enfants ayant des organes « atypiques » (« bec de lièvre », « doigts palmés », etc.), celles pratiquées sur les enfants présentant une variation du développement sexuel peuvent affecter lourdement leur vie. En d'autres termes, face à des objectifs légitimes, il faut mesurer les conséquences particulièrement lourdes de l'intervention médicale ou chirurgicale. Il convient, en tirant des leçons de l'étude européenne qui est en cours, de se poser la question du bilan entre les bénéfices attendus de ces interventions et les risques connus.

Sur un tel sujet, une conférence de consensus pluridisciplinaire paraît tout à fait indispensable pour élaborer le nouvel encadrement, non seulement de l'information, mais aussi de la pratique médicale et chirurgicale.

De ce point de vue, je veux évoquer la situation à l'étranger, sur laquelle vous avez dû vous pencher. J'ai sous les yeux un tableau extrêmement intéressant, qui concerne le Royaume-Uni, la Suède, les États-Unis, la Suisse, Malte, l'Allemagne, le Portugal, la Finlande et l'Islande. Ce ne sont pas des pays lointains : leurs questionnements sont tout à fait comparables aux nôtres.

Pour résumer, depuis 2012-2013, l'idée dominante est plutôt d'attendre la possibilité d'obtenir un consentement de l'enfant. On relèvera que les comités d'éthique suisse et allemand se sont prononcés contre des mesures irréversibles d'assignation sexuelle et souhaitent de façon générale renforcer les droits de participation de l'enfant, mais qu'à l'heure actuelle, ces recommandations ne se sont pas traduites dans la législation, ni dans certaines pratiques en cours. Seul Malte interdit explicitement les traitements et/ou interventions chirurgicales d'attribution de sexe qui peuvent être réalisés plus tard, au moment où la personne peut donner son consentement éclairé, sauf circonstances exceptionnelles.

Les expériences étrangères nous montrent donc qu'il est très important de rechercher un véritable consensus, comme cela a été bien fait en Allemagne et en Suisse. Sinon, celui qui veut opérer tout de suite s'opposera toujours à celui qui renvoie à plus tard, chacun ayant des arguments excellents.

Je pense que, au fond, la variation du développement sexuel implique que nous soyons extrêmement prudents, et que l'on tienne compte du droit des enfants. Je rappelle que le Comité des droits de l'enfant de Genève demande aux États de manière constante que l'enfant puisse être entendu, s'exprimer et donner son consentement éclairé à des opérations chirurgicales ou des traitements médicamenteux inutiles, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas de danger vital pour lui.

Vous savez que, sur ces sujets, j'ai toujours défendu la position d'une présomption de discernement de l'enfant, afin de lui permettre d'être entendu dans toutes les procédures le concernant. Ainsi, je suis de ceux qui considèrent qu'il ne faut pas fixer un âge dans la loi, mais l'apprécier in concreto , en fonction de l'intérêt de l'enfant.

S'agissant des pratiques médicales, je recommande d'adopter un principe de précaution qui guiderait les équipes médicales pluridisciplinaires du centre de références dans le cadre d'une appréciation circonstanciée, équilibrée, in concreto de la situation et de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ce principe de précaution doit l'emporter sur le principe d'intervention tel qu'il a été appliqué par le passé. La question de savoir dans quelle mesure on peut attendre pour intervenir chirurgicalement doit être résolue par le protocole qui doit être établi à la suite d'une conférence de consensus.

La question de l'état civil se pose ensuite. L'article 57 du code civil prévoit que l'acte de naissance énonce le sexe de l'enfant, sans préciser « masculin ou féminin ». La loi applique donc déjà, si j'ose dire, le principe de prudence. Certes, la circulaire du 10 janvier 2004 173 ( * ) précise que le sexe mentionné sur l'acte de naissance doit être indiqué par la lettre  « M » pour « masculin », ou la lettre « F » pour « féminin » sur la carte d'identité. Mais cette précision ne concerne pas les actes de naissance et ne figure pas dans le code civil.

Cette assignation juridique peut-elle constituer pour les enfants présentant une variation du développement sexuel une atteinte à leur droit à la vie privée ? Peut-on imaginer d'autres solutions ? Faut-il supprimer la mention du sexe à l'état civil ? Créer une nouvelle catégorie de sexe qui serait indéterminée ? Faciliter le changement du sexe à l'état civil ?

Supprimer la mention du sexe à l'état civil est une idée qui peut séduire, mais qui se heurte à des obstacles qui la rendent, à mon sens, difficilement réalisable. Ne serait-ce que parce que, dans la période récente, on assiste à la « resexualisation » d'un certain nombre de normes juridiques, afin de lutter contre les discriminations fondées sur le sexe. Pour renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes, il arrive que le législateur impose une comptabilisation. Je songe en particulier aux dispositions de la loi Roudy 174 ( * ) et au rapport de situation comparée qui figure dans la loi Rebsamen 175 ( * ) - un rapport que, du reste, les membres de cette délégation et nous-mêmes avons sauvé. Pensons, de manière générale, à toutes les mesures de discrimination positive. Du point de vue de la lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la suppression de la mention du sexe à l'état civil ne serait donc pas très opportune.

On peut aussi envisager de sortir de la binarité en créant une nouvelle catégorie de sexe à l'état civil : la catégorie « indéterminée ». C'est ce que préconise le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe : offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié. L'Allemagne prévoit le choix entre trois options : « masculin », « féminin » et « indéterminé ». En dehors de l'Europe, l'Australie, la Malaisie, le Népal, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud autorisent sur les passeports l'indication « X », pour «  autre sexe ». En Inde, trois catégories de genre sont prévues sur les formulaires de demande de passeport : « féminin », « masculin » et « autre ».

Qu'en est-il en droit français ? Récemment, le Tribunal de Grande Instance de Tours a considéré que le sexe assigné, masculin ou féminin, était une pure fiction imposée aux individus durant leur existence, en invoquant l'article 8 de la CESDH. Néanmoins, le 22 mars 2016, la cour d'appel d'Orléans a infirmé ce jugement. Elle ne l'a pas désavoué sur le fond, mais elle a estimé que, en l'état actuel du code civil, il n'appartient pas au juge de prendre cette position et de créer une catégorie de sexe indéterminée : cette décision ne peut découler que de la loi.

La solution est-elle de créer une troisième catégorie ou plutôt d'opter pour une forme de continuum sexuel ? En tout cas, il faut se garder de toute assignation paralysante, enfermante ou aliénante.

Je pense plutôt que des formules comme « non spécifique » ou « indéterminé » doivent être écartées. La catégorie « neutre » est peut-être légèrement meilleure. Mais, en toute franchise, je suis incapable de prendre position sur ce sujet. Je souhaite que le Parlement en délibère, et la délégation sénatoriale aux droits des femmes a à cet égard un rôle très important à jouer. Je ne vois pas sur quelle base le Défenseur des droits pourrait se prononcer en faveur de telle ou telle catégorie ; les considérations en présence s'équilibrent.

La troisième solution, à mon avis la plus intéressante, consiste à faciliter la modification de la mention du sexe à l'état civil.

La procédure de rectification fait l'objet d'une jurisprudence établie : dans son arrêt du 22 juin 2000, la cour d'appel de Versailles a permis la rectification de la mention de sexe initialement portée sur l'acte de naissance. J'estime qu'il faut aller au-delà pour faciliter les modifications.

Il ne faut surtout pas mélanger les sujets, mais vous vous souvenez, s'agissant des personnes transgenres, de la proposition de loi Crozon-Binet et qui est devenue l'article 61-5 du code civil après l'adoption de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI ème siècle. Sur ce sujet, j'ai pris clairement position, en indiquant qu'on n'allait pas assez loin : il ne faut pas en rester à un système imposant une décision du juge, mais instaurer une procédure purement déclarative, à l'instar de ce qui existe dans un certain nombre de pays, avec simplement un garde-fou en cas de nouvelle modification, sous la forme d'une saisine du Parquet. Mais, je le répète, sans confondre la question des transgenres et celle de l'intersexuation, je pense que le même principe pourrait s'appliquer aux personnes intersexes.

Il s'agit donc d'envisager une procédure déclarative, rapide et transparente, sur le modèle du Danemark, de Malte, de l'Irlande et d'autres pays. Je recommanderais que la possibilité de changer la mention du sexe à l'état civil soit ouverte aux personnes mineures et non seulement aux adultes. La procédure serait déclenchée par les représentants légaux de l'enfant, et le juge recueillerait le consentement du mineur. Cela serait parfaitement conforme à ce que demande le Comité des droits de l'enfant de Genève.

De surcroît, plus le délai de déclaration à l'état civil est court, plus la pression est forte sur les parents, les équipes médicales, etc., ce qui va à l'encontre de la mise en oeuvre du principe de précaution que j'évoquais précédemment. Il serait raisonnable, pour alléger cette pression, d'allonger le délai de déclaration prévu par les textes. On peut très bien s'adapter aux besoins de la société, à la géographie de notre pays... Je ne crois pas qu'il faille opposer une sorte de dogme bureaucratique à ce délai. Faut-il mettre un ou trois mois à déclarer le prénom ou le sexe ? En tout cas, il importe avant tout de pouvoir émettre tout de suite un acte de naissance, dans cette hypothèse, sans les mentions du sexe et du prénom, afin, par exemple, que les prestations sociales soient mises en route, et de permettre ensuite sa complétion extra-judiciaire contrairement à la procédure actuelle, prévue dans la circulaire du 28 octobre 2011 176 ( * ) , qui nécessite l'accord du Procureur de la République. Or, en attendant cette décision, la complétude juridique du bébé et de sa famille n'est pas totale. Il faut donc dépasser les termes actuels de l'article 55 du code civil : ma proposition d'allongement du délai fait l'économie de la décision judiciaire qu'il prévoit. Cet allongement deviendrait en quelque sorte de droit.

J'en viens à la protection de la vie privée. Le décret du 3 août 1962 177 ( * ) dispose que « les extraits d'acte de naissance indiqueront, sans autre renseignement, l'année, le jour l'heure et le lieu de naissance, le sexe, les prénoms et le nom de l'enfant, tels qu'ils résulteront des énonciations de l'acte de naissance ou des mentions portées en marge. » Aujourd'hui, les changements relatifs au sexe et au prénom portés à l'état civil figurent dans les mentions marginales de la copie intégrale de l'acte de naissance, mais également dans les mentions de l'extrait de naissance, avec ou sans filiation, du fait de l'absence de pratique uniforme par les officiers d'état civil. Or on peut obtenir un extrait d'acte de naissance sans filiation, sans avoir à justifier sa demande ou sa qualité ; il suffit de faire la demande auprès de la mairie du lieu de naissance de la personne concernée par l'acte. Je propose, afin de garantir le droit au respect de la vie privée, que les informations sur la rectification ou la modification du sexe ou du prénom à l'état civil ne soient pas mentionnées sur les extraits d'acte de naissance. Il faut maintenir le secret sur ces changements pour protéger la vie privée.

Enfin, toute personne devrait avoir le droit de ne pas renseigner la mention de son sexe sur les documents de la vie courante, utilisés dans la vie civile et commerciale. J'ai émis en 2015 une recommandation analogue pour les personnes transgenres, sur le respect de l'identité de genre, notamment par les organismes bancaires, publics ou privés 178 ( * ) .

Telles sont, avec toutes les nuances qui conviennent, les analyses et préconisations du Défenseur des droits, à partir de la consultation pluridisciplinaire que nous avons réalisée.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour ce travail très complet.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Oui, merci pour l'ampleur de votre travail quasi exhaustif, documenté et nuancé. Merci aussi à Chantal Jouanno et à l'ensemble de la délégation. Vous avez démontré que ce sujet relève bien de notre délégation.

Vous avez cité des chiffres, on nous a donné d'autres ; tous prouvent que le phénomène est loin d'être anodin : une naissance sur 4 500, une sur 2 000 selon d'autres critères, vous avez dit aussi 2 %...

M. Jacques Toubon . - C'est ce que dit la Haute Autorité de Santé (HAS).

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - En effet. Nous ne sommes pas dans une logique de judiciarisation, mais dans celle de l'attitude positive, de la prise en compte d'un problème pour lequel le législateur français n'est pas en avance. Si nous réussissons, et j'ai bon espoir qu'on y parvienne, à faire des propositions qui recueillent un large consensus, ne faudrait-il pas aussi améliorer l'information de tous les professionnels en lien avec les enfants, notamment ceux de l'éducation nationale, des associations et de l'éducation populaire ? ...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Bien sûr.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - ... car l'on voit arriver une génération de grands adolescents ou de jeunes adultes qui ont échappé à l'opération systématique, pour lesquels le vestiaire est un supplice, confrontés qu'ils sont au regard de l'autre ? Comment pourrait-on développer à cet égard une pédagogie nuancée pour éviter les stéréotypes et le rejet ?

M. Jacques Toubon . - Bien sûr il faut sensibiliser, au-delà des personnes directement concernées, enfants et parents, les professionnels de tous calibres, et les pouvoirs publics. Cela concerne la société, et il faut passer par l'information. Bref, le sujet ne doit plus être tabou et vous allez y contribuer. Nous devrons disposer d'une information générale, dans les grands journaux, par exemple. Les enfants eux-mêmes, élèves ou étudiants, doivent être informés, notamment par les programmes d'éducation à la sexualité. J'ai découvert une plateforme vidéo pédagogique dédiée à l'égalité des sexes, matilda.education , sur laquelle on peut voir des vidéos relatives à l'égalité, réalisées avec l'aide de professionnels de l'éducation nationale et de spécialistes de toutes les disciplines. Parmi elle, l'une traite de la détermination du sexe et aborde notamment la question de l'intersexualité.

Au titre de la société, peu importe au fond l'ampleur arithmétique de la question, il faut la traiter en tant que telle : oui à l'information et à l'éducation. Votre travail en fait partie.

Mme Michelle Meunier . - Outre la pluridisciplinarité, j'insiste sur l'interdisciplinarité, au-delà du corps médical, en formant le voeu que la formation des médecins s'intéresse à ces questions. Face aux réticences constatées sur d'autres sujets concernant les enfants, comme les violences sexuelles, gageons que la route sera longue et jonchée d'obstacles... Je partage votre point de vue : il faut en parler, le plus tôt possible, en associant l'enfant dès que son discernement le permet. C'est l'une des voies pour arriver à moins de violences et pour répondre aux interrogations des parents qui ne s'attendent pas forcément, lorsqu'ils mettent un enfant au monde, à ce qu'il présente de telles spécificités. Comment faire en sorte que les médecins, et d'autres, puissent penser cette situation pour pouvoir l'aborder concrètement ?

M. Jacques Toubon . - Il faut que les travailleurs sociaux, ceux de la protection maternelle et infantile (PMI), des services départementaux, en contact avec les familles, soient aussi informés de ces questions, au-delà de la maternité, des spécialistes médicaux, urologues et autres.

Mme Catherine Génisson . - Je tiens à vous exprimer à mon tour mes remerciements, ainsi qu'à la délégation, pour avoir pris ce sujet à bras-le-corps. L'environnement sociétal me paraît fondamental : il y a un devoir de prise en compte au nom de l'égalité des citoyens, au regard de la forte pression de la norme sociale. On constate une très grande mansuétude à l'égard de la prise en compte des maladies rares. Or la question que nous évoquons relève de l'intime et de son rapport au contexte social. Les enfants, les familles dans ces situations subissent de façon dramatique la norme.

Je propose comme titre « la variabilité du développement sexuel ». La conférence de consensus est nécessaire, mais elle sera difficile à mettre en place, car les connaissances en la matière sont récentes et en pleine évolution. Il sera difficile de trouver un protocole simple.

Je suis d'accord sur la rectification de l'état civil, mais je suis également très intéressée par l'hypothèse d'une « troisième case », qui illustre le mieux selon moi la variabilité de la situation de ces personnes.

M. Jacques Toubon . - À vouloir s'enfermer dans des normes, il y a des risques d'inégalité ; en même temps, l'égalité doit reposer sur des règles, notamment celles de la lutte contre les discriminations. L'exemple suisse, à travers la position exprimée par la Commission nationale d'éthique, dès 2012, et par le réseau helvète des droits de l'enfant, est intéressant. Le département fédéral de la justice, en charge de l'état civil, ne rend possible la modification de manière simplifiée que pendant quelques années après la naissance. Ensuite, la personne intersexes doit recourir à une procédure judiciaire.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Je joins mes remerciements aux précédents. Votre travail sera d'une grande utilité pour nous. J'insiste sur la nécessité de construire le consensus, pour percer le plafond de verre, faire admettre à la société qu'il faut identifier une problématique, afin de construire ensemble des connaissances. Je ne sais s'il faut une troisième case ou pas de case du tout, mais travaillons la réponse ensemble. Tout a priori serait rédhibitoire.

Dire ce besoin de connaissance, d'efficacité peut-être, de construction d'un protocole, de pluridisciplinarité, à nos concitoyens, c'est déjà construire ce consensus que j'appelle de mes voeux. Votre travail est abouti en cela qu'il nous permet d'apercevoir ce chemin. Ce sera difficile : souvenons-nous de l'ABCD de l'égalité... La brutalité vis-à-vis de la société sera contreproductive. Notre travail contribuera à construire la réponse. J'espère que ce sera utile.

M. Jacques Toubon . - Je suis prêt à participer, à la place qui est à la mienne, à la construction de ce consensus.

Mme Éliane Giraud . - J'ai trouvé votre exposé extrêmement intéressant parce que très construit. Il me semble essentiel de travailler sur la « non-catégorisation » que vous avez évoquée. Il faut travailler finement sur ces aspects de construction de l'individu dans toutes ses dimensions, y compris psychologique. Je suis heureuse que vous ayez évoqué l'accompagnement des parents, face à cette réalité, difficile à vivre et à accepter. Tel est assurément le chemin qu'il faut emprunter, même s'il n'est pas forcément partagé au niveau international.

M. Jacques Toubon . - Merci. Oui, les témoignages montrent la différence entre les parents qui ont été accompagnés et ceux qui n'ont eu affaire qu'aux spécialistes procédant à l'intervention, sans suivi spécifique. Il faut organiser ce suivi, au-delà des seuls médecins à l'hôpital.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci encore pour cette contribution très riche et intéressante à nos travaux, dont nous vous tiendrons informé.


* 142 Children's right to physical integrity (Doc. 13297 du 6 septembre 2013) par Marlene Rupprecht, députée européenne (Allemagne, SPD).

* 143 Manifeste du troisième Forum international Intersexes du 1 er décembre 2013.

* 144 « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ».

« Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir ».

* 145 Children's right to physical integrity (Doc. 13297 du 6 septembre 2013) par Marlene Rupprecht, députée européenne (Allemagne, SPD).

* 146 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 147 Résolution 1952 (2013) Le droit des enfants à l'intégrité physique.

* 148 Children's right to physical integrity (Doc. 13297 du 6 septembre 2013) par Marlène Rupprecht, députée européenne (Allemagne, SPD).

* 149 « L'Assemblée parlementaire est particulièrement préoccupée par une catégorie particulière de violations de l'intégrité physique des enfants, que les tenants de ces pratiques présentent souvent comme un bienfait pour les enfants, en dépit d'éléments présentant manifestement la preuve du contraire. Ces pratiques comprennent notamment les mutilations génitales féminines, la circoncision de jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués, ainsi que les piercings, les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique auxquels les enfants sont parfois soumis ou contraints. »

* 150 Les auteurs de cette réponse remettent en question la représentativité que s'attribuent certaines associations entendues par le Conseil de l'Europe. Le mouvement LGBT estime être le porte-parole légitime des personnes dites intersexes quand bien même aucun travail de groupe LGBT en collaboration avec les services cliniques pour l'amélioration des soins ou dans la mise en place de services de soutien parental n'a été rapporté. Si les militants intersexes sont efficaces pour faire entendre leur voix, il n'est pas sûr qu'ils soient représentatifs de la plupart des personnes vivant avec des variations de développement sexuel. La réponse qu'ils adressent au Conseil de l'Europe souligne également que l'assimilation de ces personnes aux combats du mouvement LGBT introduit une confusion néfaste à la compréhension des variations de développement sexuel. Les auteurs de cette réponse soulignent par ailleurs que le rapport du Conseil de l'Europe n'exprime pas le point de vue d'autres acteurs (tels que les groupes de soutien et de défense des personnes concernées par les variations de développement sexuel, ou des professionnels de santé associés). Pourtant, ces acteurs ont permis de nombreuses avancées en adoptant un rôle de conciliateur.

* 151 L'hyperplasie congénitale des surrénales est une anomalie des glandes surrénales situées au-dessus des reins, qui entraîne différents troubles en l'absence de traitement, notamment des perturbations de la croissance et de la puberté. Cette maladie héréditaire provoque une production anormale des hormones par les glandes surrénales : certaines hormones ne sont pas produites en quantité suffisante alors que d'autres sont fabriquées en excès.

* 152 L'hermaphrodisme renvoie à des cas où la présence simultanée de caractères sexuels des deux sexes induit une indétermination sexuelle.

* 153 La sténose du vagin est un rétrécissement du vagin.

* 154 Les androgènes sont les hormones responsables des caractères sexuels masculins.

* 155 La décompensation survient lorsque l'organisme n'est plus capable de compenser les effets nuisibles engendrés par la maladie et de rétablir l'équilibre physiologique normal.

* 156 Une cystographie est une radiographie de la vessie obtenue avec une opacification par un produit iodé.

* 157 La classification de Prader permet de définir le degré d'ambiguïté sexuelle selon cinq stades.

* 158 L'innervation désigne la distribution et la répartition des nerfs au sein d'un organe.

* 159 La ponction des villosités choriales ou biopsie du trophoblaste consiste prélever des fragments du tissu qui deviendra le placenta. Les cellules de ce tissu présentant le même patrimoine génétique que celle de l'embryon, l'analyse de ce prélèvement permet d'établir son caryotype (la carte des chromosomes).

* 160 Arrêté du 29 mai 2008 modifiant l'arrêté du 12 juillet 2006 portant labellisation de centres de référence pour une maladie rare ou un groupe de maladies rares, JORF n° 0132 du 7 juin 2008, page 9379.

* 161 BO n° 2011-11 du 30 novembre 2011.

* 162 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.

* 163 CA Orléans, 22 mars 2016, n° 15/03281.

* 164 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.

* 165 B. Haftel, Identité sexuelle et droit international privé , in L'identité à l'épreuve de la mondialisation , dir. S. Bollée et E. Pataut, IRJS, 2016.

* 166 CEDH, B. c/France, req. n°13343/87, JCP 1992. II. 21955, note T. Garé ; D. 1993. 101, note J.-P. Marguénaud ; RTD civ. 1992. 540, obs. J. Hauser.

* 167 Voir B. Moron-Puech, Le respect des droits des personnes intersexuées - Chantiers à venir ? , 2016, hal-01250476v2.

* 168 Décret n° 55-1397 du 22 octobre 1995 modifié instituant la carte nationale d'identité, pour la carte d'identité et article R. 161-33-1 du Code de la sécurité sociale pour la carte vitale.

* 169 Cour de cassation, Assemblée plénière, du 11 décembre 1992.

* 170 Colette Chiland, « La problématique de l'identité sexuée », Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence , vol. 56, n° 6, septembre 2008, p. 3331.

* 171 Haute Autorité de Santé, Situation actuelle et perspectives d'évolution de la prise en charge médicale du transsexualisme en France, novembre 2009, p. 23.

* 172 Décision cadre MDE-MSP-2015-190 du 4 septembre 2015 relative au respect des droits des enfants et adolescents au sein des établissements de santé.

* 173 Circulaire du 10 janvier 2000 relative à l'établissement et à la délivrance des cartes nationales d'identité.

* 174 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

* 175 Loi n° 205-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 176 Circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes d'état civil relatifs à la naissance et à la filiation. NOR : JUSC1119808C.

* 177 Décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l'état civil.

* 178 Décision du Défenseur des droits MLD-2015-228 du 6 octobre 2015 relative au cadre juridique applicable aux établissements bancaires concernant l'identification de leurs clients transgenres.

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