VI. UNE NÉGOCIATION ET UNE RÉPARTITION DES DROITS TÉLÉVISÉS À REVOIR
Les droits audiovisuels sont aujourd'hui devenus le « nerf de la guerre » du sport professionnel et des médias spécialisés dans le sport (Canal+, BeIN SPORTS, SFR Sport, Eurosport...). La concurrence acharnée pour ce produit premium fait croître les prix de manière exponentielle et augmente la pression pour que le « spectacle » soit à la hauteur, ce qui renforce les exigences des clubs de Ligue 1.
Si le principe de solidarité n'est pas remis en question, des interrogations se font jour sur le meilleur moyen de négocier les droits audiovisuels afin de maximiser leur montant.
Une évolution de la gouvernance visant à confier à une société privée la mission de négocier cette vente ne doit pas être exclue, pour autant qu'elle s'accompagnerait de garanties quant à l'exercice des compétences régaliennes confiées à la ligue et d'assurances pour les clubs de Ligue 1 sur la prise en compte de leurs intérêts.
A. DES MODALITÉS DE NÉGOCIATION DES DROITS AUDIOVISUELS QUI POURRAIENT ÊTRE MODERNISÉES
1. Un marché des droits audiovisuels très réglementé
En droit français, le cadre juridique en matière d'organisation du marché des droits d'exploitation audiovisuelle de compétitions sportives est constitué de trois grandes sources normatives :
- les dispositions législatives du code du sport ;
- un article de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
- un article du code général des impôts.
S'agissant du code du sport tout d'abord, des dispositions législatives encadrent, d'une part, les mécanismes de cession de droits de diffusion audiovisuelle, à travers trois articles :
- l'article L. 333-1 fixe la propriété des organisateurs de compétitions sur les droits de diffusion et la possibilité de céder ses droits aux sociétés sportives ;
- l'article L. 333-2 fixe les grands principes de commercialisation, par les ligues, des droits cédés aux sociétés sportives 22 ( * ) ;
- l'article L. 333-3 prévoit les principes de répartition du produit de cession des droits.
D'autre part, le code du sport fixe les grands principes du « droit à l'information », qui influe dans une certaine mesure sur la liberté commerciale des vendeurs et des acheteurs de droits :
- l'article L. 333-6 fixe le principe de liberté d'accès de tout journaliste et membre du personnel des entreprises de communication audiovisuelle aux enceintes sportives ;
- l'article L. 333-7 fixe le principe du droit aux brefs extraits de compétitions sportives et renvoie au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le soin d'en fixer les conditions de mise en oeuvre ;
- l'article L. 333-8 fixe le principe de prohibition du gel des droits.
Les conditions de mise en oeuvre du droit aux brefs extraits de compétitions sportives sont établies par la délibération du CSA du 1 er octobre 2014.
S'agissant ensuite de la loi du 30 septembre 1986, les dispositions ayant un effet sur le marché des droits sportifs se limitent à l' article 20-2 , qui fixe le principe de protection de l'accès du plus large public aux « événements d'importance majeure ». Ce dispositif est complété par le décret n° 2004-1392 du 22 décembre 2004.
Enfin, l' article 302 bis ZE du code général des impôts fixe le principe et les modalités d'une taxe pesant sur les organisateurs de compétitions sportives établis en France (fédérations, ligues professionnelles et organisateurs privés) sur le montant des cessions à un service de télévision des droits de diffusion de ces compétitions. Cette taxe abonde le Centre national pour le développement du sport.
Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence peut être saisie en cas d'opérations ou de pratiques susceptibles de restreindre la concurrence entre les acteurs du marché de l'acquisition de droits de diffusion de droits sportifs.
Trois de ses avis méritent particulièrement d'être cités :
- l'avis n° 03-MC-01 du 23 janvier 2003, qui a conduit à l'annulation de la cession des droits de la Ligue 1 pour la période 2004-2007 et à l'adoption par le gouvernement des articles R. 333-1 à R. 333-3 du code du sport ;
- l'avis n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012, qui constitue la dernière formalisation de l'ensemble des marchés de droits sportifs en France ;
- enfin l'avis n° 14-MC-01 du 30 juillet 2014, qui constitue la dernière formalisation du raisonnement conduisant à déterminer l'existence d'un marché de l'acquisition des droits d'une compétition donnée.
En France, les organisateurs de compétitions sportives vendent leurs droits de façon individuelle. Au niveau de l'offre, aucune mutualisation n'est requise, ni d'usage.
En revanche, conformément aux dispositions de l'article L. 333-1 du code du sport, la propriété des droits appartient aux fédérations sportives et aux organisateurs . Dans le cas où elle a été cédée aux sociétés sportives qui disputent une compétition, les ligues sont tenues de commercialiser ces droits pour le compte de l'ensemble de ces sociétés.
Seule la Fédération française de football a cédé aux clubs professionnels la propriété de leurs droits de diffusion, qui sont commercialisés par la Ligue de football professionnel (LFP), en application des dispositions du second alinéa de l'article L. 333-1 du code du sport.
Selon les règlements audiovisuels établis par la LFP pour chacune des trois compétitions régulières qu'elle organise (championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2 et Coupe de la Ligue), les droits non commercialisés par la LFP reviennent aux clubs qui peuvent décider de leurs éventuelles modalités d'exploitation (non-exploitation ou exploitation par le club sur sa chaîne de télévision, sa web-TV ou son service de vidéo à la demande). Néanmoins, dans les faits, la LFP s'assure de la cession effective de tous les droits de diffusion dont elle assure la commercialisation.
En France comme dans la majeure partie des marchés audiovisuels développés, coexistent les pratiques de vente directe des droits d'exploitation audiovisuelle par les organisateurs de compétitions sportives et de vente via une agence, commercialisant ses droits pour le compte de son mandant. Néanmoins, l'observation du marché français permet de mettre en lumière l'effacement croissant des agences de droits au profit d'une vente directe par les organisateurs de compétitions sportives, notamment pour maximiser les recettes et supprimer la marge des intermédiaires.
Depuis l'échec de la chaîne de la Ligue de football professionnel, CFoot, lancée en juillet 2011 et arrêtée en mai 2012, il n'existe plus d'initiatives de création de chaînes éditées par un organisateur de compétitions sportives. Seules existent les chaînes d'autopromotion de clubs de football que sont OMTV (chaîne de l'Olympique de Marseille), OLTV (chaîne de l'Olympique Lyonnais), Girondins TV (chaîne des Girondins de Bordeaux) et Onzéo (chaîne d'autopromotion de 9 clubs de Ligue 1 et de Ligue 2).
Des procédures de commercialisation de droits
d'exploitation audiovisuelle
Les appels à candidatures organisés par la LFP sont soumis aux dispositions des articles R. 333-1 à R. 333-3 précités du code du sport. Aux termes de ces dispositions règlementaires : - l'appel d'offres doit être ouvert à tous les éditeurs de services ; - les droits doivent être proposés en lots distincts en tenant compte des caractéristiques des marchés sur lesquels ils sont proposés ; - la constitution de lots trop importants qui ne pourraient être acquis que par les opérateurs les plus puissants doit être empêchée ; - l'indépendance des lots doit être réelle et le diffuseur ne doit pas être conduit à acquérir des lots couplés ; - le choix du soumissionnaire retenu doit être effectué sur la base de critères objectifs préalablement définis dans le règlement d'appel à candidatures ; - les contrats ne peuvent être conclus que pour une durée maximale de quatre ans ; - le vendeur doit rejeter les offres globales / couplées ainsi que celles assorties d'un complément de prix. Ainsi, à la différence d'autres pays, les clauses de reconduction privilégiée, permettant au détenteur des droits issu du contrat expirant de prendre connaissance, à l'issue de l'appel à candidatures, de l'offre la mieux disante et de surenchérir, ne sont pas autorisées. De la même manière, le marché de la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle de compétitions nationales de football professionnel n'est pas soumis à la clause de prohibition de l'acheteur unique (« no single buyer obligation »), imposé par la Commission européenne à l'égard de la Premier League par une décision du 22 mars 2006. Ainsi, les autorités publiques françaises ne se sont pas opposées à l'attribution au groupe Canal+ de l'intégralité des droits de cette compétition lors de la période 2005-2008. Source : direction des sports |
Depuis 2003-2004, les Autorités nationales de régulation sectorielles (Autorité de la concurrence, Conseil supérieur de l'audiovisuel) n'ont eu à connaître qu'un seul litige, intervenu entre la chaîne Ma Chaine Sport et la LFP, qui s'était réservée, pour la période 2010-2012, la détention des droits de diffusion de la Ligue 2 pour une exploitation sur sa chaîne CFoot.
Une décision de l'Autorité de la concurrence du 25 octobre 2013 a éclairé cette affaire (avis n° 13-A-19 du 25 octobre 2013 relatif à une demande d'avis du tribunal de commerce de Paris concernant l'appel à candidatures lancé par la Ligue de football professionnel (LFP) le 24 février 2010 pour l'attribution des droits d'exploitation audiovisuelle de la Ligue 2. Il a conduit le tribunal de commerce de Paris à sanctionner la LFP le 23 juin 2015, jugeant que la procédure de mise sur le marché des droits de la L2 avait été « conduite de manière discriminatoire, non transparente, et non conforme au code du sport » .
2. Une organisation des modalités de ventes qui pourrait évoluer
Le développement du football professionnel nécessite d'accroître la capacité de la Ligue à augmenter ses ressources . La structure associative de la Ligue peut, à cet égard, constituer un inconvénient puisque la gouvernance associative rend souvent difficile la prise de décision et que le secret des délibérés dans ce type de structures n'est pas nécessairement respecté par tous les acteurs.
Si une transformation de la Ligue en société commerciale, sur le modèle anglais, semble exclue car elle reviendrait à devoir rétrocéder à la FFF les compétences régaliennes de la LFP, une évolution « à l'allemande » avec la création d'une filiale chargée de négocier les droits commerciaux, pourrait constituer une piste intéressante 23 ( * ) .
Il n'est pas sûr que la loi doive être modifiée pour permettre à la Ligue de créer cette filiale . Dans le passé, comme cela a été rappelé précédemment, celle-ci avait déjà créé une société - CFoot - chargée de produire des programmes. Pour autant, il est aussi possible que, pour sécuriser le statut de cette filiale au regard du droit de la concurrence - dont la complexité a été rappelée ci-avant -, une disposition législative soit nécessaire. Cette question doit, selon la mission d'information, être examinée sans tabou et, là encore, il s'agirait d'ouvrir une possibilité sans créer une obligation.
La mission d'information n'a pas souhaité prendre position sur le fait de savoir si la ligue devait être seule actionnaire de cette filiale ou si son capital devait être partagé avec les clubs de Ligue 1. Il s'agit évidemment d'une question sensible qui focalise les oppositions compte tenu des tensions qui demeurent dans l'organisation du football français. Tout au plus, la mission d'information peut-elle observer que, si une ligue spécifique était créée pour la Ligue 1, cette opposition avec les clubs de Ligue 1 perdrait de son acuité puisque ces derniers se retrouveraient, par définition, en situation prédominante au sein de cette ligue.
Proposition n° 16 : permettre à la LFP, si elle le souhaite, de créer une filiale sous forme de société commerciale pour négocier les droits audiovisuels et les autres recettes commerciales, la ligue restant compétente pour répartir le produit des ventes et exercer ses compétences régaliennes. |
* 22 L'article L. 333-2 est complété par des dispositions réglementaires du code du sport, prévues aux articles R. 333-1 à R. 333-3.
* 23 Voir à cet égard la présentation des « modèles » anglais et allemand dans l'étude de législation comparée présentée en annexe.