B. UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA DÉCENTRALISATION

1. La loi NOTRe renforce le risque d'un éloignement de l'État des territoires

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) s'inscrit dans un mouvement engagé avec la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles (dite « loi MAPTAM ») visant à engager un nouvel acte de la décentralisation.

Celui-ci passe par l'attribution de nouvelles compétences aux régions dont la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions a redéfini la configuration autour de 13 régions métropolitaines, sept nouvelles régions ayant été substituées à compter de janvier 2016 à seize des régions actuelles.

Du point de vue de l'administration territoriale de l'État , chaque région fusionnée est dotée d'un seul préfet de région, un seul recteur de région académique, un seul directeur général d'agence régionale de santé et un seul directeur régional pour chaque réseau ministériel.

Jusqu'à présent, pour le programme 307 « Administration territoriale de l'État » , les réorganisations liées à la fusion des régions ont eu des effets limités. Elles ont essentiellement impacté les agents des secrétariats généraux pour les affaires régionales (SGAR) et les agents affectés dans des services de préfectures à vocation régionale.

Il a en effet été décidé de rapprocher les SGAR des régions fusionnées et de localiser la nouvelle organisation du SGAR auprès du nouveau préfet de région.

La réorganisation effectuée dans les services des préfectures de région chargés de la gestion des moyens déconcentrés du programme 307, et de l'animation de certaines fonctions mutualisées à caractère régional (formation, gestion des ressources humaines, animation du réseau des animateurs de la performance) a été mise en oeuvre progressivement au cours de l'année 2016.

Selon le ministère de l'intérieur, 337 agents du réseau préfectoral ont été identifiés comme étant directement concernés par la réforme régionale (230 agents en SGAR et 107 sur des missions dites de niveau régional en préfectures). En considérant le nombre des agents du réseau préfectoral (incluant les sous-préfectures) qui s'élève à plus de 26 000 ETPT, les emplois concernés représentent moins de 1,3 % des ETPT du réseau .

Cependant, l'impact de l'amplification de la régionalisation sur les services de l'État ne se limite pas au réseau préfectoral.

D'autres modifications de positionnement des services territoriaux de l'État doivent être prises en compte pour apprécier l'impact de la réforme des régions sur le déploiement des services.

À cet égard, on peut se reporter au rapport rendu par différents services d'inspection et de conseil sur l'évolution de l'organisation régionale de l'État consécutive à la nouvelle délimitation des régions en avril 2015. Celui-ci avait pu estimer à 10 640 le nombre d'agents exerçant des fonctions régionales à partir du chef-lieu de régions appelées à disparaître sur un total de 177 152 agents employés par l'État dans ces villes (soit un impact potentiel de plus de 6 % des agents de la fonction publique d'État).

Le devenir de ces agents, clair du point de vue de leur rattachement à des directions régionales augmentées, l'est moins sous l'angle de leur positionnement territorial.

Jusqu'à présent, le choix d'un déploiement multi-sites a prévalu, choix auquel le Sénat est attaché. Mais, outre que certaines fonctions ont déjà été rattachées au site principal d'implantation (en particulier, les fonctions de programmation stratégique), l'État pourrait être conduit à reconsidérer une option qui présente pour lui certains coûts. Cette perspective qui pourrait aggraver les problèmes de mobilisation de services de plus en plus déterritorialisés doit être conjurée.

Recommandation : préserver une architecture d'implantations multi-sites dans le cadre du processus de régionalisation.

2. Le remodelage des communes engendre un risque de débordement des échelons territoriaux de l'administration générale de l'État

Le processus de couverture du territoire national par des intercommunalités (avec l'accroissement de la taille moyenne des groupements prévu par la loi du 7 août 2015) et par le développement des métropoles offre la perspective d'un maillage territorial par des entités décentralisées plus vastes et intégrées.

À ce stade des éléments connus, selon les projections réalisées par la direction générale des collectivités locales (DGCL), la nouvelle carte des intercommunalités comprendrait au 1 er janvier 2017 :

• outre la métropole de Lyon, 14 métropoles : Aix-Marseille-Provence, Brest, Bordeaux, Lille, Grand Paris, Grenoble, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse ;

• 12 communautés urbaines ;

• 213 communautés d'agglomération (dont 17 nouvelles structures) ;

• 1 024 communautés de communes (dont 717 à fiscalité professionnelle unique).

La carte des nouveaux établissements publics de coopération intercommunale dessine une France des communes renouvelée.

Source : Direction générale des collectivités locales - Ministère de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

Ministère de l'intérieur / Insee (Population totale en vigueur en 2016 - millésimée 2013)

La tendance à l'accroissement des périmètres des EPCI se poursuit avec l'augmentation du nombre des EPCI de grande dimension et la création de nouvelles intercommunalités « mixtes » associant des territoires urbains et ruraux.

Selon l'analyse réalisée par l'Association des maires de France (AMF), la taille moyenne des communautés de communes passerait, entre 2016 et 2017, de 16 à 27 communes et de 14 100 habitants à 22 800 habitants .

Il en irait de même pour les communautés d'agglomération, qui regrouperaient désormais 33 communes en moyenne contre 24 en 2016 et pour les communautés urbaines qui connaissent une augmentation du nombre des communes membres (47 contre 33 en 2016).

Selon les projections de la DGCL, 162 EPCI à fiscalité propre compteraient plus de 50 communes . Parmi elles, 13 communautés regrouperaient plus de 100 communes .

Ce mouvement entraine également une généralisation du régime de la fiscalité professionnelle unique (FPU), notamment dans les espaces ruraux, qui concernera en 2017 les trois quarts des EPCI à fiscalité propre, évolution qui conforte la spécialisation des intercommunalités en direction de l'action économique.

En outre, la dynamique des communes nouvelles se poursuit.

Alors qu'entre 2013 et 2015, seules 25 communes nouvelles ont été créées, 317 l'ont été en janvier 2016 , regroupant plus de 1 090 communes où résident plus de 1 200 000 habitants tandis que, selon l'AMF, près de 170 créations de communes nouvelles regroupant 600 communes sont intervenues depuis dans un courant continu où de nombreux autres projets sont en cours de finalisation.

De ces évolutions de la carte de la France décentralisée résulte le risque d'une forme de débordement des entités déconcentrées .

La perspective d'un débordement fonctionnel a été clairement présentée dans le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) consacré à la transition numérique de l'administration territoriale de l'État 7 ( * ) .

« Pour les services de l'État, la nouvelle organisation territoriale accroît encore l'exigence d'adaptation et d'expertise dans la mise en oeuvre des politiques publiques, face à des services de collectivités locales renforcés ».

Risque de relégation donc mais aussi risque de n'être plus en mesure de fournir les services d'appui qu'imposent pourtant l'approfondissement de la décentralisation et l'accompagnement des transferts de compétence alors que « le besoin de services de proximité correspond à l'attente d'une intervention publique experte, rapide, autant que possible adaptée au contexte local et associant l'ensemble des acteurs institutionnels, économiques et sociaux ».

Quant à la perspective d'un débordement géographique , elle concerne particulièrement les sous-préfectures en tant que mailles les plus fines du réseau d'administration territoriale de l'État.

Un exemple éclairant en est fourni par l'étude réalisée, dans le cadre du Centre des hautes études du ministère de l'intérieur, le CHEMI, sur le métier de sous-préfet au XXI e siècle 8 ( * ) .

Évoquant la constitution des pôles métropolitains, elle rappelle justement qu'ils peuvent chevaucher plusieurs arrondissements. Le pôle de la Côte d'Opale s'étend sur cinq arrondissements, situation qui conduit l'auteur de l'étude à s'interroger sur l'identification du bon interlocuteur (faudra-t-il s'adresser à cinq sous-préfets ?).

Recommandation : adapter la carte du réseau préfectoral aux nouvelles frontières des collectivités territoriales.


* 7 « La transition numérique de l'administration territoriale de l'État ». IGF. Avril 2016.

* 8 . Le métier de sous-préfet d'arrondissement au XXI e siècle. CHEMI. M. Wassim Kamel. Juin 2014.

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