C. PROBLÈMES : LE TERRITORIAL ET LE LOCAL, QUELS VISAGES, QUELLES VOCATIONS ?
Votre rapporteur spécial tire de cette revue des analyses et des orientations portant sur l'organisation territoriale de l'État un certain nombre d'enseignements.
Les thématiques envisagées dans ces travaux dessinent le cadre général des problématiques et des choix qui se présentent quant à la contribution des services d'administration générale de l'État, notamment des sous-préfectures , dans les territoires.
Par ailleurs, même si des lignes de force y apparaissent, il faut constater que les travaux réalisés au cours de cette période témoignent de la persistance d'antinomies qui n'ont pas été surmontées, les réflexes habituels de la réforme administrative conduisant à négliger la diversité des modèles et du local au profit d'une conception uniformisante et verticale.
- En premier lieu, la dépendance de ces choix au sens même de l'action de l'État dans les territoires, et aux moyens qu'il déploie à ces niveaux, ressort tout à fait nettement.
Le constat de l'influence de ces variables, qui peut sembler trivial, ne l'est pas tout à fait en raison des évolutions de l'action de l'État et du fait des transformations des politiques publiques.
Sur le premier point, outre des clarifications sur les objectifs poursuivis par les politiques publiques nationales dont la démultiplication s'accompagne parfois d'une perte du sens et de la faisabilité , la question de la prise en compte du territoire dans la mise en oeuvre de ces politiques publiques est constante.
Celle-ci renvoie au degré de déconcentration dans la déclinaison locale des objectifs nationaux des actions publiques et de l'adaptation des moyens mis en oeuvre en fonction des singularités de toutes sortes que peuvent présenter les différents territoires.
Sur le second point, les ressources disponibles sont au coeur d'une problématique qui est aussi, plus qualitativement, empreinte de la question des cloisonnements des services.
Il convient d'ajouter que les évolutions du cadre territorial décentralisé, des conditions de mise en oeuvre des actions collectives et des problèmes concrets à résoudre restent généralement négligées dans les analyses portant sur l'organisation territoriale de l'État qui, partant de l'existant, s'attachent principalement à proposer des inflexions dans une logique très autocentrée.
On doit ajouter que cette logique continue à voir dans « l'organe », (ou le « schéma »), l'incarnation indépassable du volontarisme administratif à l'heure où la notion de réseau s'impose à toute réflexion portant sur l'efficience de l'action.
Il est aisé de saisir que ces questions pèsent particulièrement sur l'échelon le plus infime de l'administration générale de l'État, l'arrondissement et sa sous-préfecture .
Dépourvue d'autonomie mais sommée de représenter un État moins stratège que « représentant multicartes », la sous-préfecture court le risque de se trouver engagée dans toutes les contradictions des interventions d'un État qui n'a pas renoncé à certains penchants bureaucratiques le conduisant à négliger les éléments de souplesse dont son action pourrait tirer parti.
- En second lieu, dans ce contexte, l'articulation interne entre les missions des différents niveaux territoriaux d'administration générale de l'État et l'articulation externe avec les entités déconcentrées des ministères , qui sont des thèmes récurrents de la redéfinition de l'administration générale territoriale, semblent prises dans des configurations, aux équilibres multiples, dénuées de cohérence d'ensemble.
À cet égard, l'interposition de plus en plus affirmée d'un échelon régional d'administration générale concepteur et distributeur de moyens se heurte à une série d'obstacles issus de la persistance d'une centralisation ministérielle qui résiste, en imposant une verticalité de l'action publique. Dans ce cadre, les statuts, y compris ceux internes à l'administration générale du ministère de l'intérieur, rigidifient l'emploi des moyens très marqués dans leur déploiement par l'histoire administrative qui induit, comme c'est prévisible, une certaine inertie.
Quant aux échelons sous régionaux ils paraissent redouter une dépossession des moyens d'exécution de leurs missions, dont ils sont pourtant comptables.
Par ailleurs, les marges de manoeuvre pour décliner territorialement les politiques publiques à ces niveaux peuvent ressortir comme très variables en fonction des configurations résultant des arbitrages nationaux et de ceux du niveau régional.
- Enfin, la répartition des forces de l'administration générale de l'État oscille entre plusieurs logiques caractérisées par une série de couples d'opposés, - exécution-mission ; prestations de services-régalien ; proximité- stratégie ; présence-désengagement ; spécialisation-polyvalence, dans un contexte de conciliation complexe entre des ambitions sans cesse réaffirmées d'omniprésence et le rappel des contraintes d'optimisation financières mais aussi opérationnelles.
Parmi ces couples d'opposés, il faut souligner la tendance à tenir un discours de modernisation des échelons de l'administration générale de l'État axé sur la promotion du modèle de l'administration de mission (l'animation des politiques publiques, la mobilisation coordonnée des moyens de l'État, le conseil, le désengagement des compétences les plus routinières...).
Votre rapporteur spécial souscrit à ces perspectives qu'il convient toutefois de convertir en des réalités tangibles.
Cela suppose, en particulier, de clarifier les points de tension évoqués plus haut sur l'objet des politiques publiques, leur degré de déconcentration et l'articulation entre les services de l'État.
Pour autant, les dimensions plus traditionnelles de la présence de l'État dans les territoires, qu'incarne particulièrement le réseau des sous-préfectures, même si cette incarnation est parfois trop symbolique, ne doivent pas être négligées.
L'État territorial doit demeurer garant de la légalité et de la sécurité. Sa présence dans les territoires doit rester telle que la perspective d'un État évanescent, lointain, éloigné du pays réel soit conjurée.
Or, il est particulièrement remarquable que, dans le processus de reformulation permanente des missions de l'administration générale territoriale de l'État, le niveau des sous-préfectures soit toujours traité de façon quelque peu résiduelle .
Cette approche paraît exercer des effets peu recommandables sur la conception même du rôle du local dans la formalisation des missions de l'administration générale de l'État.
Trois d'entre eux ressortent comme particulièrement regrettables.
Le premier est lié à la tendance à recourir à un modèle uniforme d'administration quel que soit le contexte réel où elle se positionne, le concept de « local » écrasant en son universalité la diversité géographique . Ce biais d'approche a fait l'objet d'une certaine prise de conscience puisqu'on s'est avisé que l'organisation des sous-préfectures pouvait légitimement ne pas répliquer absolument celles des préfectures. Il n'est pas sûr qu'en dehors des effets diversifiant des contraintes budgétaires sur la situation concrète des sous-préfectures, la diversité ait été suffisamment prise en considération comme un horizon possible et souhaitable en tant que tel.
Le second effet consiste à assigner le local à être le niveau d'exécution des « priorités » nationales et non celui de leur invention . C'est la suite habituelle d'un modèle d'action publique qui ne prend la territorialisation que dans l'après coup de ses orientations et ne parvient pas à accepter la promotion d'un schéma base-sommet plutôt que le traditionnel sommet-base.
Enfin, un troisième effet tient dans le maniement de formules convenues sans portée réelle accompagnées de contradictions persistantes .
La communication sur les décisions arrêtées par le conseil des ministres du 2 juillet 2014 combinée avec les dispositions de la charte de déconcentration formalisée dans le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 est particulièrement représentative de cette réalité.
D'un côté, l'on affiche la volonté de réformer l'échelon infradépartemental de l'administration territoriale de l'État :
- « la réforme de l'administration territoriale de l'État traduite dans la feuille de route du 21 juillet 2014 a ouvert à la définition d'une nouvelle carte des services publics au niveau infradépartemental, en deux volets : la réforme du réseau des sous-préfectures, et l'amélioration de l'accessibilité à l'ensemble des services au public, inscrite dans la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) » .
D'un autre côté, l'on rappelle le choix de la permanence.
Ainsi, de la charte de la déconcentration présentée comme de nature à « conforter l'arrondissement, échelon de droit commun, comme cadre territorial de l'animation du développement local et de l'action administrative locale de l'État ».
Il est juste de concéder que certaines dispositions du décret ressortent comme inspirées d'une préoccupation de réalisme à laquelle votre rapporteur spécial appelle tout particulièrement s'agissant du réseau des sous-préfectures dont le vaste déploiement justifie des adaptations aux enjeux locaux.
Cependant, il n'est pas sûr que la désignation du préfet de région comme l'autorité déconcentrée disposant de la faculté de proposer des mutualisations nécessaires à un meilleur fonctionnement des services déconcentrés, ainsi que des dérogations aux dispositions règlementaires relatives à l'organisation des services déconcentrés, et à la répartition des missions entre ces services, afin notamment de tenir compte des spécificités locales représente un choix pertinent et efficace de modulation des entités du réseau des sous-préfectures.
Au demeurant, force est de relever que le local est le grand ignoré de la création par cette même charte de la Conférence nationale de l'administration territoriale de l'État (CNAT) comme en témoigne sa composition constituée des préfets de région et des secrétaires généraux des ministères, alors même qu'il s'agit de veiller à la bonne articulation des relations entre les administrations centrales et des services déconcentrés.
Recommandation : dépasser les antinomies persistantes dans les cadres d'analyse de l'organisation territoriale de l'État en réincarnant les projets en fonction des forces et fragilités concrètes d'un local qui ne doit plus être l'échelon résiduel où se trouvent déclinées les orientations générales appliquées verticalement à l'organisation de l'État mais un ensemble de niveaux géographiques de réalités qui, pour divers qu'ils soient, présentent chacun des identités propres. |
Recommandation : retrouver le chemin d'une déconcentration moderne au niveau le plus local, combinant responsabilité et autonomie, et ouverte à une variété de formules compatibles avec l'emploi d'une diversité de modèles ne répliquant pas à tout prix les modes d'organisation des niveaux supérieurs afin d'assurer au mieux des missions éventuellement modulées au service du développement local. |
Pour conclure, une forme de consensus semble pouvoir être réuni sur deux impératifs, celui d'un retour au sens du déploiement de l'État au niveau du local, qui doit concilier maintien des composantes régaliennes et appui aux projets, et celui de l'instauration d'un cadre d'expression des besoins et ambitions locales, qui doit permettre de construire les identités très concrètes des territoires en fonction desquelles les modalités de la déconcentration de l'action de l'État pourront s'ordonner.