II. UN NOUVEAU CADRE EUROPÉEN POUR LA RÉGLEMENTATION ET LA GOUVERNANCE DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES
Le principal apport réglementaire du paquet connectivité est l'établissement d'un code des communications électroniques, qui rassemblera l'ensemble des règles sectorielles modernisées pour tenir compte de l'évolution des réseaux et des services. La Commission européenne propose aussi un nouveau cadre de gouvernance qui verrait l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques transformé en véritable agence de l'Union européenne.
A. UN CODE EUROPÉEN DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES
1. Un seul cadre réglementaire et un nouvel objectif
L'expression « paquet télécoms » vise à présenter un ensemble de textes régissant les communications électroniques. La réglementation en vigueur relève de cinq directives établies en 2002 et modifiées en 2009. Il s'agit de :
- la directive 2002/19 dite « directive accès » ;
- la directive 2002/20 dite « directive autorisation » ;
- la directive 2002/21 dite « directive cadre » ;
- la directive 2002/22 dite « directive service universel » ;
- la directive 2002/58 dite « directive vie privée et communications électroniques ».
Si cette dernière fera l'objet d'une révision propre, la Commission européenne propose de rassembler en un seul texte les quatre premières directives et de former ainsi le code européen des communications électroniques.
Le futur code, qui s'inscrit dans la stratégie numérique de l'Union européenne, conserve les fondements de la régulation des télécommunications : le renforcement de la concurrence dans le secteur des télécommunications ; la stimulation des investissements ; des services de qualité à des tarifs abordables ; le développement des choix offerts aux consommateurs.
Le projet va plus loin en introduisant un nouvel objectif de généralisation de l'accès à la connectivité à très haute capacité pour l'ensemble de l'Union européenne. Cette évolution est bienvenue. Elle renforce la politique européenne des communications électroniques à l'heure où les évolutions technologiques dans ce secteur transforment la société toute entière, et elle fait de la concurrence autant un but qu'un moyen.
2. Des évolutions à améliorer
a) Faciliter l'accès au marché pour inciter à l'investissement
La proposition de code européen des communications électroniques fait évoluer le cadre actuel afin de favoriser l'investissement sur l'ensemble du territoire. Elle promeut des solutions propres à pallier le faible investissement dans les zones rurales.
Parmi les mesures proposées, on peut retenir :
- l'introduction d'une cartographie prospective à trois ans de l'état des réseaux à partir de laquelle sont définis les besoins en connectivité et en particulier des zones d'exclusion numérique (dans lesquelles le débit serait inférieur à 100 Mbps) ;
- la clarification de certaines modalités de régulation générale, à savoir l'édiction par les autorités de régulation nationale (ARN) de règles concernant le partage du segment terminal des réseaux filaires à très haut débit, qui s'imposent de manière indifférenciée à l'ensemble des opérateurs présents sur le marché ;
- la création d'un remède de l'accès au génie civil ;
- l'allongement des cycles d'analyse de marché à cinq ans associé à la possibilité de révision au cours de cette période ;
- l'établissement d'un cadre destiné à la migration des réseaux historiques vers de nouveaux réseaux.
Vos rapporteurs constatent avec satisfaction que l'approche de la Commission s'inspire, pour beaucoup, des expériences menées en France durant les dernières années et qui ont permis aux opérateurs d'engager des déploiements massifs de fibre optique jusqu'à l'abonné.
De même, la Commission s'inspire du modèle français pour favoriser le co-investissement dans les zones moins denses. Elle propose de réduire nettement le degré de réglementation lorsque des opérateurs concurrents co-investissent dans des réseaux à très grande capacité, et facilitent la participation des petits acteurs aux projets d'investissement en leur permettant de mettre en commun leurs coûts ou de surmonter les obstacles d'échelle.
Attention, cependant, à ne pas aller trop loin dans l'allègement de la régulation. Les régulateurs nationaux doivent pouvoir agir au plus près du terrain, y compris dans les zones moins denses, au bénéfice de l'utilisateur final, et ils doivent disposer des outils pour le faire.
Or, la Commission envisage de limiter les pouvoirs des régulateurs en ce qui concerne les obligations d'accès pouvant être imposées, en zones moins denses, aux parties de réseau plus éloignées de l'utilisateur final. Le nouveau code imposerait aux ARN de démontrer l'existence de barrières « insurmontables » à la réplication des réseaux, en établissant de manière très large des cas d'exceptions dans lesquels les régulateurs ne peuvent pas imposer d'obligations symétriques. Cela peut s'avérer contreproductif. Les États doivent pouvoir adapter le niveau de mutualisation aux réalités géographiques locales et mieux prendre en compte les besoins des territoires ruraux.
Par ailleurs, la cartographie des intentions d'investissement intéresse grandement les collectivités territoriales. Elle leur permettrait de bénéficier d'une juste information quant à la connectivité de leur territoire ou de leur région. Cela est particulièrement vrai dans les zones les moins densément peuplées. Elle favoriserait, en outre, par une meilleure connaissance du paysage, une politique mieux coordonnée d'investissement. Elle permettrait de mieux anticiper les zones pour lesquelles un investissement public est nécessaire ou non.
Cependant, il convient de mesurer les difficultés que la diffusion d'une telle carte représente pour des opérateurs privés. D'une part, l'élaboration de plans d'investissement sur trois ans n'est parfois pas réaliste, en particulier en ce qui concerne la téléphonie mobile ; d'autre part, un plan d'investissement n'est pas un engagement, et un opérateur pourrait modifier son plan au fil du temps. Enfin, il y a un risque de perturber le jeu de la concurrence avec la diffusion d'informations qui étaient jusque-là confidentielles. In fine , le résultat pourrait être l'inverse de celui escompté : les investissements ne seraient pas stimulés, mais au contraire limités.
C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs, s'ils soulignent les avancées d'une telle cartographie, s'interrogent sur ses conséquences. Un ajustement devra peut-être être trouvé.
b) De mêmes obligations pour des services équivalents
La Commission européenne propose une nouvelle définition des services de communications électroniques. Ceux-ci contiennent trois types de services : les services d'accès à Internet, les services de communications interpersonnelles, eux-mêmes subdivisés selon qu'ils utilisent ou non un numéro et, enfin, les services de transport du signal (par exemple, de machine à machine). Cette nouvelle définition permet de clarifier le fait que les prestataires fournissant des services de communications interpersonnelles utilisant des numéros seraient bien soumis aux obligations imposées jusqu'ici aux seuls opérateurs de télécommunications traditionnels. Elle permet aussi d'étendre l'application de certaines règles aux services de communications interpersonnelles n'utilisant pas de numéros. Cette approche consiste à soumettre aux mêmes règles des services substituables au regard du consommateur.
La Commission fonde sa distinction sur les contraintes techniques et les dynamiques de marché. Concernant les services de communications interpersonnelles utilisant des numéros, on peut notamment citer « Skype Out », tandis qu'on trouve parmi les services n'utilisant pas de numéros « Whatsapp » et « Facebook Messenger ». Ces derniers sont de loin les plus nombreux et ils représentent une part croissante des usages. Selon le projet de la Commission, ils ne seraient soumis qu'à un nombre limité d'obligations et ne seraient pas concernés par les obligations liées au régime d'autorisation générale, à la transparence, à la qualité de service, à la durée des contrats, au changement d'opérateurs, aux offres groupées, et au mécanisme de sauvegardes concernant l'interopérabilité et l'acheminement des appels d'urgence.
La distinction reposant sur l'utilisation ou non d'un numéro peut sembler imparfaite du point de vue de l'utilisateur en ce qu'elle est fondée sur une considération technique et non fonctionnelle. Toutefois, elle a le mérite d'offrir une ligne de démarcation claire entre les différents services existants et les régimes juridiques afférents.
Ces mesures constituent un progrès par rapport aux règles actuelles, car elles introduisent des obligations pour les services en lignes, obligations équivalentes de celles prévues pour les opérateurs. Le Sénat demande depuis plusieurs années déjà que les nouveaux acteurs en ligne soient soumis aux mêmes obligations que les opérateurs, qui souffrent d'une concurrence déloyale, alors même que ce sont eux qui investissent dans les réseaux de télécommunication et dans l'économie.
C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs demandent que l'effort des conditions de concurrence entre fournisseurs soit porté plus loin. À titre d'exemple, il pourrait être examiné si chaque obligation peut être étendue ou non aux services non fondés sur les numéros. Le cas échéant, l'obligation pourrait être adaptée pour tenir compte de leurs spécificités.
3. Des consommateurs mieux protégés ?
a) De nouvelles protections
La proposition introduit de nouvelles protections pour les consommateurs européens. Avec l'augmentation du débit d'Internet, sont apparues de nouvelles offres commerciales qui se sont généralisées sans que les protections afférentes aux consommateurs ne soient précisées.
La Commission propose, par exemple, de mieux protéger les abonnés à une offre « quadruple play » , c'est-à-dire un abonnement conjoint au téléphone fixe, au téléphone mobile, à Internet et à la télévision. Désormais, les dispositions relatives à l'information contractuelle, à la transparence, à la durée des contrats et au changement de fournisseur seraient applicables aux services qui ne relèvent pas des opérateurs de télécommunication compris dans l'offre groupée. Une dérogation serait possible si elle est plus favorable à l'utilisateur final. En outre, en cas de changement de fournisseur, l'interruption de service ne pourrait pas excéder un jour.
Par ailleurs, la Commission européenne propose de revoir le périmètre matériel du service universel et de préciser son contenu. Les groupes les plus vulnérables, comme les personnes âgées, les personnes handicapées ou encore les bénéficiaires d'aides sociales, ne pourraient se voir refuser un contrat à une connexion fixe à un prix abordable. Cet accès concernerait onze services définis qui vont du courriel aux appels audio et vidéo en passant par l'utilisation des sites internet publics.
Ces mesures vont dans le bon sens et constituent un progrès. L'accès à du haut débit de qualité est devenu un enjeu important. À ce titre, on peut regretter que les services mobiles n'aient pas été intégrés dans le périmètre du service universel garanti.
En outre, la Commission propose de revoir le mécanisme de financement du service universel. Celui-ci est actuellement, dans de nombreux pays dont la France, assis sur un fonds sectoriel financé par les opérateurs. Il est proposé de transférer le financement vers l'argent public et le budget des États. Pourtant, chaque État membre est libre d'organiser le financement du service universel comme il le veut. Le système actuel a donné satisfaction jusqu'à présent et il n'apparait pas souhaitable d'en changer pour faire peser sur le contribuable une nouvelle dépense.
b) Une harmonisation maximale sujette à caution
Comme cela a déjà été fait pour d'autres textes, la Commission européenne prône, pour certains services, une harmonisation maximale de la protection des consommateurs en Europe garantissant un niveau de protection élevé. Avec un seul droit des consommateurs dans le marché unique, l'action des entreprises serait facilitée alors qu'elles doivent actuellement composer avec 28 législations différentes.
Le Sénat, et particulièrement sa commission des affaires européennes, se sont toujours montrés circonspects face à ce type de mesure. La France présente, en effet, un niveau de protection des consommateurs parmi les plus élevés d'Europe. Or, la Commission européenne ne s'engageant pas à aligner les règles sur les meilleurs niveaux de protection, une harmonisation maximale pourrait aboutir à un affaiblissement de la protection des consommateurs français. Cette inquiétude concerne également des pays dans une situation similaire comme l'Allemagne et la Suède.
C'est la raison pour laquelle une telle harmonisation, qui ne permettrait pas aux États membres qui le souhaitent d'offrir une meilleure protection à leurs consommateurs, n'est pas souhaitable.