PREMIÈRE PARTIE - UNE INSTITUTION MARQUÉE PAR L'HISTOIRE DONT LES PARTICULARISMES DEMEURENT IMPORTANTS
I. UNE INSTITUTION À PART
A. UNE ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET BUDGÉTAIRE SINGULIÈRE LIÉE À LA CONCENTRATION PAR LE PRÉFET DE POLICE DE MULTIPLES POUVOIRS
1. Des compétences multiples
a) À Paris
Désigné par le pouvoir exécutif, le préfet de police se singularise dès l'origine par un cumul d'attributs préfectoraux et municipaux, définis par la loi du 28 pluviôse an VIII et l'arrêté du 12 messidor an VIII. Ainsi, la ville de Paris , « dépouillé de son maire, en subit deux, non issus de l'élection » 12 ( * ) .
À Paris, le préfet de police continue aujourd'hui d'intervenir à la fois en qualité de représentant de l'État et d'autorité municipale, cumulant « approximativement, en matière de police, les pouvoirs d'un préfet et d'un maire » 13 ( * ) .
En effet, l'article L. 2512-13 du code général des collectivités territoriales prévoit la compétence du préfet de police de Paris - et non du maire 14 ( * ) - s'agissant de la police générale . De ce fait, le maire de Paris ne dispose que de compétences d'attribution dans certaines matières limitativement énumérées par le code général des collectivités territoriales.
En outre, comme le rappelle notre collègue Alain Marc, le préfet de police de Paris détient « plus de cinquante polices spéciales, certaines en lieu et place du maire - comme la police des édifices menaçant ruine (article L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation) ou celle des animaux dangereux et errants (article L. 211-28 du code rural) -, d'autres en lieu et place du préfet de département - comme l'admission en soins psychiatriques de personnes souffrant de troubles mentaux (article L. 3213-10 du code de la santé publique) ou la fermeture d'établissements de vente à emporter de boissons alcoolisées (article L. 332-1 du code de la sécurité intérieure) » 15 ( * ) .
Sur le plan juridique, ce bloc de compétences du préfet de police a été jugé conforme au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales par le Conseil constitutionnel 16 ( * ) .
b) Au-delà de la ville de Paris
Au-delà de la ville de Paris, le préfet de police exerce également de nombreuses compétences dérogatoires au droit commun sur différents territoires .
S'il serait vain de prétendre à l'exhaustivité, il doit être noté que le préfet de police est responsable de la sécurité civile à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine (92), de la Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94) 17 ( * ) . Exerçant les compétences habituellement confiées aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) en matière de lutte contre l'incendie, il dispose à cet effet de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) .
Par ailleurs, il détient au niveau de la zone de défense et de sécurité les attributions classiques d'un préfet de zone (défense non militaire, sécurité civile et sanitaire notamment), en tant que préfet de la zone de défense de Paris 18 ( * ) , ainsi que certaines attributions régionales complémentaires, telles que la direction de l'action des services de police et de gendarmerie sur les réseaux de transport en commun par voie ferrée 19 ( * ) .
Mais les compétences du préfet de police ne recoupent pas nécessairement les limites administratives usuelles. À titre d'illustration, il est chargé d'édicter la réglementation applicable aux taxis et véhicules de remise « sur le territoire des quatre-vingt communes composant l'ancien département de la Seine et, depuis 1974, de six "parties de communes" situées sur l'emprise des aéroports de Roissy et d'Orly » 20 ( * ) .
Les compétences du préfet de police apparaissent ainsi relever davantage d'une lente sédimentation historique que d'une construction rationnelle. Il n'est dès lors pas étonnant qu'à cet enchevêtrement des compétences réponde une organisation administrative et budgétaire singulière.
2. Une organisation singulière
a) Sur le plan administratif
Au niveau administratif, la préfecture de police est organisée principalement autour de dix directions et services , qui peuvent être regroupés en trois ensembles en fonction de leur ressort territorial principal.
Ainsi, deux directions exercent, essentiellement à Paris, des missions relevant de la police administrative , qu'elle soit étatique ou municipale :
- la direction de la police générale , chargée de la délivrance des titres régaliens, de l'exercice de certaines polices spéciales (ex : armes, agents immobiliers, interdiction de stade), de la gestion des associations et de l'administration des étrangers ;
- la direction des transports et de la protection du public, chargée de la prévention et de la lutte contre certains risques et nuisances (ex : insalubrité, nuisances sonores et olfactives, pollution, intoxications alimentaires, risques incendies, infractions liées à la salubrité).
En complément, cinq directions exercent, principalement à Paris et dans la petite couronne, des compétences relevant de la sécurité intérieure :
- la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) , principalement chargée de la sécurité publique ;
- la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) , chargée du maintien de l'ordre public, de la protection des institutions et des représentations diplomatiques, de la sécurité des déplacements et séjours officiels et de la circulation ;
- la direction régionale de la police judiciaire , chargée des affaires relevant de la police judiciaire en application des différents protocoles signés avec l'autorité judiciaire ;
- la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) , chargée de l'information générale, de la lutte contre le terrorisme et les extrémismes à potentialité violente ainsi que de la lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal des étrangers ;
- la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTEL), qui a pour mission de répondre à l'ensemble des besoins en équipements des directions de la préfecture de police ainsi que des services de police de la petite couronne.
Enfin, trois directions et services sont chargées de fonctions dites « support », y compris au niveau zonal depuis la mise en place du secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) au 1 er janvier 2016 :
- la direction des ressources humaines ;
- la direction des finances, de la commande publique et de la performance ;
- le service des affaires immobilières .
Il peut être noté que l'institution comporte également d'autres structures aux missions plus spécifiques telles que la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), unité militaire chargée du secours et de la défense contre l'incendie, ou encore le laboratoire central, service commun chargé à Paris et dans la petite couronne de missions tant municipales (ex : protection de l'environnement) qu'étatiques (ex : déminage).
À cette pluralité de ressorts territoriaux correspond une diversité des statuts des personnels , qui peuvent relever de la fonction publique d'État - tant civile que militaire - mais aussi des administrations parisiennes.
Répartition des effectifs de la préfecture de police en 2015
(en ETP)
Corps |
Effectifs |
|
Fonction publique « État » |
||
Fonction publique civile |
Police nationale |
27 428 |
Intérieur |
2 747 |
|
Fonction publique militaire |
BSPP |
8 168 |
Total « État » |
- |
38 343 |
Fonction publique territoriale |
||
Secrétaire administratif |
- |
422 |
Adjoint administratif |
- |
1 802 |
Agent de surveillance de paris |
- |
1 705 |
Autres corps |
- |
1 657 |
Total « administrations parisiennes » |
- |
5 586 |
Total « préfecture de police » |
43 929 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire)
b) Sur le plan budgétaire
Au niveau budgétaire, la diversité des missions exercées par la préfecture de police se traduit également par une organisation dérogatoire au droit commun, qui se singularise par son dualisme . En effet, par application de l'article L. 2512-25 du code général des collectivités territoriales, les recettes et les dépenses relevant à titre principal de la police active sont inscrites au budget de l'État. À l'inverse, les recettes et les dépenses des services d'intérêt local sont inscrites au budget de la commune de Paris. Le financement de la préfecture de police repose ainsi sur deux budgets distincts .
S'agissant des crédits relevant du budget de l'État , le préfet de police exécute des crédits de paiement relevant de onze programmes .
Crédits de paiement relevant du budget de
l'État exécutés
par le préfet de police en
2014
(en millions d'euros)
Programme |
Mission |
Crédits |
Coordination du travail du Gouvernement |
Direction de l'action du Gouvernement |
1,58 |
Gendarmerie nationale |
Sécurité |
21,76 |
Intervention des services opérationnels |
Sécurité civile |
5,75 |
Police nationale |
Sécurité |
3 092,85 |
Sécurité et circulation routières |
Écologie, développement et aménagement durables |
0,33 |
Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur |
Administration générale et territoriale de l'État |
18,60 |
Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer |
Écologie, développement et aménagement durables |
0,05 |
Vie politique, culturelle et associative |
Administration générale et territoriale de l'État |
0,0002 |
Immigration et asile |
Immigration, intégration, identité nationale et développement solidaire |
10,84 |
Entretien des bâtiments de l'État |
Gestion des finances publiques et des ressources humaines |
1,62 |
Contribution aux dépenses immobilières |
Gestion du patrimoine immobilier de l'État |
0,21 |
Total |
3 153,59 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire budgétaire)
Le programme « Police nationale » occupe toutefois une place prépondérante : il représente 98 % des crédits exécutés .
Crédits de paiement relevant du programme
« Police nationale »
mis à la disposition de la
préfecture de police en 2015
(en millions d'euros)
Exécution |
|
Dépenses de personnel |
2 820 |
Dépenses de fonctionnement |
170 |
Dépenses d'investissement |
85 |
Contribution au budget spécial |
29 |
Total |
3 103 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire)
Concernant le budget spécial de la ville de Paris, il s'agit d'un budget communal principal « dérogatoire au droit commun de la décentralisation, le maire de Paris n'étant, en l'espèce, que le président de l'assemblée délibérante » 21 ( * ) . En effet, si le budget spécial est voté par le conseil de Paris en qualité d'assemblée délibérante, c'est le préfet de police qui en est l'ordonnateur et l'organe exécutif.
Sur le plan du financement, il est essentiellement alimenté par des participations de la ville de Paris, de l'État, des communes et des départements de la petite couronne.
Évolution du budget spécial entre 2014 et 2015
(en millions d'euros)
2014 |
2015 |
|
État |
123,5 |
120,4 |
Ville de Paris |
290,7 |
285,1 |
Départements |
105,8 |
105,1 |
Communes |
69,5 |
69,3 |
Produits divers |
69,1 |
75 |
Total |
658,6 |
654,9 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses au questionnaire)
Les modalités de financement du budget spécial sont particulièrement complexes et varient selon les services . À titre d'illustration, les dépenses inscrites à la section de fonctionnement du budget spécial primitif pour 2016 concernent principalement :
- la BSPP , qui fait l'objet d'un financement de l'État et des collectivités territoriales de petite couronne, pour un total de 361 millions d'euros ;
- les « autres services parisiens » 22 ( * ) , intégralement à la charge de la ville de Paris, pour un total de 151,7 millions d'euros ;
- les dépenses du service de contrôle du stationnement, intégralement à la charge de la ville de Paris, pour un total de 73,7 millions d'euros ;
- les services logistiques (ensembles immobiliers, mobilier, service du matériel, imprimerie, informatique et, pour partie, administration générale), financés par les collectivités territoriales à hauteur de 43,1 millions d'euros ;
- les quatre services dits « communs » à la ville de Paris et aux trois départements de la petite couronne (service des objets trouvés, institut médico-légal, laboratoire central hors service des explosifs et laboratoire central des services vétérinaires), financés à hauteur 13,5 millions d'euros ;
- les services dits « financés par l'État » (laboratoire de toxicologie, infirmerie psychiatrique, service des explosifs du laboratoire central), pour un total de 11,7 millions d'euros ;
- le service interdépartemental de la protection civile , service dit « mixte » faisant l'objet d'un financement commun par l'État et la ville de Paris, pour un total de 1,4 million d'euros.
Cette singularité de la préfecture de police de Paris tant sur le plan administratif que budgétaire est confortée par la place atypique qu'elle occupe au sein de la police nationale .
* 12 Edmond Mouneyrat, La Préfecture de police , thèse de Droit, Paris, 1906, p. 176.
* 13 Cf. Olivier Renaudie, La préfecture de police , 2008, Lextenso éditions, p. 274.
* 14 Le régime de droit commun est prévu à l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
* 15 Rapport n° 433 (2014-2015) de Alain Marc, fait au nom de la commission des lois et déposé le 12 mai 2015, p. 9.
* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 70-63 L du 9 juillet 1970, cons. 3.
* 17 Article L. 2512-17 du code général des collectivités territoriales.
* 18 Il peut être observé qu'il s'agit là aussi d'une compétence dérogatoire dans la mesure où ces compétences sont normalement dévolues au préfet du département situé au chef-lieu de la zone.
* 19 Article 34 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.
* 20 Réponses au questionnaire adressé à la préfecture de police.
* 21 Chambre régionale des comptes d'Île-de-France, « Budget spécial de la préfecture de police de Paris », rapport d'observations définitives, 2012, p. 13.
* 22 Il s'agit notamment des services assurant les missions suivantes : police administrative, administration générale, aides aux associations, contrôle des garnis, périls d'immeubles, direction des services vétérinaires, lutte contre les nuisances, dons et legs.