II. L'ITALIE ET L'UNION EUROPÉENNE : UNE RELATION EXIGEANTE
La campagne référendaire a coïncidé avec un raidissement de la position du gouvernement italien dans un certain nombre de dossiers européens. Cette attitude ne saurait traduire un quelconque euroscepticisme mais dénote plutôt une volonté de participer activement à la relance du projet européen à la veille du soixantième anniversaire du traité de Rome.
A. L'APPLICATION DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE AU MIROIR DE LA CRISE DES RÉFUGIÉS ET DES TREMBLEMENTS DE TERRE
L'Italie n'est plus visée depuis le 21 juin 2013 par la procédure pour déficit excessif ouverte à son encontre fin 2009 par la Commission européenne. Le déficit public italien atteignait à l'époque 5,5 % de son PIB. Afin de contribuer à une relance interne, le gouvernement Renzi avait souhaité obtenir un peu plus de flexibilité dans l'application du Pacte de stabilité et de croissance et s'écarter de l'objectif d'un déficit public établi à 1,8 % du PIB en 2017.
Le budget 2017, adopté le 7 décembre dernier, réévalue ainsi cette cible à 2,3 % du PIB afin de libérer entre 22 à 25 milliards d'euros en faveur de l'investissement. L'Italie est déjà le pays le plus concerné par les clauses de flexibilité du Pacte, telles que mises en avant depuis janvier 2015 par la Commission européenne. Celle-ci a notamment pris en compte les réformes structurelles menées par le gouvernement Renzi ainsi que l'impact de la crise des migrants sur les finances publiques italiennes. Au final, 19 milliards d'euros de dépenses publiques n'avaient pas été intégrés dans le calcul du déficit en 2016.
Le projet de budget pour 2017 fait ainsi état de 6,6 à 7 milliards d'euros de dépenses extraordinaires liées à l'accueil des réfugiés et aux réparations induites par les tremblements de terre du 24 août et du 27 octobre derniers. La Commission européenne avait invité, le 16 novembre dernier, le gouvernement italien à réviser ses projections budgétaires, jugeant que le pays ne pouvait se voir accorder de nouvelle dérogation à l'application du Pacte de stabilité et de croissance 10 ( * ) . L'avant-projet de budget pour 2017 présentait, selon elle, un risque de non-conformité avec les règles européennes en raison d'un écart avec la trajectoire d'ajustement à moyen terme initialement définie 11 ( * ) . La Commission européenne considère que l'accueil des réfugiés et l'impact des tremblements de terre atteignent 0,1 % du PIB et ne sauraient justifier l'écart constaté, là où les autorités italiennes tablent sur des dépenses représentant 0,4 % du PIB. L'excédent budgétaire primaire - soit le solde des comptes publics avant le paiement des intérêts de la dette - devrait, de son côté, se réduire, passant de 2,8 % en 2017 à 2,1 %.
L'Eurogroupe, réuni le 5 décembre, a repris à son compte l'avis de la Commission, invitant ainsi l'Italie à mettre en place des mesures additionnelles pour respecter le volet préventif du Pacte. Compte tenu des circonstances politiques, les ministres des finances de la zone euro n'ont pas fixé de calendrier pour que ces dispositions soient prises par le gouvernement italien.
1. L'impact de la crise des migrants
Les sommes allouées aux opérations de sauvetage, à la fourniture d'une première aide médicale, à l'accueil et à l'éducation des mineurs non accompagnés - 23 000 environ ont débarqué depuis janvier 2016 sur les côtes italiennes - pourraient ainsi atteindre 3,8 milliards d'euros en 2017 (3,3 milliards d'euros en 2016).
Les prévisions s'appuient sur une augmentation massive du nombre de migrants arrivés en 2016. 4 225 personnes ont ainsi débarqué en Italie sur la seule semaine du 12 au 18 décembre derniers. Le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) a indiqué que 180 746 personnes avaient atteint les côtes italiennes entre le 1 er janvier et le 29 décembre 2016, ce qui constitue un niveau jamais atteint 12 ( * ) . Le chiffre s'élevait à 154 000 en 2015 et à 170 100 en 2014. Les Nigérians (36 000 migrants), les Erythréens (20 000) et les Guinéens (12 000) constituent les plus gros contingents de migrants en 2016. Les migrants sont dans une très large proportion des hommes de plus de 15 ans. Le HCR relève peu de mineurs isolés.
4 215 personnes sont mortes depuis janvier 2016 au large des côtes italiennes en effectuant la traversée, contre 2 913 en 2015 13 ( * ) . Dans leur ensemble, ces chiffres témoignent d'une double tendance : d'une part, la fin de la saisonnalité des flux, les traversées s'effectuant tout au long de l'année et, d'autre part, la fragilité de plus en plus importante des embarcations faisant la traversée.
L'itinéraire vers l'Italie est aujourd'hui le plus emprunté, compte tenu notamment de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. 55 à 60 % des opérations de sauvetage sont opérées directement par la marine italienne. 30 % sont effectuées par l'agence européenne Frontex et le reste par des organisations non gouvernementales. Les naufragés en Méditerranée occidentale sont par ailleurs systématiquement débarqués en Italie, les pays sûrs que sont la Tunisie ou Malte ne disposant pas des capacités d'accueil adaptées pour faire face à un tel choc migratoire. 90 % des flux proviennent de Libye et 8 à 9 % d'Égypte. Des bateaux isolés en provenance d'Algérie, de Grèce et de Turquie sont également signalés. Les arrivées par mer ne doivent pas occulter les flux terrestres au nord du pays, 30 000 migrants arrivant ainsi par la route dite balkanique.
Le gouvernement italien indique, par ailleurs, ne pas intégrer dans les dépenses extraordinaires prévues au budget 2017 le coût de l'intégration sociale des migrants. Plus de 180 000 demandeurs d'asile sont désormais hébergés au sein de centres d'accueil italiens, les demandes ayant atteint un niveau record cette année (environ 115 000). Cette situation tient au fait que les frontières avec l'Autriche, la France et la Suisse sont désormais fermées. Le pays n'est donc plus une zone de transit mais bien un pays d'accueil, même si des mini-Calais existent encore près de Côme (frontière suisse), Vintimille (frontière française) ou du col du Brenner (frontière autrichienne).
Le plan de relocalisation lancé par le Conseil européen en septembre 2015 aurait dû conduire au transfert dans d'autres Etats membres de 39 600 migrants. Au 6 décembre, seules 1 950 personnes ont été relocalisées, les États s'engageant par ailleurs à accueillir 5 839 personnes supplémentaires. L'Autriche, la Hongrie et la Slovaquie n'ont pas encore précisé leurs intentions, le Danemark et le Royaume-Uni ne participant pas au plan.
Migrants arrivés en Italie et
relocalisés au sein de l'Union européenne
et des pays
associés (source : HCR)
État membre |
Personnes effectivement relocalisées |
Engagement |
Finlande |
359 |
530 |
Pays-Bas |
331 |
425 |
France |
262 |
350 |
Portugal |
261 |
368 |
Allemagne |
207 |
1 510 |
Suisse |
133 |
630 |
Norvège |
80 |
440 |
Espagne |
50 |
150 |
Malte |
46 |
47 |
Roumanie |
43 |
680 |
Luxembourg |
40 |
60 |
Suède |
39 |
50 |
Belgique |
29 |
130 |
Slovénie |
23 |
30 |
Chypre |
10 |
45 |
Croatie |
9 |
16 |
Lettonie |
8 |
75 |
Bulgarie |
- |
140 |
Lituanie |
- |
60 |
Pologne |
- |
35 |
Irlande |
- |
20 |
République tchèque |
- |
20 |
Estonie |
- |
8 |
Cette situation n'est bien évidemment pas sans conséquence politique. On constate ainsi une radicalisation des positions de certains groupes politiques sur cette question, à l'image du Mouvement cinq étoiles ou de la Ligue. Le gouvernement Renzi a, de son côté, proposé aux communes la relocalisation de 3 migrants par tranche de 1 000 habitants en octobre dernier. Cette mesure a suscité des crispations dans quelques villes. La mairie de Rome, tenue par le M5S, a ainsi manifesté son opposition et fermé le centre d'accueil, à l'inverse de celle de Turin, également pourtant dirigée par le même parti.
2. Le défi de la reconstruction
Le 24 août 2016, un séisme de magnitude 6,2 a touché les provinces de Rieti (Latium) et d'Ascoli Piceno (Marches) et, dans une moindre mesure, les régions voisines de l'Ombrie et des Abruzzes, en Italie centrale. 298 personnes ont perdu la vie, dont 234 dans la seule ville d'Amatrice, près de 400 blessés étant dénombrés. Des répliques, d'intensité plus faible (entre 4 et 4,5 sur l'échelle de Richter) ont affecté la zone du 25 au 28 août puis le 3 septembre 2016.
Deux séismes de magnitude 5,4 et 6,1 ont ensuite frappé, le 26 octobre 2016, une grande partie de l'Italie centrale jusqu'à Rome, le second atteignant même Trieste (nord-est du pays) et Naples. Ces nouvelles secousses ont eu lieu dans la zone sismique située entre les zones touchées par le séisme d'août 2016 et celui du tremblement de terre de 1997 en Ombrie et dans les Marches de 1997.
Le 30 octobre, un nouveau tremblement de terre de magnitude 6,5 a entraîné la destruction du village d'Arquata del Tronto, de Castelluccio et de la basilique Saint Benoît de Norcia. L'intensité de cette secousse est la plus haute en Italie depuis le séisme de 1980 en Irpinia (zone montagneuse au Sud de l'Italie).
Aux termes du budget 2017, 2,8 milliards d'euros seraient mobilisés par le gouvernement italien pour la reconstruction dans les zones frappées par ces tremblements de terre. 2 milliards seraient affectés à un plan de reconstruction antisismique. 42 000 écoles nécessiteraient, par ailleurs, des réparations.
La Commission européenne a annoncé, le 30 novembre 2016, le versement d'une première tranche d'aide de 30 millions d'euros au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne, et propose de financer intégralement les opérations de reconstruction dans le cadre des programmes des Fonds structurels. Elle a, à cet effet, présenté une proposition de règlement qu'il convient de saluer 14 ( * ) . Le texte insiste sur la nécessité pour l'Union européenne de fournir rapidement un soutien supplémentaire efficace afin de financer les travaux de reconstruction à grande échelle et restaurer, notamment, l'héritage culturel des zones touchées. L'Union entend utiliser au mieux les ressources du Fonds européen de développement régional (FEDER) et compléter ainsi les moyens disponibles au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne. La proposition de la Commission européenne préconise la mise en place d'un taux de financement pouvant atteindre 100 %, afin de soutenir, dans le cadre des priorités d'investissement du FEDER, des opérations sélectionnées par les autorités de gestion en réponse à des catastrophes naturelles majeures ou régionales.
La reconstruction de la basilique de Saint Benoît à Norcia - dont il ne reste que la façade - fait à cet égard figure de symbole et donc de priorité pour un financement intégralement européen, la proposition de la Commission insistant sur la restauration de l'héritage culturel. Saint-Benoît, originaire de Norcia, a en effet été proclamé saint patron de l'Europe par Paul VI en 1964. Une telle démarche ferait sens alors que l'année 2017 doit être dédiée à la relance du projet européen dans le cadre du soixantième anniversaire du traité de Rome. Vos rapporteurs proposent donc qu'un avis politique soit adressé à la Commission européenne pour étayer ce souhait, et qu'une démarche commune soit entreprise avec d'autres parlements nationaux.
* 10 Commission opinion of 16.11.2016 on the Draft Budgetary Plan of Italy (C(2016) 8009 final).
* 11 La Belgique, Chypre, l'Espagne, la Finlande, la Lituanie, le Portugal et la Slovénie sont également concernés.
* 12 UNHCR, Regional Bureau Europe, Weekly report, 23 décembre 2016.
* 13 UNHCR, Mediterranean : Dead and missing at sea Janvier 2015 - 30 novembre 2016.
* 14 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 1303/2013 en ce qui concerne des mesures spécifiques destinées à fournir une assistance supplémentaire aux États membres victimes de catastrophes naturelles (COM (2016) 788 final).