B. UN ESPACE DE PROSPÉRITÉ ÉCONOMIQUE AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES
1. Des sources de tension
a) Catastrophes naturelles et États faillis
(1) L'instabilité due aux États fragiles de la zone
La zone indopacifique se caractérise par la diversité de ses États riverains comptant les plus grandes puissances et de très petits États, fragiles, et parfois « faillis » selon les terminologies en vigueur. Les micro-États peuvent servir de « zones franches » fiscales dans le cadre de trafics internationaux. Leur souveraineté est maintenue, parfois de façon artificielle, du fait de leur reconnaissance par des groupes soupçonnés d'agir illégalement, mentors de leurs économies fragiles. Ainsi, ces micro-États participent à la fragmentation de l'espace géopolitique au profit d'intérêts financiers et au détriment de leur stabilité.
Cette terminologie est ainsi appliquée au début des années 2000 à des micro-États du Sud Pacifique. En 2004, l'île de Nauru était supposée, selon l'OCDE et les États-Unis servir de plaque tournante à des opérations internationales de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Selon Luc Folliet 15 ( * ) , l'île de Nauru était un paradis fiscal, placé sur la liste du Groupe d'action financière (GAFI), et était accusée de vendre sa citoyenneté 16 ( * ) . En 2016, Nauru ne figure plus sur cette liste mais apparaît encore sur la « liste des États et territoires non coopératifs » 17 ( * ) . Les îles Cook, Marshall 18 ( * ) , Niue 19 ( * ) et Samoa pourraient également être utilisées par des organisations criminelles à des fins de trafic ou de blanchiment d'argent, selon le rapport de Guillermo Aureano 20 ( * ) .
Outre ces États fragiles, cette zone comprend également des États instables politiquement. Citons notamment :
- Fidji a connu quatre coups d'État, deux en 1987 puis à nouveau en 2000 et 2006,
- la Papouasie-Nouvelle-Guinée a connu plusieurs tentatives de sécession, dont la plus connue est celle de l'île de Bougainville. Quant aux îles Salomon, elles ont suivi, deux semaines après le coup d'État fidjien de mai 2000, quasiment le même scénario,
- le royaume de Tonga a connu en 2006 des émeutes qui ont conduit à la destruction à 80 % de sa capitale et à l'arrestation de 800 de ses 100 000 habitants.
(2) L'Australie cherche à stabiliser sa zone
Ceci amène l'Australie à s'impliquer fortement pour la stabilité de la région et dans la lutte antiterroriste. Elle a conscience que les États faillis et fragiles des îles du Pacifique pourraient devenir des terrains favorables à l'infiltration de groupes terroristes et elle redoute que la déstabilisation de ces États n'engendre un flux de réfugiés vers son territoire. Elle s'est investie ainsi fortement en Irak et en Afghanistan pour soutenir les coalitions menées par les Américains dans la lutte antiterroriste. L'Australie oeuvre également directement pour la stabilisation de son environnement géographique proche, l'Asie Pacifique. Elle a envoyé 500 hommes au Cambodge en 1992-1993 et a pris le commandement de l'APRONUC, opération de maintien de la paix de l'ONU qui s'est déroulée au Cambodge de la fin février 1992 à septembre 1993 21 ( * ) .
Les interventions australiennes sont concentrées dans son voisinage pacifique. L'Australie s'est impliquée fortement au Timor oriental en 1991 et a appuyé l'intervention de l'ONU, incitant le gouvernement indonésien à accepter la médiation de la communauté internationale. Sa contribution à l'opération au Timor est sans précédent, non seulement sur le plan politique, mais aussi par le nombre d'hommes déployés et par la durée de l'engagement. Aujourd'hui, l'Australie compte encore près de 850 militaires au Timor dans le cadre de l'opération des Nations Unies, elle y a dirigé une coalition internationale composée de soldats australiens, néo-zélandais, malaisiens et portugais et chargée de consolider la paix.
En 2003, l'Australie a pris la tête d'une opération sur les îles Salomon. Menée avec la plupart des États voisins des îles Salomon sous l'égide du forum du Pacifique sud, cette mission, à la demande du gouvernement des îles Salomon, a pour objectif d'apaiser les tensions économiques et ethniques. En 2006, l'Australie raffermit son engagement afin de calmer les émeutes anti asiatiques conséquentes à l'élection du Premier ministre Rini 22 ( * ) .
L'Australie a ainsi largement prouvé qu'elle veut être une puissance capable d'impulser et de mettre en place des coalitions militaires pour la sécurité de la région. L'aide au développement qu'elle dédie aux îles du Pacifique ne suffisant pas à instaurer cette stabilité, elle développe depuis 2003 un concept d'intervention qui ne se limite plus au retour de l'ordre dans les pays en crise. Ce concept vise à mettre en oeuvre une assistance renforcée permettant la mise en place des institutions et mécanismes étatiques nécessaires à la bonne gouvernance, à la stabilité durable et à la croissance économique de pays qui devraient ainsi devenir des partenaires fiables tant sur le plan économique que politique. L'objectif des interventions australiennes semble donc de soutenir des États démocratiques et cohérents pour assurer la stabilité de son voisinage.
(3) Des États démunis face aux catastrophes naturelles
La région du Pacifique est fréquemment victime de catastrophes naturelles telles que des cyclones, des inondations, des vagues de sécheresse, des séismes, des raz de marée et tsunamis, des glissements de terrain, des feux de forêt, des éruptions volcaniques, et des épidémies conséquentes aux événements énumérés. La dégradation environnementale ainsi que l'impact négatif du changement climatique ne font qu'aggraver la situation. Ainsi, le phénomène météorologique complexe El Niño affecte le Pacifique. Il influence généralement les niveaux de précipitations, avec des conséquences variables selon les endroits : pluies diluviennes, cyclones, gel et sécheresse. Ses effets, cependant, varient d'une occurrence à l'autre, ce qui rend les prédictions extrêmement difficiles.
Les pays insulaires du Pacifique se classent parmi les pays aux taux les plus élevés de victimes et personnes affectées dans le monde par des phénomènes climatiques. Le manque de diversification des économies, l'éloignement des grands marchés et centres commerciaux, et les fortes inégalités économiques exacerbent la vulnérabilité des populations insulaires aux catastrophes naturelles. Avec une population totale de quelque 10 millions d'habitants, répartis sur un vaste territoire, les pays du Pacifique 23 ( * ) se classent parmi les pays aux taux les plus élevés au monde de victimes et personnes affectées par habitant.
Ces dernières années, les catastrophes les plus notables ont été les suivantes :
- en avril 2014 des inondations importantes ont contraint 9 000 personnes au déplacement à Honiara, la capitale des îles Salomon, ainsi que dans d'autres régions du Guadalcanal ;
- en mars 2015, le cyclone Pam, de catégorie 5 24 ( * ) a affecté à des degrés divers les Kiribati, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Salomon, le Vanuatu, les Tuvalu, les Fidji, la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande. Au Vanuatu, pays le plus touché, il est considéré comme la catastrophe naturelle la plus dévastatrice de l'histoire de l'archipel. Selon le bilan dressé par le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, 64 % de la population au Vanuatu, soit environ 166 000 personnes, ont été affectées par le cyclone, qui a tué 16 personnes;
- de mi-2015 à 2016, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a été très touchée par le phénomène climatique El Niño. Cette perturbation météorologique durable s'est soldée par des pénuries en eau et des dégâts au niveau des cultures dans plusieurs localités, en particulier dans les provinces des hauts plateaux, affectant la sécurité alimentaire de près d'1,5 million de personnes à travers tout le pays;
- le 20 février 2016, le cyclone tropical Winston, de catégorie 5, a frappé la capitale des îles Fidji. Considéré comme l'une des tempêtes les plus fortes à s'être jamais abattue sur la région du Pacifique Sud, ce phénomène tropical s'est accompagné de fortes rafales de vent, de pluies torrentielles et de crues soudaines, qui ont détruit 18 000 habitations et dévasté de larges pans de terres agricoles. Ce cyclone a causé 43 décès et affecté plus de 35 0000 personnes.
Dans chacun de ces cas dramatiques, l'aide internationale a été indispensable aux pays touchés (cf. infra).
b) L'épuisement des ressources halieutiques et la problématique de la pêche illégale
De nombreux pays de la zone indo-pacifique et plus particulièrement les petits États insulaires dépendent de façon quasi exclusive de l'exploitation des ressources halieutiques. Or les ressources halieutiques sont menacées par la surpêche, la croissance démographique et le changement climatique. Il paraît de l'intérêt des pays de la zone de les protéger.
Au mois de mars 2016, à quelques semaines d'intervalle, la commission des Thon de l'Océan Indien (CTOI) et l'Agence du forum des pêches (FFA) dans l'Océan Pacifique ont toutes les deux tiré la sonnette d'alarme sur les stocks des deux océans en ressources halieutiques. C'est 80 % du stock mondial 25 ( * ) de thon rouge qui est menacé par la surpêche et la pêche illégale.
(1) Des organisations de protection des ressources halieutiques dépassées
Un grand nombre d'organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP) visant à lutter contre la pêche illégale existe. Elles sont présentées dans l'encadré suivant.
Organisations régionales de gestion de la pêche
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L'action combinée de ces organisations régionales ne suffit pas à enrayer la diminution des stocks de ressources halieutiques ni à réduire les activités de pêche illégale. Les eaux territoriales des îles du Pacifique sont très vastes et les États n'ont souvent pas les ressources suffisantes pour les surveiller. Par exemple, la République de Palau ne dispose que d'un seul patrouilleur pour surveiller une zone de 500 000 kilomètres carrés.
(2) La nécessité de lutter contre la pêche illégale
La FFA estime que 276 000 à 338 000 tonnes de thon du Pacifique sont prélevées illégalement chaque année 26 ( * ) . Le produit de ce marché noir est estimé en moyenne à 616 millions de dollars, mais peut évoluer entre 520 millions et 740 millions de dollars. La surpêche illégale dans le Pacifique est imputée en grande partie à des flottes venues d'Europe, des États-Unis et d'Asie.
Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, un navire vietnamien a été arraisonné le 23 juin 2016 par un patrouilleur de la Marine nationale dans la Zone économique exclusive (ZEE) de l'archipel, à proximité des îles Belep, à l'extrême nord. L'équipage a pêché 1,6 tonne d'holothuries, animaux marins semblables à des concombres, très prisés en Chine et dans toute l'Asie, à environ 40 mètres de profondeur dans une zone du lagon inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. Ces populations d'holothuries sont menacées d'extinction par la surpêche et par la dégradation de leurs habitats due à la pollution d'origine humaine.
Face à cette situation, le président Obama a adopté dès 2014 une mesure multipliant par six l'étendue du Pacific Remote Islands Marine National Monument , aire marine protégée au milieu de l'océan Pacifique qui compte sept îles et atolls. Selon le National Wildlife Refuge System , ces îles représentent « la collection la plus vaste d'aires protégées de la planète abritant des récifs coraux et des oiseaux de mer et de rivage, sous la juridiction d'un seul pays ».
Pour sa part, l' Australian Strategic Policy Institute (ASPI), que nous avons rencontré lors de notre déplacement en Australie, a appelé le gouvernement australien à faire davantage pour protéger l'industrie de la pêche dans le Pacifique qui est au bord du « point de non-retour ». Selon cet institut : « si les ressources régionales se détérioraient gravement, l'Australie serait soumise à des pressions politiques considérables pour augmenter son aide à la plupart des îles voisines, avec des conséquences possibles à long terme pour leur stabilité politique ».
L'extinction de l'espèce thonidée, notamment, aurait en effet de lourdes conséquences pour l'économie des pays exploitant la pêche du thon. On estime que dans les îles du Pacifique, l'industrie du thon génère 4 300 milliards de francs pacifiques par an, soit près de 36 millions d'euros par an 27 ( * ) . Les efforts déployés ne semblent pas suffisants pour faire face à l'ampleur du phénomène.
c) Sécurité maritime et droit de la mer : la mer de Chine du sud et les passages de détroits
Les défis environnementaux, la fragilité de certains États, le développement du commerce maritime, clé de la croissance économique dans cette zone indo-pacifique font de la mer de Chine un enjeu majeur. Ainsi, la mer de Chine méridionale, enjeu géostratégique de longue date, apparaît aujourd'hui comme « un espace devenu zone test de la puissance chinoise face à ses voisins, mais aussi face à la communauté internationale 28 ( * ) ».
(1) La « ligne des neuf traits »
La Chine, arguant de « droits historiques », revendique l'ensemble des îles, îlots, rochers et bancs de sable de la mer de Chine méridionale compris dans une zone de 2 millions de kilomètres carrés et circonscrits par un tracé en neuf traits , ligne en forme de « U » qui englobe toute la mer jusqu'au Banc James, que la Chine considère comme le point extrême sud de son territoire. Cette revendication, exprimée dans la période récente sous la forme d'une note verbale adressée le 7 mai 2009 à l'ONU, est ancienne ; il semble ainsi qu'il faille dater de 1947 la première occurrence dans la vie internationale de cette « ligne en neuf traits » ou « langue de boeuf » devenue un topo du discours diplomatique chinois.
(2) La situation en Mer de Chine du Sud
En 2010, pour la première fois, la Chine a déclaré que les intérêts maritimes du pays faisaient partie de ses « intérêts fondamentaux », à l'instar de Taïwan. Quatre enjeux essentiels expliquent son intérêt pour la mer de Chine du Sud :
- les ressources que cette mer offre à la pêche , alors que la consommation de poisson, et plus largement de produits de la mer, a sensiblement augmenté en Chine, ces dernières années, comme dans toute la région, conséquence logique du développement économique ;
- les gisements en pétrole et gaz que recèle la zone, alors que la Chine importe plus de 50 % de sa consommation d'hydrocarbures (notons que les Philippines importent plus de 90 % de la leur) ;
- son caractère stratégique, comme on l'a signalé ci-dessus, pour le trafic maritime , et donc pour l'économie chinoise, laquelle repose notamment sur sept ports de commerce comptant parmi les dix premiers mondiaux (181 millions de conteneurs manoeuvrés en 2014). Le pays a besoin d'accéder à la mer de Chine méridionale tant pour ses approvisionnements en matières premières que pour ses exportations de biens manufacturés ;
- enfin, les conditions de navigabilité en eaux profondes que cette mer autorise, propice notamment au déploiement de sous-marins (au contraire de la mer de Chine orientale). De fait, c'est au sud de l'île de Hainan que Pékin a installé une importante base navale pour ses sous-marins nucléaires.
Implantations et revendications souveraines en mer de Chine méridionale
Source : Le Monde diplomatique ( http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/mer_de_chine )
(3) La sentence de la Cour permanente d'arbitrage
La sentence rendue par la Cour permanente d'arbitrage de La Haye s'est prononcée le 12 juillet 2016, sur le fondement de la convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay, dans le cadre du litige opposant les Philippines à la Chine. Cet arbitrage avait été unilatéralement sollicité par les Philippines, à la suite de la prise de contrôle par la Chine, en 2012, du récif de Scarborough ; la Chine avait refusé par avance la démarche, et elle n'a pas participé aux débats. La sentence lui a été défavorable, comme le présente l'encadré suivant.
En synthèse, la Cour a conclu : - en premier lieu, qu'il n'y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur les ressources des zones maritimes comprises à l'intérieur de la « ligne en neuf traits » précitée. Selon l'arbitrage, bien que les navigateurs et pêcheurs chinois, ainsi que ceux d'autres États, historiquement, aient fait usage des îles de la mer de Chine du Sud, il n'existe aucune preuve que la Chine ait exercé un contrôle exclusif sur les eaux et leurs ressources. En outre, à supposer que la Chine ait eu des droits historiques sur des ressources dans les eaux de cette mer, ces droits ont été éteints du fait de leur incompatibilité avec les zones économiques exclusives (ZEE) prévues par la convention sur le droit de la mer ; - en deuxième lieu, qu' aucun des îlots et rochers revendiqués par la Chine dans les Spratleys n'est capable de créer une zone économique exclusive au regard du droit international. En effet, même si certains bancs de sables, récifs et îles de l'archipel ont été considérablement modifiés par la Chine, au moyen de remblaiements, poldérisations et autres constructions, de telle sorte notamment que des récifs naguère recouverts à marée haute sont désormais émergés et que de nombreuses îles hébergent aujourd'hui une présence et une activité humaines, la Cour a estimé que la capacité de ces éléments à engendrer soit une mer territoriale, pour ce qui concerne les récifs, soit une ZEE, pour ce qui concerne les îles, devait s'apprécier, conformément à la convention sur le droit de la mer, de manière objective et en fonction de leur état naturel. Or celui-ci ne permettrait pas de soutenir, sans appui extérieur, une communauté humaine stable ou une activité économique viable. Au demeurant, dans la mesure où il n'appartenait pas à la Cour, en l'espèce, de trancher des questions de souveraineté territoriale ou de frontière maritime, mais seulement de droits maritime, elle n'a pu non plus reconnaître aux Philippines de ZEE dans cet archipel ; - en troisième lieu, que la Chine a commis plusieurs actes illégaux en mer de Chine du Sud , à l'encontre des Philippines . D'une part, elle a violé les droits souverains de cet État dans sa zone économique exclusive en entravant ses activités de pêche et d'exploration pétrolière, en construisant des îles artificielles et en n'empêchant pas les pêcheurs chinois de pratiquer leur activité dans la zone. De même, en limitant l'accès aux abords du récif de Scarborough, elle a porté atteinte aux droits de pêche traditionnels que possèdent les pêcheurs philippins au même titre que les pêcheurs chinois. D'autre part, les navires de la force publique chinoise ayant bloqué physiquement des navires philippins, la Chine a ainsi commis des actes illicites, en provoquant des risques sérieux d'abordage ; - en dernier lieu, que la Chine a causé un préjudice significatif à l'environnement , dans la zone , en construisant des îles artificielles, cause de dommages graves aux récifs coralliens et manquement aux obligations de préserver et protéger les écosystèmes délicats ainsi que l'habitat des espèces en régression, menacées ou en voie d'extinction. La Cour a également relevé que les autorités chinoises savaient que les pêcheurs chinois exploitaient dans la mer de Chine méridionale, à grande échelle, des tortues de mer, des coraux et des palourdes géantes, espèces menacées d'extinction, en utilisant des méthodes fortement dommageables pour les récifs coralliens, et qu'elles ont manqué à leur obligation de mettre fin à ces activités. |
(4) Les réactions à la sentence
Comme elle l'avait annoncé dès avant le prononcé, la Chine, le jour même de cet arbitrage, a indiqué qu'elle le considérait comme illégitime . Au risque d'accroître la crise avec les autres États concernés, et de fragiliser la convention sur le droit de la mer - qu'elle a pourtant ratifiée, comme les autres pays de l'Asie du sud-est, mais dont, visiblement, elle souhaite promouvoir sa propre faculté d'interprétation -, elle a depuis poursuivi ses aménagements dans les archipels des Paracels et des Spratleys. Du reste, le raisonnement de la Cour de la Haye, concluant qu'aucun élément des Spratleys ne répond à la définition d'une île au sens du droit international, a également mécontenté Taïwan, qui a estimé que ses intérêts dans la région se trouvaient indirectement lésés par cette sentence.
Les Philippines elles-mêmes, entre temps, ont infléchi leur ligne de conduite . En effet, le Président Rodrigo Duterte, élu au printemps 2016, a donné plusieurs signes explicites de révision de la coopération militaire que le pays entretenait précédemment avec les États-Unis - lesquels, à l'instar notamment du Japon et de l'Australie, sont des partenaires stratégiques des Philippines -, au profit d'un rapprochement nouveau avec la Chine et la Russie.
2. Une zone qui se militarise à grande vitesse
a) Le développement des implantations militaires chinoises en mer de Chine du Sud
(1) Une présence militaire chinoise renforcée
La Chine, plaçant désormais ses intérêts en mer, comme on l'a relevé plus haut, au rang de ses « intérêts fondamentaux », a notamment renforcé son dispositif militaire maritime, en particulier dans la mer de Chine du Sud. Sur fond de transformations sensibles engagées pour une Armée populaire de libération destinée à monter en puissance 29 ( * ) , le Livre blanc chinois sur la défense rendu public en 2015 fait expressément valoir qu'« une importance très grande doit être attachée à la protection des droits et intérêts maritimes de la Chine 30 ( * ) ». La Chine, puisqu'elle estime ses intérêts maritimes comme essentiels, leur affecte en conséquence une plus grande protection ; l'espace maritime militarisé à cet effet devient pour elle, ipso facto , un enjeu stratégique majeur. Le fait accompli tend ainsi à légitimer les revendications chinoises de souveraineté dans la zone, telles qu'on les a exposées ci-dessus.
Selon de nombreuses sources citées en note de bas de page et la note 13/2016 déjà citée de la Fondation pour la recherche stratégique, Pékin, ces dernières années, a très nettement accru sa présence militaire en mer de Chine méridionale :
- au sud de l'île de Hainan, à Yulin, la base navale la plus importante de Chine abriterait quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de la classe Jin, équipés des missiles balistiques JL-2 d'une portée estimée de 7 200 km. S'ajouteraient à cette flotte, sur la même base, deux sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), une vingtaine de sous-marins conventionnels à propulsion diesel, ainsi que sept destroyers et vingt-et-une frégates 31 ( * ) ;
- à 200 milles nautiques au sud-est de Yulin, dans l'archipel des Paracels, sur l'île de Woody, siège d'une garnison militaire, des capacités portuaires et aéroportuaires auraient été développées, et deux batteries de missiles sol-air HQ-9 et des avions chasseurs J-11 déployés 32 ( * ) . Ces derniers viseraient à protéger les SNLE chinois ;
- sur les récifs remblayés de Fiery Cross, dans l'archipel des Spratleys sur les îles de Mischief et Subi, et peut-être sur le récif de Scarborough, des pistes d'atterrissage ont été construites ;
- au sud de l'archipel des Spratleys, sur les récifs de Gaven, Hughes, Johnson Sud et Cuarteron, des radars ont été installés.
Ces positions renforcent de manière considérable les capacités d'observation de la Chine face à celles dont disposent, dans la région, les États-Unis. Participant à l'évidence d'une volonté chinoise d'affirmation de puissance, certains think tanks australiens rencontrés lors de notre déplacement jugent non-impossible l'instauration future d'une « zone aérienne d'identification » en mer de Chine du Sud , sur le modèle de celle dont fait l'objet la mer de Chine orientale, voire, à plus long terme, une stratégie de contrôle et, partant, de déni d'accès dans un « détroit stratégique » artificiellement créé entre les archipels des Paracels et des Spratleys, afin de protéger les SNLE stationnés à Yulin.
(2) ... qui suscite de nombreuses réactions
La situation, en tout cas, fait jusqu'à présent l'objet d'une grande vigilance de la part des États-Unis . Plus de 60 % de l' US Navy se trouve aujourd'hui en Asie. En 2014, Washington a obtenu la possibilité d'utiliser des bases militaires aux Philippines et, depuis 2015, a conduit plusieurs opérations intitulées « Freedom of Navigation Operation » dans la zone des 12 miles autour de récifs et îlots occupés par la Chine dans la région, comme dans l'espace aérien qu'y revendique Pékin. En avril 2016, les autorités américaines ont conclu avec celles de Manille un accord de coopération de défense ; des patrouilles communes en mer de Chine méridionale avaient été décidées à la suite mais, comme on l'a signalé plus haut, le Président Rodrigo Duterte, depuis lors, a clairement laissé entendre son intention de mettre un terme à cette coopération pour se rapprocher de la Chine et de la Russie.
Auparavant, les Philippines et le Vietnam avaient engagé le renforcement de leurs capacités navales, tant militaires que civiles. À ce titre, des accords ont été signés par ces États, en vue de la fourniture de bâtiments de garde-côtes, avec le Japon . Ce pays, de son côté, témoigne d'un regain d'intérêt pour la mer de Chine du Sud : au printemps 2016, pour la première fois, les forces maritimes d'autodéfense japonaises ont réalisé un exercice naval commun avec le Vietnam.
Parallèlement, les marines chinoises et russes , en mai 2015 puis en septembre 2016, ont conduit en mer de Chine méridionale des exercices baptisés « Joint Sea ». Les dernières manoeuvres ont été présentées par Pékin comme étant de routine, mais en précisant toutefois qu'elles devaient se concentrer sur la prise et le contrôle d'îles et de récifs...
Dans un souci manifeste de limiter les risques d'incidents, la Chine et les États-Unis, dès novembre 2014, ont passé un protocole d'accord sur les règles de comportement en cas de rencontre inopinée dans les domaines maritimes et aéronautiques. Néanmoins, la militarisation accélérée de la mer de Chine du Sud et l'implication croissante des puissances régionales, outre l'incertitude relative des orientations dont décidera la nouvelle administration américaine, font craindre à certains observateurs, en cas d'escalade, un risque de conflit à haute intensité dans cette zone 33 ( * ) . Du reste, tous s'accordent à penser que l'acquisition par l'Australie de 12 sous-marins, en 2016, reflète une vive inquiétude du pays pour la suite des évènements.
b) La course aux équipements des pays de la zone indo-pacifique
(1) Une augmentation de 64 % en 10 ans des dépenses militaires
La mer de Chine méridionale est donc sans doute l'une des zones maritimes au monde où règne le plus la contestation 34 ( * ) .
Dépendants des ressources halieutiques et des voies maritimes pour assurer leur croissance économique par le commerce, les États riverains ont accru leurs dépenses militaires et actualisé leur doctrine de défense navale. Le rééquilibrage américain vers le Pacifique et la montée des prétentions chinoises ont conduit les États riverains de la zone indo-pacifique à réaliser d'importants achats d'armement, au point que le premier ministre australien Kevin Rudd en 2013 qualifiait déjà la mer de Chine méridionale de « poudrière sur l'eau ».
Ainsi, selon les données du Sipri, les dépenses militaires en Asie du Sud-Est ont augmenté de 64 % entre 2005 et 2015 pour atteindre 42,2 milliards de dollars. Pour la seule année 2015, 46 % des ventes mondiales d'armement ont été réalisées à destination de cette zone.
(2) Un réarmement généralisé
Cette situation est marquée :
- par la domination des deux grandes puissances du Pacifique que sont la Chine et les États-Unis avec respectivement un budget annuel moyen estimé à 215 milliards de dollars, soit 6,3 % du budget national et 600 milliards de dollars, soit 9,2 % du budget national. À l'horizon 2020, la marine américaine devait avoir déployé 60 % de ses forces dans le Pacifique, ce qui semble être, de fait, déjà le cas ;
- par la multiplication des démonstrations de ces grandes puissances dans la zone. Ainsi, en juillet 2016, les États-Unis ont apporté leur soutien à la Corée du Sud face à la menace importante que constitue la Corée du Nord. Suite au quatrième essai nucléaire de la Corée du Nord et au lancement d'engins assimilables à un essai de tir balistique, les ministres de la défense des deux pays ont annoncé le déploiement du système avancé antimissile THAAD. La date de déploiement n'est pas connue. La presse internationale voit là une preuve que la Chine, très opposée à ce dispositif, n'est pas parvenue à rassurer les États-Unis sur sa capacité à modérer les ambitions nucléaires de la Corée du Nord. La Chine et la Russie ont alors annoncé des manoeuvres militaires communes afin de s'exercer face à d'éventuelles frappes provocatrices de missiles, tout en soulignant que ces exercices « ne visent aucune partie tierce » ;
- par la disparité des situations des autres états de la zone. Singapour et la Malaisie ont stabilisé entre 2005 et 2015 leurs dépenses militaires tandis que le Vietnam et l'Indonésie les augmentaient de près de 150 % sur la même période ;
- par l'importance des forces navales en présence. Incapables de rivaliser avec la capacité hauturière américaine et chinoise, les pays riverains s'équipent de sous-marins. En 2009 le Vietnam a acquis six sous-marins conventionnels de classe Kilo à la Russie. L'Indonésie a acheté trois sous-marins conventionnels de la classe Chang Bogo en 2012. La Malaisie a commandé deux sous-marins Scorpène en 2002. Singapour disposait de quatre sous-marins suédois Challenger en 2001 auxquels se sont ajoutés deux sous-marins classiques Archer en 2009, et s'ajouteront deux sous-marins allemands 218SG en 2020. Enfin, la Thaïlande a annoncé en juillet 2016 sa volonté d'acquérir trois sous-marins conventionnels chinois de class Yuan ;
- par l'accroissement des dépenses militaires du Japon. En 2016, les dépenses de défense s'affichent en hausse pour la cinquième année d'affilée, progressant de 1,4 % pour atteindre 41,8 milliards d'euros. Il faut ajouter à ce budget celui des « forces d'autodéfense », soit l'armée japonaise, soit 1,7 milliard d'euros, réservé à la garde côtière japonaise, « dépassant le montant demandé par l'organisation, car les préoccupations demeurent quant à la présence de la Chine dans les eaux autour du Japon » 35 ( * ) . Le budget militaire japonais dépasse ainsi le seuil de 1 % du PIB japonais, qui a longtemps été vu comme une limite quasi constitutionnelle pour les dépenses militaires, dans un Japon attaché au pacifisme ;
- par le fait que la plupart des pays de la zone suivent la même tendance, que ce soit l'Inde avec une hausse de 11 % de son budget militaire en 2015, s'établissant ainsi à 35,6 milliards d'euros, ou l'Indonésie qui augmente son budget en 2015, notamment pour moderniser une base aérienne militaire et construire un nouveau port militaire sur l'archipel des îles Natuna, avant-poste indonésien en Mer de Chine méridionale, etc.
Or, face à cette évolution des dépenses militaires, il n'existe pas de régulation de la zone par une organisation de coopération locale. Ceci se vérifie en fait, dans le domaine de la défense, mais aussi dans celui de la coopération économique.
* 15 Auteur de « Nauru, l'île dévastée », Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2009
* 16 Deux terroristes liés à Al-Qaïda sont arrêtés en 2002 avec des passeports nauruans.
* 17 Arrêté du 8 avril 2016 modifiant l'arrêté du 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du code général des impôts. Objet : liste des États et territoires non coopératifs.
* 18 Cette île figure en 2016 sur la liste des États et territoires non coopératifs précitée.
* 19 Cette île figure en 2016 sur la liste des États et territoires non coopératifs précitée.
* 20 Rapport intitulé « La lutte contre le financement du terrorisme : analyse des instruments multilatéraux et leçons apprises de la lutte antidrogue » préparé dans le cadre du Programme de recherche et d'information dans le domaine de la sécurité internationale, Direction générale de la sécurité internationale, Canada, 2002.
* 21 Son but était de faire respecter les engagements contractés lors de la signature des accords de paix de Paris du 23 octobre 19911 et sa fonction prit officiellement fin le 24 septembre 1993, lorsque la nouvelle constitution fut adoptée par le parlement cambodgien.
* 22 Qui a dû démissionner suite à ces émeutes.
* 23 Hors Australie et Nouvelle-Zélande.
* 24 Soit le plus haut degré de l'échelle de Saffir-Simpson, échelle de classification de l'intensité des cyclones tropicaux. Elle est graduée en cinq niveaux d'intensité, correspondant à des intervalles de vitesses de vents normalisés.
* 25 La répartition de leurs ressources halieutiques considérée est la suivante : 60 % dans l'Océan Pacifique et 20 % dans l'Océan Indien.
* 26 Après deux ans de recherches financées par l'Union européenne.
* 27 Source : http://outremers360.com et http://institut-du-pacifique.org.
* 28 Patrick Hébrard et Valérie Niquet, « Procédure d'arbitrage et montée des tensions en mer de Chine : la nécessaire consolidation du système de normes internationales », note 13/2016 de la Fondation pour la recherche stratégique, 16 juin 2016. Les développements suivants empruntent de nombreux éléments factuels à cette contribution.
* 29 Cf. notamment Valérie Niquet, « L'APL : une force en mutation », note 2/2016 de la Fondation pour la recherche stratégique, 18 janvier 2016.
* 30 Cité par Valérie Niquet dans la note 13/2016 déjà citée de la Fondation pour la recherche stratégique.
* 31 Selon Hans M. Kristensent, « China SSBN Fleet Getting Ready - But For What ? », site de la Fédération des scientifiques américains,ý 25 avril 2014 et l'article d'Isabelle Lasserre, « La Chine construit une base secrète pour ses sous-marins », Le Figaro,ý 4 mai 2008.
* 32 Site le Figaro.fr « Pékin déploie des missiles sur une île disputée en Mer de Chine » de Patrick Saint-Paul, 18/02/2016, citant des clichés satellites diffusés par la chaîne de télévision américaine Fox News.
* 33 Cf. notamment Renaud Girard, « En mer de Chine méridionale, une guerre totale pourrait éclater », entretien donné au journal Le Figaro, publié dans l'édition du 12 août 2016.
* 34 RDN n° 796 - janvier 2017. Le sous-marin d'attaque dans la géopolitique d'Asie du Sud-Est. Vincent Thémelin.
* 35 Selon le quotidien Asahi Shimbun, cité dans « Le Japon valide un budget record en faveur de la défense » Le Monde du 22.12.2016 à 12h10, Edouard Pflimlin.