INTRODUCTION
Entre le moment où la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a décidé de travailler sur « l'Australie et la place de la France dans le Nouveau Monde », en décembre 2015 2 ( * ) , et aujourd'hui, un évènement majeur s'est produit, le 24 avril 2016, qui a changé la perspective dans laquelle s'inscrivait son travail. Il s'agit, bien sûr, de la signature du « contrat du siècle », c'est-à-dire de l'achat par l'Australie de douze sous-marins français, au terme d'une procédure d'une qualité et d'une transparence que la commission souhaite saluer.
Contrat de 34 milliards d'euros, ce qui représente 50 milliards de dollars australiens, ce véritable succès donnait toute sa pertinence à la démarche de la commission, tant il est évident que le choix d'une entreprise française par l'Australie pour moderniser sa flotte sous-marine s'inscrit dans la perspective d'une relation stratégique étroite et suivie d'une bonne cinquantaine d'années.
La conclusion de ce partenariat exclusif est-elle surprenante ? Certains ont pu le penser au prime abord compte tenu des relations passées entre nos deux pays et de l'éloignement.
La France paraît loin de l'Australie - 17 000 kilomètres -, mais Nouméa n'est « qu'à » 1 971 km de Sydney, quand Perth en est séparée par 3 934 km. C'est avec l'Australie que nous partageons la plus longue de nos frontières, il s'agit même d'une des plus longues frontières maritimes du monde. La France est donc riveraine de l'Australie, mais avec tout de même un décalage horaire de près de neuf heures avec Paris.
Lointaine et proche en même temps de l'Australie, la France dispose, avec ses collectivités d'outre-mer et ses zones exclusives économiques (ZEE), d'un statut de pays riverain, comme l'organisation du Sommet de l'Océanie à Paris en 2015 le prouve. La France est un pays du « nouveau monde », de cette zone indo-pacifique. L'Australie est à la fois le plus petit continent ou la plus grande île, peu peuplée au regard de l'Indonésie mais très peuplée si on la compare à la Nouvelle-Zélande. Nos perceptions varient : selon que l'on place l'Europe ou l'Australie au centre d'une carte, on ne voit pas la même chose, comme le montrent les cartes suivantes.
Quelles que soient les perceptions en oeuvre, il est un invariant : la France est un État riverain de la zone indo-pacifique, et accorde une attention toute particulière à la rive indo-pacifique de son action à laquelle prennent toute leur part la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Clipperton et la Polynésie française.
La France appartient à ce « nouveau monde » autour de l'Australie, « nouveau monde » qui constitue le noeud économique du XXIe siècle, espace de prospérité au centre des rivalités mondiales. Dans ce contexte, il faut le souligner immédiatement et avec force : il y a dans cette zone du monde une demande de France très réelle, qui peut permettre à notre pays d'accroître sa présence, son rayonnement, son efficacité dans cette zone, sous réserve d'en avoir la volonté. C'est ce que propose le présent rapport, qui identifie tous les leviers disponibles et formule des recommandations à cet effet.
La France est un acteur reconnu et attendu du « Nouveau Monde » ! Elle est, sans en être peut-être assez consciente, une puissance riveraine de la zone indopacifique, et doit s'affirmer dans les années à venir comme un partenaire stratégique à part entière de l'Australie. Elle peut devenir un acteur de tout premier plan dans cette zone. Tel est le message que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées souhaite porter, au travers du présent rapport.
I. LE « NOUVEAU MONDE » AU XXIE SIÈCLE : L'ARC INDO-PACIFIQUE AU COEUR DES PROBLÉMATIQUES ECONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES
Le Livre blanc sur la défense australienne de mai 2013 marquait à plusieurs égards un tournant dans la pensée stratégique australienne. Au coeur de cette transition se trouvait l'innovation conceptuelle « d'indo-pacifique », dont vos rapporteurs ont constaté qu'elle était parfaitement adaptée à l'analyse de la situation de cette zone, également appelée « Nouveau Monde ».
Ce concept géographique est né du constat qu'il n'était désormais plus possible de séparer les enjeux et les intérêts des deux océans. Un arc indo-pacifique émerge et relie étroitement l'océan Indien et l'océan Pacifique à travers l'Asie du Sud-Est.
Le fait de lier ainsi les océans Indien et Pacifique dans un même ensemble permet de mieux percevoir les évolutions de l'économie mondiale et de donner à la protection des voies maritimes toute son importance pour la sécurité et la prospérité de la région concernée. Ceci permet également de prendre en compte les évolutions de l'économie mondiale notamment :
- la forte croissance économique qui caractérise cette zone,
- la montée en puissance de la Chine et du sous-continent indien,
- l'importance des voies d'approvisionnement maritime de la Chine, et plus globalement du développement du commerce maritime international qui connaît entre les deux océans une zone de fragilités et de rivalités,
- et l'aspect « corridor énergétique » de la zone qui relie le Moyen-Orient au marché asiatique.
Cela permet également de mettre en rapport les ambitions des grandes puissances ayant des intérêts qui se rejoignent dans cette zone : les États-Unis, la Chine, mais aussi l'Inde et la Russie.
Cette nouvelle conception géostratégique modifie profondément la perception que l'Australie a de son environnement géographique : il ne se caractérise plus, comme ce fut longtemps le cas, par la « tyrannie de la distance », mais place au contraire l'Australie au coeur d'une scène géostratégique régionale dont l'influence mondiale grandit, au point que l'on parle couramment du XXI e siècle comme du siècle asiatique.
A. L'AUSTRALIE ET L'ARC INDO-PACIFIQUE CONSTITUENT LE NOUVEAU NOEUD ÉCONOMIQUE DU XXIE SIÈCLE
1. La puissance économique de l'Australie
En progression continue et soutenue depuis plus de 25 ans 3 ( * ) , l'économie australienne est un attribut de puissance de l'Australie : douzième puissance économique mondiale, membre du G20. La croissance australienne a été l'une des plus performantes des pays développés pendant et depuis la crise financière mondiale. L'Australie, dans sa 26 e année consécutive de croissance, connaît, depuis 1991, une croissance moyenne de 2,5 à 3 % par an. Avec un PIB par habitant et par an de 61 887 dollars australiens, l'Australie est le cinquième pays le plus riche du monde.
a) Une croissance de très long terme et de haut niveau
(1) Le « miracle » australien
La prospérité de l'économie australienne a reposé jusqu'aux années 1970 sur l'exportation de matières premières et de produits agricoles. L'industrie - dont les travailleurs bénéficiaient d'un système développé de protection sociale et de salaires élevés - était abritée par des tarifs douaniers élevés. L'économie australienne s'appuie depuis sa création sur l'extraction de ses ressources naturelles. Pays dit « chanceux » riche en ressources naturelles, l'Australie est connue pour être parmi les exportateurs de premier rang mondial de fer, de bauxite (40 % de la production mondiale), d'alumine (32 % de la production mondiale), d'aluminium (6 % production mondiale), de sables minéraux (50 % de la production mondiale), d'or (12 % de la production mondiale), de diamants (36 % de la production mondiale), ou de charbon.
L'économie australienne semble avoir échappé à la crise économique de 2008 et à la baisse du prix des matières premières. Toutefois, en 2014, et au premier semestre 2015, le ralentissement de l'activité lié à la baisse des investissements dans le secteur minier et énergétique et à la dégradation des termes de l'échange s'est poursuivi. Au deuxième trimestre 2016, l'Australie a enregistré une nouvelle progression de son PIB, représentant en glissement annuel une croissance de 3,3 %.
(2) Les facteurs explicatifs
Plusieurs facteurs expliquent ces bons résultats :
- la part du secteur industriel et minier représente un peu moins d'un tiers de l'économie australienne. La répartition des principaux secteurs d'activités dans le PIB en 2014 était le suivant : agriculture : 3,7 %, industrie : 28,9 % et services : 67,4 %,
- l'économie australienne a été gérée de façon efficace : engrangeant les excédents budgétaires et investissant dans les secteurs porteurs,
- l'essoufflement du modèle économique est perçu et accompagné par les autorités australiennes, qui cherchent des relais de croissance.
b) Une gestion efficace
L'encadré suivant présente succinctement les grandes lignes de la politique économique australienne des années 1980 aux années 2000.
Des années 80 aux années 2000 L'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne, avec laquelle l'Australie réalisait alors 40 % de son commerce 1 il y a trente ans, a alerté sur la nécessité de diversifier l'économie australienne pour lui permettre de se confronter à la concurrence internationale et de mieux intégrer une région Asie-Pacifique en pleine expansion. Dans les années 80, les gouvernements australiens ont mis en oeuvre une politique libérale dont les maîtres mots étaient déréglementation, mondialisation et flexibilité. L'Australie s'est dotée en 1982 de trois règles budgétaires limitant : - l'augmentation des impôts en pourcentage du PIB, - l'augmentation de la dépense publique en pourcentage du PIB, - et la détérioration du solde budgétaire en termes absolus et en pourcentage du PIB. L'objectif principal est de réduire le niveau d'emprunts de l'État et ce sans augmenter les prélèvements obligatoires et la pression fiscale qu'ils représentent pour les ménages et les entreprises. Les dépenses publiques doivent donc rester stables. Le solde budgétaire consolidé passe d'un déficit de 3,5 % du PIB en 1983-84 à un surplus de près de 2 % au bout de cinq ans.
La récession du début des années 1990
amène le gouvernement australien à soutenir l'économie par
la demande, avec un rapide retour de la croissance et de l'emploi dès
1993. Face à l'augmentation du niveau de dette publique et des
déficits publics, le Labor Parti australien s'engage de nouveau à
réduire les déficits : de 3,75 % du PIB en 1993-94 à
1 % en 1996-97. Dans le même temps, les travaillistes ont entrepris
un certain nombre de réformes visant à mettre fin à une
économie jusqu'alors très administrée : privatisations
d'entreprises publiques, réformes de structure dans certains secteurs
économiques, notamment le secteur bancaire, suppression de l'indexation
des salaires sur les prix, baisse des droits de douane...
Cette politique a été poursuivie par le parti libéral de 1996 à 2007. Le nouveau Premier ministre John Winston Howard a ainsi mis en oeuvre une politique de dérégulation de l'économie et du marché du travail. Il a également entrepris d'assainir les finances publiques en réduisant drastiquement les dépenses budgétaires, notamment en supprimant plusieurs milliers de postes de fonctionnaires, avec pour objectif le retour à un excédent budgétaire et le désendettement de l'État. En 1998 est promulguée la loi « charter of budget honesty act » qui marque un tournant dans la politique budgétaire australienne 2 . Cette période se caractérise également par une « révolution fiscale ». En juillet 2000, le « Goods and Service Tax » (GST) est mis en place. Cet impôt sur les biens et les services vient remplacer différents impôts antérieurs et s'accompagne d'une diminution de l'impôt sur le revenu. Cet impôt indirect, à l'image de la TVA française, constitue une taxe de 10 % sur la plupart des biens et services vendus sur le territoire, y compris donc les importations. Il est supporté par le consommateur final, ne s'applique qu'à la valeur ajoutée au produit lors des différentes étapes de la production, et est neutre pour les entreprises. Enfin en 2006, l' « Australian Government Future Fund » est inauguré. En y plaçant ses excédents budgétaires, le gouvernement doit contribuer à financer les futures retraites de ses fonctionnaires. Le fonds d'investissement est géré par l'exécutif. L'objectif est d'atteindre un financement de 140 milliards de dollars australiens en 2020. 1 Pour moins de 3 % aujourd'hui. 2 Son mécanisme de contrainte budgétaire n'indique pas de limites numériques précises mais exige que le gouvernement publie annuellement une feuille de route spécifiant les objectifs budgétaires de long terme (fiscal strategy statement) ainsi que les mesures pour les atteindre. Ceci permet de desserrer la contrainte économique en cas de crise économique, tout en fixant une stratégie de moyen terme, prévoyant l'équilibre budgétaire au cours d'un cycle économique donné. |
L'Australie semble être le pays industrialisé qui a le mieux traversé la crise. Même si son taux de croissance s'est infléchi, il a crû de 16 % entre 2007 et 2013, la moyenne de l'OCDE étant nulle. Conformément au « Charter of budget honesty act », un plan de stimulation a été décidé rapidement. Dès 2009, face aux premiers déficits budgétaires fédéraux enregistrés depuis les années 1990, le gouvernement central se dote d'une nouvelle règle budgétaire limitant la croissance réelle des dépenses publiques à 2 %. Cette restriction doit être maintenue jusqu'à ce que le solde budgétaire soit au moins de 1 % du PIB.
L'Australie a donc abordé la crise de 2008 en stimulant vigoureusement son économie sur le plan budgétaire. Elle a bénéficié de l'explosion de la demande minière et de la demande chinoise jusqu'en 2012. Lorsque le boom minier a cessé (cf. infra) et que le prix des matières premières a commencé à décliner, entraînant d'autres États dans la récession, tels que le Brésil ou l'Afrique du Sud, le haut niveau des investissements dans les mines a permis d'accroître la production en Australie. Dans le même temps, Canberra a laissé le dollar australien se déprécier, rendant ses exportations vers la Chine, notamment de produits agricoles, attractives. Enfin, l'éducation et le tourisme représentent 14 % de la valeur des exportations australiennes. Les diplômés de l'université peuvent travailler en Australie jusqu'à quatre années, et certains restent dans le pays plus longtemps, lui offrant une population active, relativement jeune, bien formée et multiculturelle. Ces travailleurs étrangers stimulent, par leur présence, le secteur de la construction qui dope l'économie australienne.
c) Une économie ouverte aux investissements étrangers et intégrée dans sa zone géographique
Ces politiques économiques ont donné des résultats exceptionnels : le taux de chômage est faible avec 5,8 % de la population active. La dette de l'État fédéral est limitée à 9,6 % du PIB, l'une des plus faibles des pays industrialisés (15,6 % du PIB en 2014 si l'on tient compte de l'endettement des États de la fédération), et l'objectif de ciblage d'inflation arrêté par la banque centrale australienne, soit 2 à 3 %par an, est respecté.
(1) De forts investissements étrangers
La forte croissance que connaît l'économie australienne, la modernisation du marché du travail, une volonté d'insertion dans le monde asiatique et, plus largement, dans l'économie mondiale, ainsi qu'un manque d'épargne nationale sont autant d'éléments favorables au développement des investissements directs étrangers en Australie.
L'Australie est donc, depuis ces vingt dernières années, un des pays de l'OCDE les plus attractifs pour les investissements étrangers qui contribuent pour 36 % 4 ( * ) au PIB australien, pour une moyenne au sein de l'OCDE de 23 %. Les investissements directs étrangers (IDE) s'y élevaient en 2014 à 564 milliards de dollars américains, soit environ 2,3 % des stocks mondiaux.
Les États membres de l'UE représentent le premier investisseur étranger, avec 36 % des IDE, devant les États-Unis (27,2 %) et le Royaume-Uni (17,4 %) 5 ( * ) .
Le système financier australien est qualifié de « solide, résilient et bien géré » par le FMI. L'Australie est aujourd'hui le 2 e marché de financement de projets en Asie, le 6 e marché d'actions au monde et le 5 e marché mondial des introductions en bourse.
La forte croissance que connaît l'économie australienne, la modernisation du marché du travail, une volonté d'insertion dans le monde asiatique et, plus largement, dans l'économie mondiale, ainsi qu'un manque d'épargne nationale sont autant d'éléments favorables au développement des investissements directs étrangers en Australie.
(2) Une économie tournée vers l'Asie-pacifique
En matière de commerce international, l'insertion de l'Australie dans la région Asie-Pacifique se renforce. La croissance australienne est largement dépendante de l'expansion économique des pays asiatiques. Les exportations australiennes vers l'Asie du Sud-Est sont en constante augmentation. Une forte complémentarité s'est établie entre une Asie en pleine croissance et une Australie riche de ses réserves minières (charbon, uranium, fer, or, lignite, nickel, plomb, cuivre), énergétiques (gaz) et agricoles (viande, céréales, coton, laine). La zone Asie-Pacifique absorbe ainsi 71 % des exportations australiennes (11,5 % à destination de l'UE, 9 % des États-Unis) et fournit 52 % des importations (contre 24 % en provenance de l'UE et 14 % des États-Unis).
d) Un modèle économique fragilisé par sa dépendance extérieure
L'économie australienne est marquée par une forte sensibilité à la demande asiatique de minerais.
(1) La forte concentration des débouchés australiens
Bien qu'elle affiche des performances économiques exceptionnelles qui donnent à l'Australie le statut singulier de « pays développé émergent », l'économie est fragilisée par sa dépendance :
- à la Chine, qui concentre près de 50 % des exportations australiennes vers l'Asie,
- à l'Asie en général, qui absorbe les deux tiers de ses exportations,
- et aux exportations du secteur minier qui ont représenté environ 70 % des exportations de biens en 2014 6 ( * ) .
L'économie australienne est axée sur l'exportation de matières premières vers l'Asie du Sud-Est. La Chine et le Japon représentent 42,3 % des échanges australiens. L'Australie est sensible aux évolutions de demandes de ses principaux partenaires car elle est assez peu diversifiée.
(2) L'impact des fluctuations des minerais
Ainsi en 2011, le minerai de fer a perdu plus de 70 % de sa valeur, ce qui a eu pour conséquence une baisse des termes de l'échange australien de plus de 30 %. Dans un phénomène classique caractérisé par les économistes comme la « maladie hollandaise », la rente minière a dégradé la part de l'industrie australienne manufacturière dans le PIB qui est passée de 9 % à 6,5 % entre 2004 et 2014.
Les exportations pour 2015, s'élevant à 316,8 milliards de dollars australiens, s'inscrivent en rupture avec la tendance haussière enregistrée depuis 2009/2010 7 ( * ) avec une diminution de 3 %. À cette diminution des exportations s'ajoute une augmentation de 4 % des importations en 2015. Le déficit commercial a atteint 33,5 milliards de dollars australiens, soit 2 % du PIB.
Toutefois, si les exportations de minerais ont enregistré une baisse en valeur sur l'année 2015 (27 % et de 20 % des exportations du minerai de fer et de charbon), les exportations agricoles ont, elles, fortement augmenté (+41 % en valeur pour le boeuf) grâce en partie à l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud et le Japon.
e) Une économie en mutation
Face à la faiblesse prolongée des cours des matières premières qui creusent la dette publique, la priorité politique du gouvernement de M. Malcolm Turnbull 8 ( * ) est de rétablir un excédent budgétaire. Dans cette perspective, le gouvernement devrait préciser sa stratégie budgétaire et proposer une réforme du cadre fiscal.
(1) La diversification des matières premières proposées à l'exportation
L'Australie est donc aujourd'hui en pleine mutation économique. La baisse des prix des matières premières extractives, principal moteur du dynamisme économique du pays par l'exportation vers l'Asie du Sud-Est et la Chine en moindre croissance, a ralenti consécutivement la croissance australienne. Pour pallier le ralentissement de la demande chinoise de minerai de fer et de charbon, l'Australie prévoit une exploitation plus intensive d'autres matières premières telles que le cuivre ou le gaz naturel liquéfié (GNL), en soutenant l'investissement privé. L'Australie projette de devenir d'ici 2020 le premier exportateur de GNL. Cette transition du modèle économique australien profiterait de la demande asiatique pour diversifier ses produits à l'exportation (services, gaz naturel...). La diversification des clients reste cependant encore faible 9 ( * ) .
(2) Des investissements en recul
La Reserve Bank of Australia (RBA), la Banque centrale australienne, pour soutenir la demande domestique et accompagner la transition économique suite au ralentissement minier, a réduit son taux directeur de 4,75 % à 2 % entre 2011 et mai 2015. La dépréciation, consécutive à cet assouplissement monétaire, de 35 % du dollar australien, par rapport au dollar américain et de 20 % par rapport à l'ensemble des monnaies partenaires, a profité aux exportations de services, d'éducation et de voyages. La politique plus accommodante de la RBA a soutenu la demande domestique, notamment la consommation des ménages et ce malgré leur haut niveau d'endettement (185 % du revenu disponible brut, 90 % de cet endettement provient de l'endettement immobilier).
Néanmoins, cette situation de taux bas n'a pas permis de stimuler l'investissement privé, et les grands projets d'investissement, tous secteurs confondus, sont en recul. Ceci amène à prévoir une diminution de 33,4 % des investissements dans le secteur minier en 2016 10 ( * ) .
Et pour la quatrième fois en 25 ans, l'Australie a connu au troisième trimestre 2016 un recul de 0,5 % de son PIB, selon l' Australian bureau of Statistics . Cette baisse s'explique par la baisse de l'investissement, un ralentissement de la consommation et un commerce extérieur toujours défavorable. Les économistes n'anticipent toutefois pas la poursuite de cette tendance. Ils tablent sur un rebond au dernier trimestre et un retour vers une tendance de croissance annuelle de 2,5 % en 2017.
(3) Le plan pour l'innovation
L'économie australienne se trouve donc fragilisée, dans une phase de transition à la recherche de nouveaux moteurs de croissance autres que les ressources naturelles. En réponse aux défis économiques nouveaux, le Premier ministre, Malcolm Turnbull place l'innovation au coeur de son action. Cette stratégie de soutien à l'innovation devrait permettre le développement d'un secteur secondaire de haute technologie qui manque actuellement à l'Australie. Le nouveau « Plan pour l'Innovation », doté d'une enveloppe de 1,1 milliard de dollars australiens, soit 777 millions d'euros sur 4 ans, présenté le 7 décembre 2015, atteste de cette volonté du gouvernement australien d'accélérer la transition vers une économie davantage portée par l'innovation.
(4) Des investissements en faveur des infrastructures
Les politiques de développement des infrastructures ont jusqu'ici été insuffisantes pour faire face à une croissance démographique importante (les études prévoient une augmentation de près de 30 % de la population d'ici 2031 pour atteindre 30,5 millions d'habitants, la majorité se concentrant comme aujourd'hui dans les principales grandes villes). Le manque d'infrastructures adaptées aux enjeux économiques et sociaux du pays est un enjeu majeur pour le gouvernement australien.
L'investissement dans les infrastructures représente aussi un levier important pour stimuler une économie qui cherche à se diversifier, comme des programmes de grands travaux ont pu le faire avec succès dans le passé. Le sujet des infrastructures et la question de leur financement fait donc l'objet d'importants débats notamment entre les gouvernements des États fédérés australiens dirigés par le parti travailliste et ceux dominés par la coalition libérale/nationale.
Dans ce domaine, nous l'avons vu notamment à Adélaïde, en Australie méridionale, la France est attendue et peut réellement gagner de nouveaux marchés.
En octobre dernier, l'Australie méridionale organisait à Paris une rencontre entre les acteurs publics et privés en faveur du renforcement des relations économiques et politiques entre nos territoires. Nous sommes déjà très présents dans le réseau des infrastructures de transport en Australie, nous pouvons encore nous y développer.
Lors de notre rencontre avec Gladys Berejiklian, Ministre des relations industrielles de Nouvelle-Galles du Sud, la confiance en nos entreprises a été affirmée vivement : elles sont vues comme très fiables, rigoureuses dans la tenue des budgets et des délais et excellentes dans la relation au client. L'absence de candidature française pour le développement d'une ligne de transport ferroviaire dans cet État a été vivement regrettée. Enfin, les PME ont toute leur place dans ces projets d'investissement public qui concernent également la construction d'hôpitaux, de routes, de prisons, par exemple. Nos régions ont un rôle réel à tenir dans le soutien aux exportations françaises et doivent soutenir nos PME.
f) Des investissements chinois en forte croissance
Enfin, ce panorama économique ne serait pas complet si la question des investissements chinois n'était pas abordée.
En octobre 2015, le gouvernement du Territoire du Nord a confié la gestion du port de Darwin à une entreprise chinoise, Landbridge. Celle-ci a obtenu un bail de 99 ans pour la gestion de ce port de l'extrême nord du pays, site hautement stratégique, porte d'entrée vers l'Asie. Cette attribution a suscité des questionnements notamment de la part de certains alliés de l'Australie. Un rapport de l'Institut australien de Politique Stratégique 11 ( * ) indiquait que Landbridge a créé des milices populaires armées pour soutenir l'armée chinoise en cas de guerre, ou d'état d'urgence, et fournit aussi des services de transport et de logistique à l'armée.
Face à l'émoi suscité par ces questions, à plusieurs reprises, d'importants investissements chinois en Australie ont été empêchés par le gouvernement. Ces exemples récents illustrent ceci :
- au nom de « l'intérêt national du pays », le gouvernement australien est intervenu vendredi 29 avril pour empêcher un consortium chinois d'acheter le plus vaste bien foncier privé du pays, la compagnie S. Kidman & Co , composée d'exploitations bovines dans la région de l'Outback dont la superficie est supérieure à celle de la Corée du Sud, soit 100 000 km 2 . Le Trésorier australien Scott Morrison a expliqué que ces terres représentaient plus de 1 pour cent de la superficie totale de l'Australie et 2 pour cent de ses terres agricoles. Il a ajouté que ce bien foncier était si énorme qu'il aurait été difficile pour des intérêts australiens de rivaliser avec le consortium chinois ;
- au nom de la « sécurité du pays », le conseil du Foreign Investment Review Board a décidé de rejeter à l'unanimité la proposition de rachat d'Ausgrid, une compagnie de distribution d'électricité détenue par l'État de Nouvelle-Galles du Sud, par deux consortiums restant en lice respectivement menés par le groupe public chinois State Grid et le groupe hongkongais CKI.
En septembre 2016, alors que nous étions en Australie, était révélé par la presse le versement de « dons » d'un homme d'affaires chinois à un député travailliste australien. Un débat s'est ouvert sur le financement des partis politiques et sur les modalités d'influence de la Chine. L'Australie, tout en ayant une démarche pragmatique au niveau économique à l'égard de la Chine, qui l'a conduit à rejoindre la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, créée par la Chine, manifeste une certaine inquiétude sur les velléités d'expansion chinoise dans le domaine économique ; les think tanks rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement en Australie en ont témoigné. Dans ce contexte, l'Australie recherche à préserver son autonomie stratégique, à laquelle la France peut contribuer.
2. Le dynamisme économique de cette zone
L'Australie, pays occidental se trouve à proximité de la zone géographique qui a connu le plus fort développement depuis 35 ans : l'Asie-Océanie.
a) La croissance économique de la Chine et son voisinage
(1) Une croissance chinoise très dynamique
Pour caractériser cette croissance marquante il est intéressant de se rappeler qu'en 1980 le PIB de la France, soit 690 milliards de dollars américains, correspondait à la somme des PIB de la Chine, de l'Inde et de tous les membres de l'ASEAN 12 ( * ) réunis. Aujourd'hui, le PIB français vaut moins d'un tiers du seul PIB chinois.
La Chine, géant démographique et économique, deuxième puissance économique mondiale, est le principal client et fournisseur de l'Australie, soit pour 2015, 28,9 % des exportations australiennes et 18,2 % des importations australiennes. La puissance économique de la Chine, caractérisée par un taux de croissance annuel du PIB de 7 % et une forte demande, a considérablement bénéficié aux exportations australiennes, particulièrement au secteur minier, comme on l'a vu.
La croissance chinoise suit un rythme impressionnant ; le PIB de la République populaire de Chine a ainsi été multiplié par 30 entre 1980 et aujourd'hui.
(2) Un rythme de croissance varié d'un pays à l'autre
Cet essor économique est relativement inégalement réparti. Les PIB des autres pays de la zone ont été multipliés en moyenne par 10, que ce soit les PIB indien, australien, sud-coréen, et celui de la plupart des pays de l'ASEAN. La croissance économique globale a permis l'essor de nouveaux acteurs régionaux sans toutefois permettre aux pays les plus pauvres d'Océanie de bénéficier de cette croissance. Enfin, les perspectives de croissance varient fortement d'un pays à l'autre. On estime que l'économie australienne devrait croître de 2 à 2,5 % en moyenne par an sur les prochaines années. La Papouasie-Nouvelle-Guinée se singularise avec une croissance prévisionnelle estimée à 15 % par an, celle de la Chine étant de 7 %.
b) La densification des échanges, nouvel enjeu géographique
Lors de leur déplacement en Australie, le groupe de travail s'est vu présenté des cartes et projections caractérisant le commerce maritime dans la zone indopacifique et présentant son évolution attendue.
(1) L'importance du commerce dans cette zone aujourd'hui
Le commerce a considérablement augmenté dans cette zone indo-pacifique depuis 20 ans, tout particulièrement le commerce intra-zone Pacifique qui représente 60 % des échanges de cette zone 13 ( * ) .
En Océanie, l'Australie représente 80 % des flux de marchandises. Comme on l'a déjà dit, ce pays est tourné vers l'Asie, principalement la Chine, le Japon et la Corée du Sud, 31 % de son commerce extérieur est absorbé par la Chine en 2016.
C'est dans cette zone que s'effectue déjà la majeure partie du commerce international, l'activité en Mer de Chine est la plus importante du monde, 18 des 30 plus grands ports de porte-conteneurs se trouvent dans cette zone.
Faisant commercer dans un même espace, Tokyo, Séoul, Shanghai, Taipei, Manille et Hong Kong, l'arc indo-pacifique est devenu le centre névralgique du commerce mondial, reliant à l'Est les États-Unis et, à l'Ouest, par le détroit de Malacca, l'Inde, le monde arabo-persique, puis après le canal de Suez, l'ensemble du marché européen. Le positionnement de l'Australie dans cette zone amenée à se développer et devenir le nouveau centre économique du monde est une chance. L'Asie du Sud, de l'Est et du Sud-Est représente déjà 55 % de la population mondiale en 2016 et devrait représenter 38 % du PIB mondial dès 2017.
En 2010, les routes maritimes principales reliaient majoritairement les trois pôles de la Triade : États-Unis, Europe et Asie de l'Est, avec d'ailleurs une plus grande activité intra Asie du Sud-est et une plus faible activité atlantique.
(2) L'explosion du commerce à l'horizon 2030
Les projections réalisées, extrapolant l'état du commerce à l'horizon 2030 montrent l'augmentation du commerce mondial, que ce commerce vienne d'Europe vers l'Asie, qu'il s'agisse du commerce entre l'Afrique et l'Asie de l'Est mais aussi et surtout du commerce indo-pacifique et du commerce intra-Pacifique.
Selon les think tanks que nous avons rencontrés, la zone indopacifique va devenir en 2030 le centre de gravité du transport maritime mondial avec une augmentation du commerce importante de l'Asie vers le monde entier caractérisé par un commerce plus marqué encore vers les pays émergents et une véritable explosion du commerce maritime intra-Asie du Sud-Est, les marchés américains et européens étant à la marge de ce dynamisme.
Cette zone indo-pacifique est considérée comme le centre névralgique de la croissance mondiale pour les prochaines décennies.
Cette zone devrait ainsi, selon les prévisions économiques, demeurer la zone la plus dynamique de la planète dans le domaine économique. Représentant déjà 30 % du PIB mondial, elle devrait concentrer 50 % du PIB mondial dès 2050. Cette zone géographique concentre des États puissants économiquement, dont deux des trois pays les plus riches du monde 14 ( * ) , lourds démographiquement et toujours en croissance.
* 2 La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a donc désigné un groupe de travail sur le thème de l'Australie et de la France dans le Pacifique et l'Océanie. Ce groupe est présidé par M. Christian Cambon et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Il se compose de M. Christian Namy et M. André Trillard. M. Robert Laufoaulu, membre de notre commission et élu de Wallis et Futuna apporte sa grande connaissance de cette zone.
* 3 L'Australie n'a plus connu de récession économique depuis un quart de siècle, à tel point que l'on parle pour la caractériser de « miracle australien ».
* 4 Contre 17 % au début des années 80.
* 5 Source : site diplomatie.fr.
* 6 Les exportations de fer comptent à elles seules pour 20,5 % de l'ensemble.
* 7 + 4,2 %/an en moyenne.
* 8 Les élections générales australiennes qui se sont tenues le 7 septembre 2013 ont vu la nette victoire de la coalition conduite par le parti libéral de M. Tony Abbott, auquel a succédé, suite à un vote interne du parti le 14 septembre 2015, M. Malcolm Turnbull. Lors du scrutin anticipé du 2 juillet 2016, le chef du gouvernement conservateur M. Malcolm Turnbull a remporté les élections avec une très courte majorité.
* 9 80 % du minerai de fer exporté est à destination de la Chine par exemple.
* 10 Déjà, les grands projets d'investissement dans la mine et le gaz ont été revus à la baisse début 2013, compte tenu de la chute du prix du minerai de fer et du charbon, de la difficulté à sécuriser les financements et de la hausse des coûts de construction en Australie.
* 11 Cité par le site http://www.radioaustralia.net.au.
* 12 Association des nations de l'Asie du Sud-Est
* 13 À titre de comparaison, le commerce intra zone s'élève à 37 % pour le commerce nord-américain, et 70 % pour le commerce intra-européen.
* 14 Les 10 pays les plus riches du monde classés en fonction de leur PIB pour 2016 exprimés en milliards de dollars, sont les suivants, selon le FMI : 1. États-Unis (18 698 milliards de dollars), 2. Chine (12 254), 3. Japon (4 171), (...) 6. France (2 488), 7. Inde (2 385).