MIEUX RÉPONDRE AUX BESOINS ET AUX ATTENTES DES COLLECTIVITÉS TERITORIALES

Vos rapporteurs ont tenté de résumer dans les trois premières parties du présent rapport l'essentiel de ce qui se déroule depuis une dizaine d'années dans l'organisation déconcentrée de l'État, la façon dont les agents le vivent, et surtout celle dont les collectivités territoriales le reçoivent. En conclusion de cet ensemble d'informations, de ressentis et de constats, les développements qui suivent rappellent les conditions d'une restauration de la qualité des interactions entre l'État et les collectivités, avant de dessiner les pistes qui permettraient de mieux y parvenir.

I. LE JUSTE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. PAS DE POLITIQUE PUBLIQUE EFFICACE DANS LES TERRITOIRES SANS L'IMPLICATION ACTIVE DES COLLECTIVITÉS

1. Obsolescence de l'État dominant

On a noté précédemment que, depuis le lancement de la réforme de l'administration territoriale de l'État, la réflexion et l'action des gouvernements successifs ont été centrées sur des objectifs déconnectés des préoccupations des collectivités territoriales. L'un des interlocuteurs de vos rapporteurs remarquait à cet égard de façon lapidaire que l'État sert d'abord l'État, c'est-à-dire les objectifs de l'État, qui ne sont pas nécessairement ceux des collectivités. De fait, on l'a aussi rappelé plus haut, les collectivités territoriales n'ont guère été associées à la gestation des réformes , si ce n'est tardivement, essentiellement à l'occasion d'un dialogue organisé pour préparer le choix de la spécialisation géographique des services de l'État en région.

Les besoins des collectivités ont donc été peu pris en compte en amont, comme si l'État demeurait l'instance surplombante du passé, les collectivités catégories de destinataires de ses politiques parmi d'autres, étant simplement informées de ses initiatives, puis associées à leur mise en oeuvre.

Vos rapporteurs ont pu constater lors des auditions auxquelles ils ont procédé que cette conception de l'État demeurait prégnante parmi ses agents. Pour nombre de ses serviteurs, l'État transfère des compétences aux collectivités tout en conservant un impérieux droit de regard sur l'ensemble et sur le détail. Cette compréhension du rôle de l'État se nourrit d'une conception de l'intérêt public trop centralisatrice pour s'articuler aisément avec le principe constitutionnel de libre administration, dont on est loin d'avoir encore tiré toutes les conséquences.

En tout état de cause, il est incontestable que la conception traditionnelle de l'État tutélaire est irrémédiablement contredite par les réalités de terrain : ses moyens financiers ont régressé, ses services sont parfois exsangues, les compétences de pointe dont il disposait se raréfient, sa trame territoriale se distend. Dans ces conditions, comment l'État déconcentré peut-il envisager de maintenir durablement une emprise transversale sur les politiques publiques mises en oeuvre localement ? Faute de moyens plus significatifs, il use de la maigre carotte financière dont il dispose désormais, ou s'appuie sur la capacité d'empêcher que lui assure une réglementation envahissante dont il possède l'exclusivité. Ces leviers sont fragiles.

Au demeurant, même s'il était possible de faire abstraction de la diminution de ses moyens financiers et humains, l'État surplombant ne pourrait plus fonctionner comme si de rien n'était. Les politiques publiques, au niveau territorial, sont de plus en plus conçues et mises en oeuvre dans un cadre partenarial associant l'État et les collectivités . Jean-Marc Rebière, préfet, président du conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État, et Jean-Pierre Weiss, ingénieur général des Ponts, relèvent dans le rapport sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État remis en avril 2013 au Premier ministre : « Les "partenariats" avec une, voire plusieurs collectivités territoriales sont beaucoup plus fréquents que les missions régaliennes exercées par l'État seul » . En dehors des domaines régaliens que sont la sécurité publique, la protection des citoyens, la gestion des crises, la prévention des risques, c'est en effet de plus en plus souvent aux collectivités territoriales que revient le soin de mettre en oeuvre les politiques publiques. Ce constat est partagé par l'ensemble des acteurs de la scène territoriale : l'État a aujourd'hui pour tâche de définir des grandes politiques dont l'application est plus ou moins territorialisée. La mise en oeuvre concrète de ces politiques est souvent déléguée aux collectivités territoriales - on parle de co-construction - ce qui résume bien la nécessité de coordonner des acteurs publics hétérogènes, plus ou moins indépendants les uns des autres, et dont les objectifs peuvent éventuellement diverger. Cette coordination appartient à l'État, désormais stratège en tant que garant ultime de l'intérêt général et de la cohésion sociale, et partenaire pour l'essentiel de l'opérationnel .

2. Insuffisances de l'État stratège et partenaire

On a esquissé, dans de nombreux développements du présent rapport, le panorama de ce qui obère l'efficacité de l'État stratège et partenaire.

La question centrale est peut-être celle de la complexité , notion qui en englobe beaucoup d'autres. Elle revêt en effet des aspects divers :

- le foisonnement et l'éloignement des services déconcentrés ;

- l'insuffisance des repères disponibles pour s'orienter dans le maquis des normes, des procédures et des interlocuteurs ;

- la faiblesse latente de l'autorité préfectorale, qui devrait résumer l'État déconcentré pour les élus locaux ;

- l'interventionnisme désordonné dans l'ensemble des politiques publiques.

Bien entendu, la complexité a des conséquences inégales selon qu'elle touche une commune démunie ou une métropole, un petit département ou une région fusionnée, ce qui appelle des solutions modulées en fonction des territoires . C'est la direction dans laquelle l'État s'engage ; là encore, avec des résultats insuffisants pour le moment : il faut donc accentuer l'effort, renforcer les méthodes, et ne pas attendre d'éventuels prochains plans de réforme pour s'y atteler : il y a urgence à lancer la chasse à la complexité.

Ces problèmes, qui tournent autour de la question du rôle de l'État dans la mise en oeuvre des projets des collectivités, sont bien entendu prioritaires. Mais on ne peut les aborder indépendamment d'une question en quelque sorte architectonique, car elle conditionne leur solution : le pilotage de la co-construction appartient-il nécessairement à l'État indépendamment de la compétence en cause, ou bien telle collectivité en charge de telle compétence doit-elle manier la baguette du chef d'orchestre ? À partir de quel moment la co-construction tourne-t-elle à l'empilement de doublons et la nécessaire « symphonie des pouvoirs » déconcentrés et décentralisés devient-elle cacophonie ?

Ainsi, la co-construction de politiques publiques est désormais la règle et elle se heurte à de sérieux obstacles qu'il est essentiel de lever afin de renforcer l'efficacité de l'action publique en ces temps de disette financière ; trente-cinq ans après le lancement de la décentralisation, il ne peut y avoir de solution qui ne réponde aux besoins des collectivités territoriales.

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