B. LE SYSTÈME ALLEMAND, SOURCE D'INSPIRATION POUR L'ÉVOLUTION DU RÉGIME FRANÇAIS D'ASSURANCE-MALADIE ?
1. En France, une moindre lisibilité du système d'assurance de base du fait du pilotage par la dépense
Il faut tout d'abord insister sur une différence fondamentale entre nos deux systèmes : là où l'Allemagne a choisi de conduire le pilotage de l'assurance maladie par l'équilibre, la France a choisi de mener un pilotage par la maîtrise de la dépense , au travers principalement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).
Tandis que le premier a des résultats immédiats mais sévères, le second a des effets plus progressifs, qui tendent à faire porter sur les générations futures le poids des soins consommés par leurs aînés. Il s'agit là évidemment d'une option à laquelle l'Allemagne s'est refusée et que la France ne devrait pas s'autoriser.
Outre ces effets budgétaires, vos rapporteurs soulignent surtout que les contraintes du système allemand permettent -même si cela donne lieu à d'importants débats- d'effectuer des choix qui, en France, n'ont jamais été explicitement faits . Ainsi en est-il du retrait de l'optique et du dentaire du panier de soins couvert par l'assurance légale allemande, ce qui n'a jamais été formalisé en France, en dépit de la part très prépondérante prise par les organismes complémentaires dans le remboursement de ces prestations.
2. Le système allemand présente plusieurs outils intéressants pour la responsabilisation de ses acteurs
a) Mieux informer les unions de professionnels de santé
Si la tentative de 1993 de création des unions régionales de médecins libéraux 5 ( * ) a semblé montrer qu'il n'est pas possible de créer ex nihilo des unions de médecins sur le modèle allemand, le rôle progressivement endossé par les URPS comme interlocutrices des agences régionales de santé (ARS) pourrait ouvrir la possibilité d'une dose de régulation de l'activité des praticiens par leurs pairs .
Dans cette perspective, le président de la sixième chambre de la Cour des comptes a par insisté sur l'importance de l'information désormais disponible sur l'activité des médecins. Ces données pourraient permettre de mettre en place des instruments de régulation correspondant effectivement aux pratiques de chacun - et donc plus acceptables que les mécanismes de sanctions collectives envisagés en 1995 par la réforme dite « Juppé ».
En Allemagne, les caisses et les unions de médecins allemands partagent ainsi l'ensemble de l'information sur les soins effectués en ville , ce qui permet une régulation fine du secteur et met chaque praticien face à ses responsabilités. Il n'y a donc pas de risque de sanctions collectives, et par nature injustifiées.
Élaborer, en collaboration avec les médecins français, des mécanismes de suivi à partir de données accessibles à tous garantirait une plus grande transparence des pratiques, et donc une meilleure implication des praticiens dans la gestion de leurs actes.
Sans doute la part du budget de l'assurance maladie désormais dévolue aux ARS pourrait-elle être mise au service du développement de tels outils, et permettre une plus grande interaction avec les URPS.
b) Vers une évolution du rôle des caisses d'assurance maladie ?
En miroir de la réorganisation des organismes d'assurance maladie en Allemagne, un mouvement de rapprochement entre les caisses d'assurance maladie est également en cours en France . En témoignent notamment l'alignement progressif des prestations servies ainsi que la centralisation de la gestion de l'affiliation, progressivement confiée à la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) au travers de la mise en oeuvre de la protection universelle maladie (Puma).
Dans ce contexte se pose la question de l'opportunité d'une responsabilisation renforcée des caisses dans la gestion de l'assurance maladie selon le modèle allemand . Celle-ci pourrait ainsi passer par l'ouverture d'une possibilité d'ajustement des taux de cotisation, ou encore par l'autorisation de conclure des contrats avec certains médecins en dehors du cadre conventionnel.
Vos rapporteurs estiment cependant qu' une telle évolution pourrait être de nature à remettre en cause la confiance qui s'instaure progressivement dans le dialogue conventionnel .
La question de la responsabilisation des caisses pose par ailleurs celle de leur gouvernance . Il ne fait pas mystère que les partenaires sociaux français ne sont plus, dans les faits, directement en charge de la gestion de l'assurance maladie : c'est désormais le directeur général, nommé par le Gouvernement, qui en est responsable. La loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) 6 ( * ) a par ailleurs consacré la fixation par l'autorité ministérielle des orientations de l'assurance maladie pour la négociation conventionnelle. Vos rapporteurs estiment qu'au stade de l'évolution ainsi engagée, il ne paraît pas réaliste de vouloir revenir en arrière.
Ces précisions étant faites, il paraîtrait cependant utile de développer les moyens d'information des organisations de médecins au niveau régional , dans l'objectif de permettre aux URPS et aux ARS de développer ensemble une meilleure connaissance des pratiques et de l'état de santé de la population, en vue d'une gestion plus fine des dépenses de médecine de ville.
Cette connaissance ne doit pas avoir uniquement pour but de mieux gérer les dépenses de médecine de ville d'un strict point de vue financier, mais aussi de mieux adapter les pratiques aux besoins de santé de la population. Il s'agirait, au total, de parvenir à une gestion commune par les financeurs et les praticiens de l'innovation au service des patients .
3. La nécessité d'un pilotage coordonné des dépenses d'assurance maladie à l'échelle européenne
Lors de leur rencontre avec les représentants du ministère de la santé allemand, vos rapporteurs ont enfin été particulièrement frappés par le manque de coopération entre nos pays sur les questions de santé .
Si des échanges sont régulièrement organisés entre les autorités de nos deux pays, il existe en effet un besoin important de coopération plus formalisée sur des questions aussi pratiques que le dialogue entre les régimes nationaux, ou plus stratégiques comme la question du prix du médicament . Il apparaît en effet certain que les régimes d'assurance maladie européens ne pourraient que tirer un bénéfice d'une négociation concertée avec les industriels du secteur.
Si les caisses allemandes ont paru demandeuses d'un tel échange, le ministère allemand de la santé semble cependant moins désireux d'ouvrir de tels travaux, en dépit des tentatives faites par notre ministre de la santé et ses services pour chercher à définir des positions communes, notamment, sur le prix des médicaments innovants. Vos rapporteurs ne peuvent que regretter cet état de fait.
* 5 Loi n°93-8 du 4 janvier 1993 relative aux relations entre les professions de santé et l'assurance maladie dite Loi Teulade.
* 6 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.