B. UNE INDUSTRIE EN PROIE À DE PROFONDES MUTATIONS

1. Un secteur industriel en recomposition
a) Un phénomène de concentration des acteurs hors de France

Le secteur pharmaceutique français se compose d' un tissu dense de PME , surplombé par quelques entreprises de taille mondiale, et à côté duquel se développe un tissu de jeunes TPE innovantes, spécialisées notamment dans les biotechnologies et les technologies médicales. Outre les laboratoires français tels que Sanofi, Pierre Fabre, Servier ou encore Ipsen, certains laboratoires étrangers sont très implantés sur le territoire, comme par exemple Novartis et GSK. Le marché français est dominé par les groupes Sanofi et Novartis, qui détenaient respectivement 7,8 % et 7 % des parts de marché en 2014.

Cette organisation est cependant remise en question, depuis plusieurs années, par un phénomène de délocalisation de la production et de la recherche hors du territoire français .

Selon les indications transmises par la direction générale des entreprises (DGE), ce mouvement ne se traduit pas, la plupart du temps, par un arrêt brutal de la production en France : le plus souvent, les laboratoires procèdent à un désengagement progressif en cédant leur exploitation, au moins pour un temps, à des sous-traitants . Ce désengagement porte notamment sur des produits anciens , dont la France est fortement productrice. Au total, l'on recense aujourd'hui davantage de ventes d'usines que d'ouvertures d'usines spécialisées dans le médicament sur le territoire français.

Le modèle de production du laboratoire Pfizer, entendu par vos rapporteurs, illustre la réalité de ce phénomène. L'entreprise ne dispose plus aujourd'hui de sites de production en propre en France, la production sur le territoire ayant été cédée à neuf façonniers - qui travaillent pour plusieurs laboratoires, et qui ne sont pas tous français. Elle ne dispose plus davantage de sites de recherche en France ; il a toutefois été indiqué que Pfizer poursuivait un effort d'investissement dans la recherche en France sous la forme de partenariats public-privé, notamment avec l'Inca, pour un montant de l'ordre de 81 millions d'euros par an.

Cette évolution s'accompagne d'un phénomène relatif de concentration des acteurs, dont le rapprochement entre Sanofi et le laboratoire américain Merck, qui a donné lieu à la co-entreprise Sanofi Pasteur-MSD dans le domaine des vaccins constitue un illustre exemple - sa disparition avant la fin de l'année 2016 a cependant été annoncée en mars dernier. En raison de la grande variété des produits, des techniques et des marchés dans le secteur, l'industrie pharmaceutique demeure cependant peu concentrée au niveau mondial 17 ( * ) .

b) L'attractivité du territoire français en question
(1) Un environnement réglementaire perçu comme complexe et imprévisible

Selon les représentants du laboratoire Pfizer, l'évolution de son modèle de production résulterait principalement d'une logique générale d'externalisation , liée à la perte des brevets sur les anciens blockbusters , plus qu'au contexte français lui-même.

Le Leem a cependant fait valoir un phénomène de perte d'attractivité de la France au regard des industriels comme des investisseurs, qui l'empêcherait de bénéficier des investissements internationaux et du mouvement de retour de l'innovation actuellement en cours.

La DGE a souligné que la concurrence entre les industriels du médicament, qui prend davantage place à l'échelle européenne qu'à l'échelle mondiale, se traduit par des choix d'implantation résultant principalement des conditions de compétitivité de chaque pays, notamment en fonction des infrastructures et du coût du travail.

Selon le Leem, la plus faible attractivité de la France résulterait :

- du caractère imprévisible de l'environnement réglementaire français , notamment s'agissant de la fiscalité du médicament : le taux K a ainsi fait l'objet d'une profonde réforme en 2014 pour devenir le taux L, tandis que le mécanisme W a été introduit sur les seuls médicaments contre le virus de l'hépatite C. Cet aspect a également été mis en avant par les représentants du laboratoire Pfizer - qui saluent par ailleurs le modèle français. Les industriels réclament, depuis plusieurs années déjà, l'inscription du taux L dans un cadre pluriannuel , qui permettrait selon eux aux professionnels de gagner de la visibilité et un pouvoir d'anticipation, tandis qu'il permettrait aux pouvoirs publics d'inciter à des réformes visant à réaliser des économies sur le médicament de manière structurelle plutôt qu'à court terme.

- de la complexité des circuits administratifs et de la longueur des délais nécessaires au développement et à la commercialisation des produits de santé, singulièrement des vaccins. Selon le rapport d'activité du Ceps pour l'année 2014, l'ensemble de la procédure d'inscription d'un médicament de ville, du passage devant la commission de transparence à la publication des textes nécessaires au journal officiel (JO), est de 80 jours pour les médicaments génériques, mais de 237 jours pour les non génériques . Selon le rapport préparatoire au CSIS précité, le délai pour la mise en place d' essais cliniques dans le domaine pharmaceutique est de 30 à 40 jours en France, contre 15 jours seulement en Belgique . Serait ainsi en particulier découragée l'innovation sur les petits marchés, ou « niches thérapeutiques », les laboratoires étant réticents à engager des démarches longues et compliquées sur des segments à l'intérêt financier faible.

S'agissant en particulier de la production des médicaments génériques, la moindre attractivité du territoire français ne s'expliquerait pas, selon les informations transmises à vos rapporteurs, par le différentiel de coût de la main-d'oeuvre, qui ne serait que de 5 à 7 centimes d'euros par rapport à une spécialité extraterritoriale.

Il serait davantage le résultat des contraintes réglementaires et juridiques perçues comme trop importantes par les entreprises - quoique des accords de façonnage aient permis de maintenir la production de plusieurs blockbusters sur le territoire français.

Il a cependant été précisé que la pression exercée sur le prix des génériques, qui rogne la profitabilité des entreprises du secteur, aboutirait à la précarisation de ce modèle.

(2) Des atouts à préserver

Pour autant, les atouts importants du modèle français pour les décisions d'investissement des entreprises du secteur ont également été soulignés par les acteurs entendus par vos rapporteurs, y compris par les représentants des laboratoires pharmaceutique.

En premier lieu, la France dispose d'un environnement scientifique et technique particulièrement attractif pour les activités de recherche : l'excellence de ses équipes médicales et de recherche en sciences de la vie, ainsi que la qualité de ses formations, sont ainsi largement reconnues.

Selon la DGE, le crédit impôt-recherche (CIR) renforcé en 2008 constitue un outil crucial pour les entreprises, de même que le crédit d'impôt innovation mis en place en 2013 pour les PME. Selon le rapport du CSIS précité, « la France est reconnue comme l'un des pays qui offrent le traitement fiscal de R&D le plus incitatif pour les entreprises ». L'industrie pharmaceutique qui, avec 3 milliards d'euros, est la 3 e branche industrielle en matière de R&D (après l'automobile et l'aérospatiale), bénéficie d'environ 10 % des crédits du CIR.

Le même rapport du CSIS place également l'engagement des pouvoirs publics en faveur de la recherche dans les sciences du vivant parmi les facteurs d'attractivité de la France.

Il rappelle ainsi que la santé et les biotechnologies sont identifiées comme l'un des six axes stratégiques du programme des investissements d'avenir (PIA), 3 milliards d'euros ayant déjà été mobilisés à ce titre.

Il renvoie par ailleurs à « un ensemble de dispositifs nationaux [...] mis en place afin de soutenir la recherche partenariale et de renforcer les transferts de technologie » : les instituts de recherche technologique (IRT), les six instituts hospitalo-universitaires (IHU), la création de l'alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et de l'alliance pour la recherche et l'innovation des industries de santé (Ariis), les conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), ou encore le lancement du fonds d'accélération des biotechnologies en santé avec une dotation de 340 millions d'euros

En matière d' innovation , le mécanisme des autorisations temporaires d'utilisation (ATU) , qui permet une diffusion rapide et sous protocole sécurisé des nouveaux médicaments, avant obtention de leur AMM, est unanimement salué.

La France dispose par ailleurs d'infrastructures industrielles de qualité et d'un savoir-faire reconnu en la matière. La France dispose en particulier de positions solides notamment dans les domaines de l'oncologie et du vaccin.

Selon les indications générales transmises par la DGE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) n'aurait cependant qu'un faible effet sur ce secteur industriel, dans la mesure où il bénéficie principalement aux bas salaires. Le salaire mensuel moyen brut était en effet de 4 408 euros en 2013 dans l'industrie pharmaceutique, tandis que le Cice concerne les salaires allant jusqu'à 2,5 Smic.

L' étendue de sa couverture maladie , pour un pays qui représente 4 % du marché mondial du médicament, ainsi que le mécanisme de la négociation conventionnelle constituent également des facteurs importants.

c) Un enjeu pour la place et l'influence françaises dans le secteur pharmaceutique

Selon les éléments transmis par la DGE, le mouvement de délocalisation pourrait s'intensifier au cours des prochaines années . En dépit du développement de plusieurs entreprises spécialisées dans les biotechnologies, comme le groupe LFB, ou du rapprochement entre Sanofi et la société Genzyme, les entreprises françaises ne semblent en effet pas avoir réellement pris le virage du médicament biologique 18 ( * ) , qui est aujourd'hui le plus porteur d'innovation et de valeur ajoutée.

Les médicaments produits en France sont en effet principalement des produits anciens, dont la marge diminue avec le temps, sous l'effet des pertes de brevets. 40 000 des emplois français du secteur pharmaceutique portent ainsi sur des médicaments chimiques d'ancienne génération ; ils seront donc potentiellement touchés de plein fouet par les baisses de prix qui continueront d'affecter l'industrie française au cours des prochaines années. La DGE a par ailleurs relevé que seulement 40 % des investissements productifs réalisés en 2013 l'avaient été sur des sites de production de médicaments biologiques.

Selon le Ceps, ce phénomène de délocalisation hors de France se traduit très concrètement par le fait que les décisions qui auparavant se prenaient en France, dans le cadre des négociations sur les prix, se prennent désormais à l'étranger - y compris pour le laboratoire Sanofi.

D'une manière plus globale, plusieurs des acteurs entendus par vos rapporteurs ont souligné la nécessité de préserver l'influence française dans ce domaine, autant par l'attractivité économique du territoire que par la sauvegarde de la place de la France dans les institutions du secteur .

Plusieurs acteurs ont ainsi insisté sur la nécessité de conserver une agence délivrant des AMM françaises , ce qui permettrait à la fois de garantir une certaine indépendance de la France par rapport à l'échelle européenne et de conserver la place stratégique du territoire au regard notamment de la conduite d'essais cliniques. Il est ainsi à noter que, si le laboratoire Gilead ne produit pas le traitement contre le virus de l'hépatite C en France, il y conduit cependant des essais cliniques.

Au niveau européen, c'est la qualité de son système de pharmacovigilance qui permet à la France de peser dans les décisions d'AMM . Mesurée par le nombre de positions de rapporteur confiées à chaque pays, la place de la France au sein des instances de décision européenne avait ainsi fortement chuté, jusqu'à la 24 e place, après le scandale du Mediator.

Il est à noter que l'influence française est toujours très forte en matière de fixation des prix : le prix facial déterminé en France constitue en effet un point de référence pour les autres pays, notamment s'agissant des vaccins.

S'agissant enfin de la production de génériques , la question de l'attractivité française se pose davantage en termes de garantie de la qualité de la production . Le maintien d'usines de génériques en France, et plus généralement en Europe, apparaît en effet comme un facteur-clé du maintien de la confiance des consommateurs, alors que la pénétration de ces médicaments a pu être limitée par quelques polémiques récurrentes.

En particulier, la question de la qualité des matières premières employées dans le processus de production avait déjà été évoquée par un rapport de l'Igas de 2012 19 ( * ) comme par un récent rapport de la commission des affaires sociales du Sénat 20 ( * ) sur les médicaments génériques : selon ce dernier, « entre 60 % et 80 % des matières premières seraient fabriquées dans des pays hors Europe, principalement en Asie (Inde et Chine), et les inspections de sites de production, peu nombreuses, mettent en évidence de graves dysfonctionnements ».

d) La gestion des pénuries et des ruptures de production, un problème récurrent

La concentration des acteurs industriels hors du territoire français, voire hors du territoire européen, accroît le risque pesant sur la continuité de la production et de l'approvisionnement en médicaments . Il s'agit là à la fois d'un enjeu de stratégie industrielle et de santé publique : cette situation pose en effet particulièrement problème lorsqu'elle concerne des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, et pour lesquels il n'existe aucune alternative thérapeutique.

En particulier, l'utilisation de matières premières provenant largement de pays situés en dehors de l'Union européenne 21 ( * ) -et ce, que la production intervienne ou non sur le sol français- constitue une vulnérabilité importante du système de production pharmaceutique. Les insuffisances en matière de qualité des produits constituent également un risque, du fait du renvoi de lots par les autorités sanitaires.

Vos rapporteurs soulignent cependant que si ce phénomène de délocalisation contribue à renforcer le risque de rupture d'approvisionnement, il ne l'explique pas à lui seul. Il semble qu'il résulte plus largement des modes de gestion de leur production retenus par les industries pharmaceutiques, qui opèrent souvent à flux tendus, pour des raisons de rentabilité économique principalement.

En tout état de cause, la conjugaison de ces deux logiques contribue à faire en sorte que le moindre imprévu survenant dans la chaîne de production et de commercialisation aboutisse à un complet déséquilibre du système, qui peut entraîner des ruptures d'approvisionnement pouvant durer plusieurs mois.

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a souligné devant vos rapporteurs que s'agissant des vaccins, pour lesquels des ruptures de stock ont été constatées à plusieurs reprises au cours des dernières années (notamment sur le BCG, le vaccin contre le méningocoque ou encore contre la coqueluche), ce sont des pans entiers de la politique vaccinale menée auprès des jeunes enfants qui peuvent ainsi se trouver remis en cause.

Afin de répondre à cet enjeu majeur, et dans la continuité de la mesure n° 27 adoptée par le CSIS du 5 juillet 2013, l'article 151 de la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) a prévu divers aménagement visant à mieux anticiper la réponse en cas de rupture d'approvisionnement des molécules les plus indispensables. Selon les informations transmises à vos rapporteurs, plusieurs textes d'application devraient par ailleurs intervenir prochainement.

D'autres ruptures de stock résultent en revanche d'une décision de politique industrielle , par laquelle les entreprises pharmaceutiques mettent fin à la commercialisation d'un produit devenu insuffisamment rentable.

À cet égard, il convient de rappeler que l'accord cadre du Ceps du 9 février 2016 prévoit des pénalités financières pour les laboratoires en cas de cessation de la commercialisation de certains produits, dès lors que cet arrêt aboutit à ce qu'un besoin thérapeutique majeur ne se trouve plus couvert. Il ne s'agit cependant pas nécessairement d'une solution durable, dans la mesure où les industriels peuvent toujours faire le choix d'acquitter cette pénalité plutôt que de relancer leur production.

Plusieurs des acteurs auditionnés par vos rapporteurs ont insisté sur la nécessité d'une revalorisation périodique du prix des médicaments les plus anciens afin d'inciter les laboratoires à poursuivre leur production. Selon les informations transmises, des hausses de prix sont effectivement opérées sur certains produits anciens afin d'éviter leur retrait du marché, comme par exemple en 2015 pour l'adrénaline injectable.

2. Un changement de stratégie dans l'innovation pharmaceutique
a) De la fin des blockbusters au retour de l'innovation

Le modèle économique dans le secteur du médicament a été longtemps fondé sur l'innovation en même temps que le développement de ce que l'on a appelé les produits « blockbusters » , susceptibles de dégager un chiffre d'affaires de plus d'un milliard de dollars par an. La fin de cette période s'est caractérisée par un faible nombre d'innovations thérapeutiques majeures, qui a conduit à une certaine stabilisation du marché du médicament en France.

Ce modèle traditionnel est cependant profondément remis en cause depuis quelques années, sous l'effet de deux facteurs.

En premier lieu, de nombreux brevets sont aujourd'hui tombés , sans que l'innovation n'ait toujours pris le relais dans tous les laboratoires pour remplacer ces médicaments princeps . Entendue par vos rapporteurs, la filiale française du groupe Pfizer 22 ( * ) a ainsi indiqué la perte de nombreux brevets sur des médicaments blockbusters , tel par exemple que le Lipitor. L'entreprise est de ce fait entrée dans une phase de décroissance .

En deuxième lieu, la période actuelle se caractérise, depuis quelques années, par un retour de l'innovation . Selon les indications fournies par le Leem, plus de 180 molécules seraient à l'heure actuelle en développement, et il est probable que plusieurs maladies qui n'ont actuellement pas de solution thérapeutique pourraient en trouver au cours des prochaines années. La HAS a cependant tempéré ces propos devant vos rapporteurs en indiquant que seulement 100 des 650 médicaments mis sur le marché en 2014 étaient réellement innovants.

En tout état de cause, ce mouvement devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Dans le champ de la chimiothérapie par exemple, des perspectives importantes sont ainsi ouvertes par le séquençage génétique des tumeurs - la France disposant d'ailleurs de ressources importantes dans ce domaine grâce à ses plateformes de génétique moléculaire.

Ce retour de l'innovation se fait selon un modèle très différent de celui qui avait prévalu dans les dernières décennies. D'une part, le développement des nouvelles molécules se fait fréquemment de manière externalisée , dans le cadre de petites start-ups ensuite rachetées par les grands laboratoires pharmaceutiques. D'autre part, la nouvelle génération de médicaments ainsi développée augmente en technologie par rapport aux précédentes, ce qui entraîne un temps de mise au point plus long - et ce qui justifierait selon les industriels leur caractère extrêmement coûteux.

Selon les éléments transmis à vos rapporteurs, on constaterait ainsi aujourd'hui une très forte segmentation du marché du médicament entre trois types de produits : des médicaments anciens à l'efficacité éprouvée, comme le paracétamol, et au prix peu élevé ; des médicaments destinés au traitement de pathologies mal soignées et pour lesquelles l'innovation est faible, comme la maladie d'Alzheimer, ce qui peut entraîner des prix élevés ; des produits très innovants, comme le Sovaldi, qui ont de ce fait un coût exorbitant.

Si cette dernière catégorie de médicaments pourra se trouver davantage exposée à la concurrence après leurs premières années d'exploitation, leur irruption soudaine sur des cohortes importantes de malades est susceptible de déstabiliser profondément le fonctionnement et le financement de notre système de santé .

Selon plusieurs des acteurs entendus, les médicaments génériques pourront quant à eux permettre de favoriser indirectement l'innovation : les économies dégagées pour la sécurité sociale peuvent en effet permettre de financer les médicaments innovants.

Les auditions conduites par vos rapporteurs ont en ce sens permis de constater que les pouvoirs publics menaient plusieurs actions envers les agissements anticoncurrentiels des laboratoires exploitant les blockbusters associés. L'Autorité de la concurrence a ainsi sanctionné Sanofi-Aventis, en 2013, à hauteur de 40,6 millions d'euros pour avoir mis en place une stratégie  de dénigrement à l'encontre des génériques de Plavix®, l'un des médicaments les plus vendus dans le monde. On peut également citer en ce sens la décision de 2014 de la Commission européenne, par laquelle celle-ci a infligé des amendes à Servier et à cinq fabricants de génériques pour avoir freiné l'entrée sur le marché de versions moins chères du Périndopril (pratique dite du « pay for delay »). D'autres pratiques encore ont été signalées à vos rapporteurs, telles que le consentement de remises aux pharmaciens de remises au-delà du niveau légal afin de saturer leurs linéaires de produits princeps .

b) Un retard français en matière d'investissement dans l'innovation
(1) Des budgets de R&D en stagnation

Selon le rapport préparatoire au CSIS précité, le système d'innovation français, évalué au travers des crédits consacrés à la R&D, est en stagnation face à des concurrents actuellement en phase de montée en puissance, et qui consacrent de ce fait des moyens considérables à la recherche.

Ce faible investissement relatif résulterait en particulier de la structure du tissu industriel innovant en France : la plupart des entreprises innovantes, notamment en matière de biotechnologies, sont des PME constituées autour d'une innovation moléculaire spécifique, dont le développement nécessite des capitaux très importants et selon un modèle d'affaires par nature risqué.

Il apparaît dès lors indispensable de développer des initiatives, notamment publiques, pour favoriser le financement de type capital-risque de ce secteur - ce que fait, partiellement et de manière insuffisante, la banque publique d'investissement (BPI).

Cette situation est d'autant plus problématique que, dans le secteur pharmaceutique, « la concurrence [...] est notamment fortement conditionnée par les enjeux de propriété intellectuelle et d'efficacité du système d'innovation ».

Avec 5 900 dossiers, les biotechnologies figuraient ainsi en 2014 au huitième rang des demandes de brevets auprès de l'office européen des brevets (OEB), en hausse de 12,1 % par rapport à l'année précédente - soit la plus forte hausse parmi les grands secteurs.

De ce point de vue, la position française apparaît cependant plus favorable qu'en termes de budgets de R&D, avec un acteur public (l'Inserm) et un acteur privé (Sanofi) présents respectivement à la 5 e place et à la 2 e place en nombre de demandes de brevets déposées auprès de l'OEB. Cette mixité des innovateurs français signe en outre « un bon fonctionnement de l'écosystème d'innovation français dans la pharmacie ».

Entendu par vos rapporteurs, le Professeur Hugues de Thé a cependant insisté sur la nécessité pour les acteurs publics de s'inscrire pleinement dans cet écosystème d'innovation . Il a cité à ce titre le cas d'un traitement contre la leucémie aiguë promyélocytaire, qui permet d'obtenir une guérison quasi systématique. Développé par des équipes de recherche publiques française et chinoise, le traitement, dont la découverte est largement due à l'effet de la chance et du hasard, associe deux molécules à bas coût, l'arsenic et l'acide rétinoïque. Un brevet a cependant été pris sur ce traitement par un laboratoire privé étranger à ce processus de découverte, de telle sorte que le traitement, dont le coût de production est très faible, est aujourd'hui facturé à hauteur de 40 000 euros à la sécurité sociale.

(2) La nécessité de promouvoir la recherche fondamentale

Selon le Professeur Hugues de Thé, les obstacles pesant sur le développement de nouvelles innovations thérapeutiques médicamenteuses - en France singulièrement, mais aussi de manière plus globale - sont aujourd'hui de plusieurs ordres.

En premier lieu, la recherche fondamentale ne serait pas suffisamment encouragée , que ce soit dans le secteur privé ou dans les laboratoires publics. Dans le secteur privé, cela résulterait de la stratégie de l'industrie pharmaceutique, qui tourne sa politique de recherche et de développement vers les secteurs les plus profitables financièrement, qui ne sont pas nécessairement les plus cruciaux pour la santé publique. Dans le secteur public, ce sont principalement les moyens alloués à ce type de recherche qui sont en cause.

Le Pr de Thé a pourtant souligné que de nombreuses révolutions thérapeutiques ont été le fait du hasard plus que d'une progression préprogrammée de recherches. Cette question de méthode se traduit dans le mode d'organisation des essais cliniques, qui ne permettraient plus de réaliser aujourd'hui les découvertes majeures qui ont révolutionné la pharmacopée dans le passé. Alors en effet que l'objectif des phases de recherche devrait être de rechercher la rupture, la conduite d'essais de grande ampleur sur des échantillons très importants vise au contraire à mettre en évidence de petits effets de manière irréfutable. La plupart des nouveaux médicaments sont ainsi conçus comme une amélioration de l'existant, et non comme un moyen de créer une rupture majeure dans le champ thérapeutique.

Il apparaît ainsi indispensable de conserver, au sein des établissements publics, une forme de recherche fondamentale libre qui ne soit ni spécifiquement ciblée, ni par trop limitée dans le temps, et la nécessité de préserver des budgets de recherche globaux à cet effet .

Il a également proposé devant vos rapporteurs de développer les cursus mixtes de médecine et de science , sur le modèle du programme créé par l'Inserm il y a une dizaine d'années.

Le développement de partenariats public-privé d'une part, et internationaux d'autre part , est bien évidemment à encourager par ailleurs. Le rapport du CSIS d'avril 2016 souligne les diverses initiatives déjà prises en matière de renforcement de la recherche partenariale : création d'Aviesan et d'Ariis, doublement par les industriels des montants de leurs partenariats entre 2009 et2012, soutien à la participation d'équipes française s à l'initiative européenne sur les médicaments innovants (IMI).

En second lieu, les travaux de recherche se trouveraient soumis à des contraintes réglementaires trop importantes , que ce soit en matière d'essais cliniques, de liens d'intérêt ou d'expérimentation animale. Selon le Pr de Thé, « l'hyperréglementation du champ de la recherche dans les pays développés sclérose le mode de recherche traditionnel dans le champ clinico-biologique ».

En matière d'expérimentation animale a notamment été regrettée l'inflation d'une réglementation devenue souvent irréaliste et inapplicable, en particulier sous l'influence de l'Union européenne.

S'agissant des essais cliniques, le dernier CSIS s'est saisi de la question en proposant, d'une part, de réduire à 45 jours les délais d'approbation, et, d'autre part, de créer une instance de concertation réunissant tous les acteurs de la recherche clinique afin d'identifier les points de blocage, sur le modèle du UK Clinical research council .


* 17 Le premier groupe mondial, Novartis, ne détient ainsi que 5,5 % du marché mondial.

* 18 Sur le changement de paradigme dans l'industrie pharmaceutique et le recul des médicaments chimiques traditionnels au profit des biotechnologies, cf. infra, p. ... .

* 19 Inspection générale des affaires sociales (Igas) : « Evaluation de la politique française des médicaments génériques », Dorothée Imbaud, Alain Morin, Sylvain Picard et François Toujas, septembre 2012.

* 20 Rapport d'information n° 864 (2012-2013) sur les médicaments génériques, fait par M. Yves Daudigny au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.

* 21 80 % des matières premières utilisées viennent de Chine ou d'Inde.

* 22 Le laboratoire Pfizer, 3 ème groupe mondial en CA, commercialise un très large portefeuille de médicaments couvrant de nombreux publics.

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