IV. LE CONTRÔLE DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ : DES PREMIERS SUCCÈS MALGRÉ UNE COMMISSION EUROPÉENNE ENCORE RÉSERVÉE
1. Rappel sur le contrôle de subsidiarité : les avis motivés
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1 er décembre 2009, le Sénat dispose de nouvelles compétences en matière de contrôle de la subsidiarité , visées à l' article 88-6 de la Constitution .
Il doit vérifier que l'Union européenne, en adoptant un projet d'acte législatif, resterait bien dans son rôle, qu'elle interviendrait à bon escient et éviterait l'excès de réglementation. À cette fin, le Sénat est désormais directement destinataire des projets d'acte législatif européens.
Le Sénat peut adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution s'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Le délai pour adopter un avis motivé est fixé par les traités à huit semaines à compter de la date à laquelle le Sénat a été saisi du texte.
Un groupe de veille sur la subsidiarité Un groupe pilote a été constitué au sein de la commission des affaires européennes afin d'effectuer un examen systématique des projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité. Le Règlement du Sénat permet, en effet, à la commission des affaires européennes d'adopter un projet d'avis motivé de sa propre initiative. Ce groupe pilote est présidé par le président de la commission des affaires européennes et comporte un représentant de chaque groupe politique. |
Le Règlement du Sénat prévoit que tout sénateur peut déposer un projet d'avis motivé. Celui-ci doit d'abord être adopté par la commission des affaires européennes . Il est ensuite soumis à l'approbation de la commission compétente au fond. Si celle-ci ne statue pas dans les délais, le texte élaboré par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté. L'avis motivé est aussitôt transmis aux institutions européennes, la Commission, le Conseil et le Parlement européen.
Conformément au protocole n° 2 des traités sur l'Union européenne et sur le fonctionnement de l'Union européenne, si un tiers des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, celle-ci doit être réexaminée par l'institution européenne concernée, qui peut décider de la maintenir, de la modifier ou de la retirer. C'est ce que l'on appelle le « carton jaune ». Ce seuil est abaissé à un quart des parlements nationaux pour les projets d'acte législatif intervenant dans le domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale .
Deux précédents en matière de « carton jaune » Les parlements nationaux ont déjà adressé deux « cartons jaunes » à la Commission européenne : - le premier concernait le paquet « Monti II », un ensemble de textes relatifs au droit de grève. Des assemblées parlementaires de douze États membres 10 ( * ) , représentant 19 voix, ont estimé que ces textes étaient contraires au principe de subsidiarité. La Commission a retiré ce paquet le 26 septembre 2012 ; - le second « carton jaune » visait la proposition de règlement créant un parquet européen. Des assemblées de dix États membres 11 ( * ) , représentant 18 voix, se sont exprimées dans le même sens. En revanche, la Commission a informé du maintien de son texte, par lettre du 13 mars 2013. |
En outre, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision entre le Parlement européen et le Conseil), si la moitié des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, la Commission européenne doit réexaminer sa proposition et décider soit de la maintenir, soit de la modifier, soit de la retirer. Si, malgré le nombre important d'avis négatifs, elle choisit de la maintenir, elle doit justifier cette décision en publiant elle-même un avis motivé indiquant les raisons pour lesquelles elle estime que cette proposition est conforme au principe de subsidiarité. De leur côté, le Parlement européen et le Conseil devront vérifier, avant d'achever la première lecture, la conformité du texte au principe de subsidiarité. Si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, ou une majorité de 55 % des membres du Conseil estime qu'il n'est pas conforme, la proposition législative est rejetée et son examen n'est pas poursuivi. C'est ce que l'on appelle le « carton orange » .
Le contrôle de subsidiarité par le Sénat peut également s'effectuer a posteriori . C'est ce que l'on appelle le « carton rouge » . Le Sénat peut ainsi demander au Gouvernement qu'il saisisse la Cour de justice de l'Union européenne d' un acte législatif européen déjà adopté , dans les deux mois suivant cette adoption, afin de faire constater qu'il ne respecte pas le principe de subsidiarité.
La procédure de décision est la même que pour les avis motivés. Toutefois, la Cour de justice peut également être saisie, sans qu'une décision du Sénat soit nécessaire, dès lors qu'au moins soixante sénateurs en font la demande.
2. Les avis motivés adoptés par le Sénat
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Sénat a adopté 18 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité, soit :
- 1 en 2011 , sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ;
- 10 en 2012 , sur l'accès aux ressources génétiques, la gestion collective des droits d'auteur et licences multiterritoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne, le contrôle technique périodique des véhicules à moteur, le paquet « Monti II » (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») , l'information du public sur les médicaments soumis à prescription médicale, la reconnaissance des qualifications professionnelles, le règlement général sur la protection des données, l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports, le développement du réseau transeuropéen de transport et le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires dans les États membres de la zone euro ;
- 4 en 2013 , sur la déclaration de TVA normalisée, les commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, la création du parquet européen (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») et le 4 e paquet ferroviaire ;
- 2 en 2014 , sur des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne et le règlement sur les nouveaux aliments ;
- 1 depuis le début de l'année 2016 12 ( * ) , sur le nouveau paquet « déchets ». Et il est fort probable que d'autres avis motivés soient adoptés cette année.
Sur chacun de ces avis motivés, la Commission européenne apporte une réponse.
À la différence de ses réponses sur les avis politiques, celles qui portent sur les avis motivés ne sont dans l'ensemble guère satisfaisantes . En effet, la Commission présente les grandes lignes du dispositif qu'elle propose, mais campe sur ses positions quant à l'appréciation portée sur le respect du principe de subsidiarité et ne répond pas vraiment aux objections du Sénat .
Ainsi, dans sa réponse sur le paquet « Monti II », elle avait indiqué avoir effectué un examen des critiques formulées par les parlements nationaux ayant invoqué le « carton jaune », mais répondu que, « à l'issue de cet examen, la Commission n'a constaté aucune violation du principe de subsidiarité » . Si elle a effectivement décidé de retirer son texte, c'est avant tout pour des raisons d'opportunité politique tenant surtout au système institutionnel communautaire : « La Commission a par ailleurs pris bonne note de l'état d'avancement des discussions sur la proposition de règlement et des avis exprimés par les principales parties prenantes, notamment par le Parlement européen et le Conseil. Dans ces circonstances, la Commission a conclu que la proposition était peu susceptible de recueillir le soutien nécessaire et a, après avoir informé les parlements nationaux et le législateur de l'UE de son intention, retiré sa proposition » .
Sur la création d'un parquet européen, la Commission indique qu' « à la suite de l'analyse des différents arguments, la Commission a conclu que sa proposition [...] était conforme au principe de subsidiarité et a décidé de maintenir la proposition », même si elle ajoute qu'elle « tiendrait dûment compte des avis motivés des parlements nationaux au cours du processus législatif » .
* 10 Belgique, Danemark, Finlande, France (Sénat), Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et République tchèque.
* 11 Chypre, France (Sénat), Hongrie, Irlande, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et République tchèque.
* 12 La faible activité législative de la nouvelle Commission européenne nommée en 2014 explique l'absence d'avis motivés adoptés en 2015.