III. UNE POLITIQUE PUBLIQUE À INSCRIRE DANS LE CADRE D'UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE BIOÉCONOMIE

La notion de bioéconomie peine à émerger en France, où le secteur de la biomasse suscite pourtant un intérêt particulier des pouvoirs publics depuis une dizaine d'année.

Au plan international, la notion de bioéconomie, de plus en plus utilisée depuis quelques années, bien que renvoyant à une réalité ancienne, tend à promouvoir une approche globale de ce secteur multiforme.

A. LE CONCEPT DE BIOÉCONOMIE

Le concept de bioéconomie a été promu, en premier lieu, par des instances internationales (Union européenne, OCDE), avant d'être l'objet de stratégies nationales.

1. Un cadre international

Le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en date de 2009, est l'un des premiers rapports publics à traiter de l'ensemble des activités économiques reposant sur les biotechnologies, en les regroupant sous le vocable de « bioéconomie ».

Par la suite, la Commission européenne a adopté cette terminologie en proposant une stratégie de bioéconomie pour l'Europe. Ce secteur figure, de fait, au nombre des priorités du programme de financement de la recherche et de l'innovation de l'Union européenne pour la période 2014-2020.

a) Les travaux précurseurs de l'OCDE

Le concept de bioéconomie est entendu par l'OCDE 17 ( * ) de manière très large, comme se référant à « un ensemble d'activités économiques liées à l'innovation, au développement, à la production et à l'utilisation de produits et de procédés biologiques ».

Ces activités relèvent tant de l'agriculture que de l'industrie et du secteur de la santé :

- dans le domaine de la production dite primaire (agriculture, sylviculture et pêche), l'usage de biotechnologies est considéré comme devant permettre d'augmenter, à un horizon très proche, les rendements et de répondre à une demande toujours croissante de ressources ;

- dans l'industrie , la part des produits chimiques d'origine biologique devrait s'accroître rapidement, tandis que le secteur des biocarburants continuera de progresser, en substituant à l'amidon de nouvelles matières premières (canne à sucre, produits ligno-cellulosiques) ;

- dans le secteur de la santé , les connaissances biotechnologiques joueront un rôle dans le développement de tous les types de traitements, au point que « la distinction entre le secteur pharmaceutique et le secteur biotechnologique ne sera plus pertinente ».

Ainsi entendue, la bioéconomie pourrait représenter 2,7 % du PIB des pays de l'OCDE en 2030.

La croissance de ce secteur est liée à l'augmentation de la population et des revenus, à celle de la demande en énergie, associée à des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et, enfin, au vieillissement de la population, qui augmente le besoin de solutions thérapeutiques.

Pour tirer le meilleur parti possible de cette évolution, l'OCDE appelle les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en place une politique spécifique ciblée pour encourager le développement de ce secteur .

b) Une priorité pour l'Union européenne

Le programme de financement de la recherche et de l'innovation de l'Union européenne pour la période 2014-2020 ( Horizon 2020 ) fait de la bioéconomie une priorité , en tant que deuxième défi sociétal .

Cinq objectifs sont assignés à ce secteur :

« 1 - Une agriculture et une foresterie durables ;

2 - Un secteur agroalimentaire durable et compétitif pour une alimentation sûre et saine ;

3 - Un potentiel des ressources vivantes aquatiques à valoriser ;

4 - Des bio-industries durables et compétitives ;

5 - Une recherche marine et maritime interdisciplinaire et intersectorielle. »

Au sens du programme Horizon 2020, l'objectif d'un développement de la bioéconomie consiste à assurer un approvisionnement suffisant en produits alimentaires et autres produits d'origine biologique qui soient sûrs, sains et de haute qualité.

Ce deuxième défi sociétal est doté de 3,8 milliards d'euros pour la période 2014-2020 , dans le cadre d'un programme Horizon 2020 dont le financement s'élève, au total, à 77 milliards d'euros.

Le financement de la bioéconomie par l'Union européenne a plus que doublé par rapport à son niveau dans le septième programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) pour la période 2007-2013.

Au montant précédemment évoqué, il faut ajouter ceux prévus au profit des biotechnologies, soit 500 millions d'euros, au titre des « technologies clefs génériques » (« key enabling technologies »), dans le cadre de la priorité à la « primauté industrielle » du même programme Horizon 2020.

Dans une communication 18 ( * ) en date du 13 février 2012, la Commission européenne précise la notion de bioéconomie , qu'elle entend comme un système économique utilisant les ressources biologiques, ainsi que les déchets comme intrants pour la fabrication de produits pour l'alimentation humaine et animale, la production industrielle et la production d'énergie.

La Commission considère que « la bioéconomie offre une possibilité unique d'aborder de façon globale des problèmes de société interdépendants comme la sécurité alimentaire, la raréfaction des ressources naturelles, la dépendance vis-à-vis des ressources fossiles et le changement climatique, tout en assurant une croissance économique durable ».

Les priorités du programme Horizon 2020 attestent la prise en compte par l'Union européenne de la bioéconomie comme l'un des défis majeurs du vingt-et-unième siècle.

2. Des stratégies nationales

De nombreux États ont adopté des stratégies nationales en faveur de la bioéconomie, en Europe (Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves) et dans le reste du monde (États-Unis d'Amérique, Canada, Russie, Chine...).

Ces stratégies ont toutefois des portées très différentes , certaines approches ayant un champ d'application très vaste (par exemple aux États-Unis, où la stratégie vise les secteurs agricole, industriel et de la santé) tandis que d'autres approches sont plus restreintes (par exemple, au Royaume-Uni où la stratégie ne concerne que les bioénergies).

Les stratégies adoptées par les États-Unis d'Amérique et par l'Allemagne seront évoquées ci-après.

La France fait figure d'absente du « club » des pays disposant à ce jour de stratégies de bioéconomie , comme en témoigne une carte établie par le Conseil allemand de bioéconomie.

ÉTATS DISPOSANT DE STRATÉGIES DE BIOÉCONOMIE EN 2014

Source : Bioökonomierat (Allemagne)

a) La stratégie des États-Unis d'Amérique

Dans un document publié le 26 avril 2012, la Maison Blanche a dévoilé un plan national de bioéconomie 19 ( * ) , témoignant de la priorité accordée par l'administration du président Barack Obama à ce secteur.

La bioéconomie y est définie comme « l'activité économique alimentée par la recherche et l'innovation dans le domaine des sciences biologiques ». Comme dans l'étude de l'OCDE, cette notion est entendue au sens large puisqu'elle regroupe des activités agricoles, industrielles et de santé : « La bioéconomie des États-Unis est partout autour de nous : de nouveaux médicaments et méthodes de diagnostic pour améliorer la santé humaine, des cultures alimentaires à plus haut rendement, des biocarburants émergents pour réduire la dépendance au pétrole, des produits chimiques intermédiaires biosourcés, pour ne citer que quelques exemples ».

En 2009, un rapport du National Research Council 20 ( * ) avait déjà souligné l'intérêt potentiel de la recherche dans le domaine de la biologie et le bénéfice qu'il y aurait à intégrer davantage les apports de la biologie à d'autres domaines scientifiques, à savoir la physique, la chimie et l'informatique.

Le plan national américain est construit autour de cinq objectifs stratégiques.

Le premier objectif est de soutenir la recherche et le développement , notamment dans des secteurs émergents de la biologie (biologie synthétique 21 ( * ) , protéomique 22 ( * ) , bio-informatique 23 ( * ) ), de la santé, de l'énergie, de l'agriculture, de l'industrie biosourcée ou encore de la dépollution.

Le deuxième objectif est de favoriser le passage des innovations « du laboratoire de recherche au marché » . À ce titre, l'achat public est mentionné comme devant contribuer à la croissance du secteur de la bioéconomie. Les États-Unis, tout comme la France, disposent d'un instrument général de « facilitation » de la recherche avec un crédit d'impôt recherche, fondé sur des principes différents (la part incrémentale en a été préservée) et de dimension relative plus modeste.

Par ailleurs, à l'inverse de la situation prévalant en France jusqu'à présent, les États-Unis ont mis en place un « Production Tax Credit » , qui favorise les investissements dans les premières unités d'industrialisation de la recherche et développement consacrées aux énergies renouvelables. Cette structuration du soutien public à l'innovation semble pouvoir produire des effets efficaces. Elle oriente une inflexion de la doctrine communautaire sur les conséquences à tirer du droit de la concurrence européen en matière de politique d'innovation.

Le troisième objectif de cette stratégie est d' adapter la réglementation pour stimuler la croissance de la bioéconomie, tout en protégeant l'environnement et la santé.

Le quatrième objectif est d' adapter l'enseignement et la formation afin de mieux répondre à la demande des employeurs de pouvoir disposer de salariés formés dans les différents domaines de la bioéconomie.

Enfin, le dernier objectif poursuivi par l'administration américaine est de développer les partenariats entre gouvernement, universités et entreprises , afin d'encourager l'innovation, en amont de sa commercialisation.

Le plan américain est donc, avant tout, une stratégie de développement de la compétitivité des entreprises américaines , afin de leur permettre de tirer le meilleur parti possible du développement du secteur des biotechnologies dont le potentiel de croissance est très élevé.

b) La stratégie allemande

En 2014 le ministère fédéral allemand de l'alimentation et de l'agriculture a publié une Stratégie nationale de bioéconomie 24 ( * ) qui porte sur le potentiel des ressources renouvelables et des procédés biotechnologiques pour l'alimentation, l'industrie et l'énergie.

Cette stratégie s'inscrit dans le cadre du « tournant énergétique » ( Energiewende ) pris par l'Allemagne en 2011, lorsqu'il a été décidé, après l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, d'abandonner rapidement la production d'électricité d'origine nucléaire, tout en maintenant des objectifs ambitieux de réduction des gaz à effet de serre, grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables.

La stratégie nationale en faveur de la bioéconomie, énoncée en 2013, vient compléter la stratégie nationale de recherche « Bioéconomie 2030 » 25 ( * ) , publiée par le ministère fédéral de l'éducation et de la recherche en 2011.

D'ores et déjà, l'Allemagne a donc publié deux plans nationaux en faveur de la bioéconomie .

La bioéconomie est ici considérée comme affectant, de façon transversale, divers autres domaines de politiques publiques : l'industrie, la politique énergétique, les politiques de l'agriculture, de la forêt et de la pêche, les politiques climatique et environnementale et, enfin, la politique de recherche et de développement.

D'après la stratégie allemande, la bioéconomie doit contribuer à sécuriser l'approvisionnement alimentaire mondial et à réduire la dépendance aux matières premières d'origine fossile. Elle doit également contribuer à l'intégrité du climat, à une utilisation durable des ressources renouvelables, tout en permettant la sauvegarde de la biodiversité et de la fertilité des sols.

Ces exigences font émerger des conflits d'objectifs , qui doivent être résolus dans un cadre de politique publique cohérent, permettant d'éviter une approche sectorielle, par trop fragmentée, des différentes problématiques.

À cette fin, un groupe de travail interministériel sur la bioéconomie est créé. Sa tâche est de favoriser les échanges d'information, de coordonner les politiques des différents départements ministériels et de renforcer les liens entre le Conseil de bioéconomie 26 ( * ) , créé en 2009, et divers autres comités mis en place par le gouvernement fédéral sur des sujets en relation avec la bioéconomie.

Les autres actions transversales prévues par la stratégie allemande de bioéconomie concernent, d'une part, l'information et le dialogue au sein de la société, et, d'autre part, la formation professionnelle et l'apprentissage.

Les domaines d'action thématiques de cette stratégie sont relatifs :

- à la production et à l'approvisionnement durable en ressources renouvelables ;

- à la réduction des délais de mise sur le marché des applications issues des produits et procédés innovants ;

- à l'optimisation de l'usage des produits issus de la biomasse : développement des usages « en cascade », recyclage, développement des bioraffineries permettant d'utiliser la biomasse comme source d'énergie et pour la production de matériaux ;

- aux conflits d'usage des sols ;

- au contexte international, qui nécessite la reconnaissance de normes susceptibles de garantir que le développement des usages de la biomasse est conforme à certains principes d'ordre social et environnemental.

Le champ d'action et les orientations de la stratégie allemande sont donc très vastes. Comme celle des États-Unis, la stratégie allemande évoque l'apport des biotechnologies à l'industrie pharmaceutique.

Elle se concentre, toutefois, plus particulièrement, sur les secteurs susceptibles d'engendrer des conflits d'usage de la ressource, qui nécessitent la mise en place d'un cadre de politique publique adapté.


* 17 « La bioéconomie à l'horizon 2030. Quel programme d'action ? », 2009, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

* 18 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « L'innovation au service d'une croissance durable : une bioéconomie pour l'Europe » (13 février 2012).

* 19 « National bioeconomy blueprint », White House, Washington, avril 2012.

* 20 « A new biology for the 21 st century », National Research Council, 2009.

* 21 Combinaison de la biologie et de l'ingénierie afin de concevoir et de synthétiser des nouveaux systèmes et fonctions biologiques, la biologie de synthèse a fait l'objet d'un rapport de l'Office parlementaire, cité en annexe à la présente étude, en date de février 2012.

* 22 Étude de l'ensemble des protéines d'une cellule.

* 23 Outils informatiques pour l'analyse des données biologiques.

* 24 « National policy strategy on bioeconomy », Federal Ministry of food and agriculture (mars 2014).

* 25 « National research strategy. Bioeconomy 2030 », Federal ministry of education and research (2011).

* 26 Mis en place en 2009, le Conseil de bioéconomie est une autorité indépendante placée auprès du gouvernement allemand, notamment du ministère fédéral de l'alimentation et de l'agriculture et du ministère fédéral de l'éducation et de la recherche.

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