C. ENCOURAGER LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE
Il importe à un organisme tel que l'Office parlementaire d' examiner attentivement les perspectives que la recherche scientifique et technologique offre au secteur de la biomasse , afin de contribuer à la détermination des moyens et orientations à assigner à cette recherche au cours des prochaines années .
Ces perspectives sont de plusieurs ordres :
- d'une part, une meilleure connaissance du bilan écologique de chaque type d'usage de la biomasse est souhaitable ;
- d'autre part, il convient de développer des usages de « deuxième » et de « troisième » générations, n'entrant pas en concurrence avec le débouché alimentaire, qui est prioritaire ;
- enfin, en complément de ses usages énergétiques, la biomasse offre des perspectives intéressantes dans le domaine de la chimie.
1. Les enjeux écologiques
Plusieurs aspects du bilan écologique des usages non alimentaires de la biomasse restent à éclaircir.
Les conséquences environnementales des biocarburants de première génération sont particulièrement sujettes à caution, et justifieraient des travaux de recherche approfondis, au niveau international, s'agissant notamment de leur bilan en termes d'émissions de gaz à effet de serre (GES).
a) Le recyclage du carbone
A priori, l'usage de bioénergies est bénéfique du point de vue des émissions de gaz à effet de serre .
Cet usage met à profit le cycle du carbone , décrit dans le schéma ci-dessous.
LE CYCLE DU CARBONE
Source : Paul Colonna (INRA)
Lecture du schéma : L'atmosphère contient 750 Gt de carbone, responsables de l'effet de serre. Ces 750 Gt sont alimentés, chaque année, par :
- Un flux provenant des organismes vivants terrestres qui, d'une part, respirent en émettant 60 Gt de carbone par an, et qui, d'autre part, grâce à la photosynthèse des plantes, absorbent 63 Gt de carbone par an (-3 Gt).
- Un flux provenant des océans, qui émettent 90 Gt et absorbent 92 Gt de carbone par an (-2 Gt).
Par conséquent, environ 5 Gt de carbone sont pompés de l'atmosphère chaque année. L'atmosphère est toutefois alimentée, par ailleurs, par deux flux de carbone d'un montant de 10 Gt , provenant :
- D'un flux de carbone fossile (+8 Gt)
- D'un flux lié au changement d'usage des sols (+2 Gt)
Le CO 2 libéré dans l'atmosphère lors de l'usage de bioénergies n'est pas considéré comme contribuant à l'effet de serre, puisque ce carbone avait été prélevé auparavant par la plante, par photosynthèse, lors de sa phase de croissance .
Comme évoqué précédemment, c'est aussi le cas pour les énergies fossiles, puisque les hydrocarbures sont issus de la biomasse mais avec des échelles de temps qui ne correspondent pas à celle du développement industriel moderne de l'humanité.
b) Les effets controversés des biocarburants de première génération
S'agissant plus particulièrement des biocarburants, leur neutralité environnementale ne vaut évidemment que si la végétation est exploitée de manière durable, sans pollution ni déforestation , et sans tenir compte de la production d'énergie nécessaire à leur fabrication .
Plusieurs phénomènes sont, en effet, susceptibles de venir remettre en cause la neutralité supposée des différents usages de la biomasse sur l'environnement, avec des effets contrastés selon les filières, en fonction de l'impact des différentes étapes agricoles et industrielles de production puis de transformation et de transport des biocarburants.
D'après une étude publiée par l'ADEME 15 ( * ) , sans tenir compte du changement d'affectation des sols (voir ci-après), l'ensemble des filières de biocarburants consommés en France présenteraient néanmoins, de fait, des bilans émissifs plus favorables que ceux des carburants fossiles .
La grande majorité des biocarburants permet de réduire de 50 % à 70 % les émissions de gaz à effet de serre. Les éthanols sous forme d'ETBE offrent les bilans les moins favorables (avec des réductions d'émissions situées entre 25 % et 50 %), tandis que la filière biodiesel permet des réductions plus conséquentes (60 % à 90 %).
Les analyses dite de cycle de vie , telles que celles précitées, ont pour objet de quantifier l'impact des différentes étapes de fabrication des biocarburants afin d'évaluer leur intérêt environnemental réel.
En effet, les cultures, leurs transports et leurs transformations sont énergivores et donc émettrices de CO 2 . Des pratiques agricoles ou forestières intensives, employant certains engrais et produits phytosanitaires, risquent de remettre en cause le bilan des bioénergies. Les engrais employés peuvent, en particulier, émettre du protoxyde d'azote, qui est un puissant gaz à effet de serre.
L'étude précitée de l'ADEME évalue les effets de l'usage de biocarburants sur les émissions, en comparaison avec l'usage de carburants fossiles, mais elle n'intègre pas les effets du point le plus controversé, qui est relatif au changement d'affectation des sols.
Dans tout sol, à l'exception de celui du désert, il existe une fraction organique (l'humus) qui se décompose très lentement. Comme l'indique le schéma ci-dessus sur le cycle du carbone, les sols contiennent, au niveau mondial, environ 1 580 Gt de carbone, soit deux fois plus que l'atmosphère . Par nature, le stock de carbone est en moyenne 1,6 fois plus élevé dans les sols à végétation permanente et sous forêt que dans les sols cultivés. Le changement d'affectation (prairie retournée, déforestation...) suscite une décomposition accélérée de ce carbone, provoquant des émissions, évaluées à environ 2 Gt par an.
Pour lutter contre l'intensification de l'effet de serre, il est indispensable de tenir compte de ce flux particulier d'émissions, tout en conservant à l'esprit que les cultures énergétiques, souvent mises en cause, ne sont que l'une des causes de la déforestation , la croissance démographique, le gaspillage ou le changement des habitudes alimentaires (vers des régimes moins carnés) en étant d'autres sources.
Le changement d'affectation des sols peut être direct ou indirect.
Le changement d'affectation des sols direct correspond à la conversion d'une surface, cultivée ou non, vers une culture qui sera destinée à la production de biocarburants (ex : forêt convertie pour la culture de biocarburants).
Le changement d'affection des sols indirect (CASI) est induit par le déplacement de cultures alimentaires vers d'autres surfaces, en raison de la concurrence avec les cultures énergétiques, qui entraînent une augmentation des besoins en surface cultivée et notamment un recul des forêts.
Les études disponibles sur les effets du changement d'affectation des sols sont nombreuses mais non consensuelles .
Les effets du changement d'affectation des sols indirect sont particulièrement mal connus. La mission sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise un approfondissement et une internationalisation des travaux sur le changement d'affectation des sols indirect afin d'aboutir, si possible, à un constat relativement consensuel sur le plan scientifique, seul à même de répondre aux controverses qui, actuellement, freinent le développement des filières de biocarburants de première génération.
La mission recommande, plus largement, l'élaboration d'indicateurs permettant d'objectiver et de partager l'information, dans le cadre d'un « observatoire de la biomasse » , afin de promouvoir, à terme, des usages hiérarchisés des ressources.
c) Autres points d'intérêt
En dehors des biocarburants, d'autres technologies faisant usage de biomasse ont des effets environnementaux discutés, tant en termes d'émissions de gaz à effet de serre qu'à d'autres égards. Ces autres impacts environnementaux peuvent aussi être quantifiés dans le cadre d'analyses de cycle de vie.
Au stade de l'étude de faisabilité, nous avons mentionné simplement quelques exemples d'impacts écologiques susceptibles de découler d'un usage croissant des bioénergies, et qui mériteraient un examen approfondi sur le plan scientifique :
- la question de leurs effets sur la biodiversité se pose, notamment en liaison avec une intensification éventuelle de l'exploitation forestière ;
- leur impact sur les ressources en eau , en termes de quantités consommées et de pollution, doit également être pris en considération ;
- leurs effets sur la fertilité du sol doivent être examinés. En effet, la valorisation systématique des déchets de cultures affecte la composition des sols, en empêchant le retour vers ceux-ci de composés organiques nécessaires à la poursuite du cycle de production.
2. Les deuxième et troisième générations de biocarburants
La mission sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise « d'accompagner le passage à la phase industrielle de production des biocarburants de deuxième génération en restant très ouvert quant au champ des possibles liés aux diverses technologies ». Cet accompagnement doit passer par une réflexion sur l'équilibre économique de ces filières, et sur les moyens d'accélérer la transition de la première vers la deuxième génération, sans remettre en cause l'intérêt des investissements déjà consentis en faveur de la première génération.
a) La deuxième génération de biocarburants
Les biocarburants de deuxième génération sont produits à partir de biomasse non alimentaire, selon plusieurs procédés faisant actuellement l'objet de recherches :
- un procédé de nature biochimique, qui produit de l' éthanol (projet Futurol en France). Cette voie consiste à transformer la cellulose, qui est un polymère de sucres (comme l'amidon) par hydrolyse, puis à transformer les sucres obtenus par fermentation en éthanol ;
- un procédé de nature thermochimique, en vue de la production de biométhane ou de biodiesel (projets BioTfuel , Syndiese , GAYA en France). Cette voie consiste à gazéifier les produits ligneux puis à transformer le gaz produit en carburant (liquide ou gazeux), grâce à l'emploi du procédé Fischer-Tropsch, découvert en 1923, qui permet de produire des hydrocarbures par catalyse à partir de monoxyde de carbone et d'hydrogène.
b) La troisième génération de biocarburants
Le démarrage de la troisième génération est lent. Il s'agit, pour le moment, d'une recherche très en amont d'un quelconque développement industriel.
- Le projet d'institut d'excellence dans les énergies décarbonées Greenstars , qui visait la mise au point de procédés de production de biocarburants et bioproduits à partir de micro-algues et qui avait été retenu dans le cadre des investissements d'avenir, n'a finalement pas vu le jour en raison du retrait des partenaires industriels .
- Ce type de production est néanmoins expérimenté en France dans le cadre du projet de bioraffinerie « Salinalgue », porté par une entreprise du groupe ENGIE. Dans ce cadre, des molécules à haute valeur ajoutée (Béta-carotène, Oméga 3...) seront également valorisées, ainsi que les protéines pour l'alimentation aquacole en substitution aux farines de poisson.
La production de produits à haute valeur ajoutée semble, pour le moment, plus adaptée à l'économie de la filière de troisième génération que celle de carburants, qui pourraient néanmoins trouver leur place en tant que coproduits. Des secteurs tels que la cosmétique pourraient bénéficier de ce type de développements.
Le développement de produits issus de la bioraffinerie ouvre, plus largement, la voie vers le développement d'une chimie biosourcée, dite aussi chimie du végétal ou chimie « verte ».
3. La chimie verte
Le développement de la chimie renouvelable, dite aussi chimie « verte », est à examiner dans le contexte du secteur de la chimie, qui est actuellement en pleine évolution.
a) Les évolutions du secteur de la chimie
Les enjeux pour le secteur de la chimie sont à replacer dans le contexte qui découle du développement important, aux États-Unis d'Amérique, de l'exploitation de gisements non conventionnels d'hydrocarbures.
La « révolution » des gaz et pétrole dits de schiste a permis d'améliorer la compétitivité des entreprises nord-américaines du secteur de la pétrochimie. Comme l'a montré un rapport de l'Institut français des relations internationales (IFRI), la baisse du prix de l'énergie est un atout considérable pour l'industrie pétrochimique des États-Unis , actuellement en plein essor. L'éthane, gaz naturel contenu dans les gisements non conventionnels, est la matière première principalement utilisée par les industriels américains pour la fabrication d'éthylène, dont le prix a chuté de 55 % entre 2008 et 2012. Contrairement aux Américains, les industriels européens utilisent principalement le naphta, issu du raffinage du pétrole. Son prix, lié à celui du pétrole, a augmenté de 19 % entre 2008 et 2012.
Cet avantage dans le domaine de la pétrochimie se répercute, en aval, sur une grande partie de l'industrie manufacturière utilisatrice de plastiques et autres produits dérivés.
Par ailleurs, l'impact des produits dérivés de la pétrochimie sur l'environnement (par exemple dans le cas des sacs plastiques) et sur la santé (par exemple, dans le cas des biberons infantiles) est de plus en plus en question, ce qui créé un contexte favorable au développement de nouvelles molécules.
Des secteurs à très haute valeur ajoutée (pharmacie, cosmétique, compléments alimentaires...) manifestent un intérêt croissant pour des produits biosourcés, issus de la chimie du végétal . Celle-ci se révèle, dans ce cas précis, plus complémentaire que concurrente de la chimie traditionnelle.
Dans ce contexte, la chimie verte représente une opportunité, pour les industriels de la chimie en Europe, de recréer à leur profit un avantage de compétitivité.
b) Un potentiel à évaluer
D'après une étude citée dans le rapport de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse, à l'horizon 2025, la trajectoire tendancielle observée pourrait conduire à ce que 10 % à 20 % du carbone utilisé par l'industrie chimique mondiale soit d'origine végétale 16 ( * ) à l'horizon 2020 .
Pour évaluer le potentiel de ce secteur, cette mission préconise le développement d'une expertise publique ou, à tout le moins indépendante, la plupart des estimations existantes provenant aujourd'hui des acteurs de la filière, qui sont directement intéressés à son développement. Une telle expertise permettrait notamment d'évaluer la pertinence des dispositifs de financement de la recherche existant tant au plan français qu'européen.
Le développement industriel de la chimie verte et des biocarburants dits avancés (de deuxième et troisième générations) est encouragé par l'État dans le cadre de l'un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle (ramenés au nombre de dix).
L'élargissement du champ des usages de la biomasse a fait naître le concept de bioéconomie, qui demeure émergent en France, alors qu'il fait depuis longtemps l'objet de stratégies publiques particulières dans d'autres pays.
LES DOUZE PRINCIPES DE LA CHIMIE VERTE 1. La prévention de la pollution à la source en évitant la production de résidus. 2. L'économie d'atomes et d'étapes qui permet de réaliser, à moindre coût, l'incorporation de fonctionnalités dans les produits recherchés tout en limitant les problèmes de séparation et de purification. 3. La conception de synthèses moins dangereuses grâce à l'utilisation de conditions douces et la préparation de produits peu ou pas toxiques pour l'homme et l'environnement. 4. La conception de produits chimiques moins toxiques avec la mise au point de molécules plus sélectives et non toxiques impliquant des progrès dans les domaines de la formulation et de la vectorisation des principes actifs et des études toxicologiques à l'échelle cellulaire et au niveau de l'organisme. 5. La recherche d'alternatives aux solvants polluants et aux auxiliaires de synthèse . 6. La limitation des dépenses énergétiques avec la mise au point de nouveaux matériaux pour le stockage de l'énergie et la recherche de nouvelles sources d'énergie à faible teneur en carbone. 7. L'utilisation de ressources renouvelables à la place des produits fossiles . Les analyses économiques montrent que les produits issus de la biomasse représentent 5 % des ventes globales de produits chimiques et pourraient atteindre 10 % à 20 % en 2010. Plus de 75 % de l'industrie chimique globale aurait alors pour origine des ressources renouvelables. 8. La réduction du nombre de dérivés en minimisant l'utilisation de groupes protecteurs ou auxiliaires. 9. L'utilisation des procédés catalytiques de préférence aux procédés stoechiométriques avec la recherche de nouveaux réactifs plus efficaces et minimisant les risques en terme de manipulation et de toxicité. La modélisation des mécanismes par les méthodes de la chimie théorique doit permettre d'identifier les systèmes les plus efficaces à mettre en oeuvre (incluant de nouveaux catalyseurs chimiques, enzymatiques et/ou microbiologiques). 10. La conception des produits en vue de leur dégradation finale dans des conditions naturelles ou forcées de manière à minimiser l'incidence sur l'environnement. 11. La mise au point des méthodologies d'analyses en temps réel pour prévenir la pollution , en contrôlant le suivi des réactions chimiques. Le maintien de la qualité de l'environnement implique une capacité à détecter et si possible à quantifier, la présence d'agents chimiques et biologiques réputés toxiques à l'état de traces (échantillonnage, traitement et séparation, détection, quantification).
12.
Le développement d'une chimie
fondamentalement plus sûre
pour prévenir les accidents,
explosions, incendies et émissions de composés dangereux.
Source: CNRS d'après Paul T. Anastas et John C. Warner, Green Chemistry: Theory and Practice, Oxford University Press, New York, 1998. |
* 15 Analyses de cycle de vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France, rapport final (février 2010), étude réalisée pour le compte de l'ADEME, du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, du ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, et de France Agrimer par BIO Intelligence Service.
* 16 Étude PIPAME (Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques) - A. T. Kearney sur les mutations économiques dans le domaine de la chimie (2010).