V. CONCLUSION

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST. - L'Office est fidèle à son principe d'auditions publiques, transparentes et contradictoires, des différents acteurs d'un domaine afin de recueillir et de transmettre des messages au niveau législatif. Nous travaillons en amont de la législation, essayons de participer à la fabrique de la loi, puis contrôlons, en aval, les autorités et agences dépositaires de pouvoirs régaliens.

Je félicite le sénateur Roland Courteau pour cette audition dont il a eu l'initiative. Nous avons mené beaucoup d'auditions sur l'énergie et produit des rapports importants : celui des députés Claude Birraux et Christian Bataille sur la stratégie nationale de recherche en énergie, celui du député Denis Baupin et du sénateur Fabienne Keller sur les nouvelles mobilités. Le premier rapport de l'Assemblée nationale sur les énergies renouvelables, en 2001, vient également de l'Office - je l'avais cosigné avec M. Claude Birraux). Or ce rapport appelait de ses voeux un plan « Terre Énergie ». Dans le premier rapport sur l'effet de serre que j'ai cosigné, lorsque je présidais la mission d'information sur le sujet, il y a une dizaine d'années, j'indiquais que, sur les 38 000 gigatonnes de carbone stockées dans les océans, celles rejetées dans l'atmosphère du fait des activités humaines pouvaient être compensées à l'aide de la biomasse et des sols.

L'approche choisie pour cette audition est pertinente car la biomasse constitue une source évidente d'énergies renouvelables. Son utilisation soulève de vraies questions : la collecte, le transport, l'énergie utilisée pour la conversion et le raffinage, les rejets liés à l'utilisation d'intrants, le convoyage des produits énergétiques jusqu'à leur injection dans le réseau. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur le sujet qui constitue l'un des points importants du rapport de la Commission de l'Innovation 2025, et sera discuté au Conseil stratégique de la Recherche.

Cette approche du développement durable sous l'angle de la bioéconomie est indispensable pour vérifier que trois principes de l'équilibre d'une production sont respectés :

- l'équilibre énergétique, pour produire plus d'énergie qu'on n'en consomme ;

- l'équilibre climatique, pour produire moins de gaz à effet de serre que la biomasse n'en élimine sur son site de renouvellement ;

- l'équilibre économique, l'activité devant être viable à terme, indépendamment des subventions initiales. Les aides fiscales ou prix administrés de rachat sont nécessaires pour soutenir la phase d'innovation mais les mécanismes de marché doivent être de mise dans la phase industrielle.

Je l'ai dit à propos du projet Futurol : l'État a largement financé la recherche fondamentale puis la recherche et développement ; si l'industrialisation se fait à Singapour, il sera perdant.

Toutes ces analyses se déclinent de façon spécifique pour chacun des schémas d'utilisation de la biomasse, qui se trouvent à des stades de maturité différents. Ainsi, la méthanisation par confinement dans un bioréacteur consomme peu d'énergie additionnelle mais impose de gérer les fuites de méthane ; à l'inverse, les biocarburants de première génération nécessitent un apport d'énergie important pour la transformation, moins important quand on utilise la canne à sucre. J'ai toujours été favorable à la biomasse de première génération car elle a permis de préparer les suivantes. Les carburants de deuxième génération, obtenus par voie thermolytique ou enzymatique, utilisent des colonnes de distillation qui relèvent, pour les émissions de CO 2 , de la problématique des équipements industriels lourds. Enfin, les carburants de troisième génération, qui seront obtenus à partir de micro-algues, font l'objet de diverses recherches, notamment pour accroître la croissance de l'algue par une meilleure exposition.

Des conflits d'intérêts entre les diverses utilisations de la biomasse se présenteront forcément et il importe d'y réfléchir.

Les projets préindustriels sont indispensables pour configurer les dispositifs techniques mais il faut désormais réfléchir à la stratégie industrielle. Il s'agit de mettre en évidence les avantages comparatifs qui permettront de trouver une fenêtre de viabilité rendant ces projets ambitieux et compétitifs face à une concurrence internationale pressante.

La bioéconomie n'est donc pas une discipline académique. Elle doit constituer un instrument d'appui à l'innovation, pour mieux cibler les efforts d'investissement et renforcer la compétitivité de notre pays ainsi que sa capacité à créer des emplois.

Je partage totalement ce qui a été dit sur les phases d'industrialisation manquées alors que nous étions en tête au niveau de la recherche puis du développement.

Au nom de l'Office, je remercie à nouveau le sénateur Roland Courteau, et je vous remercie car vous aidez le Parlement à définir sa stratégie.

M. Roland Courteau , sénateur, rapporteur. - Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, vous nous avez beaucoup apporté sur ce sujet que nous considérons comme majeur. Nous disposons désormais d'une matière très riche pour produire notre rapport. Je remercie tous les participants à cette audition publique, en particulier les intervenants, qui, à partir de points de vue divers, ont apporté, chacun, un éclairage singulier et utile à la mission de l'OPECST.

Le chantier reste considérable mais les initiatives conduites par les différentes filières, les contraintes auxquelles elles se heurtent, les efforts qu'elles produisent nous donnent beaucoup d'informations sur les points de complexité qu'il nous faudra dépasser.

Les processus en cours visant à élaborer une stratégie de la bioéconomie s'inscrivent dans le contexte que nous avons abordé au cours de la première table ronde de développement spontané mais aussi d'hésitations face à des préférences collectives encore insuffisamment stabilisées.

J'espère que cette audition publique conduira à une action publique plus sûre d'elle-même s'appuyant sur une connaissance actualisée des attentes des parties intéressées.

Ce qui différencie aujourd'hui la stratégie pour la biomasse, c'est l'ampleur des mobilisations alternatives envisagées. Un consensus existe, me semble-t-il, sur les tensions que peut produire l'exploitation de la biomasse mais aussi sur les outils permettant de tracer la ligne directrice d'une nécessaire régulation. Il nous faut rapidement conduire des évaluations complexes en cycles de vie mais aussi intégrer les dimensions socio-économiques sans lesquelles nous risquons des accidents industriels.

Comme souvent, j'ai la certitude que les agriculteurs français sauront relever un défi qui présente également pour eux de très grandes opportunités. Il appartient aux pouvoirs publics de leur offrir un modèle viable et stable - et le plus écologiquement soutenable sera le meilleur. Il faudra en assurer toute la cohérence, un point que la politique agricole commune devra mieux prendre en compte.

Nous devons également offrir des perspectives aux industriels même si les conditions actuelles ne sont pas des plus favorables. Il ne faut pas négliger les opportunités que leur offrent des stratégies de différenciation et d'anticipation. L'histoire montre que, même face à des risques surgissant avec force, rien n'est irréversible pour peu que la diplomatie écologique joue son rôle.

Nous devons donc nous situer dans une perspective de progrès, laquelle doit faire l'objet d'une reconquête politique. À cet égard, nous devons valoriser la recherche et le développement sur le territoire national. Je ne méconnais pas l'ampleur des questions que pose cette ambition.

Je crois qu'il est temps, maintenant, de démontrer par l'action ce que doit être l'utilisation prioritaire de la biomasse.

Je vous remercie.

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