VI. DOCUMENTS ILLUSTRANT LES INTERVENTIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE
Diapositives illustrant la présentation de M. Christophe Rupp-Dahlem, président de l'Association de la Chimie du Végétal (ADCV)
Diapositives illustrant la présentation de Mme Sabrina Fuseliez, responsable du département bioénergies du
Syndicat des énergies renouvelables
Diapositives illustrant la présentation de
M. Jean-Luc Duplan, expert biomasse pour l'énergie et la chimie, IFP Énergies nouvelles
Diapositives illustrant la présentation de M. Hermann Höfte, directeur adjoint de l'unité « Institut Jean-Pierre Bourgin », unité mixte de recherche INRA/AgroParisTech/CNRS, centre INRA de Versailles-Grignon, INRA
Diapositives illustrant la présentation de M. Daniel Perron, directeur de la prospective, Office national des forêts (ONF)
Diapositives illustrant la présentation de Mme Jertta de Mazières, conseillère agricole, ambassade de Finlande et délégation permanente de la Finlande auprès de l'OCDE
Diapositives illustrant la présentation de M. Claude Roy, président du club des bioéconomistes, membre du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux
Diapositives illustrant la présentation de M. Hubert Boizard, directeur de recherches, unité de recherches INRA « Agroressources et impacts environnementaux (AgroImpact), centre INRA de Lille
Diapositives illustrant la présentation de M. Jean-Christophe Pouet, chef du service bioressources, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), direction productions et énergies durables
Diapositives illustrant la présentation de M. Pierre Angot, sous-directeur de la chimie des matériaux et des éco-industries, ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, direction générale des entreprises
VII. SYNTHÈSE DE L'AUDITION PUBLIQUE
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a étudié, à de nombreuses reprises, les conditions d'une mobilisation plus forte de la biomasse aux fins de couvrir des besoins plus diversifiés que ceux de l'alimentation humaine.
La liste, ci-dessous, des rapports consacrés à ce thème illustre ainsi tant l'importance accordée par l'OPECST à cette thématique que la variété des questions qu'elle conduit à envisager :
- « Construire une société nouvelle, améliorer notre compétitivité grâce à la recherche environnementale » (n° 2626 AN et n° 333 Sénat du 11 mars 2015) de M. Jean-Yves Le Déaut et Mme Anne-Yvonne Le Dain, députés, et M. Bruno Sido, sénateur ;
- « Les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc » (n° 2113 AN et n° 709 Sénat du 9 juillet 2014) de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Marcel Deneux, sénateur ;
- « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » (n° 1713 AN et n° 293 Sénat du 16 janvier 2014) de M. Denis Baupin, député et Mme Fabienne Keller, sénateur ;
- « La transition énergétique à l'aune de l'innovation et de la décentralisation » (n° 1352 AN et n° 838 Sénat du 11 septembre 2013) de M. Bruno Sido, sénateur, et de M. Jean-Yves Le Déaut, député ;
- « Les enjeux de la biologie de synthèse » (n° 4354 AN et n° 378 Sénat du 15 février 2012) de Mme Geneviève Fioraso, député ;
- « La définition et les implications du concept de voiture propre » (n° 2757 AN et n° 125 Sénat du 13 décembre 2005) de M. Christian Cabal et M. Claude Gatignol, députés ;
- « La place des biotechnologies en France et en Europe » (n° 2046 AN et n° 158 Sénat du 26 janvier 2005) de M. Jean-Yves Le Déaut, député ;
- « Les conséquences des modes d'appropriation du vivant » (n° 1487 AN et n° 235 Sénat du 3 mars 2004) de M. Alain Claeys, député ;
- « Les perspectives de développement des productions agricoles à usage non alimentaire » (n° 3345 AN et n° 223 Sénat du 19 février 1997) de M. Robert Galley, député.
Par ailleurs, tout récemment, dans le cadre de sa présidence de l' European Parliamentary Technology Assessment ( EPTA) , et célébrant le trentième anniversaire du premier rapport de l'OPECST, une audition publique a été consacrée toute la journée du 24 septembre 2015, à la question de la contribution de l'innovation à la résolution des problèmes liés aux changements climatiques. Parmi les nombreuses questions abordées, nombre d'entre elles ont porté, de près ou de loin, sur la biomasse et son exploitation vues comme solutions aux défis climatiques.
Par-là, l'Office a été un explorateur attentif et précurseur d'un mouvement qui, au-delà des enjeux directs d'une meilleure mobilisation de la biomasse, doit, selon de nombreuses approches désormais bien explorées de par le monde, contribuer à la naissance d'un mode de développement plus global : la bioéconomie.
L'audition publique tenue au Sénat le 25 juin 2015 a été l'occasion de réunir et de permettre l'expression des expériences et des points de vue des parties prenantes à cette avancée. La France a décidé de la préparer avec l'adoption de la loi sur la transition énergétique pour une croissance verte d'août 2015 en prévoyant, à l'initiative du Sénat, l'élaboration parallèle d'une stratégie pour la biomasse s'inscrivant dans la perspective de la bioéconomie.
Quelques grandes conclusions peuvent être tirées de cette audition publique :
• la biomasse présente des potentiels très diversifiés qui permettent d'envisager sa contribution à une série d'objectifs particulièrement sensibles dans de très nombreux domaines (environnement, économie, social, géopolitique...) ;
• pour que la mobilisation de la biomasse soit efficace et qu'elle s'inscrive pleinement dans les principes de la bioéconomie, des conditions doivent être réunies et supposent une intervention publique. Des réponses devront être apportées aux questions résultant d'une série de problématiques après certains compléments d'analyse et dans le cadre d'une grande concertation.
1. L'audition publique a dégagé un large consensus sur de très fortes justifications au développement de l'exploitation de la biomasse à des fins non alimentaires
La biomasse a d'abord pour elle l'avantage majeur d'être une ressource renouvelable . Dans un contexte où l'exploitation des matières premières fossiles n'a plus qu'une durée de vie limitée - entre quarante et cinquante années selon les estimations - la disponibilité de ressources théoriquement reproductibles sans fin et pouvant offrir la matière première de produits substituables à ceux de l'économie fossile confère une valeur essentielle à la biomasse. Elle mérite, par conséquent, d'être au centre de la transition énergétique mais aussi de la transition vers la construction d'une économie au-delà du pétrole.
La croissance économique future, son rythme et sa pérennité, dépendent directement de l'accès à des ressources renouvelables.
À cet égard, la diversité de filières exploitant aujourd'hui la biomasse confirme ses différents potentiels.
La mobilisation énergétique est, de loin, primordiale mais l'utilisation de la biomasse concerne neuf types de filières différentes , parmi lesquelles celles des matériaux ou des produits chimiques avec une chimie verte s'élevant à 10 % de l'ensemble de la branche. La prégnance des matériaux biosourcés est, d'ores et déjà, élevée dans les emballages mais aussi dans le bâtiment (ouate de cellulose et isolants) ou dans les transports (roues, matériaux composites pour véhicules...). Par conséquent, la perspective d'un renforcement du rôle de la biomasse s'étend à un horizon plus large que celui de l'énergie.
Pour la chimie, l'objectif pour 2020 est de doubler l'utilisation de matières premières issues de la biomasse. La France dispose d'une industrie chimique puissante, la deuxième en Europe, ce qui, compte tenu de l'importance de cette branche dans l'économie de la biomasse, doit être pleinement pris en compte.
Quant à l'énergie, des études présentées lors de l'audition estiment crédible que la totalité des besoins énergétiques de l'humanité puissent être couverts par la biomasse avant l'année 2050 même dans un scénario d'augmentation des besoins énergétiques à 23 Gtep.
La contribution de la biomasse à la résorption des risques associés aux changements climatiques n'a pas manqué d'être mentionnée. Elle revêt plusieurs dimensions, selon que l'énergie issue de la biomasse dégage moins de gaz à effet de serre (GES) lors de son utilisation ou encore que l'ensemble de l'économie de la biomasse recèle une capacité d'absorption du CO 2 permettant de limiter l'ampleur des émissions atmosphériques de gaz à effet de serre.
De plus, au « renouvelable » s'ajoute le « recyclable » , c'est à dire l'instauration d'un cercle d'utilisation-stockage du carbone.
La France est dotée de ressources agricoles et forestières considérables et d'une tradition agronomique et sylvicole particulièrement précieuse, atouts soulignés par tous les intervenants.
Enfin, la France possède une infrastructure de recherche et développement diversifiée couvrant les matières premières, comme illustré par les présentations de l'INRA, mais aussi toutes les étapes de raffinage et de production de bioproduits . En ce sens, le projet Futurol de déconstruction de la cellulose sur base enzymatique est emblématique d'une recherche axée sur les biocarburants de deuxième génération.
D'autres champs de recherche visant à obtenir des nouveaux produits substituables aux grands intermédiaires pétrochimiques ont également été cités (projet BioTfuel ou procédé Atol dans l'énergie, fabrication de butadiène biosourcé pour l'industrie de l'équipement automobile...). Tous ambitionnent de substituer du carbone végétal au carbone fossile. Plusieurs atouts faciliteraient cette évolution : l'existence de pôles de compétitivité très dynamiques, comme le pôle Industries et Agro-ressources (IAR) en Champagne, une recherche coopérative soutenue et de grands établissements de recherche susceptibles de fournir une base industrielle diversifiée dans les secteurs d'intérêt pour la biomasse.
Aux retombées environnementales positives produites par l'exploitation de la biomasse s'ajoutent des effets économiques favorables avec la substitution d'une ressource domestique à des importations, une production énergétique plus riche en emplois et, du fait d'une indépendance énergétique accrue, l'instauration d'un cadre macroéconomique plus stable et moins soumis aux chocs pétroliers chroniques que depuis les années 1970.
2. En dépit de solides atouts, toute stratégie visant à diversifier les utilisations de la biomasse doit surmonter nombre de problèmes
a) Les tensions sur la biomasse dépendront étroitement de l'atteinte des objectifs de sobriété énergétique
Même si la chimie du végétal offre des perspectives dynamiques, l'augmentation du volume des productions biosourcées, dans un avenir prévisible, et, par conséquent, les tensions sur la ressource, sont plus étroitement liées à la demande énergétique.
Or, de ce point de vue, il existe une réelle marge d'incertitude liée aux conditions dans lesquelles la contribution programmée de la biomasse aux nouveaux équilibres énergétiques devra intervenir.
Le bouquet énergétique posé comme objectif dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi n° 2015-992 du 17 août 2015) suppose une forte mobilisation de la biomasse par rapport à la trajectoire tendancielle .
La part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie devra nettement augmenter pour atteindre 23 % en 2020 et 32 % en 2030 selon une déclinaison différenciée par segment : 40 % pour la production d'électricité, 38 % pour la consommation finale de chaleur, 15 % pour la consommation finale de carburant et 10 % pour la consommation finale de gaz.
À l'horizon de 2030, il s'agit d'aller au-delà du doublement de la part des énergies renouvelables, qui est actuellement de l'ordre de 14 %. Déjà l'objectif pour 2020 suppose un changement de trajectoire puisque les projections tendancielles établissent que la contribution des énergies renouvelables ne serait que de 17 % et non de 23 % à cette échéance.
La biomasse représente actuellement près des deux tiers des énergies renouvelables (le bois représentant 45 % de ces énergies) ; sa contribution au renforcement de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique devrait atteindre la moitié du supplément escompté.
Pour certains segments énergétiques, en particulier la fourniture de chaleur et de gaz, les objectifs visés représentent des efforts particulièrement conséquents. Il en va de même pour les carburants.
Ces objectifs doivent toutefois s'inscrire dans un contexte de réduction très forte de la consommation finale d'énergie. Même si le calendrier détaillé de la réduction de la consommation finale d'énergie n'est pas encore connu, deux grandes étapes le sont : 2030, avec l'objectif d'un recul de la consommation de 20 % par rapport à 2012 ; 2050, où cet objectif atteint 50 %.
La consommation énergétique finale s'élevait, en 2012, à 166,3 Mtep. Les engagements de diminution de la consommation énergétique finale ramèneraient celle-ci à environ 83,2 Mtep en 2050 dont 26,6 Mtep provenant d'énergies renouvelables (à comparer avec 37 Mtep provenant de renouvelables en 2020) dans l'hypothèse d'un maintien de la part prise par les énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie de 2030 à 2050.
Compte tenu de ces données d'ensemble, il apparaît que, même si la biomasse énergie devait être davantage sollicitée, elle le serait dans des proportions compatibles avec l'état théorique de la ressource en France.
Dans ce contexte, il importe de souligner l'existence du consensus général, exprimé lors de l'audition publique, sur la nécessité de mieux convertir le potentiel de ressources en une réalité productive pour atteindre certains objectifs sectoriels de moyen terme.
Cet impératif a été particulièrement illustré par la situation de la forêt française dont l'amélioration de la gestion est particulièrement nécessaire pour relever au mieux le défi de la substitution des produits fossiles par la biomasse.
Enfin, comme la sobriété énergétique demande des efforts d'investissements très conséquents, il ne faudrait pas écarter, si la consommation énergétique ne se réduisait pas autant que prévu, une tension plus forte sur la biomasse, à objectif inchangé d'accroissement de la part des énergies renouvelables dans la demande d'énergie.
Tous les intervenants ont rappelé que le renforcement du rôle énergétique de la biomasse et la sobriété énergétique vont de pair.
b) La création d'un cadre économique propre au développement de la biomasse
(1) Surmonter l'obstacle de la compétitivité-coût des produits biosourcés
La viabilité de l'économie biosourcée repose sur des logiques économiques qui n'apparaissent pas stabilisées.
Les coûts de mobilisation de la biomasse dans le domaine énergétique varient selon les estimations entre 53 euros par mégawattheure, pour certains usages, à près de 260 euros pour d'autres. L'électricité nucléaire implique des coûts controversés mais qu'on situe autour de 50 euros. Pour les centrales thermiques, l'estimation oscille entre 70 euros et 100 euros. En bref, en l'état des marchés, et alors que l'ensemble des coûts n'a probablement pas été pris en considération, la biomasse est peu compétitive .
L'écart de prix avec les autres énergies tient à plusieurs facteurs qui gagneraient à être mieux cernés. Parmi ceux-ci, les prix relatifs des matières premières exercent une forte influence dans un monde où le prix du carbone non végétal n'intègre sans doute pas toutes les externalités. De plus, ses perspectives sont très incertaines en raison de la révolution énergétique en cours. Incidemment, on ne tient peut-être pas assez compte des effets que pourrait exercer la transition énergétique elle-même sur le prix du carbone fossile. En particulier, le scénario de croissance sobre de la transition énergétique française, à supposer qu'il soit suivi par un nombre appréciable de pays, pourrait s'accompagner d'un prix des énergies fossiles durablement bas, et donc difficilement compatible avec le calendrier de la durabilité énergétique.
En raison de la situation actuelle, seule une politique volontariste durable pourrait permettre de maintenir et développer la bioénergie.
En toute hypothèse, comme les intervenants de l'audition publique l'ont tous indiqué , un prix du carbone fossile suffisamment élevé, mais aussi des progrès de productivité à chaque étape de la chaîne de production de la biomasse, représentent des variables essentielles pour la viabilité d'une stratégie de biomasse ambitieuse.
(2) Opérer des choix industriels
La stratégie de recours accru à la biomasse se trouve confrontée à des choix industriels complexes.
Les risques industriels de la biomasse sont importants.
Le développement des productions suppose des infrastructures spécifiques et, bien sûr, des investissements qui représentent un risque économique et financier. Or, il importe de convertir les efforts conséquents réalisés dans la recherche en amont et la constitution de plateformes de démonstration - qui ont coûté « des centaines de millions d'euros » , selon un intervenant de l'audition publique - en des outils de production implantés sur le territoire national. Ce problème, toujours évoqué comme étant l'une des faiblesses structurelles du système d'innovation français, est particulièrement aigu s'agissant de productions soumises à d'amples aléas, comme c'est le cas pour la biomasse.
On peut mentionner sur ce point l'existence, aux États-Unis d'Amérique, du « crédit d'impôt énergies renouvelables » qui permit de soutenir grâce à des fonds publics les infrastructures industrielles nécessaires pendant une période adaptée. Mais la législation européenne, ainsi que certaines considérations d'équité paraissent rendre difficile une imitation pure et simple de ce mécanisme en Europe. Des adaptations pourraient être recherchées afin de concilier les principes de la concurrence et des considérations d'équité au service de l'investissement en faveur du biosourcé.
Le lien entre les infrastructures économiques et la maximisation des objectifs qui justifient le développement des produits biosourcés a été largement illustré lors de l'audition publique.
Entre un modèle extrêmement productif reposant sur des importations et un maillage du territoire, sur le modèle de l'économie circulaire, au moyen de bioraffineries locales, un choix doit être effectué. Il en va de même en ce qui concerne les installations de méthanisation, dont la dimension peut considérablement varier. En bref, entre économies d'échelles et circuits courts, les effets de l'exploitation de la biomasse diffèrent sur tous les points les plus déterminants (effets environnementaux, sociaux, économiques...).
Un investissement soutenu dans la recherche s'impose.
Lors de l'audition publique, plusieurs exemples de voies innovantes ont été évoqués qui concernent tous les stades des processus de fabrication des produits biosourcés (biocarburants avancés pour les transports routiers ou aériens, chimie du végétal, appareils de chauffage, biométhanation à partir de matières sèches...). Les recherches entreprises ont pour objet de supprimer des verrous technologiques mais aussi de réduire les coûts des filières de produits biosourcés afin d'en améliorer la viabilité économique. Elles produisent déjà des résultats mais les exemples évoqués, qui sont les plus significatifs, semblent ne devoir être pleinement industrialisables qu'à moyen terme - l'horizon de 2020 a été cité plusieurs fois - tandis que, pour d'autres technologies, leur horizon de disponibilité n'est pas identifiable.
Un effort de recherche et développement persévérant s'impose pour la biomasse quels qu'en soient les usages puisque, aussi bien, le développement des usages non alimentaires de celle-ci dépend des progrès de productivité réalisés sur l'ensemble de la ressource.
(3) Résoudre au mieux les conflits d'usage
La question des conflits d'usage est au coeur des débats relatifs à l'extension des utilisations de la biomasse.
Même si ce point est essentiel, il ne se ramène pas seulement à celui de la concurrence entre les fonctions alimentaires de la biomasse et ses autres utilisations.
Un consensus existe pour consacrer une hiérarchie des usages de la biomasse reconnaissant la nécessaire primauté de ses apports alimentaires.
L'essor d'autres usages dépend donc de cette contrainte qui est susceptible de varier selon des conditions très diverses - évolution des rendements, état des équilibres entre offre et demande alimentaires, progrès technologiques permettant d'associer mieux tous les usages de la plante...-, mais qui devrait aller en se renforçant. Selon les scénarios, principalement déterminés, du côté de la demande, par les évolutions démographiques et socio-économiques, l'offre alimentaire devrait croître de 70 % à 100 % avant l'année 2050 pour satisfaire la demande additionnelle .
Cette performance suppose la réduction des gaspillages et la modification des régimes alimentaires dans le sens d'une limitation de la consommation carnée, une augmentation des productions du couple surfaces-rendements. Or, le réalisme de ces objectifs est débattu, que ce soit pour des raisons techniques - l'équilibre des usages des sols, le plafonnement des performances productives, les effets des changements climatiques... - ou pour des motifs socio-économiques - le modèle d'agriculture adapté aux trajectoires du développement, l'attractivité économique de l'agriculture pour les investisseurs, l'acceptation de certains risques technologiques...
En toute hypothèse, la contrainte de rareté n'est pas une perspective négligeable, même pour des pays autosuffisants puisque les équilibres alimentaires mondiaux peuvent dépendre des capacités exportatrices de ces pays. Cette éventualité peut peser sur la disponibilité de la matière première agricole pour des usages non alimentaires dans un contexte où priorité devra être donnée à la satisfaction des besoins alimentaires.
Dans cette perspective, un axe majeur de la recherche sur le végétal doit consister à limiter le plus possible les effets d'éviction des matières premières alimentaires que pourraient entraîner les autres usages de la biomasse, impératif qu'illustre particulièrement la recherche sur les biocarburants avancés.
Parmi les très nombreuses questions abordées lors de l'audition publique, cinq semblent présenter des enjeux particulièrement importants :
• Le conflit entre filières utilisatrices de la même biomasse (typiquement celui entre le bois-énergie et le bois-matériau ) ainsi que le conflit entre les filières productrices d'un même produit à partir de sources biosourcées différentes (chaleur générée par le bois ou par les déchets) ; si la complémentarité des usages est une voie de conciliation de ces conflits, une analyse rigoureuse s'impose pour définir les utilisations les plus créatrices de valeur.
• Les contributions respectives de la biomasse en termes de limitation des émissions de gaz à effet de serre et d'absorption de ceux-ci dont les contours varient selon la source d'alimentation des filières de la biomasse.
• Sans se polariser sur le dilemme entre exploitation du bois et conservation des forêts sur pied qui, moyennant un ajustement temporel, peut être surmonté - il varie, en outre, selon la destination finale du bois coupé entre énergie et substitution à des matériaux fossiles -, on peut mentionner les effets du remaniement des sols que peut impliquer la mobilisation de la matière première. Sachant que le stock de carbone séquestré dans les sols est évalué au niveau mondial à 2 000 gigatonnes et qu' un accroissement de quatre pour mille de la capacité de stockage des sols permettrait d'absorber l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre . À l'inverse, une diminution de cette capacité, outre ses effets sur la fertilité des sols et la biodiversité, aurait un impact désastreux. En toute hypothèse, cette question justifie tant le projet de recherche qui lui est consacré sous l'égide de l'INRA que l'adoption de pratiques prudentes de remaniement des sols dans le cadre de l'exploitation de leur potentiel de biomasse.
• Les effets de la biomasse sur la biodiversité dans la mesure où une intensification de l'utilisation de la ressource pourrait se traduire par la diffusion de monocultures ou de cultures spécialisées éventuellement peu propices à la diversité des oekoumènes nécessaires à la préservation de la biodiversité. Cette interrogation a été clairement énoncée par M. Daniel Perron de l'ONF à propos de la gestion de la ressource forestière qui offre un milieu majeur, quoique différencié, de la biodiversité végétale et animale, en plus des autres fonctions systémiques des forêts.
• La question de la fin de vie des matériaux , de plus en plus soumis à des obligations de recyclage, peut être rendue plus complexe par le développement de matériaux biosourcés, d'autant que leurs volumes n'atteindront pas immédiatement la taille critique nécessaire à leur valorisation spécifique alors que leur identification est incertaine.
Cet ensemble d'opportunités et de contraintes doivent être incorporées dans la stratégie de biomasse en cours d'élaboration.
En dehors des différents points évoqués ci-dessus, il convient également de rappeler le consensus dégagé lors de l'audition publique autour de la référence à un principe de hiérarchie entre les usages de la biomasse. Sa déclinaison pratique reste largement à inventer. Elle suppose, dans certains cas, des progrès de la connaissance incluant des bilans globaux socio-économique et environnementaux (sur la base d'analyses solides de cycle de vie). En effet, la contribution de la biomasse à la résorption des émissions de CO 2 n'est pas toujours facilement déterminable et elle n'est, à ce jour, pas entièrement déterminée. Les bilans diffèrent selon les ressources envisagées et selon leurs modalités de mobilisation. En toute hypothèse, le renouvellement effectif de la biomasse est une condition des équilibres dont elle ouvre la perspective en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
Ce travail d'instruction approfondi est d'autant plus nécessaire que le développement des filières de la biomasse suppose la formulation d'objectifs et de cadres d'actions offrant le plus de stabilité possible.
(4) S'inscrire dans le temps et l'espace
Pour améliorer la prise de décisions des différents acteurs, il importe de définir l'horizon temporel de l'utilisation de la biomasse, dont l'extension s'inscrit dans une perspective longue.
Cette dimension doit être pleinement prise en compte pour clarifier les anticipations des décideurs et investisseurs. Elle implique, en premier lieu, la construction d'une prospective fine de la biomasse (une prospective mondiale avait été réalisée en 2010 sous l'égide de l'INRA dans le cadre d'un atelier de réflexion prospective dit « VegA ») et, en second lieu, d'adopter un calendrier d'action publique aussi précis et stable que possible.
À cet égard, certains horizons mériteraient d'être davantage cernés. Il a été mentionné que la logique des objectifs énergétiques du pays passait, en théorie, par une sollicitation maximale de la biomasse à l'échéance 2020 suivie d'une décrue à mesure des progrès réalisés dans le domaine de l'efficacité énergétique. Il n'est pas certain que ces perspectives soient tout à fait adaptées à l'engagement des investissements nécessaires. Incidemment, il faut s'interroger sur la portée d'une définition d'objectifs de production pouvant apparaître limitatifs puisque, aussi bien, les forces du marché pourraient, à l'avenir, impliquer un recours plus massif qu'escompté à des énergies se substituant aux sources fossiles.
À l'horizon temporel, il faut ajouter un horizon spatial .
La biomasse est, en soi, liée aux sols et aux territoires puisque sa viabilité économique, sociale et environnementale dépend souvent d'une logique de circuits courts. Or, celle-ci est susceptible de se trouver concurrencée par une logique alternative de massification des projets, qui, forte des économies d'échelle qu'elle favorise, peut altérer le fonctionnement et l'organisation économique de filières plus respectueuses d'une biomasse soutenable. C'est le « schéma de Rotterdam » évoqué lors de l'audition. Il ne faut pas se cacher que la réunion de conditions permettant de préserver une organisation spatialement cohérente de l'exploitation de la biomasse n'est pas une entreprise aisée . La réflexion sur les externalités nettes apportées par les différentes structures de production est, en ce sens, également une nécessité.
La dimension spatiale implique aussi une coordination entre États, au minimum dans l'espace européen. Actuellement, les préférences collectives des États de l'Union européenne semblent marquées par une grande hétérogénéité avec, en particulier, des visions différentes des modèles d'exploitation de la biomasse susceptibles de produire les effets les plus favorables. Chaque État pondère différemment les différents objectifs d'une stratégie de biomasse même si les pays européens s'engagent isolément dans cette voie. Certes, dans certains secteurs, en particulier les biocarburants, des coordinations s'appliquent. Mais elles n'empêchent pas la coexistence de choix aux implications hétéroclites dont les contradictions doivent être surmontées dans un effort de création entre Européens d'un consensus sur les bonnes pratiques.
(5) Favoriser l'acceptation, voire l'adhésion, sociale
L'intensification de la mobilisation de la biomasse et le développement de la bioéconomie appellent la mise en oeuvre d'un cadre d'échanges avec la société permettant un dialogue constructif.
La mobilisation renforcée de la biomasse et l'avènement d'un cadre de bioéconomie représentent des processus volontaristes qui supposent des changements de toutes sortes pouvant affecter des comportements marqués par l'habitude, des calculs économiques traditionnels, des représentations symboliques variées. Face à ces changements, contraintes et incitations ne suffisent pas ; il faut leur adjoindre la conviction.
Par ailleurs, la montée en puissance de l'exploitation de la biomasse à des fins autres que l'alimentation peut intégrer des évolutions scientifiques et technologiques plus ou moins en rupture.
Il faut également prendre garde de ne négliger ni les conflits d'usage ni l'ensemble des questions en suspens que l'exploitation de la biomasse rendra sans doute plus tangibles à mesure qu'elle se répandra. Par conséquent, une forme de concertation au long cours doit être recommandée.
Dans une certaine mesure, l'audition publique tenue par l'Office a constitué une première occasion, saluée comme telle par l'ensemble des participants, de dialogue entre les diverses parties prenantes intéressées par la définition de stratégies de biomasse et de bioéconomie.
Une fois le temps de la définition stratégique interministérielle passé, il conviendra que les projets formés par le Gouvernement soient clairement présentés et discutés, non seulement auprès des acteurs immédiats (par exemple, les porteurs de projets dans l'application des mécanismes réservés à la promotion des produits biosourcés) mais aussi auprès des autres acteurs directement opérationnels, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales.