III. SECONDE TABLE RONDE : STRATÉGIE POUR LA BIOMASSE STRATÉGIE DE BIOÉCONOMIE

M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Notre seconde table ronde est consacrée à la définition d'une stratégie pour la biomasse dans un contexte où la France doit également adopter une stratégie de bioéconomie.

Nous pouvons attendre de nos échanges des informations sur les processus en cours et sur les articulations principales de ces stratégies, qui nous permettront de progresser dans l'action publique.

Il importe de prendre en compte le contexte peu favorable dans lequel nous nous trouvons, avec une matière première agricole qui risque de connaître de vives tensions du fait de la montée des besoins alimentaires. Les pénuries, plus ou moins localisées, constituent un risque majeur de la confrontation entre les changements biosphériques et les dynamiques démographiques.

D'un autre côté, force est de constater que le renchérissement du carbone n'intervient pas avec la spontanéité que certaines analyses nous annonçaient.

Nous savons qu'il existe des externalités dont les coûts ont toutes les chances d'augmenter. En outre, depuis le rapport Stern, nous connaissons le coût très élevé de l'inaction.

La stratégie pour la bioéconomie soulève à mon sens les questions suivantes :

- Quels concepts et préférences s'offrent-ils à nous, et quelles peuvent être les critères de nos choix ?

- Quel équilibre trouver entre reconfiguration des incitations de marché et action volontariste pour l'innovation ?

- Quelle coordination internationale faut-il mettre en place afin d'éviter l'inaction, c'est-à-dire le moins-disant écologique ?

Ce sont toutes ces questions que nous devons envisager.

Mme Jertta de Mazières, conseillère agricole, ambassade de Finlande et délégation permanente de la Finlande auprès de l'OCDE. - Je vais vous présenter la stratégie de la Finlande en matière de bioéconomie.

La bioéconomie constitue, en Finlande, une priorité pour l'ensemble de la société. Ainsi, notre nouveau gouvernement consacre trois pages, assez fouillées, à ce sujet dans son programme stratégique global qui en compte trente-six.

Cet intérêt pour la bioéconomie s'explique en partie par le contexte. En effet, les deux grands secteurs économiques finlandais que sont l'industrie forestière classique, tournée notamment vers le papier, et la téléphonie mobile, sont actuellement en difficulté. En revanche, le savoir-faire du pays en matière d'exploitation forestière est connu et l'acceptabilité sociale de la gestion de la forêt est bien assise. La conjugaison de ce savoir-faire avec notre expertise dans le secteur du « high tech » amène tout naturellement le pays à se tourner vers la bioéconomie.

Le développement de ce secteur présenterait en outre l'avantage de redynamiser les zones rurales, tout en créant de l'emploi et de la croissance. Le terme de bioéconomie qui combine les notions de croissance économique et de développement durable est d'ailleurs perçu comme très positif en Finlande.

Le Gouvernement espère créer, avec sa stratégie de développement de la bioéconomie, cinq mille nouveaux emplois, ce qui constitue un volume important pour la Finlande.

La bioéconomie reposerait sur une combinaison des industries du bois, de la chimie, de l'énergie, de la construction, des technologies agro-alimentaires et de la santé ; la moitié de la bioéconomie finlandaise concernerait le secteur forestier ce qui veut dire que tout ne repose pas sur la forêt.

Le territoire est en effet recouvert à 80 % de forêts et l'industrie du secteur est à la fois pionnière et habituée à travailler de façon durable sur les plans économique, social et écologique. En outre, les chiffres de la croissance annuelle des forêts finlandaises et de l'industrie du bois montrent qu'il existe encore des marges d'exploitation.

La stratégie bioéconomique de la Finlande a été adoptée, il y a un an, après un processus d'élaboration de deux ans associant tous les acteurs. Elle repose sur quatre piliers principaux :

- garantir un environnement compétitif ;

- trouver de nouvelles opportunités commerciales ;

- renforcer le savoir-faire ;

- garantir la durabilité et la disponibilité de la biomasse.

Cette stratégie est le fruit d'une réflexion associant l'ensemble de la société, au-delà du monde politique et de l'industrie. L'objectif était que les citoyens puissent comprendre la démarche mais aussi y adhérer. Plusieurs ministères et des groupes de travail ont travaillé ensemble, des réunions régionales et sectorielles ont été organisées, le grand public a pu donner son avis sur des projets.

Nous avons identifié les chaînes de valeur suivantes : la valorisation du bois, la chimie, l'énergie, la nourriture, la construction, les services écosystémiques. L'ensemble est lié au second grand secteur industriel du pays : les « technologies propres ».

En Finlande, un tiers de la chimie est biosourcé, ce qui constitue une proportion conséquente si je me réfère au chiffre de 10 % mentionné tout à l'heure ; la bioéconomie de la santé est également très dynamique.

La stratégie mise en oeuvre depuis un an est portée par trois ministères. Il est à noter que le nouveau gouvernement a confié les ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement à la même personne. Or, la priorité de ce ministre est la bioéconomie, et son double ministère lui permettra d'associer pleinement les deux domaines. Le ministère de l'économie intervient, lui aussi, pour une part très importante, dans le développement de cette stratégie. Nous avons mis en place un programme pour les exportations et plusieurs actions ont déjà été conduites en ce sens.

Des projets pilotes ont également été mis en place dans les régions et nous avons organisé une compétition internationale de la bioraffinerie qui a rencontré un franc succès.

Par ailleurs, la Finlande a défini ses priorités concernant la politique européenne dans le secteur de la bioéconomie.

Enfin, un plan de communication, un inventaire des ressources de la biomasse et une surveillance des freins au développement du secteur complètent ce dispositif.

De nombreuses actions concrètes ont donc été mises en oeuvre depuis un an et ce n'est que le début du processus.

Les priorités finlandaises au niveau européen sont les suivantes :

- construire une vision partagée au niveau européen concernant la compétitivité et la croissance, pour créer un environnement prévisible ;

- améliorer l'information des consommateurs sur les produits biosourcés ;

- financer la recherche et le développement : investissements, projets pilotes, démonstrations... ;

- assurer l'acceptabilité de l'utilisation de la biomasse.

Toutes les informations sur la stratégie de la Finlande en matière de bioéconomie sont consultables sur le site bioeconomy.fi .

M. Claude Roy, président du Club des bioéconomistes, membre du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux. -Je voudrais mettre en avant neuf points stratégiques qui me semblent importants dans une réflexion sur la stratégie future de la bioéconomie.

Mais, il me faut, avant tout, rappeler que nous allons parler d'économie des produits renouvelables, de ceux issus de la photosynthèse, c'est-à-dire d'un système aussi vieux que notre civilisation.

Ainsi en va-t-il du bois, comme outil, comme matériau et comme combustible. Ainsi, les productions alimentaires représentent en France l'équivalent de quarante millions de tonnes d'équivalent pétrole d'énergie fournies à nos organismes. Et, de la même manière, on peut citer, par exemple, les textiles naturels qui constituent toujours une base solide de la bioéconomie traditionnelle ou encore le caoutchouc qui fonde toujours près de la moitié de l'industrie des pneumatiques... Personne enfin ne se doute, je pense, que la première matière plastique qui fut produite et utilisée dans le monde était faite à partir de fibres de bois : c'est le celluloïd, celui des balles de ping-pong ! Et j'en oublie tant d'autres, des murs en torchis et colombages, toujours debout, à tous les parfums et colorants naturels, ou du savon des égyptiens aux colles biosourcées des plus grands ébénistes classiques que nous connaissons tous, etc. En un mot, cette bioéconomie a fondé la civilisation humaine pendant cinq mille ans, avec l'eau, le vent et la traction animale... elle-même nourrie aux « biocarburants fourragers » !

Puis l'ère de la bioéconomie s'est effacée dès le XIX e siècle, dans nos pays développés du moins, avec les révolutions industrielles qui virent l'apparition et la diffusion massive du charbon et du pétrole. Deux siècles plus tard, malgré la toute-puissance visible de l'économie des hydrocarbures, la bioéconomie renaît pourtant face à des enjeux critiques nouveaux annoncés à l'horizon du siècle : une population qui passera d'un milliard d'individus au XIX e siècle à dix milliards sous peu ; des ressources fossiles planétaires en voie de raréfaction ; des changements climatiques menaçants... Nous sommes donc contraints d'inventer de nouvelles ressources, de nouvelles méthodes et de nouveaux comportements.

Cette bioéconomie millénaire s'appuie traditionnellement, pour environ les deux tiers, sur le bois et ses ressources, pour un tiers sur l'agriculture et l'agroalimentaire et pour 10 % enfin sur la valorisation de déchets d'origine organique. Et c'est bien l'agriculture et la filière bois qui ont permis d'ailleurs de faire puissamment redécoller la bioéconomie dans les années 1980-2000 avec, en particulier, les biocarburants et les plans bois énergie successifs.

La forêt, dont la part dans la bioéconomie est ainsi incontournable (filières du bois d'oeuvre, du bois de trituration, papier, panneaux, et du bois énergie), doit être productive, exploitée, gérée. Elle n'est pas un sanctuaire.

Considérons maintenant les neuf points stratégiques évoqués précédemment :

1) Le climat

L'enjeu majeur de la bioéconomie est climatique. Des études importantes ont été récemment réalisées, en vue de la préparation de la COP21, sur la relation entre l'agriculture, la forêt et le climat. On constate que l'agriculture et la forêt ne sont pas un problème mais qu'elles constituent, au contraire, une solution majeure face aux défis climatiques auxquels nous sommes confrontés. Le développement de la bioéconomoie par l'absorption du carbone et la substitution des usages de carbone fossile, représente ainsi probablement la moitié de la résorption possible du CO 2 avant 2040 ou 2050.

2) Les matériaux

Le bois représente 10 % à 15 % des matériaux de construction, 20 % des emballages, 90 % des matériaux d'impression et de transfert d'information. La bioéconomie joue ici un double rôle : la séquestration du carbone, d'abord, et la substitution d'usage de produits d'origine fossile. Le domaine des matériaux ne doit donc surtout pas être négligé, même s'il constitue le secteur le plus traditionnel de la bioéconomie. L'évolution y est d'ailleurs permanente : ainsi, le marché des panneaux a pris des positions fondamentalement nouvelles dans tout le secteur de la construction, en complément ou en substitut du marché traditionnel des sciages.

3) Les énergies

Il s'agit du domaine dans lequel l'urgence est la plus grande : on parle de quarante ans de réserves prouvées de pétrole et de gaz encore disponibles. S'il existe, d'un côté, l'électricité et la chaleur qui peuvent être aisément assurées par des sources solaires, les carburants liquides et gazeux, dont nous avons encore besoin pendant cinquante ans, n'ont guère aujourd'hui quant à eux de substituts accessibles, sinon la biomasse On ne sait pas fabriquer de carburant liquide ou de molécules chimiques avec de l'électricité. Pour les transports de demain, il faut ainsi en passer par la photosynthèse, et donc par la bioéconomie, avec toutes les limites et toute la prudence qui s'imposent. Il faut, bien entendu, travailler sur la seconde génération de carburants cellulosiques pour pallier les risques de concurrence d'usages avec l'alimentation. Mais, surtout, il ne convient pas de sacrifier ou de pénaliser la première génération de biocarburants. Ce serait une grave erreur. La première génération de biocarburants, éthanol et biodiésel, constitue en effet une assise fondamentale, y compris pour la deuxième génération, et elle est la seule qui puisse fournir des coproduits alimentaires.

4) Les externalités

Je centrerai l'éclairage des externalités sur la question de l'emploi même si elles peuvent aussi concerner le carbone, les risques.... On crée, en effet, un nouvel emploi en bioéconomie pour mille mètres cube par an de biomasse exploitée. La perspective serait donc de deux cent mille à trois cent mille emplois supplémentaires créés à l'horizon 2040-2050. Le gain n'est pas miraculeux, certes, mais il est loin d'être négligeable. Il s'agit, en outre, d'emplois de territoire, localisés, de circuits courts, et donc d'économie circulaire.

Les économies d'importation constituent d'autres externalités sensibles. Ainsi, la bioéconomie française permet au pays d'éviter, chaque année, l'importation de 2,5 milliards d'euros de pétrole et l'équivalent de cent pétroliers Erika.

Reste la question de la feuille de route. La bioéconomie représente environ 5 % de parts de marché des approvisionnements de notre économie (énergie, matériaux, chimie). Les feuilles de route qui sont implicitement mises en avant - Pacte Énergie-climat, transition énergétique... - fixent un objectif de 10 % pour 2030. Et, si l'on considère le facteur 4 présenté par le président Jacques Chirac à Johannesburg, l'objectif est de parvenir à 20 % de bioéconomie avant 2040-2050. Les Nord-américains, quant à eux, ambitionnent une proportion de 50 % avant 2050 - avec, toutefois, des approximations quelque peu douteuses sur les ressources et sur l'équilibre des marchés alimentaires.

Nous ne parviendrons donc jamais à remplacer le pétrole à 100 %. Au-delà de 20 % à 25 % de substitution, nous risquerions de mettre l'alimentation mondiale en danger.

5) La synergie

La biomasse recouvre six types de ressources et neuf types de marchés différents. Si l'on n'est pas attentif à la concurrence inévitable entre ces secteurs, on risque, par exemple, de défavoriser l'alimentation en développant à l'excès les biocarburants ou de pénaliser la construction bois en favorisant trop le bois énergie, etc. Je récuse ces facilités, mais ces questions « inconvenantes » circulent partout. Les polémiques fusent déjà à cet égard, et ces  questions ne sont malheureusement pas débattues avec compétence et sans idéologie... Toutes les professions concernées - agricole, forestière, déchets - doivent donc travailler ensemble sur la synergie des approvisionnements entre filières, sur des complémentarités gagnant-gagnant dans la mobilisation des ressources, notamment en termes d'emploi.

6) Le renouvellement des ressources

Cette question se pose notamment dans le domaine forestier. La meilleure façon de mobiliser la ressource forestière est aujourd'hui de reboiser. Il faut le dire. Cette action est notamment indispensable pour reconstituer la ressource résineuse créée après la guerre par le Fonds forestier national. Le reboisement et l'exploitation forestière sont donc impératifs. Nous devons absolument faire passer ces idées dans l'opinion publique, de façon volontariste.

7) Les emcellulplois de la bioéconomie

Les filières traditionnelles de l'agriculture et des industries agro-alimentaires (IAA) représentent quatre cent mille emplois ; les filières traditionnelles directes du bois et de la fibre, deux cent mille emplois. Depuis les années 1980, c'est-à-dire depuis la renaissance de la nouvelle bioéconomie, celle du biocarburant, de la chimie du végétal, des néomatériaux et du  plan Bois-énergie , soixante-dix mille emplois supplémentaires ont été créés, portés par deux mille entreprises nouvelles qui représentent environ quatorze milliards d'euros par an de chiffre d'affaires. Les 5 % de parts de marché de la bioéconomie sont donc extrêmement dynamiques.

8) La place de la France

Du point de vue qualitatif, mais aussi quantitatif, on peut estimer que la France se situe parmi les cinq premiers pays au monde en matière de bioéconomie - après l'Allemagne, les États-Unis d'Amérique, la Chine et le Brésil. Il s'agit, dans cette appréciation, de potentiel, de puissance, d'intelligence, d'organisation, de synergies et de mobilisation des filières.

9) L'information et l'éducation

La plus grande difficulté à laquelle nous soyons confrontés est celle de l'information, de l'éducation et de la compréhension par l'opinion et les médias de ces sujets très complexes et systémiques. Le Club des bio-économistes constitue, en réponse à cette difficulté, un outil d'information, d'éducation et de publication, à destination notamment des élus qui sont un relais indispensable de notre action vers les territoires.

Enfin, le principal message que nous souhaitons faire passer est le suivant : pour répondre aux besoins d'une population croissante, le monde devra produire plus mais nous devrons d'abord produire efficacement, sobrement et de manière diversifiée.

M. André-Jean Guérin, conseiller, Conseil économique, social et environnemental (CESE) . - J'interviens moins en qualité de membre du Conseil économique, social et environnemental que comme ancien participant à la mission confiée par plusieurs ministres aux conseils généraux de l'environnement, de l'agriculture et de l'industrie sur les usages non alimentaires de la biomasse.

Je tâcherai d'apporter quelques éléments complémentaires au débat, notamment des éclairages sur la bioéconomie à l'échelle mondiale. Ce domaine s'articule, en effet, à plusieurs sujets qui, tous, possèdent une dimension internationale.

Comme l'a rappelé M. Claude Roy, l'économie a été fondée pendant des millénaires sur les productions agricoles et forestières et leurs transformations. Aujourd'hui encore, si l'on mesure la biomasse collectée par l'humanité en la convertissant en équivalent énergétique, on constate que ce volume est de cinq mille millions de tonnes d'équivalent pétrole. Cette biomasse est principalement utilisée pour l'énergie, que ce soit, directement, pour le chauffage, par exemple, ou, indirectement, à travers les animaux de trait qui consomment de l'herbe pour se nourrir et déployer leur force.

La seconde destination de cette énergie collectée dans la biomasse réside malheureusement dans les pertes qui représentent, en effet, mille six cents millions de tonnes d'équivalent pétrole de biomasse dispersés chaque année en chaleur (celle des animaux et des filières d'utilisation). Cette dispersion est équivalente à celle de l'utilisation énergétique.

La troisième destination de cette biomasse est l'industrie, pour mille millions de tonnes d'équivalent pétrole.

Reste enfin l'essentiel : l'alimentation humaine, qui représente sept cent cinquante millions de tonnes d'équivalent pétrole.

On notera que ces bilans sont plus facilement réalisables au niveau mondial qu'à l'échelle d'un pays, pour lequel il faut prendre en compte dans le calcul l'importation et l'exportation de matières premières.

L'utilisation de la biomasse est liée à de grands enjeux, pour la plupart internationaux.

La production brute de biomasse est estimée à quatre-vingts milliards de tonnes d'équivalent pétrole, dont l'humanité exploite entre 5 % et 10 %. C'est pourquoi on spécule sur la possibilité d'en exploiter plus, dans un contexte d'accroissement de la population mondiale et de nécessité d'améliorer l'alimentation en quantité et en qualité pour une part non négligeable de l'humanité. Nous passerons, peut-être, de sept à dix milliards d'individus avant la fin du siècle et il sera presque nécessaire de doubler la production agricole actuelle.

Le climat constitue un autre enjeu essentiel, avec une variété de facteurs à considérer. En effet, la production de biomasse capture du CO 2 , le principal gaz à effet de serre ; elle permet la substitution à des matériaux qui proviennent des énergies fossiles et finissent par se dégrader en CO 2 ajouté ; enfin, la biomasse peut entraîner du stockage dans le cas d'une production longue comme celle des arbres, par exemple, ou par le moyen d'un stockage dans le sol.

C'est tout l'enjeu du défi présenté par M. Stéphane Le Foll au printemps 2015 : augmenter de 4 %o par an, dans l'agriculture comme dans l'exploitation forestière, le stockage dans les sols. Il existe, en effet, deux mille gigatonnes de carbone stockées dans le sol et, si l'on suit l'augmentation préconisée, c'est la totalité du CO 2 émis annuellement par l'humanité qui sera absorbée par ce stockage au sol. Les enjeux sont donc cruciaux.

Les méta-études qui recensent les études de scénarios sur l'utilisation de la biomasse débouchent sur des fourchettes extrêmement larges entre ce qui pourrait être utilisé en supplément, en dehors de l'alimentation, et ce qui est utilisé aujourd'hui par l'humanité, c'est-à-dire quasiment rien. Certaines études laissent même entendre que l'on pourrait développer une exploitation de la biomasse qui couvre la totalité des besoins énergétiques de l'humanité avant 2050 - même en cas de besoins accrus, comme le projette l'Agence internationale de l'énergie, à vingt- trois gigatonnes d'équivalent pétrole.

Les principales conclusions du rapport que j'ai mentionné au début de mon intervention faisaient ressortir que, si la question de la hiérarchisation des usages est importante, elle ne doit pas relever, pour autant, de l'impératif catégorique. L'alimentation est évidemment prioritaire mais il existe des marges énormes au sein même du secteur puisque 30 % à 40 % de la disponibilité alimentaire par individu, au plan mondial, est perdu ou gaspillé. La seule division de ces pertes par deux permettrait de mieux nourrir l'ensemble de la population qui naîtra au cours du siècle.

De très grandes incertitudes pèsent sur les possibilités d'utiliser plus et mieux la biomasse. Il est nécessaire de créer un observatoire de recherche internationale, de façon à resserrer cette marge d'incertitude, à mieux comprendre les limites, à mieux cerner ce qui doit être protégé en matière d'environnement et d'écosystème et, en même temps, à mieux apprécier ce qui peut être exploité de façon efficace.

Il faut avoir à l'esprit que, lorsque l'exploitation porte sur une biomasse fortement structurée, il est préférable de conserver cette structure, et le stockage de CO 2 qu'elle représente - par exemple, pour le bois, dans la construction ou les meubles. Ensuite, on peut utiliser les molécules pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire des molécules complexes. Enfin, seulement, la biomasse sera utilisée pour l'énergie - et en dernier usage, pour l'électricité, la forme énergétique la moins valorisante pour la biomasse.

M. Jean-David Abel, vice-président, France Nature Environnement (FNE) . - France Nature Environnement est favorable, depuis longtemps, à un usage rationnel de la biomasse sous diverses formes et pour des usages divers. Nous estimons, en effet, que cette activité fait partie d'un mélange énergétique nouveau, que nous appelons de nos voeux, mais participe aussi d'un modèle économique que nous souhaitons faire évoluer vers une plus grande circularité.

Pour autant, nous souhaitons une gestion rationnelle de la biomasse, qui fasse véritablement appel à la science, et ne se positionne pas en fonction de signaux économiques à court terme, comme on le constate aujourd'hui dans certaines filières.

Des opportunités considérables apparaissent et des recherches très importantes sont menées. Toutefois, ces évolutions interviennent dans un contexte mouvant sur le plan de l'accès aux ressources, de la fluctuation des prix, de l'accroissement des besoins mondiaux. On ne considère peut-être pas assez les risques d'impact majeurs, directs et indirects, liés à ces usages nouveaux.

L'usage des sols, dont on nous dit qu'il peut être rationalisé et augmenté dans sa productivité, s'avère beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. La hiérarchisation entre l'alimentaire et le reste demeure une question complexe, en France comme au niveau européen ou mondial.

Par ailleurs, la durabilité et la soutenabilité de ces filières, c'est-à-dire la prise en compte de la capacité réelle de renouvellement des ressources, sont insuffisamment considérées. C'est ainsi que différentes voies sont prises parallèlement, et en concurrence les unes avec les autres, sans réflexion sur le renouvellement de la biomasse. Je ne suis pas sûr que tant de terres restent disponibles à l'exploitation.

Par ailleurs, certaines pistes prometteuses s'inscrivent dans des perspectives de développement économique qui n'intègrent pas suffisamment, selon nous, un modèle de sobriété, plaçant l'efficacité au coeur de l'économie. Il faut établir des bilans énergétiques et des bilans environnementaux de l'exploitation de la biomasse.

Je prendrai quelques exemples représentatifs de l'état et des perspectives de la bioéconomie.

Le premier est celui de la centrale de Gardanne, qui possède un rendement très faible, et dont l'approvisionnement se monte à un million de tonnes de bois par an. La moitié provient de forêts situées dans un rayon de quatre cents kilomètres, l'autre moitié, du Canada ou des États-Unis d'Amérique. On mesure le degré de soutenabilité de ce genre de projet et son impact sur des projets moyens ou régionaux bien plus rentables, du point de vue économique comme environnemental. La forêt doit être dédiée, dans l'ordre, au bois d'oeuvre, au bois d'industrie, puis seulement à l'énergie, à partir de sous-produits.

Le second exemple est celui de la Ferme des mille vaches, dans laquelle le lait devient un sous-produit, le premier produit, la bouse, étant destiné à la production d'électricité. Le modèle est, là encore, bâti à court terme, avec des tarifs de rachat qui entraînent des projets non soutenables. Il est conçu sans lien au sol dans l'alimentation des animaux et dans l'usage des digestats ; il est, enfin, déstructurant pour les filières locales et non soutenable dans la durée.

Quant aux agrocarburants, qui sont de natures très diverses, ils devraient faire l'objet d'un bilan énergétique et d'un bilan carbone. Les perspectives de développement de ces produits, au niveau local comme au niveau mondial, impliquent des enjeux considérables sur l'usage des sols. La première question en jeu est celle de la concurrence avec un usage alimentaire mais il faut aussi prendre en compte le problème du stockage du carbone. En effet, de nombreux territoires sont retournés pour accueillir des plantes qui, elles-mêmes, sont consommatrices d'intrants et productrices de gaz à effet de serre. Le modèle est donc problématique. À l'échelle mondiale, les Européens et les Américains changent l'affectation des sols sur leur territoire pour produire des sources d'agrocarburants et importer leurs produits agroalimentaires du Brésil, de l'Amérique latine en général ou de l'Indonésie. C'est ainsi que des aires naturelles, des forêts par exemple, passent en usage agricole intensif, avec des impacts très importants sur le stockage de carbone ou la pollution de l'oxygène, mais aussi, et j'insiste fortement sur ce point, en termes de biodiversité. Nous sommes l'espèce qui, au niveau mondial, absorbe 90 % ou 92 % de la biomasse globale des espèces (compte tenu de la biomasse associée des élevages, notamment). Il est donc très important que l'ensemble de la biosphère ne soit pas consacré à l'humanité seule et permette la vie et l'évolution d'autres espèces.

Par ailleurs, de nombreuses prospectives ne prennent pas assez en compte, à notre sens, les enjeux climatiques, à la fois du point de vue des conditions de production des ressources mais aussi de leurs allocations diverses. Une approche globale de ces questions est nécessaire.

Il est impératif de construire un cadre de référence fondé sur des données scientifiques, établi de façon pluraliste. J'ai appris tout à l'heure la création d'un comité stratégique de filière : ce type d'espace doit permettre d'échanger sur ces questions.

Ce cadre doit ensuite être intégré à des actions politiques au niveau européen. En effet, au niveau industriel comme dans la gestion des ressources, l'ensemble des acteurs doit bénéficier de repères à long terme pour pouvoir se positionner et construire des outils et des politiques durables.

Nous avons besoin, enfin, de mettre en place une réelle valorisation du carbone, sans quoi, l'ensemble des éléments et conjectures évoqués ici risquent de rester lettre morte.

M. Hubert Boizard, directeur de recherches, unité de recherches INRA « Agroressources et impacts environnementaux (Agroimpact) », centre INRA de Lille . - Mon exposé portera principalement sur les conditions d'une mobilisation durable de la ressource. Il s'appuie sur dix ans de recherches menées par sept ou huit équipes de l'INRA sur le carbone renouvelable.

Le travail de l'INRA s'est clairement placé dans le cadre d'une ressource locale. Nous pensons, en effet, que la bioraffinerie doit être alimentée par une ressource locale, loin du « schéma de Rotterdam » ; dans ce contexte, le plus important est la recherche d'un nouvel optimum, pour lequel quatre facteurs importants se dégagent :

- le premier est celui de la production élevée par unité de sol. Elle peut être atteinte par les coproduits, comme la paille en complément du grain, ou par des cultures spécifiques. La productivité visée pour les biocarburants est de quatre à six tonnes d'équivalent pétrole à l'hectare ;

- le deuxième aspect est celui des impacts environnementaux positifs, que ce soit à l'échelle globale en termes de bilan de gaz à effet de serre, ou au niveau des impacts locaux ;

- il convient également d'exploiter une biomasse adaptée à chaque usage et bien insérée dans les systèmes de production. Différents projets, comme Futurol ou les investissements d'avenir, ont permis de réunir les agronomes et les acteurs de la transformation pour travailler sur cette question clé ;

- enfin, la bioéconomie doit créer de la valeur ajoutée, pour l'agriculture, pour la filière et sur le territoire. Ce critère sera déterminant dans les choix du futur.

J'illustrerai mon propos à partir du projet Futurol. Nous avons travaillé sur la question de la ressource pendant sept ans dans le cadre de ce projet, avec une approche multidisciplinaire réunissant des généticiens, des agronomes, des spécialistes de l'environnement, mais aussi des sciences sociales, avec des économistes. Le projet réunissait une équipe INRA et une équipe IFPEN et comportait deux champs d'application : la Bourgogne et la Picardie. L'objectif était d'acquérir des connaissances sur les cultures dédiées et de mettre en place des démarches permettant d'implanter des bassins de façon durable.

Ces travaux, qui combinent des modèles agronomiques et économiques, donnent la tendance de ce qui est possible dans le cadre d'implantations d'unités.

Au niveau économique, le prix des ressources et la concurrence entre filières apparaissent comme des facteurs majeurs de décision. On voit ainsi que, en Bourgogne, le bois apparaît comme une ressource importante puis est soumis à une concurrence très forte entre filières. Puis apparaît une ressource incontournable : la paille, comme coproduit. Arrivent ensuite des plantes pérennes, que ce soit le taillis en forêt ou le miscanthus .

Au niveau environnemental, les critères de durabilité pour les nouvelles unités de biocarburants sont extrêmement sélectifs, puisque ces unités doivent réduire de 60 % avant 2018 les émissions de gaz à effet de serre. Nous constatons que ces seuils sont facilement atteints lorsque l'on utilise beaucoup de coproduits comme la paille ou une source comme le miscanthus , à la fois productif et peu consommateur d'azote. Il faut garder à l'esprit que l'azote de synthèse pèse extrêmement lourd dans les bilans énergétiques.

Quant aux cultures annuelles spécifiques, elles satisfont aux critères sous certaines conditions.

Nous avons également développé une approche sur le consentement à produire et l'insertion territoriale de ces cultures spécifiques. Les enquêtes auprès des agriculteurs révèlent l'existence d'un potentiel, dans des zones moins productives, parfois éloignées des habitations. L'étude démontre qu'un approvisionnement multiressources est nécessaire, ce qui n'était pas jusqu'alors dans les habitudes de l'industrie. Les modèles agronomiques permettent de simuler l'évolution sur le long terme de la paille - même si la question du stockage demeure. Est apparu également l'intérêt des cultures pérennes, que nous souhaitons promouvoir, et des cultures spécifiques annuelles.

Des contraintes doivent être levées et des leviers mis en oeuvre sur plusieurs points :

- le premier obstacle est le contexte économique, avec les fortes fluctuations du prix de l'énergie et du sucre. Il importe donc d'établir des contractualisations à long terme, ce qui est difficile ;

- se pose également le problème de la réglementation et de l'incitation. Si l'on veut aller plus loin dans la bioraffinerie, il faudra donner une assurance aux acteurs de ces filières en termes de subvention ou de soutien de prix, par exemple ;

- enfin, la multifonctionnalité des cultures spécifiques constitue un levier intéressant. Toute culture s'inscrit dans un territoire. Les zones de haute culture sont en butte au problème des nitrates. Ce sont habituellement les zones tampons que constituent les forêts qui permettent de réduire cette pollution aux nitrates. Or les cultures spécifiques de plantes énergétiques pérennes peuvent jouer le même rôle. Beaucoup de pistes sont donc à explorer sur la multifonctionnalité. Il est très important de se placer en amont du développement des bioraffineries pour essayer d'imaginer de bons modèles.

M. Jean-Christophe Pouet, chef du service bioressources, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), direction productions et énergies durables . - Je vais procéder à une comparaison entre les mécanismes de soutien selon les secteurs de la bioéconomie qui montrera qu'il existe un dégradé selon les secteurs.

Ce que l'on entend par  bioéconomie est l'ensemble des activités liées à l'utilisation de la biomasse : agricole, forestière, résiduelle, animale. La bioéconomie doit s'appuyer sur une stratégie scientifique, technologique, économique, pour passer de l'exploitation des ressources fossiles à une économie fondée sur les ressources de la biomasse.

Je parlerai de la bioénergie et des produits biosourcés.

Rappelons tout d'abord que l'enjeu est d'assurer la sécurité alimentaire de nos concitoyens, d'utiliser durablement une ressource renouvelable, de maintenir et de créer de l'activité économique sur notre territoire.

Des stratégies ont été définies, par l'OCDE ou la Commission européenne. Au niveau national, on relève, dans la stratégie de la recherche, un volet « bioéconomie » ; la bioéconomie au service des transitions énergétique et écologique fait partie des quinze programmes prioritaires ; enfin, une réflexion est en cours sur une stratégie interministérielle de la bioéconomie.

Dans ce contexte, L'ADEME a lancé des appels à projets sur différents sujets : l'atténuation du changement climatique, les déchets organiques et le retour au sol, la valorisation des bioressources...

1) La bioénergie

La bioénergie est le domaine le plus connu de la bioéconomie : il concerne la chaleur chez le particulier ainsi que pour les réseaux de chaleur, le tertiaire, les industries.

S'y ajoutent  la méthanisation (pour produire du biogaz et l'intégrer dans le réseau, ou pour le valoriser sur place), la cogénération, ou production de chaleur et d'électricité par la biomasse, et, enfin, les biocarburants.

Ces filières, bien connues, sont dotées d'objectifs européens et nationaux, de lois, et nous sommes en cours d'élaboration à la fois de la programmation pluriannuelle de l'énergie, d'outils comme la fiscalité ou la réglementation, et d'un observatoire. Tous ces éléments permettent d'exercer un pilotage politique des différents secteurs de la bioéconomie.

Les mécanismes de soutien sont nombreux et diversifiés : crédit d'impôt, subvention du fonds chaleur, tarifs d'achat de l'électricité, TVA réduite pour les réseaux de chaleur, réduction de taxe générale sur les activités polluantes, pour les biocarburants, qui s'éteint cette année... Il existe aussi des réglementations, notamment dans le bâtiment, des labels, de l'innovation et de la recherche et développement.

La difficulté pour le développement de ces secteurs est actuellement le prix des énergies fossiles, très bas, et de la tonne de CO 2 qui, lui, n'est jamais remonté.

2) Les matériaux biosourcés

Moins connus que la bioénergie et moins soutenus, ces matériaux recouvrent aussi bien des plastiques, des isolants, des peintures, des pièces de mécanique, des cosmétiques... Il existe de nombreuses filières - papier-carton, textile, amidon, sucre, fibres végétales... - qui constituent de véritables marchés.

Toutefois, en l'absence d'objectifs définis, tant au niveau européen que national, ces secteurs ne sont soutenus que par l'innovation et les industriels eux-mêmes. Ces derniers doivent trouver des marchés de niche ou consentir des efforts importants pour offrir des produits comparables à ceux qui ne sont pas biosourcés.

Grâce à des études prospectives, menées en partenariat avec les industriels, on connaît l'utilisation de ces matériaux. Ainsi, la moitié de l'amidon produit en France sert pour l'alimentation, 30 % pour la chimie (dont 80 % pour des additifs papier, le reste pour la cosmétique, les résines ou d'autres débouchés). Toutefois, aucun tableau de bord ne nous permet de suivre précisément le développement de ces débouchés.

On peut imaginer des mesures de soutien : informatives, organisationnelles, économiques, réglementaires... De telles mesures ont été prises en Malaisie, au Japon, en Finlande, en Allemagne. Nous devrions, au moins, travailler sur des mesures informatives, dont le coût n'est pas très élevé et qui relèvent avant tout d'une volonté politique. Les industriels, quant à eux, sont prêts à s'engager sur la mise en place de labels.

M. Pierre Angot, sous-directeur de la chimie, des matériaux et des éco-industries, ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, direction générale des entreprises . - Comme l'a rappelé M. Claude Roy, la bioéconomie a existé de tout temps. Au ministère de l'économie et de l'industrie, nous inscrivons la bioéconomie dans le cadre général de l'économie durable, donc de la gestion efficace des ressources, y compris les ressources naturelles que sont l'eau, le vent, les marais... Le recyclage constitue également un élément important. Dans les plans industriels agrégés en solution par le ministre, M. Emmanuel Macron, on trouve une solution « Nouvelles ressources » qui recouvre chimie verte, biocarburant et recyclage des matériaux.

Nous cherchons à encourager cette activité par un soutien à l'innovation. Elle nécessite également un environnement qui lui permette de se développer. Mais l'objectif, à terme, est de voir se développer des industries autonomes qui s'inscrivent dans une compétitivité saine. Ce concept est un peu ardu puisqu'il existe des faits hors marché, ce qui pose problème. Le ministère peut faire le pari que, dans un délai déterminé, le contexte sera favorable au développement d'un secteur, et donc financer l'innovation, mais aussi pousser à l'investissement. C'est pourquoi un outil comme la Trajectoire Environnement 2030 est très important pour les biocarburants car il donne une visibilité aux investisseurs.

Je soulignerai également que la bioéconomie n'est pas tout : certaines solutions naturelles peuvent être coûteuses et relayées de façon opportune par la chimie de synthèse - ce fut le cas notamment pour un anticancéreux efficace, mais présent en faible quantité dans la nature, le Taxol.

En termes de bilan, on constate que des centaines de millions d'euros ont été dépensés pour réaliser des plateformes de démonstration et des instituts d'excellence, à travers des projets d'investissements d'avenir ; il importe désormais d'aller vers des réalisations industrielles. La tâche est difficile car les montants en jeu sont beaucoup plus conséquents, et les limites européennes plus sévères, mais c'est la direction vers laquelle nous voulons tendre, et les plans industriels ont cette vocation.

M. Julien Dugué, chargé de mission bioéconomie-bioproduits, ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - Je représente la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises au sein du ministère de l'agriculture. Cette direction coordonne, depuis un an environ, une réflexion interministérielle sur l'élaboration d'une stratégie française de bioéconomie, avec le ministère de l'économie de l'industrie et du numérique, celui de l'écologie, celui de la recherche et celui du logement.

Je m'intéresserai à la question des politiques publiques dans la bioéconomie. Pourquoi tendre vers l'élaboration d'un document formalisé décrivant une stratégie pour la bioéconomie ?

Tout d'abord, nous avons jugé pertinent de rassembler certains outils de politique publique. Des visions stratégiques ont, en effet, déjà été construites en France, notamment sur les bioénergies, et il nous a semblé intéressant de les unifier et de prendre en compte des chaînes de valeur qui ne sont pas toujours traitées à leur juste mesure, comme, par exemple, les produits biosourcés.

Il est également indispensable de construire une vision commune, pour répondre à des questions transversales qui appellent des réponses communes, comme celles, par exemple, des conflits d'usage de la biomasse. C'est aussi l'occasion de créer des dynamiques nouvelles autour de partenariats innovants, entre des mondes qui n'ont pas nécessairement l'habitude de dialoguer.

Nous devons également construire une vision en phase avec notre réalité économique et territoriale qui nous servira à mieux dialoguer avec nos partenaires européens. La France est, de fait, une puissance européenne de la bioéconomie mais elle a besoin de formaliser sa vision pour parler un langage commun avec ses partenaires européens.

Depuis quelques mois, le groupe de travail interministériel s'est employé à affiner une vision française de la bioéconomie et à en proposer une définition. Nous avons également pu définir les objectifs à assigner à la bioéconomie : ce grand secteur doit apporter une contribution décisive à la société de l'après-pétrole tout en assurant sa fonction alimentaire. Nous avons, par ailleurs, procédé à un inventaire des actions existantes. Enfin, nous avons identifié une série de problématiques qui nous permettront de dialoguer avec les parties prenantes :

- comment orienter la ressource de façon pertinente et performante vers les chaînes de valorisation ?

- comment créer une bioéconomie ancrée dans les territoires ?

- comment orienter la stratégie de recherche et de développement sur ces questions ?

- comment amener ces produits vers le marché ?

- comment dialoguer avec la société sur la bioéconomie ?

La présente rencontre constitue une belle occasion de commencer à parler de ces questions.

M. Julien Fosse, chef du bureau de l'agriculture, de l'industrie et des infrastructures énergétiques, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie . - Je présenterai les grandes orientations que le ministère de l'écologie souhaite porter dans le cadre de la stratégie interministérielle en faveur de la bioéconomie.

Il est indispensable de renforcer les efforts publics en faveur de la bioéconomie, qui constitue un élément clé de la croissance verte : le maintien du modèle économique actuel causerait des dommages irréversibles à l'environnement et remettrait en cause les éléments indispensables à la croissance économique et au bien-être de tous.

Plusieurs enjeux stratégiques doivent être conciliés :

- la sécurité alimentaire, qui doit être mise en lien avec l'artificialisation des terrains agricoles, dans un contexte d'accroissement de la population ;

- l'enjeu climatique, lié à celui de la qualité de l'air ;

- l'usage de l'eau, d'un point de vue quantitatif, en contexte de réchauffement climatique, mais aussi qualitatif ;

- la préservation de la biodiversité et des paysages ;

- l'emploi et la croissance sur l'ensemble des territoires.

Pour concilier ces enjeux, la stratégie interministérielle sera centrée sur le caractère renouvelable des ressources. Les analyses de durabilité et de cycle de vie doivent donc être étendues à l'ensemble des produits de la bioéconomie.

Cette stratégie doit également se nourrir des expériences locales, pour s'adapter au mieux aux particularités des territoires. Les Agenda 21 locaux, les projets territoriaux de développement durable, les territoires à énergie positive développent des initiatives qui peuvent être portées au niveau de la stratégie interministérielle. La loi de transition énergétique pour une croissance verte prévoit la création de schémas régionaux de biomasse, qui viseront à identifier les gisements de bioressources au niveau local et seront annexés aux schémas régionaux climat-énergie.

La stratégie interministérielle doit également répondre aux exigences de la démocratie environnementale. Ainsi, la question de la compétition des usages est une vraie question et interpelle aujourd'hui la société civile. De même, un cadre de régulation de l'usage des biotechnologies doit, d'ores et déjà, être prévu et construit par toutes les parties prenantes.

Le Président de la République a souligné la nécessité de démocratiser le dialogue environnemental. Plusieurs outils ont été identifiés par la commission relative à la démocratisation du dialogue environnemental, présidée par le sénateur Alain Richard. Le ministère de l'écologie restera très attentif à la participation de toutes les parties prenantes - acteurs économiques, représentants des territoires, associations de consommateurs et de protection de l'environnement - à l'élaboration de cette stratégie.

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