II. DES AMÉLIORATIONS NÉCESSAIRES NE REMETTANT PAS EN CAUSE L'ÉCONOMIE ACTUELLE DU TRANSPORT FERROVIAIRE
A. L'IMPOSSIBILITÉ D'UNE REPRODUCTION À L'IDENTIQUE DU SYSTÈME DE SÉCURITÉ AÉROPORTUAIRE
Si vos rapporteurs se sont attachés à l'examen des vulnérabilités spécifiques aux transports ferroviaires et guidés, ils en appellent à la construction d'une réponse globale face à la menace terroriste actuelle, sans laquelle celle-ci ne pourra être enrayée. En particulier, l'action des services de renseignement sera déterminante dans ce domaine.
En ce qui concerne les réseaux ferrés, vos rapporteurs relèvent qu'aucune mesure ne permettra d'écarter définitivement la menace terroriste dans les transports ferroviaires ou guidés, sauf à changer radicalement de modèle de transport et de société , ce qui n'est pas envisageable aujourd'hui. C'est dans cet état d'esprit qu'ils ont réfléchi à des recommandations réalistes, permettant d'améliorer de façon significative et à un coût raisonnable la sécurité dans les gares et les transports.
En l'occurrence, en l'état actuel de la menace, il ne semble pas envisageable d'appliquer de façon systématique aux transports ferrés le système de sécurité aéroportuaire , composé d'un contrôle minutieux de l'ensemble des passagers et des bagages au moyen de portiques d'inspection-filtrage.
Il convient de rappeler que les trafics observés sur les réseaux ferrés et guidés (près de 102,6 milliards de voyageurs-kilomètre 30 ( * ) assurés par an) sont beaucoup plus importants que le trafic aérien (14 milliards de voyageurs-kilomètre 31 ( * ) ). L'architecture du système de sécurité aérien a en outre pu être intégrée dès le stade de la conception des aéroports, au sein desquels des espaces étendus lui sont consacrés.
A l'inverse, l'espace contraint des gares et les stations de métro rend impossible, à l'heure actuelle, l'installation systématique de portiques d'inspection-filtrage à chaque point d'entrée d'un quai, celui-ci étant souvent doté de plusieurs accès. Même avec des travaux de rénovation, il n'est pas certain que l'ensemble des quais puissent en être pourvus, en particulier sur le réseau de métro ou de RER, sauf à agrandir considérablement l'emprise des gares, ce qui semble tout aussi irréaliste, compte tenu de la rareté de l'espace foncier disponible en centre-ville.
Conditionner l'accès à un train ou métro au passage dans un portique aurait en outre pour conséquence d'allonger de façon considérable le temps de trajet en train ou en métro, et par conséquent de réduire l'intérêt de ces modes de transport par rapport à d'autres, qu'ils soient collectifs (le bus ou l'avion) ou individuels (le recours à la voiture ou au deux-roues).
D'après certaines estimations, l'installation de portiques allongerait d'une heure environ les trajets réalisés en TGV. Sur le réseau Transilien, les difficultés aujourd'hui rencontrées durant les heures de pointe rendent cette mesure peu réaliste. Son acceptabilité sociale est d'autant plus compromise qu'au-delà de cet aspect temporel, les inconvénients pratiques d'un passage sous un portique ne sont pas négligeables. Ils obligent en effet les usagers à sortir leurs appareils électroniques de leurs sacs, voire à enlever leurs chaussures ou leurs manteaux dans des endroits ouverts et froids.
Rien ne garantit par ailleurs que cette mesure permette effectivement d'éradiquer la menace terroriste dans les transports. Outre qu'elle n'est pas infaillible, elle pourrait simplement avoir pour effet de déplacer le risque soit à l'intérieur de la gare, si ces portiques engendrent d'importantes files d'attente 32 ( * ) , soit sur les autres modes de transport (bus, embouteillages routiers, etc.).
Ainsi, aux yeux de vos rapporteurs, le choix effectué par la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, de ne réserver l'installation de portiques de sécurité qu'à l'entrée de certains services ferroviaires, comme le Thalys , ne fera que déplacer le risque vers les autres services ferroviaires ou guidés, par exemple sur le réseau Transilien.
L' efficacité de cette mesure semble par ailleurs d'autant plus limitée que les autres gares desservies par le Thalys, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, n'ont pas prévu de se doter de dispositifs similaires . Ainsi, une personne ayant l'intention de commettre un attentat pourrait toujours, malgré cette mesure, monter dans un train Thalys à Bruxelles avec une arme, comme cela a été le cas le 21 août dernier.
Il existe d'ailleurs peu d'exemples de pays étrangers ayant mis en place de tels portiques, exceptée l'Espagne. Mais ce pays en a réservé l'usage aux trains à grande vitesse, ce qui ne permet pas de traiter la menace existant sur les trains de banlieue, où ont justement eu lieu les attentats d'Atocha.
Vos rapporteurs considèrent, en définitive, que l'installation de portiques de sécurité fixes est une mesure coûteuse , pour une efficacité limitée en matière de prévention de la menace.
D'après le ministère des transports, leur coût est en effet estimé à 2,5 millions d'euros par an et par quai , soit un total de 7,5 millions d'euros par an 33 ( * ) . Ce montant comprend la location des portiques, les prestations assurées par une société de sécurité privée pour effectuer ces contrôles, les prestations d'une autre société assurant l'accueil des voyageurs à l'entrée du quai et leur orientation vers l'un des portiques, ainsi que la mobilisation de personnels de la SUGE pour intervenir en cas d'incident.
Vos rapporteurs proposent en revanche l'équipement des services ferroviaires et guidés en portiques de sécurité déplaçables, dont la rotation serait assurée sur l'ensemble des réseaux, de façon aléatoire pour l'usager . Ainsi, ce ne serait plus telle ou telle liaison ferroviaire qui serait « sécurisée » de façon permanente, mais l'ensemble des lignes des réseaux ferroviaires et de métro qui pourraient faire l'objet d'un tel contrôle de façon inopinée. La création de cet aléa installerait un climat d'incertitude pour les auteurs d'attentats, puisqu'il ne serait pas possible de savoir à l'avance quels services de transports seraient contrôlés.
Cette mesure a l'avantage d'être beaucoup moins coûteuse , pour une efficacité supérieure , si l'on considère que c'est bien l'ensemble des réseaux ferroviaires ou guidés qui doivent être protégés. Elle semble en outre plus acceptable pour les usagers , puisque ce ne serait pas les mêmes personnes qui seraient contrôlées à chaque fois. La présence d'un nombre important de portiques déplaçables pour ces opérations ciblées permettrait enfin de garantir une certaine fluidité dans le contrôle des passagers .
Proposition n° 1 : Réaliser, de façon aléatoire, des opérations d'inspection-filtrage au moyen de portiques déplaçables déployés sur l'ensemble des réseaux ferroviaires et guidés |
* 30 Unité correspondant au transport d'un voyageur sur un kilomètre.
* 31 Données 2013 extraites de l'édition 2015 des « Chiffres clés du transport » du Commissariat général au développement durable (CGEDD).
* 32 L'attentat du 29 décembre 2013 perpétré à la gare de Volgograd, en Russie, au cours duquel une femme kamikaze s'est fait exploser dans la file d'attente des portiques de sécurité, a fait 17 morts et des dizaines de blessés.
* 33 Deux quais ont été équipés à la gare du Nord et un quai à la gare de Lille Europe.