CHAPITRE VIII - LE BÂTIMENT ET L'HABITAT
Christian FAVIER
Sénateur du Val-de-Marne
I. PROPOS INTRODUCTIF
Agir pour la planète en améliorant la qualité de vie des habitants : tels sont les objectifs, moins démesurés qu'il ne peut paraître, des actions menées par les collectivités territoriales en matière d'habitat, de logement et, plus généralement, sur les bâtiments afin de lutter contre le changement climatique.
En effet, le secteur du bâtiment participe aujourd'hui à près de 20% des émissions des gaz à effet de serre et à plus de 40 % de la consommation d'énergie. Dans les territoires fortement urbanisés, comme l'Ile-de-France, ces chiffres s'élèvent à 60% pour les consommations d'énergie, et près de la moitié pour les émissions de gaz à effet de serre.
Au-delà de l'évidente nécessité d'agir sur le bâtiment que ces chiffres illustrent, la lutte contre le réchauffement climatique comporte dans ce secteur bien d'autres avantages, que votre rapporteur tient à mettre en exergue.
En premier lieu, la rénovation thermique des bâtiments, qui implique une meilleure isolation de l'existant, aussi bien que la construction d'un nouveau patrimoine respectant la règlementation thermique en vigueur, améliore le bien-être des utilisateurs, ceux des logements (selon l'INSEE, 3,5 millions de ménages en France métropolitaine déclarent souffrir du froid dans leur logement) 54 ( * ) , comme ceux des bureaux.
Par ailleurs, la lutte contre le réchauffement climatique passe par la diminution de la consommation d'énergie, ce qui revient pour les ménages, en fonction de l'évolution des prix, à alléger la facture énergétique de leur logement. Or cette facture pèse lourdement sur le pouvoir d'achat, souvent au point d'empêcher un chauffage correct dans les logements : l'INSEE estime qu'en 2015, 14,6% des ménages sont en situation de vulnérabilité énergétique. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, précise que se trouve dans cette situation « une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'habitat ».
Enfin, la lutte contre le réchauffement climatique dans le secteur du bâtiment a un impact économique significatif : en particulier, les chantiers de rénovation thermique et de construction permettent la création d'emplois non délocalisables. À titre d'exemple, l'Agence nationale de l'habitat a accordé dans ce secteur, en 2014, 716,8 millions d'euros d'aides, ce qui a permis d'engager un volume de travaux éligibles d'un montant de 1,4 milliard d'euros, soit l'équivalent de 28 000 emplois créés ou préservés.
On reconnaît dans ces trois aspects de la lutte contre le changement climatique dans le secteur du bâtiment l'interaction exemplaire des trois piliers du développement durable : l'économique, le social et l'écologique.
Pour illustrer cette réalité, votre rapporteur a procédé à sept auditions. Elles lui ont permis de prendre la mesure de la diversité des situations dans les territoires, de la diversité des acteurs concernés et de celle des solutions innovantes disponibles. Il a ainsi pu vérifier l'existence d'un engagement fort - et souvent ancien - en matière de rénovation thermique et en faveur de la construction de bâtiments respectueux de l'environnement.
Il a rencontré tout d'abord le Syndicat mixte Pays d'Ardèche verte, qui a mis en place, sur un territoire à très forte dominante rurale, un projet centré sur l'objectif d'aller au-devant des personnes dont les logements nécessitent des travaux d'isolation. Le syndicat accompagne ces personnes dans leurs démarches administratives et financières, et les aide à inscrire leurs travaux dans une démarche globale de rénovation. Cette action permet la réalisation de travaux de rénovation qui, bien souvent, n'auraient pas été menés à bien ou l'auraient été partiellement en raison de leur coût et de la complexité des dossiers de demande d'aide.
Par ailleurs, votre rapporteur s'est intéressé à un projet de la communauté de communes de Loches développement. Celle-ci met en place une filière de construction et de rénovation thermique à partir de matériaux biosourcés produits localement. La communauté de communes rassemble autour de cette initiative de nombreux partenaires issus du monde agricole, de l'Université et du monde de l'entreprise. L'un des objectifs de cette initiative est la création d'emplois de demain non délocalisables.
En marge de ce qui relève du logement, votre rapporteur souhaite aussi mettre en valeur l'action des collectivités territoriales sur leur propre patrimoine bâti : immeubles administratifs, crèches, écoles, collèges,... En effet, elles possèdent souvent un patrimoine important, dont la qualité environnementale a valeur de référence pour les citoyens et peut ainsi jouer un rôle incitatif. C'est pourquoi votre rapporteur a souhaité présenter le schéma directeur énergie du département du Val-de-Marne, qui vise à diviser par sept, d'ici 2050, les émissions de gaz à effet de serre de son patrimoine bâti. Le Val-de-Marne propose également d'accompagner les ménages dans la rénovation énergétique de leur logement à travers une plateforme de la rénovation énergétique pour tous - guichet unique regroupant au sein d'une même structure tous les acteurs de la rénovation -, et par la création de postes « d'ambassadeurs de l'énergie » : douze jeunes, recrutés en emploi d'avenir en partenariat avec les missions locales, qui ont pour mission d'aller à la rencontre des ménages.
Votre rapporteur a rencontré par ailleurs l'adjoint de la ville de Paris chargé du logement, au sujet des actions d'aide à la rénovation du parc social et des actions d'incitation à la rénovation du parc privé, dans le cadre du volet logement du Plan Climat Énergie de la ville.
Enfin, il a auditionné deux partenaires essentiels des collectivités territoriales pour les actions en matière de logement : l'Agence nationale de l'habitat, qui subventionne notamment des travaux de rénovation énergétique pour les ménages aux revenus modestes et qui participe à la rénovation des copropriétés dégradées ; et l'Union sociale pour l'habitat, qui représente 755 organismes HLM et s'engage depuis plusieurs décennies, à une échelle impressionnante 55 ( * ) , à réduire la consommation d'énergie du patrimoine HLM, que ce soit à travers la rénovation des logements existants ou par la construction de nouveaux logements. Telles sont également les orientations de Paris Habitat, qui agit sur la gestion et l'entretien du système de chauffe de ses logements, et que votre rapporteur a rencontré à titre d'exemple d'office HLM.
Au cours de ses auditions, votre rapporteur a constaté l'existence de certains freins. La capacité à desserrer ces freins en fonction des préconisations qui suivent conditionne largement le niveau à terme de la contribution du secteur du bâtiment à la réduction de l'émission de gaz à effet de serre et à la maîtrise de la consommation d'énergie :
- mieux accompagner les ménages : face à l'ampleur des travaux de rénovation nécessaires dans certains logements, les ménages ne savent par où commencer et peuvent finalement abandonner, ou encore ne pas exécuter l'ensemble des tranches nécessaires ;
- simplifier les systèmes d'aides et mieux les articuler entre eux : beaucoup de ménages ne demandent pas de subventions et renoncent à des travaux majeurs de rénovation car ils se sentent perdus entre les différents régimes d'aide, et ne savent remplir les dossiers nécessaires. En outre, les calendriers et les pièces demandées varient et, dans certains cas, les aides ne sont pas cumulables ;
- garantir un niveau d'aides suffisant et pérenne. À plusieurs reprises, l'attention de votre rapporteur a été attirée sur les problèmes que pose la pérennité incertaine des programmes et sur les doutes que suscite le maintien de leur financement. Or, l'absence de vision à moyen terme freine certains ménages qui n'osent pas s'engager dans des travaux importants faute de certitude sur le niveau du soutien pendant toute leur durée ;
- travailler à une meilleure sensibilisation des habitants afin de maximiser l'efficacité des travaux réalisés. La formation aux écogestes, la modification des habitudes à proscrire (ouvrir les fenêtres avec les radiateurs allumés) sont autant d'actions nécessaires à mener, souvent peu onéreuses et efficaces, pour réduire les émissions des gaz à effet de serre et les consommations d'énergie. À cet égard, notre collègue Nelly Tocqueville, s'appuyant sur son expérience de présidente d'un établissement social d'habitat a insisté, lors de la réunion de la délégation du 22 octobre 2015, sur la nécessité d'une pédagogie de changement des comportements, « les économies énergétiques n'étant possibles que si les locataires se font acteurs de cette démarche » ;
- prendre comme point de référence pour les aides, les émissions réelles des bâtiments quelques années après les travaux, et non la consommation théorique, afin de s'assurer de la qualité de ceux-ci et de leur durabilité. La pratique danoise est intéressante à cet égard, puisque le taux de prêt est calculé sur la base de la consommation d'énergie mesurée deux ans après les travaux ;
- au-delà de la construction de quelques bâtiments exemplaires, réfléchir à la possibilité d'un effort massif, certes à un niveau moins important que celui des critères de la construction basse consommation, mais avec un effet nombre permettant des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre ;
- adapter les logements au changement climatique. Traditionnellement, en France métropolitaine, les enjeux portaient sur la lutte contre le froid et la possibilité de maintenir la chaleur à l'intérieur des bâtiments, qui n'étaient donc pas conçus. Ceux-ci ne sont donc pas construits en prévision de périodes de pics de chaleur que l'on connaît aujourd'hui ;
- assurer la pérennité des ressources et des moyens des organismes participant aux financements des aides à la rénovation énergétique des logements. Pour mener à bien les préconisations précédentes, il est nécessaire d'assurer une montée en charge des capacités de financement des divers intervenants en matière de construction et de rénovation de l'habitat, en particulier dans le domaine social.
En dernier lieu, votre rapporteur note qu'il partage le souhait, exprimé par notre collègue Eric Doligé lors de la réunion de la délégation du 22 octobre 2015, que soit mise en place une plateforme permettant de diffuser aux collectivités de toutes tailles une information sur les projets existants et de favoriser l'échange des bonnes pratiques.
* 54 La précarité énergétique, avoir froid ou dépenser trop pour se chauffer, mai 2011.
* 55 4,5 millions de logements sont gérés par les organismes HLM.