CHAPITRE VII - LA BIODIVERSITÉ
Joël LABBÉ
Sénateur du Morbihan
I. PROPOS INTRODUCTIF
Loin d'être opposés, la biodiversité et le climat sont deux enjeux interdépendants.
La biodiversité est sans doute l'indicateur le plus visible du changement climatique qui constitue, aux côtés de l'artificialisation des sols, de la surexploitation des ressources et de l'émission de polluants, l'une des causes bien identifiées de sa dégradation. Pour preuve, 20 à 30% des espèces seraient exposées à un risque accru de disparition en cas d'augmentation de 1,5 à 2,5 degrés de la température 45 ( * ) .
À l'inverse, une biodiversité en bon état de conservation concourt à la lutte contre le changement climatique. Les écosystèmes jouent en effet un rôle essentiel dans le captage et le stockage du gaz carbonique. Près de la moitié des émissions produites par l'activité humaine sont absorbées par eux 46 ( * ) . Les océans, les forêts et les sols sont autant de « puits de carbone » qu'il convient de protéger. En outre, des écosystèmes sains et vivants permettent de faire plus efficacement face aux aléas climatiques extrêmes, dont la fréquence et l'intensité pourraient s'accélérer. Une gestion durable des zones humides, forestières ou agricoles contribue ainsi à renforcer la résilience des milieux naturels contre les risques d'inondation, d'incendie ou de sécheresse.
C'est pourquoi votre rapporteur a souhaité mettre en lumière la relation d'interdépendance, trop longtemps négligée, qui existe entre la biodiversité et le climat : en protégeant les écosystèmes sur leurs territoires, les collectivités territoriales agissent directement en faveur de la biodiversité, et indirectement en direction du climat.
Pour ce faire, les collectivités disposent d'un panel de leviers, de surcroît peu onéreux. Ceux-ci visent à protéger les espèces et les milieux naturels, tels que les parcs naturels régionaux ou les espaces naturels sensibles, à inscrire la biodiversité dans les projets d'urbanisme et les opérations d'aménagement, via les déclinaisons de la trame verte et bleue, à développer des stratégies transversales, comme les stratégies régionales pour la biodiversité et les Agendas 21 locaux, ou encore à recueillir et diffuser les connaissances, avec les observatoires locaux de la biodiversité.
Parfois, un simple changement de pratiques peut suffire : favoriser la végétalisation sous toutes ses formes, y compris spontanée, en anticipant l'interdiction au 1 er janvier 2017 du recours aux produits phytosanitaires pour la gestion des espaces verts et des voiries 47 ( * ) , contribue à rafraîchir les agglomérations. En milieu urbain, une augmentation de 10% des surfaces végétalisées permet ainsi d'abaisser d'un degré la température dans un rayon de 100 mètres 48 ( * ) , réduisant d'autant le risque de formation d'îlots de chaleur, c'est-à-dire la rétention de la chaleur par le tissu urbain.
Le verdissement des villes ne se limite d'ailleurs pas à la création de jardins d'agrément, mais peut également prendre la forme de potagers ou de vergers. L'agriculture urbaine, portée par le renouveau des jardins partagés, est un outil de reconquête de la biodiversité en ville. Aux côtés des circuits courts, elle participe d'une nouvelle forme de notre alimentation, fondée sur la proximité des lieux de production et de consommation (voir encadré).
Telles sont les initiatives concrètes et pragmatiques dont votre rapporteur a souhaité rendre compte.
Dans cette optique, votre rapporteur a effectué un déplacement de terrain en juillet dernier dans le département du Morbihan.
Il a ainsi pu apprécier l'action du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan, un exemple d'espace protégé labellisé en 2014, qui contribue utilement à la préservation de la biodiversité et du climat.
Il a également souhaité présenter les réalisations de l'une des communes membres de ce parc, Saint-Nolff, qui a élaboré et mis en oeuvre une stratégie globale en faveur de la biodiversité, en s'appuyant sur un Agenda 21 local dès 2006.
En complément de cette visite de terrain, votre rapporteur a entendu mettre en valeur d'autres collectivités, dont il a auditionné des représentants.
Il a ainsi voulu rappeler la démarche pionnière de la ville de Versailles, qui a opté pour le « zéro-phyto », c'est-à-dire la gestion naturelle et non plus chimique de ses espaces verts, depuis 2003.
En outre, votre rapporteur a souhaité étudier le cas de la ville de Paris, engagée dans un ambitieux programme de végétalisation dont les objectifs ont été posés dès le début des années 2000 et renforcés en 2014.
Enfin, votre rapporteur s'est intéressé aux réalisations de l'Agence régionale pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France. Créée en 2008 à l'initiative du conseil régional d'Ile-de-France, cette agence régionale qui regroupe 83 collectivités territoriales s'est imposée comme une structure de référence dans la mutualisation des connaissances relatives à la biodiversité.
Si la biodiversité a longtemps été le « parent pauvre » des politiques publiques, votre rapporteur constate avec satisfaction l'implication croissante des collectivités territoriales dans ce domaine. Dans nos régions, on dénombre ainsi 11 stratégies régionales de la biodiversité, au moins 33 observatoires régionaux de la biodiversité, et 51 parcs naturels régionaux couvrant 15% du territoire national 49 ( * ) .
Toutefois, l'érosion rapide de la biodiversité appelle à maintenir et intensifier cet effort. C'est en substance ce que retient votre rapporteur des auditions qu'il a conduites auprès des représentants du ministère en charge de l'Écologie, du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Comme le ministère l'a rappelé à votre rapporteur, 70 000 hectares ont été artificialisés chaque année en moyenne de 2006 à 2014, les cours d'eau comptent un obstacle tous les 6 km, et seulement 22% des habitats d'intérêt européen sont en bon état de conservation : la biodiversité est indéniablement en danger, au même titre que le climat.
Aussi votre rapporteur forme-t-il le voeu que les pratiques favorables à la biodiversité qu'il a choisi de mettre en lumière essaiment.
Parmi ces bonnes pratiques, il juge prioritaire que les collectivités anticipent l'entrée en vigueur, au 1 er janvier 2017, de l'interdiction du recours aux produits phytosanitaires. Il rappelle que les collectivités, pour se préparer sereinement à cette perspective, peuvent prendre connaissance d'expériences, dont les plus anciennes ont maintenant une dizaine d'années, et tirer profit d'offres de formation à destination des agents communaux ou des élus.
En outre, votre rapporteur souhaite que la biodiversité cesse d'être portée par des actions ponctuelles, sinon confidentielles, pour devenir un objectif transverse, irriguant l'ensemble des politiques publiques. À l'échelle locale, il invite les collectivités à intégrer davantage cet objectif dans l'exercice de leurs compétences, à commencer par l'urbanisme et l'aménagement. Sur le plan national, il espère que l'Agence française pour la biodiversité, dont la création est en cours, offrira aux collectivités l'appui technique et les moyens financiers dont elles ont besoin.
Enfin, votre rapporteur insiste plus spécifiquement sur la nécessité de valoriser les aspects sans doute les plus méconnus de la biodiversité. La protection des espaces naturels et des espèces emblématiques est une action aujourd'hui bien établie ; elle doit être poursuivie et amplifiée. Cependant, il importe d'aller plus loin, en cessant de délaisser la « biodiversité ordinaire », c'est-à-dire le patrimoine naturel ne faisant pas l'objet de mesures de protection. Il est essentiel, pour votre rapporteur, d'accorder une attention spécifique à la biodiversité des sols et à la biodiversité des villes.
En définitive, votre rapporteur rappelle que, dans le contexte de la COP21, la lutte contre le réchauffement climatique ne saurait reléguer au second plan la préservation de la biodiversité ; tout au contraire, ces deux objectifs, interdépendants, doivent progresser d'un même pas.
Agriculture urbaine et circuits courts :
Une manière originale de renforcer la place de la nature en ville est d'y favoriser l'émergence de nouvelles formes de production et de consommation. C'est dans cette perspective que les collectivités accompagnent l'agriculture urbaine, en mettant à la disposition des particuliers, bien souvent réunis en associations de quartier, des jardins partagés. Héritiers des jardins ouvriers du XIX e siècle, ces parcelles cultivées, en plein renouveau depuis le début des années 2000, contribuent de manière positive à la préservation de l'environnement. Sur un plan écologique, les jardins partagés sont des réservoirs de biodiversité et participent à limiter les phénomènes d'îlots de chaleur. D'un point de vue socioéconomique, ils sont un vecteur de lien social ainsi qu'un complément de ressources. Enfin, les jardins partagés ont une fonction pédagogique, et sensibilisent les citadins à la nature. Au cours de la réunion plénière de votre délégation du 8 octobre dernier, votre rapporteur a constaté, à travers les témoignages des membres de la délégation, l'implication des collectivités en faveur des jardins partagés. Mme Caroline Cayeux a notamment fait part d'une initiale locale : « À Beauvais, nous avons doublé en quinze ans le nombre des jardins familiaux et nous les avons rendus accessibles aux personnes en fauteuil roulant. Les parcelles, de 20 à 30 m², produisent suffisamment de légumes pour une famille de quatre personnes. Cela n'est pas négligeable quand on est au chômage. On prend l'air et on récolte les fruits de son travail. C'est aussi l'occasion de diffuser de bonnes pratiques écologiques comme le « zéro-phyto » ou le paillage pour éviter l'arrosage » De son côté, le président Jean-Marie Bockel a fait observer que : « cette tradition des jardins familiaux existe aussi dans d'autres pays européens. Après un temps de déclin, ils connaissent aujourd'hui un regain d'engouement ». Dans le même ordre d'idées, les collectivités utilisent également la commande publique pour promouvoir les circuits courts , c'est-à-dire des chaînes de commercialisation présentant le moins d'intermédiaires possible entre le producteur et le consommateur. C'est sans doute dans le domaine de la restauration scolaire que les circuits courts, dont les bénéfices sont multiples, ont le plus progressé localement. Ces derniers offrent aux producteurs et aux consommateurs un gain mutuellement avantageux, susceptible de dynamiser l'économie locale : une marge plus forte pour les premiers, un prix plus faible pour les seconds. Cette relation de proximité, gage de qualité et de sécurité alimentaires, permet de surcroît de limiter les émissions de gaz carbonique causées par le transport de marchandises. À nouveau, votre rapporteur souhaite souligner l'engagement des collectivités dans ce domaine, dont les membres de votre délégation ont amplement témoigné. M. Christian Manable a ainsi présenté une expérience conduite localement : « Dans le département de la Somme, nous avons lancé il y a cinq ans un dispositif de circuit court, grâce auquel nous fournissons quarante collèges. Nous n'aurions jamais pu le faire sans l'appui de la chambre d'agriculture, qui est une plateforme de distribution indispensable. Tout le monde en sort gagnant : les enfants mangent mieux, les agents des cantines, plutôt que d'ouvrir des boites de conserve, exercent leur métier avec plaisir, les producteurs locaux et, bien évidemment, notre planète. Nous avons largement relayé dans les médias cette opération intéressante, car nous aimerions atteindre l'objectif des cinquante collèges dans les années à venir.» Mme Françoise Gatel a également rappelé une action mise en oeuvre dans ce domaine : « En Ille-et-Vilaine, au titre de l'association des maires - qui regroupe 353 communes -, j'ai noué un partenariat avec la chambre d'agriculture pour organiser une offre de circuit court, respectant les règles de commande publique et permettant de trouver les agriculteurs pouvant fournir une production suffisante. La chambre a créé une aide à la commande publique et structuré l'offre pour un approvisionnement continu.» M. Jean-Marie Bockel a noté que des freins, notamment règlementaires, s'opposent encore à ce type de démarche : « Des communes rurales membres d'agglomérations produisent des biens agricoles. Hélas, les projets se heurtent à divers freins. Les cantines scolaires obéissent à des règles de marchés publics et doivent limiter leurs coûts. Les bonnes raisons pour ne pas choisir un circuit court ne manquent pas. J'ai réalisé, chemin faisant, qu'il n'était pas simple de passer des intentions - ou de l'échelle associative - à la réalité, qui se révèle souvent bien plus complexe. » |
* 45 Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), Bilan 2007 des changements climatiques : rapport de synthèse, 2007, page 14.
* 46 Commission européenne, « Le rôle de la nature dans le changement climatique », 2009, page 2.
* 47 La loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, telle que modifiée par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, prohibe l'utilisation par les personnes publiques des produits phytosanitaires pour l'entretien des espaces verts, des forêts, des voiries ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé, à compter du 1 er janvier 2017.
* 48 Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU), « Végétaliser les villes pour atténuer les îlots de chaleur urbains », 2007, page 2.
* 49 Sources : ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Observatoire national de la biodiversité et Fédération nationale des parcs naturels régionaux.