D. DES REGRETS, MALGRÉ TOUT
1. Un bilan globalement positif
Si l'abandon des QL est acté, il reste un regret. Les QL ont été un bon outil, pas toujours bien utilisé, sans doute mal adapté à la diversité des situations nationales ou aux dynamiques laitières, sans doute trop sensible aux influences politiques ou catégorielles, mais ils ont permis d'assurer une production laitière partout en Europe, équilibrée, sans coûter au contribuable, sans que le consommateur n'ait eu à s'en plaindre. Voilà bien longtemps que la pression de la grande distribution a fait exploser l'argument rituel de l'OCDE sur le prétendu coût des politiques publiques de soutien de l'Union européenne !
Les QL ont structuré le secteur laitier et, malgré quelques effets contestables, le bilan est globalement positif. Les QL furent l'emblème d'un choix équilibré entre la politique et l'économie, entre la productivité et l'aménagement du territoire, entre l'homme et le marché.
Pour éviter toute accusation de plaidoyer pro domo , il suffira de reprendre un argumentaire extérieur, d'un observateur averti et peu connu pour son appétence régulatrice, celui de... la Commission européenne. L'argumentation a été développée en 2001, en réponse aux critiques de la Cour des comptes européenne qui appelait une libéralisation totale du secteur. « Le système de gestion des quotas par État membre a eu comme conséquence que la production a été maintenue dans les régions défavorisées de la Communauté, en premier lieu dans les zones de montagne où les coûts de production sont plus élevés et la production laitière souvent la seule activité agricole possible. La Commission pense également que la concentration de la production laitière risquerait de provoquer d'importants problèmes d' environnement . D'un autre côté, la richesse de l'Union européenne en matière de production de produits de qualité (...) serait compromise. En effet, la richesse, du secteur laitier réside entre autres dans la diversité de production dans certaines régions. La concentration de la production dans certaines régions conduirait à une standardisation des produits et donc à un appauvrissement de leur qualité. »
Tout est dit : l'appui aux régions défavorisées, l'environnement, la qualité des produits, permise par la diversité des productions, les risques liés à l'abandon des QL. Il ne surprendra personne que les sénateurs, représentant les collectivités territoriales de la République et par conséquent représentant les territoires, aient été sensibles à cette dimension économique, régionale. C'était en 2001. Depuis, la Commission a changé d'avis. Le contexte, lui aussi, a changé. Les perspectives de croissance du marché mondial, notamment dans les pays émergents (voir infra) a renforcé le camp des « anti-QL ».
Pourtant, on ne voit pas en quoi cette nouvelle zone de consommation modifie l'argumentaire présenté ci-dessus. En quoi la vente de lait infantile aux familles bourgeoises de Shanghaï change la perception de l'utilité des QL sur les régions défavorisées, la qualité et la diversité de production ?
2. Le maintien des quotas laitiers était sans doute possible avec quelques ajustements
Plusieurs pistes étaient envisageables :
- une augmentation des QL, pour répondre à la demande mondiale ;
- une nouvelle répartition entre États membres, pour éviter que des pays soient structurellement en situation de dépassement et soient obligés de payer, chaque année, des pénalités ;
- sans doute aussi un mécanisme d'ajustement des QL en période de déséquilibre qui soit plus neutre et automatique. L'utilisation des QL à des fins d'encadrement de la production, suppose une volonté politique et une rigueur qui ont parfois fait défaut. Il y avait probablement trop de pression de la part du monde agricole sur les gouvernements pour que les QL jouent effectivement le rôle pour lequel ils avaient été conçus. Un mécanisme d'ajustement automatique en cas de crise ou de déséquilibre aurait été plus efficace. L'observatoire du marché laitier, mis en place en 2014 par la Commission européenne dispose de suffisamment de données pour établir un système d'alerte qui aurait pu être utilisé lorsqu'une menace de surproduction apparaissait.
La force du courant « abolitionniste » était telle que cette option n'a guère été envisagée que par une poignée de professionnels. Hélas, sans succès.
Telle est l'histoire de la fin des QL.
Place au marché.