C. UN BILAN NUANCÉ

Quel bilan dresser de ce dispositif qui a marqué la profession, et auquel les Français ont toujours été très attachés ?

1. Les quotas laitiers n'ont joué qu'un rôle secondaire pour atteindre l'objectif qui leur était assigné

En 1984, l'ambition de l'époque était de rétablir l'équilibre entre l'offre - excessive - et la demande de produits laitiers par un contingentement des productions, les quotas. L'objectif a été atteint. Les stocks ont disparu et l'image des « montagnes de beurre » si vivace - et encore utilisée aujourd'hui - est une image du temps de l'autochrome. Pourtant, force est de constater que les QL n'ont eu qu'un rôle assez mineur dans cette résorption.

Loin d'être « la camisole de force », selon l'expression de la Cour des comptes 20 ( * ) , les quotas n'ont jamais été très rigoureux. Les premiers quotas dépassaient largement la consommation européenne - ce fut d'ailleurs un élément important pour qu'ils soient acceptés par les éleveurs. La résorption des stocks a été très lente. Mieux même, le pic des stocks se situe après la mise en place des QL 21 ( * ) . Ce n'est qu'après quatre exercices que les quotas ont été effectivement réduits, pour, enfin, supprimer les fameux stocks. Mais dès que le seuil d'alerte s'est éloigné, les QL ont été augmentés et les stocks sont réapparus. Le niveau des QL étant fixé par le Conseil, la pression pour augmenter les quotas a toujours été forte, qu'il s'agisse de la pression des États s'estimant défavorisés par les seuils de référence, ou de la pression juridique, car les QL ont fait l'objet de nombreux contentieux. Après une courte phase de contraction dans les années 90, les QL ont été globalement augmentés ou périodiquement ajustés 22 ( * ) .

D'autres instruments ont été autrement plus efficaces pour réduire les volumes et supprimer les excédents, qu'il s'agisse des primes à l'abandon définitif de l'élevage laitier, de la baisse des prix d'intervention, de la suppression de l'intervention sur certains produits, de son maintien au titre de seul « filet de sécurité », de la suppression des restitutions, du découplage des aides (pour un paiement direct identique, l'exploitation céréalière était beaucoup moins contraignante que l'élevage). La profession, qui avait su préserver des quotas assez généreux, a immédiatement réagi aux baisses des soutiens financiers.

2. En revanche, les quotas laitiers se sont avérés très utiles et efficaces au soutien des politiques d'aménagement du territoire

Le régime des quotas laitiers a été organisé sur une base nationale, tant parce que tous les pays ont une production laitière, que pour éviter une concentration de la production dans les bassins les plus compétitifs. Les QL étaient ensuite répartis entre bassins et entre élevages qui bénéficiaient de « quantités de référence ». Ainsi, même si les QL avaient une vocation régulatrice, la production laitière s'est construite partout en Europe, en tenant compte de ses aspects socio-économiques.

Cet argument, souvent utilisé en France, a été parfaitement admis par la Commission à qui il est même arrivé de présenter un véritable plaidoyer des quotas laitiers face aux attaques d'autres institutions. En 2001, puis à nouveau en 2009, la Commission s'est montrée un défenseur raisonné des quotas laitiers. La Commission reste d'ailleurs sensible à cet argument d'aménagement du territoire et à la fragilité de la production laitière dans les régions défavorisées. 23 ( * )

D'ailleurs, les QL n'ont jamais été un carcan, figeant pour toujours le paysage laitier. Les QL et la répartition régionale n'ont pas empêché une restructuration rapide et considérable des élevages. La restructuration se poursuit 24 ( * ) . Certains pays comme l'Allemagne sont même allés plus loin, ont donné plus de souplesse encore au système des QL en créant un véritable marché d'échanges des quotas.

Les QL ne furent ni un carcan, ni un objectif, puisque beaucoup d'États étaient à la fin de la période, en sous-réalisation de quotas, c'est-à-dire que leur production n'atteignait pas le niveau qui leur était attribué. Loin d'être une camisole de force qu'ils n'ont d'ailleurs jamais été, les QL ont assuré une production laitière équilibrée dans l'ensemble de l'Union européenne.


* 20 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 4/93 sur les quotas laitiers, § 1.1.

* 21 Le stock de beurre atteindra près de 1,4 million de tonnes en 1987.

* 22 Lors du bilan de santé par exemple avec une hausse des QL de + 2 %pour l'Italie contre + 1 % pour les autres États.

* 23 Voir notamment le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'évolution de la situation du marché des produits laitiers (COM (2014) 354 final.

* 24 La restructuration est, il est vrai, moins rapide dans les douze nouveaux adhérents, de 2004-2007 malgré des quotas plutôt stricts. Cette relative inertie est liée à la présence de très nombreux micros élevages destinés à une autoconsommation.

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