B. UNE RÉGLEMENTATION GLOBALEMENT TRÈS PROTECTRICE DES TRAVAILLEURS, MAIS UN GRAVE MANQUE DE PILOTAGE ET DE CONTRÔLE
1. La réglementation française, qui repose sur deux piliers distincts mais complémentaires, est globalement très protectrice à l'égard des travailleurs
Le cadre juridique français en matière de protection contre le risque amiante a la particularité de comprendre un volet « protection de la population » relevant du code de la santé publique » et un volet « protection des travailleurs » prévu dans le code du travail. Plus secondairement, certaines dispositions sont prévues dans le code de la construction et de l'habitation et dans le code de l'environnement, en matière de repérage ou de déchets amiantés notamment.
Selon la Direction générale de la santé (DGS), les réglementations italiennes, allemandes, anglaises et espagnoles concernent en premier lieu les travailleurs et l'environnement : il n'existe pas en tant que telle une réglementation pour la population exposée. L'étude de législation comparée annexée au présent rapport permet de vérifier le bien-fondé de cette assertion.
L'objet du présent rapport n'est pas de présenter en détail la réglementation en vigueur en France. Pour la clarté de l'exposé, votre comité de suivi rappellera seulement la philosophie des deux décrets essentiels en la matière, et certains de leurs arrêtés d'application : d'une part, le décret n° 2011-629 du 3 juin 2011 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante dans les immeubles bâtis et, d'autre part, le décret n° 2012-639 du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante.
a) Le décret du 3 juin 2011 n'a pas bouleversé la logique antérieure du code de la santé publique
Le décret du 3 juin 2011 a restructuré la partie réglementaire du code de la santé publique visant à assurer la protection de la population qui réside, circule ou travaille dans des immeubles bâtis dans lesquels des matériaux ou produits contenant de l'amiante sont présents. Ce texte a en effet conservé les grands principes de la réglementation antérieure. Ainsi, le repérage des matériaux ou produits susceptibles de contenir de l'amiante permet d'établir le cas échéant une surveillance ou de mettre en oeuvre des travaux ; des laboratoires sont chargés du prélèvement et de l'analyse ; les propriétaires des immeubles bâtis sont responsables de ces mesures de protection contre l'amiante ; le seuil de déclenchement des travaux (5 fibres par litre d'air) n'a pas été modifié.
Les principaux changements apportés par le décret sont les suivants :
- pour les propriétaires, les listes des matériaux et produits soumis à repérage amiante sont étoffées ; le préfet du département voit son information renforcée, tandis que les mesures de contrôle après des travaux de retrait ou de confinement sont étendues à la liste B. Plus généralement, le décret a précisé les obligations à la charge du propriétaire de l'immeuble bâti selon sa nature et l'existence ou non d'un projet de vente (voir le tableau de synthèse de la partie III, B, 1) ;
- les laboratoires réalisant des mesures d'empoussièrement de fibres d'amiante ne sont plus agréés par le ministère de la santé mais accrédités, et les laboratoires réalisant des analyses de matériau doivent transmettre au ministre chargé de la santé un rapport d'activité annuel ;
- enfin, les opérateurs de repérage voient les obligations de repérage des produits et matériaux de la liste B précisées et doivent remettre leurs rapports contre accusé de réception.
b) Mais le décret du 4 mai 2012 a renforcé avec raison les dispositions du code du travail visant à protéger les travailleurs exposés au risque d'amiante
Les résultats de la campagne Meta (microscopie électronique à transmission analytique) de 2009 ont représenté une « révolution », pour reprendre les termes de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Il en a résulté un durcissement de la réglementation du code du travail.
En effet, le décret du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante a réformé en profondeur la partie réglementaire du code du travail dédiée à la protection des travailleurs exposés à l'amiante :
- en abaissant la valeur limite d'exposition professionnelle (Vlep), qui est actuellement de 100 fibres par litre à 10 fibres par litre au 1 er juillet 2015, suivant ainsi l'avis du 7 août 2009 de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) ;
- en imposant le contrôle de l'empoussièrement en milieu professionnel selon la méthode Meta, plus performante que la méthode MOCP (microscopie optique à transmission de phase) utilisée jusqu'alors ;
- en supprimant la dualité de notions friable /non friable, au profit d'une nouvelle summa divisio entre les travaux relevant de la sous-section 3 (retrait, encapsulage, et interventions sur des matériaux, équipements, matériels et articles susceptibles de provoquer l'émission de fibres d'amiante) et ceux de sous-section 4 (opérations à caractère limitée dans le temps et l'espace) ;
- en définissant 3 niveaux d'empoussièrement qui sous-tendent la graduation des moyens de prévention collectifs (MPC) et des équipements de protection individuelle (EPI) à mettre en oeuvre ;
- en certifiant des entreprises selon un référentiel normatif unique, pour l'ensemble des activités visées à la sous-section 3 ;
- en adaptant les conditions d'utilisation, d'entretien et de vérification des MPC et EPI, en particulier les appareils de protection respiratoire (APR), aux niveaux d'empoussièrement sur les chantiers.
Il ressort des auditions que la réglementation française est vraisemblablement l'une des plus protectrices d'Europe. Comme en témoigne l'annexe n° 2, elle va en effet au-delà des normes européennes fixées dans la directive 2009/148/CE sur trois points essentiels :
- la directive fixe, en son article 8, une valeur limite d'exposition professionnelle (Vlep) de 100 fibres/litre sur 8 heures, contre 10 fibres/litre en France au 1 er juillet 2015 1 ( * ) ;
- l'article 7.6 de la directive prescrit le comptage des fibres par microscope à contraste de phase, qui est moins performant que la méthode de mesure Meta 2 ( * ) ;
- la directive ne définit pas précisément de niveaux d'empoussièrement, en fonction desquels sont choisis les moyens de protection collective (MPC) et les équipements de protection individuelle (EPI).
C'est pourquoi, lors de la conférence internationale sur la prévention et la surveillance des maladies liées à l'amiante qui s'est tenue en février 2014 en Finlande en collaboration avec l'organisation mondiale de la santé (OMS), la France a été félicitée pour son « avance incontestable » en termes de protection des travailleurs et de la population générale en matière d'amiante.
2. Cette réglementation souffre toutefois de quatre maux
a) Un manque de pilotage au niveau national
L'action du groupe de travail national amiante et fibres (GTNAF) constitue une réelle plus-value, en rassemblant toutes les directions centrales concernées par l'amiante, mais cette coordination entre services apparaît trop en retrait par rapport aux enjeux liés à l'amiante.
Les auditions ont montré que quasiment tous les ministères sont concernés, de près ou de loin, par les enjeux du désamiantage.
C'est pourquoi le premier axe des propositions de votre comité de suivi vise à faire de la prévention des risques liés à l'amiante une grande cause nationale, en instaurant un comité interministériel présidé par le Premier ministre, chargé d'élaborer et de mettre en oeuvre une stratégie nationale de désamiantage.
b) Un diagnostic amiante souvent défaillant
Votre comité de suivi a constaté que la qualité du repérage et du diagnostic amiante était le talon d'Achille de la réglementation actuelle.
Insuffisamment formés et contrôlés, certifiés selon des normes peu exigeantes, les diagnostiqueurs fédèrent contre eux un grand nombre de critiques.
Il est vrai que la qualité d'un diagnostic amiante est la condition sine qua non pour protéger efficacement les travailleurs et la population des fibres d'amiante.
En outre, le diagnostic technique amiante (DTA), qui n'est pas obligatoire dans tous les immeubles bâtis, n'est pas toujours réalisé, actualisé et communiqué aux personnes qui le demandent.
C'est pourquoi votre comité de suivi a consacré le deuxième axe de ses propositions à l'amélioration du repérage et du diagnostic amiante et au renforcement des règles relatives au DTA.
c) Des règles complexes, instables et insuffisantes mises en oeuvre pour protéger la population
Votre comité de suivi a identifié quelques faiblesses dans la réglementation, comme le fort retard dans la réévaluation du seuil d'empoussièrement pour protéger la population.
Il apparaît également essentiel d'améliorer l'information des particuliers, les études épidémiologiques et le suivi post-professionnel. Dans chaque cas, si des mesures existent, celles-ci s'avèrent insuffisantes.
D'où les propositions de votre comité de suivi qui seront présentées dans la troisième partie de ce rapport.
d) Un manque de contrôle de la part des services de l'Etat
Le décret précité du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante, et les nombreux arrêtés pris pour son application, ont modifié en profondeur la gestion du risque amiante. Certaines entreprises de désamiantage ou de couverture indiquent avoir beaucoup de difficultés à respecter ces nouvelles normes, même celles dont l'entrée en vigueur a été différée.
Les corps de contrôle de l'Etat et de prévention de la sécurité sociale sont notoirement en nombre insuffisants, et ils n'interviennent pas ensemble de façon suffisamment coordonnée.
D'où ce constat pessimiste de Syntec-Ingénierie, qui estime ne pas avoir constaté d'amélioration dans les pratiques de désamiantage depuis le décret du 4 mai 2012.
En outre, les organismes accrédités ne réalisent pas assez de contrôle des entreprises de désamiantage sur les chantiers en situation réelle.
C'est pourquoi le quatrième et dernier axe des propositions du comité de suivi tend notamment à renforcer l'activité des corps de contrôle en mettant l'accent sur leur coordination et la création de nouveaux pouvoirs pour l'inspection du travail.
* 1 Selon la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), l'abaissement de la VLEP à 10 fibres par litre au 1 er juillet 2015 et l'obligation d'utiliser la méthode META conduisent à un durcissement de la réglementation par un facteur 20 au minimum.
* 2 Un communiqué de presse du 7 novembre 2011 cosigné par le ministère du travail, de l'emploi et de la santé et du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement a indiqué que « la France sera le premier pays au monde à rendre obligatoire, en milieu professionnel, la méthode Meta qui permet de réellement prendre en compte toutes les catégories de fibres ».