N° 634
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le financement public de la sûreté nucléaire , de la radioprotection et de la transparence nucléaire
Par M. Michel BERSON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Mme Nicole Bricq, MM. Jacques Chiron, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung . |
PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
Le principe de responsabilité première de l'exploitant , qui prévaut en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, suppose un encadrement et un contrôle des autorités publiques afin d'en assurer l'effectivité. Alors que la législation et la réglementation générales reviennent au Gouvernement, le contrôle est assuré par l' Autorité de sûreté nucléaire (ASN), une autorité administrative indépendante créée en 2006, avec l'appui technique de l' Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces deux entités forment le « dispositif dual » de sûreté nucléaire et de radioprotection. Conséquence des multiples évolutions de ce dispositif au cours des dernières décennies, le financement de ce dernier s'avère particulièrement complexe . Tout d'abord, une large part des ressources de l'IRSN ont vocation à financer la mission d'appui technique assurée par l'Institut auprès de l'ASN et peuvent être inscrites, de facto , dans le budget de cette dernière. Ensuite, les crédits budgétaires accordés à l'ASN et à l'IRSN relèvent de cinq programmes rattachés à quatre missions distinctes . Par ailleurs, l'IRSN est l'affectataire d'une contribution acquittée par les exploitants d'installations nucléaires de base (INB). Au total, les financements publics attribués à l'ASN et à l'IRSN en 2013 s'élevaient à 302,1 millions d'euros , dont 249,1 millions d'euros de crédits budgétaires et 53 millions d'euros provenant de la contribution affectée à l'IRSN. Le financement de la transparence nucléaire , qui repose sur le Haut Conseil pour la transparence et l'information pour la sécurité nucléaire (HCTISN) ainsi que sur les commissions locales d'information (CLI), réunies au sein de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), paraît souffrir d'une complexité équivalente. Aussi, un effort de rationalisation et de pérennisation du financement de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence s'impose . Celui-ci semble d'autant plus nécessaire que le dispositif de sûreté nucléaire sera confronté à des défis sans précédent au cours des années à venir , qui mobiliseront pleinement ses ressources humaines et financières : le contrôle du vieillissement des réacteurs électronucléaires, des travaux consécutifs au retour d'expérience de l'accident de Fukushima, du démantèlement de réacteurs électronucléaires, ou encore l'instruction des dossiers de nouvelles installations - y compris celui du centre industriel de stockage géologique (CIGÉO). Au lendemain de l'accident de Fukushima, l'enjeu n'est pas seulement financier, mais également démocratique , eu égard à la demande sociale croissante en matière de sûreté et de transparence nucléaires. Ainsi votre rapporteur spécial a-t-il formulé différentes recommandations tendant à renforcer et pérenniser le financement du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ainsi que de la transparence , sur la base de trois principes : l'indépendance du contrôle, la rationalisation du financement et la transparence démocratique. * * * Recommandation n° 1 : Faire figurer, dans la documentation budgétaire transmise au Parlement, le budget de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en coûts complets. Recommandation n° 2 : Assurer un financement pérenne de la sûreté nucléaire par la création d'une contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN) perçue par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et acquittée par les exploitants d'installations nucléaires, dont le produit est plafonné et l'excédent reversé au budget général de l'État. Recommandation n° 3 : Doter l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de la personnalité morale. Recommandation n° 4 : Réformer le régime juridique de la contribution additionnelle due par les exploitants des installations nucléaires de base et perçue par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Recommandation n° 5 : Créer une annexe au projet de loi de finances de l'année - un « jaune budgétaire » - retraçant l'ensemble des financements publics qu'il est prévu de consacrer à la sûreté nucléaire, à la radioprotection et à la transparence nucléaire, afin d'en faciliter la lisibilité politique. Recommandation n° 6 : Créer une délégation parlementaire à la sûreté et à la transparence nucléaires, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, rendant un avis public, préalablement à l'examen du projet de loi de finances de l'année, portant sur les moyens financiers et humains consacrés à la sûreté et à la transparence nucléaires. Recommandation n° 7 : Réaliser, à des fins de simplification, un examen général de la réglementation applicable en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. |
Mesdames, Messieurs,
Le 11 mars 2011, vingt-cinq ans après Tchernobyl, la catastrophe de Fukushima a brutalement réinscrit la question nucléaire au coeur des préoccupations politiques, sociales et environnementales des États industrialisés . Un accident nucléaire aux conséquences aussi dramatiques ne pouvait qu'aviver les angoisses inhérentes à cette « radicalisation de la modernité » décrite par le sociologue britannique Anthony Giddens 1 ( * ) ; les risques ne sont plus locaux mais, dorénavant, mondiaux et les évolutions technologiques leur ont conféré une intensité sans précédent. Aussi la défiance à l'égard de la production d'énergie d'origine nucléaire, que l'on savait prononcée dans des pays comme l'Allemagne, la Belgique ou l'Italie, s'est-elle accrue et diffusée.
Plus que jamais, la sûreté nucléaire et la radioprotection constituent donc un enjeu majeur, en particulier en France, où l'énergie nucléaire représente près de 75 % de la production totale d'électricité. Cet enjeu est tout d'abord financier, dans la mesure où les autorités en charge de contrôler le respect des règles en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection par les exploitants d'installations nucléaires doivent disposer des moyens humains et financiers d'exercer pleinement leur mandat . Mais il est également démocratique, dès lors que tous les citoyens ont le droit de constater, en particulier par leurs représentants, l'effectivité du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection ; en outre, au nom du principe de transparence, ceux-ci doivent pouvoir accéder à une information fiable en ce domaine .
Votre rapporteur spécial estime, par ailleurs, que l'existence d'« autorités expertes », chargées de garantir la pleine maîtrise des risques liés aux activités humaines, est une condition du progrès technique . Parce qu'elles ont pour mission d'anticiper les grands risques technologiques, sanitaires et environnementaux et d'éviter qu'ils ne se réalisent, celles-ci contribuent à préserver la confiance qui doit nécessairement accompagner le développement de la recherche scientifique ainsi que ses applications . En quelque sorte, ces autorités sont les garantes d'une mise en oeuvre « raisonnée » du principe de précaution ; de par leur mission de prévention des risques, elles autorisent la réalisation des efforts d'innovation sur lesquels se fondent les avancées scientifiques 2 ( * ) .
Le domaine du nucléaire, certainement plus que les autres encore pour les raisons qui viennent d'être évoquées, nécessite l'intervention d'autorités d'expertise et de contrôle. En France, ce rôle est assuré par l' Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autorité indépendante qui « participe au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et à l'information du public » 3 ( * ) , et par l' Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui constitue le principal expert sur lequel s'appuie cette dernière et dont le financement repose essentiellement sur une dotation inscrite au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Alors que se dessinent les grandes orientations budgétaires qui structureront le prochain budget triennal de l'État, ces deux institutions s'apprêtent à faire face à de nombreux défis dont, notamment, le contrôle du vieillissement des réacteurs électronucléaires, des travaux consécutifs au retour d'expérience de l'accident de Fukushima, du démantèlement de réacteurs électronucléaires, ou encore l'instruction des dossiers de nouvelles installations - y compris celui du centre industriel de stockage géologique (CIGÉO). Quels que soient les choix qui seront réalisés, à l'avenir, concernant la part de l'énergie d'origine nucléaire dans le bouquet énergétique de la France, il sera toujours nécessaire d'assurer la gestion du parc d'installations existant et des déchets nucléaires.
Aussi les moyens accordés au système français de sûreté nucléaire, de radioprotection et de transparence devront-ils être à la hauteur des enjeux, et ce dans un contexte de redressement des comptes publics. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur spécial s'est vu confier par la commission des finances du Sénat, en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une mission de contrôle sur le financement public de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire .
* 1 Cf. Anthony Giddens, Les conséquences de la modernité , 1994.
* 2 La nécessité de concilier les principes de précaution et d'innovation a été exposée par votre rapporteur spécial lors de la discussion générale sur la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation (cf. compte rendu intégral de la séance du Sénat du mardi 27 mai 2014, pages 4349 et suivantes).
* 3 Cf. article L. 592-1 du code de l'environnement.