B. LE NUCLÉAIRE, INDISPENSABLE À LA TRANSITION

Seule ressource énergétique suffisamment bon marché pour amortir le coût de la transition vers des énergies renouvelables (1), la filière électronucléaire constitue tout à la fois un atout de la France et une chance pour l'Allemagne, comme pour l'ensemble de l'Union européenne (2).

1. Une ressource préservant le climat et l'environnement

L'électricité d'origine nucléaire ne fait pas partie des thèmes identifiés de la coopération franco-allemande, non plus que le financement de la transition énergétique, Cela s'explique aisément par les choix diamétralement opposées faits en ce domaine de part et d'autre du Rhin. Pourtant, le maintien de cette filière à un niveau très substantiel en France, alors que l'Allemagne devrait avoir intégralement abandonné cette voie ne suffit pas à épuiser le sujet, car cette source d'électricité non polluante et à bon marché est appelée à fournir les marges de financement indispensables à la première phase de la transition vers un mix électrique chimiquement pur en France. Elle peut en outre apporter à l'Allemagne et à toute l'Europe la ressource de base indispensable, assurée aujourd'hui par du charbon ou du lignite - deux sources particulièrement contraires aux préoccupations environnementales.

La production des centrales nucléaires est obtenue à un prix de revient suffisamment bas pour qu'une hausse modérée des tarifs payés par les consommateurs fournisse les moyens d'investissement nécessités par les capacités supplémentaires en énergie renouvelable (a), sans détériorer l'environnement, ni brider la croissance (b).

a) Un prix de revient utile à la transition progressive

Deux modèles principaux rendent la transition énergétique économiquement supportable pour les consommateurs :

- un prix élevé de l'énergie, notamment de l'électricité, permet d'amortir aisément l'investissement nécessité par l'énergie renouvelable : le consommateur paye toujours cher, mais avec l'espoir d'une diminution ultérieure de sa facture, lorsqu'il aura fini de payer les immobilisations induites par la transition ;

- un prix de départ très modeste - comme en France, où les ménages payent leur électricité un tiers moins cher que dans la moyenne des autres pays de la zone euro et à un tarif moyen presque deux fois plus bas qu'en Allemagne : le consommateur ne subit qu'une hausse modérée du prix pour couvrir le coût de la transition.

b) Tout autre choix détériorerait l'environnement ou briderait la croissance.

Comment compenser les inconvénients inhérents aux filières intermittentes, à savoir une disponibilité indépendante de la demande et un prix de revient moyen élevé malgré un coût marginal négligeable ou nul ?

Techniquement, il est envisageable de recourir à une source thermique utilisant des installations existantes et disponible un tarif très bas. Tel est le choix initialement fait par l'Allemagne dans la mouture première de l' Energiewende . D'après l'Agence internationale de l'énergie, les émissions de gaz carbonique par habitant et par an étaient quasiment doubles en Allemagne par rapport à ce qu'elles étaient en France au cours de l'année 2012, avec 9,3 tonnes contre 5,5, alors que la consommation moyenne d'énergie, tous secteurs confondus, était presque identique dans les deux pays, avec 32 mégawattheures par habitant en Allemagne et 29 en France. Ces derniers chiffres permettent d'observer que le niveau de la consommation d'énergie est extrêmement peu sensible au prix : le tarif moyen de l'électricité s'établissait 0,27 euro par kilowattheure en Allemagne, contre seulement 0,14 en France. Fort logiquement, ce recours massif aux combustibles fossiles - qui assuraient en 2012 quelque 62 % du mix électrique en Allemagne, dont 45 % au titre du charbon et du lignite - doit n'être que temporaire. En France, les combustibles fossiles n'ont procuré que 9 % du mix électrique.

Le développement massif du recours aux énergies renouvelables intermittentes est encore l'orientation affichée de la politique énergétique allemande, mais une révision est engagée en raison des obstacles économiques gigantesques rencontrés sur la voie d'un mix énergétique presque entièrement constitué par ces ressources. Conduite à un rythme trop soutenu, la marche vers une électricité non polluante, décarbonée et dénucléarisée pourrait mettre à bas l'économie la plus prospère qui soit : l'addition paraît déjà excessive en Allemagne, alors que la transition reste extrêmement partielle quant à la part des ENR intermittentes, alors que l'indispensable adaptation des réseaux n'a pas été entamée, alors enfin que le stockage des surplus reste confiné pour l'essentiel à la recherche. L'insertion de l'Allemagne de l'ensemble européen a permis jusqu'ici d'absorber, presque de dissimuler certains effets externes négatifs , techniques ou économiques, du processus en cours, mais nous sommes parvenus aux limites de cet exercice, tant pour les pays limitrophes que pour l'économie allemande.

Dans ces conditions, la solution pourrait bien venir du nucléaire français : cet atout de la France est paradoxalement appelé à jouer un rôle majeur en appui à la transition énergétique engagée outre-Rhin, en assurant à l'Allemagne la fourniture de l'énergie de base indispensable à son industrie, bien que cette perspective ne figure pas officiellement dans les objectifs de la coopération énergétique entre les deux pays.

2. Un atout de la France, indispensable à l'Allemagne et à l'Europe

Les atouts que représente pour la France l'ampleur de sa filière électronucléaire étant assez connus, il suffit de rappeler quelques chiffres :

- en produisant 75 % de son électricité grâce à leurs ressources nucléaires, combinée avec les 15 % procurés par les énergies renouvelables, dont 12 % provenant de la ressource hydraulique, la France obtient une électricité dont 90 % n'occasionnent aucune pollution chimique, ni aucune émission de gaz à effet de serre, soit l'un des meilleurs bilans environnementaux de la planète ;

- cette électricité est également très bon marché : seul un recours massif accru à l'hydraulique permettrait, s'il était réalisable, d'abaisser le prix de revient.

Comptant parmi les champions mondiaux de la filière électronucléaire, la France occupe également une place de choix dans les nouvelles techniques dont la généralisation est envisageable au cours des années à venir : l'EPR et le projet ITER.

Le réacteur européen pressurisé européen, habituellement désigné par son sigle anglais EPR (pour European pressurized reactor , puis Evolutionnary pressurized reactor ) fait partie de la troisième génération de réacteurs électronucléaires au sens de la classification internationale. Conçu par AREVA, il doit utiliser de l'uranium enrichi à 5 % ou du combustible nucléaire MOX, un produit obtenu à partir des déchets de l'industrie nucléaire, obtenu sans aucun apport d'uranium naturel. Il est donc licite d'espérer que le retraitement des déchets apportera dans quelques années source énergétique supplémentaire. Dans le cadre de sa transition énergétique vers un bouquet décarboné, la Grande-Bretagne envisage notamment de construire quatre réacteurs EPR. Les collaborations déjà engagées entre AREVA et EDF permettent d'envisager l'élaboration d'une gamme de réacteurs à eau pressurisée, avec une capacité débutant à 1 000 mégawatts, contre 1 650 à Flamanville.

Le projet ITER est récent, puisque le siège principal n'a été inauguré que le 17 janvier 2013, à Cadarache. Sa localisation en France est emblématique de l'excellence mondialement reconnue de notre pays en ce domaine, ou viennent travailler des chercheurs provenant bien sûr d'Europe, mais aussi de Chine, de Corée du Sud, des États-Unis, d'Inde, du Japon et de Russie. Sur le plan technique, ce projet doit conduire à une véritable révolution énergétique, puisque la fission nucléaire serait remplacée par la fusion d'atomes. Outre les matières premières utilisées, l'un des très grands intérêts de cette voie est l'absence de déchets radioactifs liés au fonctionnement de la centrale, ce qui doit modifier radicalement l'approche des risques. En pratique, la problématique du rayonnement ne se posera que lorsqu'il faudra démanteler le coeur du réacteur, dont les parois seront pour l'essentiel faiblement ou très faiblement radioactives. Les installations de ce type ne produiront aucun déchet de haute radioactivité.

Fission et fusion nucléaires

Provoquée par un « bombardement » de neutrons, la fission nucléaire se traduit par deux conséquences :

- le noyau du corps chimique « bombardé » - l'uranium, puis le plutonium dans le cas d'une centrale nucléaire classique - éclate, dégageant beaucoup de chaleur et faisant apparaître une ou plusieurs nouvelles substances chimiques dont les noyaux sont constitués par des protons et des neutrons provenant du noyau initial ;

- le corps « bombardé » comportant plus de neutrons que de protons, les neutrons en excès sont libérés et « bombardent » à leur tour les autres noyaux d'uranium ou de plutonium : c'est la « réaction en chaîne », qui assure le maintien de la production énergétique.

Partiellement symétrique de la fission, la fusion nucléaire consiste à provoquer la réunion de deux noyaux d'atomes en un seul, avec dégagement d'énergie et d'un neutron libre, qui se trouvait en excès dans le noyau de l'un des corps fusionnés.

Le tritium (dont le noyau comporte un neutron excédentaire) devra être obtenu à partir du lithium, une matière déjà largement utilisée dans les accumulateurs des téléphones et ordinateurs portables.

Le deutérium est un isotope de l'hydrogène (caractérisé par la présence d'un neutron aux côtés du proton). Il peut donc être obtenu par simple dialyse de l'eau, ce qui en fait une substance relativement facile à obtenir, malgré sa rareté (32,4 grammes par tonne d'eau).

En attendant cet avenir sans doute éloigné de plusieurs dizaines d'années, les réacteurs actuellement en fonction sur le territoire français pourront équilibrer le mix énergétique franco-allemand avec une ressource stable et fiable. Le différentiel entre les tarifs moyens en Allemagne et le prix de revient de la filière électronucléaire française devrait permettre de financer le développement en France des sources renouvelables d'énergie parvenues à maturité, puis la modernisation du parc électronucléaire hexagonal afin de remplacer progressivement les centrales actuelles par la génération EPR, renforçant ainsi la sécurité du parc et résolvant en grande partie le problème du traitement des déchets radioactifs.

Il convient donc d'envisager très rapidement le remplacement des centrales électronucléaires vieillies, afin d'utiliser les techniques modernes et sûres. La réflexion pourrait s'organiser autour de l'objectif proposé par M. Bigot, administrateur général du CEA : un rythme d'une ou deux centrales par an pendant vingt ans.

La Grande-Bretagne entend aujourd'hui accroître ses ressources électronucléaires pour les porter de 20% à 27% du mix électrique à l'horizon 2030. EDF doit y construire quatre centrales de type EPR.

La Pologne s'est lancée dans la création ab initio de centrales nucléaires, dont la première devrait entrer en fonctionnement au cours de l'année 2026, la deuxième centrale devant en principe voir le jour une dizaine d'années plus tard.

Cette double évolution est extrêmement significative au plan de l'Union européenne, puisqu'elle concerne des États membres qui se placent en troisième et quatrième position, tant pour la production d'énergie que pour sa consommation. Elle complétera le parc électronucléaire français pour assurer à l'Union européenne les moyens de conduire une transition réfléchie et maîtrisée vers l'utilisation de ressources renouvelables d'énergie, avec une diminution rapide et soutenue des polluants émis dans l'atmosphère, ainsi que des gaz à effet de serre.

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