N° 450
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 avril 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le dumping social dans les transports européens ,
Par M. Éric BOCQUET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
AVANT-PROPOS
L'action de la Commission européenne dans le domaine des transports s'est traduite, ces dernières années, par une volonté effrénée de poursuivre la libéralisation de la plupart des secteurs. Elle a ainsi présenté successivement un quatrième paquet ferroviaire, un projet de d'ouverture des règles du cabotage routier, une proposition de réforme des services portuaires et une nouvelle étape dans le programme Ciel unique.
À l'exception du paquet ferroviaire, aucun de ces projets n'est aujourd'hui en passe d'aboutir, l'intérêt économique voire social de telles réformes n'ayant pour l'heure pas suffisamment été établi aux yeux des États membres. Cet objectif affiché d'une poursuite de la dérégulation n'a, par ailleurs, pas eu pour corollaire une réflexion sur le statut des travailleurs mobiles qui participent pourtant au bon fonctionnement des transports européens.
Cette dimension sociale était déjà relativement absente des premiers textes de libéralisation des secteurs routier, aérien et maritime au début des années quatre-vingt-dix. Une telle faiblesse des dispositifs communautaires a pu contribuer à faire émerger des pratiques de dumping social, favorisant une concurrence déloyale entre opérateurs. Les transports européens peuvent même apparaître comme un véritable laboratoire en matière d'optimisation sociale et de fraude : recours à de faux indépendants, contrats de travail établis dans des pays dits à bas coûts, sociétés boîtes aux lettres etc. L'absence de lieu de travail fixe et la relative imprécision des normes européennes a longtemps favorisé ces pratiques. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne tend depuis 2011 à garantir une meilleure protection aux travailleurs concernés. Dans la lignée du renforcement des normes européennes en matière de détachement des travailleurs, il convient désormais de codifier cet acquis et de veiller à mieux évaluer les conséquences sociales des textes visant à créer un marché unique des transports.
Le présent rapport a pour objet d'effectuer un état des lieux des normes européennes et de leur application dans trois secteurs : le transport routier de marchandises, le transport aérien et le transport maritime. Il préconise un certain nombre de pistes de travail pour enrichir les dispositifs existants afin de garantir les conditions d'une concurrence équitable entre les opérateurs. En renforçant les droits des travailleurs mobiles, l'Union européenne participerait également d'un autre objectif : celui d'améliorer la sécurité dans ces domaines, la précarité sociale n'étant pas sans incidence en la matière.
LE TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES : LE DROIT SOCIAL LAISSÉ AU BORD DE LA ROUTE ?
LE DROIT APPLICABLE
Le transport routier de marchandises (TRM) fait l'objet de plusieurs textes au niveau européen destinés à harmoniser les conditions d'exercice de cette activité, afin de prendre en compte sa dimension transfrontalière . Les conditions d'accès à la profession, le temps de travail et les opérations de transport au sein d'un autre État membre sont ainsi encadrés par le droit de l'Union. L'essentiel de ces normes s'appliquent aux véhicules de plus de 3,5 tonnes et à leurs exploitants. Les véhicules utilitaires légers (VUL) en sont, pour l'heure, exemptés .
LES CONDITIONS D'ACCÈS À LA PROFESSION
La directive n°96/26 du 29 avril 1996 concernant l'accès à la profession de transporteur de marchandises et de transporteur de voyageurs par route ainsi que la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres visant à favoriser l'exercice effectif de la liberté d'établissement de ces transporteurs dans le domaine des transports nationaux et internationaux a constitué, jusqu'en 2009, la base juridique pour encadrer, au niveau européen, l'accès à la profession de transporteur. Les entreprises devaient, à cet effet, être « honorables », posséder la capacité financière appropriée et satisfaire à la condition de capacité professionnelle. Ces critères étaient évalués par les États membres. Le texte a été abrogé pour être remplacé par le règlement n°1071/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route. Le texte fait partie d'un « paquet routier » comprenant également deux autres règlements visant respectivement les conditions d'accès aux marchés des transports de marchandises (règlement n°1072/2009) et des transports des voyageurs (TRV) (règlement n°1073/2009).
Le nouveau règlement reprend l'essentiel des dispositions antérieures en précisant cependant la nature des conditions imposées aux entreprises. Celles-ci doivent, en outre, être désormais établies de façon stable et effective au sein d'un État membre.
Afin de répondre à cette dernière condition, les entreprises doivent disposer de locaux et de véhicules immatriculés. Elles sont surtout tenues de diriger effectivement et en permanence les rotations de leurs véhicules. L'honorabilité de l'entreprise peut, quant à elle, être remise en cause dès lors qu'elle a fait l'objet de condamnations visant son insolvabilité, l'absence d'application des normes sociales (temps de travail notamment), le non-respect des normes techniques ou des infractions à la sécurité du transport de marchandises dangereuses. La capacité financière d'une entreprise est estimée à l'aune de ses réserves financières : 9 000 euros pour le premier véhicule, auquel viennent s'ajouter 5 000 euros par véhicule supplémentaire. La capacité professionnelle est évaluée au terme d'un examen écrit, potentiellement complété par un examen oral si un État membre le souhaite.
Chaque État membre tient un registre électronique national des entreprises de transport par route qui ont été autorisées. Les autorités nationales compétentes sont par ailleurs responsables du contrôle de l'application des dispositions contenues dans le texte. Afin de mettre en place une véritable coopération administrative, chaque État a désigné un point de contact national chargé de l'échange d'informations avec les autres États membres. L'État membre qui reçoit d'un autre État membre la notification d'une infraction grave, donnant lieu à une condamnation ou à une sanction, inscrit cette infraction dans son registre électronique national.
Deux documents, la licence communautaire et l'attestation de conducteur, complètent ce dispositif.
Mise en place par le règlement n°881/92 du 26 mars 1992 concernant l'accès au marché des transports de marchandises et reprise par le règlement n°1072/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l'accès au marché du transport international de marchandises par route, la licence communautaire est délivrée par un État membre à tout transporteur de marchandises par route pour compte d'autrui traversant son territoire, qu'il soit établi sur son territoire ou sur celui d'un autre État membre. Ces entreprises doivent, au préalable, avoir reçu l'autorisation, au niveau national, d'exercer la profession et respecter ainsi des conditions d'établissement, d'honorabilité et disposer de capacités financières et professionnelles certaines. Elles doivent également être inscrites au registre électronique national. Ces licences, nominatives, sont délivrées pour une durée de dix ans et sont renouvelables. Une copie certifiée conforme de la licence communautaire est conservée à bord de chaque véhicule du transporteur.
Instituée par le règlement n°1072/2009, l'attestation de conducteur vise les conducteurs qui ne sont ni ressortissant d'un État membre, ni résident de longue durée. Il s'agit principalement de chauffeurs ukrainiens, philippins ou venants d'Amérique du Sud. Le document est censé confirmer que le transporteur qui les recrute respecte les conditions d'emploi et de formation professionnelle des conducteurs fixées dans cet État membre où est établie l'entreprise. L'attestation est accordée pour cinq ans. Le règlement insiste sur la nécessité pour les États membres de procéder chaque année à des contrôles portant sur au moins 20 % des attestations de conducteur délivrées.