V. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN DÉBAT
A. RAPPORT D'ACTIVITÉ DU BUREAU ET DE LA COMMISSION PERMANENTE
L'ouverture de chaque partie de session est traditionnellement consacrée à l'examen du rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente. Ce document reprend les rapports adoptés par ces deux instances, notamment ceux concernant les observations électorales, et rappelle les missions conduites par les commissions de l'Assemblée.
M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP), président de l'Assemblée au cours des deux dernières années, a saisi cette occasion pour présenter un bilan de sa Présidence :
« Madame la Présidente, mes chers collègues, ce n'est pas sans une émotion certaine que je m'exprime devant vous pour vous présenter ce rapport d'activité, le travail qui a été réalisé par le Bureau et la Commission permanente.
Je ne vais pas me limiter aux quelques semaines qui viennent de s'écouler, puisque c'est pour moi l'occasion de faire une sorte de bilan de ce qui s'est passé au cours de cette présidence.
D'abord Anne, je voudrais te redire ce que j'ai dit ce matin publiquement, à savoir que je suis vraiment très heureux de ton élection, de ta belle élection, car gagner au premier tour comme tu l'as fait mérite d'être salué. Cela te donne une légitimité que personne ne peut te contester, qui te permettra de travailler dans d'excellentes conditions pour le bien de notre Organisation.
Ces deux ans ont été marqués par deux mots. Le premier est celui de réforme.
Réforme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont j'ai été le rapporteur. C'était la décision de mon prédécesseur, M. Mevlüt Çavuþoðlu, mais j'ai porté la réforme que j'avais moi-même présentée à l'Assemblée parlementaire, il y a deux ans.
Réforme aussi du Conseil de l'Europe puisque, dans un rapport que j'avais eu l'honneur de présenter il y a six ans sur l'avenir du Conseil de l'Europe, à l'occasion de son soixantième anniversaire, je dressais, nous dressions ensemble, les grandes lignes de ce que nous appelons une réforme. Une réforme, c'est évolutif, ce n'est jamais terminé. Une Organisation comme la nôtre se doit de bouger, et il est évident que nous devons continuer, que nous devons faire le bilan de toutes les réformes qui ont été accomplies pour aller de l'avant.
L'autre mot fort de ces deux années, c'est celui de dialogue : dialogue au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et dialogue avec les autres organes du Conseil de l'Europe.
Au sein de l'Assemblée parlementaire, j'ai souhaité faire en sorte que chacune et chacun dans cette maison trouve sa juste place. J'ai souhaité que vous puissiez davantage participer, que vous soyez davantage motivés par nos travaux. C'est dans cet esprit que j'ai créé la Conférence des présidents de commission qui s'est associée systématiquement aux travaux du comité présidentiel qui se réunissait chaque dimanche après-midi.
Je suis aussi très fier de la Conférence des présidents des délégations nationales. Comment faire en sorte que les parlementaires soient associés, motivés et aient envie de s'investir si ce n'est en impliquant davantage les présidents des délégations nationales ? Je voudrais vous remercier, Mesdames et Messieurs les présidents des délégations, pour votre implication majeure qui a permis d'avoir des discussions très franches, même si le laps de temps qui nous était imparti était toujours trop court.
Dialogue ensuite avec les autres organes du Conseil de l'Europe. Permettez-moi de commencer par le Comité des ministres, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs. Je tiens à rendre hommage à l'ancienne présidente du Comité des ministres, Eleanor Fuller, la représente permanente britannique, qui a énormément travaillé afin de nouer un véritable dialogue entre l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Comité des ministres, qui sont deux éléments moteurs de cette Organisation, et réaliser ainsi un travail constructif.
Dialogue avec la Commission de Venise. Les contacts que j'ai pu avoir au cours de ces deux années avec notre ami Gianni Buquicchio étaient quasiment hebdomadaires. Nous avons fait en sorte de nous consulter avant d'intervenir dans tel ou tel pays pour savoir quelle attitude adopter sur un certain nombre de dossiers.
Dialogue aussi avec tous les autres organes du Conseil de l'Europe : le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le comité Moneyval, le GRECO, le Greta, la Cour, le Commissaire européen aux droits de l'Homme, tous les organes qui constituent cette grande Organisation.
Je suis très heureux aussi d'avoir pu organiser un déplacement à Tunis, auquel j'ai pu associer le Président du Comité des ministres et le président de la Commission de Venise, de manière à aider la Tunisie, laquelle, d'ailleurs, a enfin pu voter il y a quelques jours, sa nouvelle Constitution, et j'en suis heureux.
Dialogue également avec les autres organisations régionales. Avec les Nations unies, d'abord. Je suis allé deux fois à New York et une fois à Genève. Il est vrai que les relations que j'ai pu entretenir avec M. Ban Ki-moon, qui nous a fait l'honneur de procéder à l'ouverture du premier Forum mondial pour la démocratie, étaient très fortes.
Dialogue avec la Communauté des États indépendants. Je me suis rendu à Saint-Pétersbourg sur l'invitation de son gouverneur, M me Matvienko, afin, pour la première fois, de m'exprimer au nom de l'Assemblée parlementaire et du Conseil de l'Europe devant le Bureau de la Communauté des États indépendants.
Dialogue avec le Conseil nordique, lorsque je suis allé à Oslo. La présidente du Conseil nordique est venue s'exprimer à Vienne lors de notre Commission permanente. Avec le Conseil de l'Arctique, malheureusement, je n'ai pas pu faire tout ce j'aurais voulu, faute de temps, mais je suis intimement convaincu que notre nouvelle Présidente pourra poursuivre cette démarche, comme avec l'Assemblée parlementaire de la coopération économique de la mer Noire devant laquelle je me suis exprimé au mois de juin.
Dialogue avec l'Union européenne. J'avais dit, dans mes grandes priorités, qu'il fallait impérativement avoir un vrai dialogue avec l'Union européenne, travailler avec elle, ne plus nous considérer comme des rivaux. Nous sommes tout à fait complémentaires et je ne peux que saluer les relations qui existent avec le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, ou avec le commissaire européen, tefan Füle, qui est chargé de la politique d'élargissement.
Je suis très heureux de constater que l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme avance à grands pas, ce qui bien entendu changera aussi beaucoup de choses.
Dialogue enfin avec l'ensemble des États membres. Merci à celles et ceux qui m'ont permis de visiter les pays membres du Conseil de l'Europe, merci de l'accueil qui a été réservé au président de cette Assemblée parlementaire que j'étais. Ce dialogue qui a permis de faire avancer de nombreux dossiers.
J'ai toujours essayé de faire en sorte, avec mes collègues du Comité présidentiel, avec vous mes chers collègues, de prôner les avantages de la diplomatie parlementaire, et je crois que nous continuerons ainsi de faire avancer un certain nombre de dossiers.
De quoi suis-je le plus fier ?
Je suis très fier d'avoir travaillé avec vous, mais aussi d'avoir contribué largement à créer le Prix des droits de l'Homme Vaclav Havel, qui fut un succès et qui, je le pense, perdurera un long temps. Permettez-moi de remercier le gouvernement de la République tchèque sans lequel il n'aurait pas vu le jour.
Mon mandat de président est arrivé à son terme. Je vous remercie tous une nouvelle fois, ainsi que le secrétariat de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Madame la Présidente, je le redis avec sincérité : je reste à votre entière disposition, à ma juste place, celle d'un membre de l'Assemblée parlementaire qui exercera ses fonctions, pour vous renseigner sur les contacts que j'ai pris au cours de mon mandat.
En tout cas, ce furent deux années très riches, deux années formidables. Merci pour ce que vous m'avez apporté. »
Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) , prenant l'exemple de l'observation des élections en Azerbaïdjan, a souhaité une meilleure coordination des travaux de l'Assemblée :
« Je voudrais, en premier lieu, remercier le Président Mignon pour son action pendant ses deux années de présidence. En recentrant son activité sur les fondamentaux que sont la démocratie, l'État de droit et les droits de l'Homme, il a donné - avec passion, si j'en crois notre collègue Mendes Bota - un nouvel élan à notre Assemblée ; vous saurez certainement le poursuivre, Madame la Présidente.
J'aimerais aborder plus avant un point mentionné dans ce rapport, à savoir l'observation de l'élection présidentielle en Azerbaïdjan, le 9 octobre dernier. On lit dans une déclaration commune du Conseil de l'Europe et du Parlement européen : « Dans l'ensemble, autour du jour du scrutin, nous avons observé un processus électoral libre, équitable et transparent. » Au même moment, 142 prisonniers politiques et 9 journalistes - y compris un candidat à l'élection présidentielle - étaient recensés dans les prisons azerbaïdjanaises. Je relève que le président sortant, Aliyev, a été réélu avec près de 85 % des voix, après deux mandats et parmi dix candidats en lice. En avril 2012, une note d'information de la commission de suivi relevait que « les représentants de l'opposition extraparlementaire se sont plaints du climat de restrictions permanent [...] . Ils ont en particulier soulevé plusieurs questions concernant le financement des partis politiques, [...] des restrictions à la liberté d'expression [...] et à la liberté de réunion, des actes d'intimidation et de harcèlement, voire, dans certains cas, la persécution de membres et de sympathisants. »
En janvier 2013, à la suite du rapport de nos collègues Agramunt et Grech, notre Assemblée a adopté la résolution 1917 qui exprimait « des préoccupations croissantes concernant l'État de droit et le respect des droits de l'Homme » et appelait à la mise en oeuvre totale des libertés fondamentales, dont le droit à la liberté d'expression et les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association.
Un événement récent vient d'ailleurs renforcer mes doutes : au mois de décembre dernier, le chef d'une ONG d'observation électorale a été arrêté après avoir critiqué l'organisation de la dernière élection présidentielle. Un tribunal de Bakou a ainsi ordonné le placement d'Anar Mammadli, président du Centre d'observation des élections et d'études démocratiques, en détention provisoire pour une durée de trois mois.
Tous ces éléments marquent la nécessité de poursuivre le travail de notre Assemblée à l'heure où ce pays prendra prochainement la présidence du Comité des ministres. J'en appelle, chers collègues, à votre vigilance. De ce point de vue, nous attendons beaucoup des conclusions des co-rapporteurs de la commission de suivi, qui se sont rendus à Bakou du 21 au 23 janvier derniers. »
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a souhaité mettre en évidence les aspects positifs du bilan du Président géorgien, Mikheïl Saakachvili :
« Madame la Présidente, je profite d'un temps de parole plus long que les trente secondes qui m'étaient imparties lors du précédent débat, pour vous féliciter de votre élection, vous encourager dans la tâche immense qui vous attend, dans la suite de l'action engagée par mon compatriote Jean-Claude Mignon lors de ses deux années de présidence.
Comme mes collègues précédents, je saisis l'occasion du débat sur le rapport d'activité pour revenir sur l'observation d'une élection présidentielle, celle qui s'est déroulée en Géorgie le 27 octobre dernier.
Le rapport d'observation électorale a mis en évidence les progrès très sensibles accomplis par la Géorgie pour construire une démocratie solide répondant aux standards de notre Organisation. Il souligne l'administration « transparente et efficace » de cette élection, le « climat conciliant et constructif » dans lequel elle s'est déroulée, et insiste sur le fait que « les libertés fondamentales d'expression, de circulation et de réunion ont été respectées » et que « les candidats ont pu faire campagne sans restrictions ». Se félicitant de la « maturité politique » du peuple géorgien, le rapport conclut que l'élection présidentielle constitue « un succès important pour le pays et pour l'ensemble de la région du Caucase du Sud ».
Naturellement, des imperfections demeurent et des marges de progression existent encore. Pour autant, la consolidation de la démocratie en Géorgie est assurément à porter au crédit de la Révolution des roses de 2003 et du Président Mikheïl Saakachvili. Son bilan est nécessairement contrasté, en particulier sur le plan économique. Il a déçu nombre de ses compatriotes. Sa tâche n'était pas facile dans un pays multiethnique, indépendant seulement depuis 1991, et dont le territoire a été amputé de 20 % de sa superficie après la guerre d'août 2008 qui a vu l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud passer sous le contrôle militaire et financier de son grand voisin.
Le Président Saakachvili peut pourtant se prévaloir d'au moins deux succès.
D'une part, il a pu terminer ses deux mandats de cinq ans, ce qui constitue une première en Géorgie depuis 1991. Il a ainsi réussi à soustraire son pays à la domination exclusive d'une famille ou d'un clan, ce qui apparaît comme une performance dans cette région habituée aux hommes à poigne, aux scrutins tronqués et aux bourrages d'urnes. Désormais, le peuple géorgien est maître de son destin. L'alternance, rendue possible par l'élection présidentielle du 27 octobre 2013, est une victoire pour la démocratie.
D'autre part, le Président Saakachvili a fortement contribué à rapprocher son pays de l'Union européenne. Là où d'autres anciennes républiques soviétiques ont renoncé, la Géorgie a décidé de signer un accord d'association avec Bruxelles, lors du sommet de Vilnius. Reste à espérer que les nouvelles autorités géorgiennes, issues d'élections démocratiques, fassent prospérer cet héritage. »
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française , a salué la mise en oeuvre d'une véritable diplomatie parlementaire par l'Assemblée lors de ces deux dernières années :
« Madame la Présidente, je me réjouis, en tant que vice-président, de travailler prochainement avec vous. Je suis à votre disposition !
Je voudrais tout d'abord remercier Jean-Claude Mignon pour sa présidence, qui a été à l'image de son engagement depuis plus de vingt ans dans notre institution, de son engagement pour la défense de nos valeurs.
Chers collègues, alors que cette année, le Conseil de l'Europe fêtera ses 65 ans d'existence, nous ne pouvons que nous réjouir du rôle de plus en plus important que joue notre Assemblée au sein de cette organisation.
Nous le devons avant tout à la mise en place avec succès de la réforme de notre Assemblée, mais également à notre capacité de dialogue. Je voudrais saluer tout particulièrement le dialogue que vous avez su instaurer, Monsieur Mignon, entre les délégations arménienne et azerbaidjanaise. Il a permis de faire quelques pas vers des relations plus apaisées entre ces deux pays, ou tout du moins entre les deux délégations. J'en suis ravi.
Malgré nos différences culturelles, nos histoires parfois tragiques, nous débattons de tous les sujets dans cet hémicycle, des plus consensuels aux plus sensibles. Il suffit pour cela de regarder l'ordre du jour de notre session !
En vous écoutant, Monsieur Mignon, une expression vient à mon esprit : diplomatie parlementaire. Il y a dix ans, Raymond Forni, alors président de l'Assemblée nationale française, a dit : « La diplomatie parlementaire porte la voix des peuples dans un monde qui s'unifie ; elle a pour vocation naturelle d'être au service de la paix, de la liberté, des droits ».
Cette définition prend toute sa pertinence quand je pense aux travaux de notre Assemblée. Au service de la paix quand elle tente d'aider à la résolution des conflits gelés ou qu'elle débat de la Syrie. Au service de la liberté, quand elle attribue le prix Václav Havel des droits de l'Homme, pour la première fois dans cet hémicycle, à Ales Bialiatski, défenseur des droits de l'Homme au Bélarus. Au service des droits, ceux des femmes et des enfants, pour lesquels elle oeuvre au travers de ses réseaux.
J'aimerais évoquer en conclusion le travail de la commission ad hoc sur les élections législatives partielles de décembre en Ukraine, commission que j'ai eu l'honneur de présider. Alors que nous avions constaté de véritables efforts de l'Ukraine pour organiser ces élections le mieux possible malgré la situation tendue à Kiev, notamment, l'évolution que l'on observe depuis un mois et demi m'attriste. J'espère que la diplomatie parlementaire pourra jouer son rôle et saura faire entendre la voix du peuple ukrainien, quelle qu'elle soit. »