III. DES RELATIONS APLANIES AVEC L'UNION EUROPÉENNE ?

A. UN DOUBLE DISCOURS PERMANENT À L'ÉGARD DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Une rhétorique anti-européenne à usage interne

Le Premier ministre avait désigné en 2012 l'Union européenne et le FMI comme des oppresseurs de la Hongrie, qualifiant la politique menée par son gouvernement de lutte pour la liberté. Cette victimisation était encore au coeur du discours du chef du gouvernement à l'occasion du 25 e congrès du Fidesz , organisé les 28 et 29 septembre 2013. Viktor Orbán a ainsi dénoncé les bureaucrates européens, accusés de s'unir contre la Hongrie avec les banquiers « cauteleux » et les multinationales « avides », appuyés par des « laquais hongrois ». Ce discours s'inscrivait dans un contexte marqué par les réserves de la Commission européenne sur la politique fiscale du gouvernement. Celles-ci avaient suscité des critiques de la part des autorités hongroises, enclines à rappeler que la politique fiscale relevait uniquement des États membres.

De façon générale, l'Union européenne est critiquée par le gouvernement hongrois pour le rôle résiduel qu'elle laisse aux États membres. Décrite comme opposée à l'Église, à la religion et à la famille, l'Union européenne est présentée comme « antipatriotique » et très internationale. La Hongrie serait de fait victime d'une politique de doubles standards de la part de la Commission européenne, critiquant plus sévèrement les pays issus de l'ancien bloc soviétique que les États ayant adhéré avant 2004. La crise financière qu'elle traverse sert également de contre-exemple pour mettre en avant le modèle économique hongrois, où la croissance économique redémarre.

L'adoption au Parlement européen, le 3 juillet 2013, d'un rapport sur « La situation en matière de droits fondamentaux : normes et pratiques en Hongrie », présenté par le député écologiste portugais Rui Tavares, a conduit le parlement hongrois à adopter une résolution dénonçant un abus de pouvoir de l'Union européenne 6 ( * ) . La position du Parlement européen est, aux termes de ce texte, présentée comme l'expression d'intérêts privés rétifs aux baisses de tarifs énergétiques imposées par le gouvernement Orbán. Examiné alors que le Quatrième amendement était toujours en vigueur, le rapport dit « Tavares » concluait au fait que la tendance systémique et générale à modifier de manière répétée le cadre constitutionnel et juridique dans un laps de temps très court et le contenu même de ces modifications étaient incompatibles avec les valeurs et principes énoncés aux article 2, 3, 4 et 6 du Traité sur l'Union européenne. Ils constituaient même une violation grave dudit article 2 aux termes duquel « l'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »

La perspective d'une sortie de l'Union européenne est quelquefois agitée par le Premier ministre. Celle-ci ne s'avère pas pour autant véritablement crédible. Bénéficiaire net, la Hongrie devrait percevoir environ 20,5 milliards d'euros de fonds en provenance de l'Union européenne durant la période 2014-2020. Cette somme devrait, comme lors des exercices précédents, financer environ 98 % des investissements publics locaux. Quinze programmes ont ainsi été mis en place entre 2007 et 2013, pour un montant de 25,3 milliards d'euros. Ils ont largement contribué aux travaux de la nouvelle ligne de métro de Budapest, à l'entretien et au développement des routes et du réseau ferroviaire, à la mise en place d'une administration en ligne ou à des projets visant la qualité de l'eau. Certains observateurs relèvent ainsi que la stabilité sociale du pays tient d'ailleurs à la manne que représentent les Fonds de cohésion. Sa position au sein de l'Union européenne lui permet en outre de drainer des investissements directs étrangers.

Le versement de ces fonds a néanmoins été suspendu quelques semaines en 2013 suite aux observations formulées par la Commission européenne sur la procédure de sélection des entreprises dans les appels d'offres concernant les infrastructures. La loi hongroise prévoyait en effet que ces entreprises devaient être préalablement inscrites auprès de la Chambre des ingénieurs de Hongrie, ce qui a été jugé contraire au droit communautaire. Le paiement d'une amende correspondant à 5 % des sommes concernées, soit environ 240 millions d'euros, a permis le déblocage des fonds le 9 septembre 2013.

2. Un réel engagement européen

Ces effets d'annonce doivent de fait être relativisés à l'aune de la participation réelle et tangible de la Hongrie à la construction européenne. Budapest demeure notamment un interlocuteur-clé dès lors qu'il s'agit d'évaluer la situation à l'Est du continent. La Hongrie fait ainsi figure de pilote du groupe de Visegrad au sein de l'Union européenne. Celui-ci réunit depuis 1991 la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque. Si cette entente a servi à l'origine à ces pays à préparer leur adhésion à l'Otan, à l'Union européenne et à l'Organisation mondiale du commerce, Budapest entend faire du groupe de Visegrad (V4) une avant-garde au sein de l'Union européenne dans deux domaines : le secteur industriel, d'une part, et la défense commune de l'autre. C'est dans ce contexte qu'il convient d'analyser l'annonce en mars 2013 de la création d'un battle group commun aux quatre États en 2016, et qui s'inscrirait dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Un projet de marché commun du gaz permettant de diversifier les sources et moyens de transport d'énergie a également été avancé alors que la Hongrie souhaite que le groupe travaille sur les réacteurs nucléaires de 4 e génération. Ce faisant, le V4 tend à participer à une forme d'approfondissement de l'Union européenne.

Budapest se mobilise dans le même temps en faveur de l'élargissement de l'Union européenne, s'érigeant en soutien de la Serbie, de la Turquie ou des pays du Partenariat oriental. La Hongrie dispose de frontières avec six pays ce qui lui confère un rôle particulier dans la région.

Cette ambition contraste de fait avec le discours radical entendu par moments à l'égard de Bruxelles. Budapest semble revendiquer en réalité un double droit : celui de maintenir son identité, et celui d'expérimenter de nouvelles politiques en vue de répondre à la crise économique et sociale qui fragilise l'Union européenne en général et la Hongrie en particulier. C'est à l'aune de cette aspiration qu'il convient notamment d'analyser les prises de distance à l'égard de l'Union européenne dans le domaine énergétique et le rapprochement avec Moscou.

De cette appréciation de l'Union européenne, réputée avoir échoué, découle un refus d'une intégration trop poussée, comme en témoigne l'opposition de Budapest à la mise en place d'une taxe européenne sur les transactions financières - qu'elle a pourtant mis en place au plan national -, à l'harmonisation fiscale en général, ou à l'émergence d'indicateurs sociaux. Si le gouvernement soutient un approfondissement de la zone euro, celui-ci doit en fait avoir pour contrepartie une plus grande flexibilité accordée aux pays qui ne sont pas membres de l'Union économique et monétaire dans la conduite de leur politique économique. Seule cette plus grande liberté permettra une adhésion graduée à la zone.


* 6 Résolution du Parlement européen du 3 juillet 2013 sur la situation en matière de droits fondamentaux : normes et pratiques en Hongrie

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page