II. UN REBOND ÉCONOMIQUE ÉPHÉMÈRE ?
A. UN BILAN ÉCONOMIQUE EN TROMPE L'oeIL
L'année 2013 a été marquée en Hongrie par le retour de la croissance, + 0,7 % du PIB, l'exercice précédent ayant été marqué par une contraction de l'activité de 1,7 %. Tous les secteurs d'activité sont concernés. Les exportations, mais aussi la demande interne, constituent les moteurs de cette relance. La baisse des prix administrés, l'augmentation des revenus au sein de la Fonction publique, les mesures adoptées en faveur de l'emploi ou des PME, ainsi que la réduction du taux directeur de la Banque centrale, passé de 7 à 3,2 %, ont pu dynamiser la demande interne, atone lors des précédents exercices. La croissance devrait se poursuivre en 2014, la Commission européenne évaluant le rebond à 1,8 % du PIB. Reste que le PIB demeure à un niveau inférieur à celui de 2010, et a fortiori de 2007. La croissance de la production industrielle demeure, à cet égard, toute relative en 2013.
1. Les limites d'une politique en faveur de la demande dans un pays dépendant de l'extérieur
La politique gouvernementale en faveur de la demande a été rendue plus aisée par la concentration, dans les mains du gouvernement, de tous les leviers de la politique économique suite à la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale et le rattachement, le 1 er octobre 2013, de l'Autorité hongroise de surveillance financière à la Banque centrale. Cette mise sous tutelle de tous les instruments monétaires a eu pour conséquence une politique active en la matière, marquée par une diminution de plus de moitié du taux directeur, de 7 à 3,20 % en un an.
L'assouplissement monétaire comporte des risques si on le relie au niveau élevé de l'endettement des ménages et des entreprises. Le risque de dévaluation qu'il comporte n'est pas sans incidence, puisque 25 % de l'endettement des ménages est en devises étrangères, ce taux atteignant 30 % pour les entreprises. La dette en devises étrangères des entreprises du secteur non financier représente à elle seule 30 % du PIB. La dette en devises étrangères de l'État détenue par des non-résidents représente, pour sa part, 34 % du PIB.
Dans le même temps, la volonté du gouvernement de renationaliser certains secteurs d'activité et de provoquer une diminution des charges dites domestiques pèse sur l'attractivité du pays, en suscitant les craintes des investisseurs étrangers face aux menaces d'éviction des marchés (énergie, déchets, titres restaurant etc). Le stock hongrois d'investissements directs étrangers en ratio de PIB reste pour l'heure le plus élevé de la région : 81,5 % contre 68,7 % pour la République tchèque, 58,8 % pour la Slovaquie, 44,2 % pour la Roumanie, et 43,5 % pour la Pologne. Le taux d'investissement établi à environ 16 % est cependant son plus bas niveau depuis dix ans. L'année 2013 est marquée par un flux net d'investissements directs étrangers désormais négatif : - 25,3 millions d'euros à la fin du second semestre. Une réorientation vers la Pologne, où le climat des affaires semble apaisé et la sécurité juridique renforcée, se fait d'ailleurs jour.
Les investissements directs étrangers en Hongrie sont désormais principalement concentrés sur des opérations de recapitalisation et d'épongement des dettes. Seuls ceux constatés au sein du secteur automobile participent de fait d'une stratégie d'amélioration de la productivité.
Il convient d'insister sur cette question de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur, puisque l'appareil industriel appartient dans une large mesure à des entreprises étrangères. La vitalité économique du pays demeure très fortement liée à la conjoncture de la zone euro et particulièrement à l'Allemagne (24,9 % du stock d'investissements directs étrangers). Toute stratégie affichée d'indépendance nationale en la matière reste contrariée par cette réalité. L'éviction implicite des entreprises étrangères de certains secteurs d'activité agit donc à rebours des intérêts économiques du pays.
2. Une situation financière qui demeure fragile
Si le pays n'est plus sous le coup, depuis le 29 mai 2013, d'une procédure pour déficit excessif, la situation des finances publiques demeure fragile. Le déficit public devait ainsi atteindre 2,9 % du PIB en 2013 contre 2 % en 2012. Ce chiffre ne devrait pas, selon la Commission européenne, évoluer sensiblement lors des deux prochaines années : Bruxelles prévoit un déficit public établi à 3 % en 2014 et 2,7 % en 2015. Si elle respecte le seuil des 3 %, l'action du gouvernement en la matière s'apparente cependant plus à un pilotage à vue qu'à une stratégie à long terme.
Sept collectifs budgétaires ont ainsi été adoptés en 2013, neuf ayant déjà été adoptés au cours de l'exercice précédent. L'introduction de treize nouvelles taxes a favorisé par ailleurs le respect des objectifs budgétaires, au risque là encore de nourrir les inquiétudes des investisseurs face à une telle instabilité du cadre fiscal. Le dernier paquet budgétaire, adopté en juin 2013, augmente ainsi la taxe sur les transactions financières, la taxe sur les télécommunications, l'impôt sur l'exploitation minière, la taxe sur les revenus des placements bancaires, la taxe sur la publicité et la taxe sur la dette des municipalités détenue par les banques. Il s'agit du septième plan d'austérité adopté depuis le printemps 2011. Les réserves budgétaires mises de côté pour faire face à des dépenses imprévues ont, dans le même temps, été réduites de moitié et représentent 0,7 % du PIB en 2014. La question du financement de l'achat de nouveaux réacteurs nucléaires dans le cadre du projet Paks 2 est, à ce titre, posée.
Plan |
Effet attendu (en milliards d'euros) |
Plan Szell Kallman 1 (Printemps 2011) |
1,12 |
Plan Szell Kallman 2 (Printemps 2012) |
13,52 |
Premier paquet Matolcsy (5 octobre 2012) |
1,30 |
Second paquet Matolcsy (17 octobre 2012) |
1,20 |
Troisième paquet Matolcsy (16 novembre 2012) |
0,29 |
Premier paquet Varga (10 mai 2013) |
0,31 |
Second paquet Varga (27 juin 2013) |
0,36 |
Total |
59,42 (6 % du PIB) |
L'impôt sur le revenu à taux unique (16 %) introduit en 2011 suscite encore des doutes quant à son efficacité. Des économistes ont ainsi mis en avant, fin novembre, une diminution des recettes fiscales de l'ordre de 1,5 milliard d'euros depuis deux ans. Ils soulignent, en outre, le quasi doublement de la pression fiscale sur les plus faibles. La TVA a ainsi été portée à 27 %. La situation de 70 % des contribuables se serait ainsi détériorée depuis 2011.
La dette publique devait atteindre quant à elle 80,7 % du PIB fin 2013. La dette publique reste cependant extrêmement prisée sur les marchés, les CDS étaient ainsi à leur plus bas niveau historique depuis trois ans fin 2013. Une légère remontée est néanmoins observée depuis le début de l'année 2014. Une émission récente de bons à six mois avait, en outre, suscité une demande supérieure à cinq fois l'offre.
Dans ce contexte, la demande d'appui financier adressée à la Commission européenne et au Fonds monétaire international le 15 novembre 2011 a finalement été abandonnée début 2013, suite à une émission réussie de titres de dette de 3,25 milliards d'euros sur les marchés américain et européens. La coopération avec le FMI entamée en 2008 avec l'octroi d'un crédit de 12,5 milliards de dollars a de fait effectivement pris fin, et s'est conclue par la fermeture de son bureau à Budapest en juillet 2013. Anticipé par l'Institution internationale depuis 2012, ce départ est présenté comme une décision unilatérale du gouvernement. Celui-ci entend capitaliser sur ce retrait pour souligner son action en faveur de l'indépendance financière du pays. Il convient cependant de remarquer que les taux des crédits du FMI restent inférieurs à ceux pratiqués sur les marchés. Les taux des titres d'État à 10 ans ont d'ailleurs augmenté début 2014, passant de 5,71 à 6,30 %.
3. Quelle politique économique pour demain ?
Si la politique économique du gouvernement semble avoir de prime abord obtenu des résultats, il convient de s'interroger sur sa portée à moyen terme. Les instruments utilisés - taxes exceptionnelles, assouplissement monétaire - ne semblent pas reproductibles à l'envi. Certains observateurs relèvent néanmoins que le pouvoir pourrait continuer sur cette voie peu orthodoxe, encouragé par les résultats obtenus. La mise sous tutelle de l'ensemble des instruments de la politique économique limite toute possibilité de remise en cause de la stratégie suivie ou simplement de correction. La cohérence de l'action menée se fait au prix de l'absence de débat.
Cette concertation insuffisante semble par ailleurs présider à la mise en place de cette stratégie nationale. Les entreprises se plaignent ainsi de n'être pas suffisamment consultées en cas de réforme de la législation économique. L'inflation législative dans ce domaine conduit par ailleurs à une forme d'insécurité juridique, rendant délicate toute prévisibilité à moyen ou long terme, et fragilise de fait toute logique d'investissement.
La poursuite de la stratégie économique actuelle n'est pas, bien évidemment, sans connotation politique. La population hongroise semble nostalgique du kadarisme, cette souplesse dont bénéficiait la Hongrie au sein du bloc soviétique qui garantissait une forme de sécurité et de protection sociale à la population. C'est sur ce souvenir que joue implicitement le gouvernement via son offensive en faveur de la baisse des charges domestiques ou la taxation des banques et des énergéticiens étrangers. Cette thématique rencontre un écho favorable au sein d'un pays qui demeure relativement pauvre. Toutes les régions, à l'exception de Budapest, sont ainsi classées par la Commission européenne parmi les moins développées de l'Union. Le salaire moyen atteint 450 €, près de 10 % de la population active étant au chômage. Le taux de chômage des moins de 25 ans s'élève à 29 % (11 % en 2001). La durée de versement de l'indemnité chômage a été réduite à trois mois, alors que 300 000 Hongrois sont astreints à des travaux d'intérêt général pour bénéficier de certaines prestations. Non-inscrits au chômage, ils reçoivent un salaire de 50 00 forints (164 euros). 500 000 jeunes de moins de 34 ans ont par ailleurs quitté le pays. Il convient enfin de rappeler un certain nombre de paramètres qui compromettent à terme l'avenir du pays : 3,3 millions de retraités sur 10 millions d'habitants, un taux d'activité des femmes dépassant à peine 56 %, et un taux de scolarisation au-delà de l'âge obligatoire relativement bas.