CONTRIBUTION DU DÉPARTEMENT D'ILLE-ET-VILAINE
À la suite d'une demande d'audition et de l'envoi d'un questionnaire en vue de connaître le point de vue des départements sur des politiques menées au quotidien auprès des plus démunis, l'Assemblée des départements de France, cette dernière a transmis l'analyse du département d'Ille-et Vilaine , qui vient compléter les informations recueillies à l'occasion du déplacement en Loire Atlantique.
Question : Votre département dispose-t-il, en matière de pauvreté et de précarité, d'indicateurs sociaux suffisamment récents, précis et homogènes qui lui permettent de connaître l'état de la pauvreté à l'échelle de votre territoire ? Vous est-il possible d'effectuer des comparaisons avec d'autres départements ?
Il nous semble utile de rappeler :
• qu'il existe un Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, qui publie régulièrement des études sur le plan national.
• que, dans le cadre de la conférence nationale préparatoire au plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, sept ateliers auxquels des départements ont été associés ainsi que les principaux acteurs concernés (institutionnels ou associatifs) ont travaillés sur des propositions à partir d'un état des lieux (états des lieux dressé avec le concours des « producteurs » de chiffres comme la Drees , la Cnaf...). Pour mémoire les ateliers étaient les suivants :
- accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux ;
- inclusion bancaire et lutte contre le surendettement ;
- emploi, travail, formation professionnelle ;
- familles vulnérables, enfance et réussite éducative ;
- gouvernance des politiques de solidarité ;
- logement, hébergement ;
- santé et accès aux soins.
• que, pour une approche générale de la pauvreté, nous utilisons la source statistique la plus complète (à l'échelle des départements), tant au sens monétaire du terme qu'au sens plus général (condition de vie des populations), constituée par la batterie d'indicateurs sociaux des départements* mis en place par l'Insee en collaboration avec l'ADF et disponible sur le site de l'institution (http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web.htm).
(*) Les indicateurs sociaux départementaux constituent le socle d'un système d'information partagé entre échelons nationaux et départementaux dans les principaux domaines de l'action sociale départementale. Ils intègrent à la fois des indicateurs transversaux reflétant le contexte territorial, et des indicateurs propres aux thématiques de la protection de l'enfance, des personnes handicapées, de l'insertion sociale et des personnes âgées. Des indicateurs financiers complètent l'ensemble.
• que sur le plan local, l'Insee a effectué un portrait social des territoires bretons. Ce portrait, qui dresse des comparaisons entre les départements et les bassins de vie, avait servi de base à l'introduction lors de la venue de M. Chérèque à Rennes en novembre dernier.
Bien entendu tous ces éléments viennent s'ajouter aux études et recueils de données qui peuvent être faits au sein de notre collectivité ( cf chiffres clés des centres départementaux d'action sociale (CDAS). Le département d'Ille-et-Vilaine suit ainsi un certain nombre d'indicateurs correspondant à ses compétences. Ils permettent d'appréhender des « situations de pauvreté » mais pas « la » pauvreté dans son ensemble. Il en assure et en étudie régulièrement l'évolution. Il s'agit pour l'essentiel des minima sociaux (RSA, AAH) mais aussi de l'aide sociale générale (APA, PCH...).
Jusqu'à présent, le département d'Ille-et-Vilaine s'est essentiellement intéressé à la précarité ou la fragilité sociale des territoires qui le composent et non pas directement de leur population (typologie des territoires selon le profil social et non typologie des habitants). L'approche est plus large que la stricte pauvreté puisqu'elle inclut le niveau scolaire, les difficultés d'accès à l'emploi, d'accès aux services. Elle n'est pas non plus générale mais locale, la finalité étant d'adapter au mieux les moyens et les réponses aux besoins de la population locale. Le dernier travail en ce sens a consisté à calculer un indicateur de santé sociale (ISS) des établissements publics de coopération intercommunale du département.
Par ailleurs, le département, grâce à des partenariats avec d'autres collectivités, dispose également de données comme sur le territoire de Rennes Métropole, via l'observatoire de l'APRASE.
Question : Existe-t-il des déclinaisons au niveau départemental de la participation des personnes en situation de pauvreté à l'élaboration des politiques publiques ?
Concernant la mise en oeuvre de leurs compétences dans le domaine social (donc auprès des populations les plus fragilisées), les collectivités départementales doivent appliquer la réglementation nationale. Or, depuis le milieu des années quatre-vingt, des textes importants sont venus affirmer le droit des individus et confirmer la volonté de participation des usagers.
Citons à titre d'exemple :
• la loi de 2002 qui a institué les conseils à la vie sociale au sein des établissements médico-sociaux où siègent des représentants d'usagers et qui insiste sur la nécessité de faire participer les personnes prises en charge à l'élaboration de leur projet personnalisé ;
• la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui fait notamment que les représentants des associations d'usagers participent aux prises de décisions au sein de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et siègent au sein de la commission exécutive (COMEX), organe exécutif du groupement d'intérêt public MDPH (maison départementale des personnes handicapées) ;
• la loi de 2009 généralisant le revenu de solidarité active, qui prévoit la participation de représentants de bénéficiaires du RSA aux commissions.
Rappelons en outre que, des instances officielles de concertation existent et sont consultées régulièrement : le conseil départemental consultatif des personnes handicapées (CDCPH) pour le secteur du handicap et le comité départemental des retraités, des personnes âgées et de l'action gérontologique (CODERPAG) pour le secteur des personnes âgées.
Au-delà de ce socle réglementaire commun à l'ensemble des départements, des initiatives sont prises localement pour développer, étendre et aller plus loin dans cette volonté de faire participer les usagers aux politiques qui les concernent.
C'est le cas en Ille-et-Vilaine, avec une vaste démarche participative d'amélioration de la relation de l'administration avec les usagers-citoyens. Celle-ci a donné lieu à un plan d'actions validé par l'Assemblée départementale en décembre, comprenant un axe à part entière (sur les huit du plan) intitulé « Rendre les usagers de l'action sociale pleinement acteurs de leur parcours ». Il a été élaboré après une enquête particulière auprès des usagers des CDAS.
Il prévoit notamment dans le champ particulier de la participation des publics de l'action sociale :
• de mettre en place des comités d'usagers au sein de la MDPH et des CDAS ;
• en matière de protection de l'enfance et pour faire suite au nouveau schéma départemental, dont c'est une priorité, de mettre l'accent sur les points forts des parents, valoriser leurs compétences et bâtir le suivi éducatif sur ces forces ;
• d'adapter les pratiques et les outils des professionnels du secteur social pour valoriser plus et mieux les capacités des usagers et faciliter leur accès à l'autonomie ;
• de favoriser la continuité du parcours des usagers par une meilleure transmission des informations entre professionnels (projet du dossier unique individuel informatisé) ;
• de mettre en place une conférence départementale du développement social pour réfléchir avec les partenaires et les usagers à la prise en compte de toutes les dimensions de la cohésion sociale.
À ces actions s'ajoutent des initiatives mentionnées dans des axes plus généralistes du plan d'action, parmi lesquelles on peut citer :
• la réécriture des courriers types avec des groupes d'usagers (démarche en cours) ;
• des démarches participatives régulières sur les compétences majeures du Département, dont nécessairement le champ social ;
• des groupes de relecture de nos documents de communication et d'information afin qu'ils soient mieux compris par tous les habitants ;
• au sein de la MDPH, en plus de la réécriture avec les usagers de tous les courriers types, un accompagnateur social est dédié à l'appui aux usagers ayant des difficultés de compréhension des courriers qu'ils reçoivent ;
• un formulaire unique en ligne, commun à la plupart des partenaires, pour les demandes d'aides financières.
Question : Dans un article datant de 2010 et intitulé « Le désengagement de l'État en matière d'action sociale : la fin du développement social », Jean-Pierre Hardy, chef du service « Politiques sociales » de l'ADF, explique que, désormais, « l'État n'intervient qu'à titre subsidiaire » et que l'« on n'est plus du tout dans une logique de développement social, mais dans l'" urgentisme" ». Dès lors, le risque est d'aboutir à un traitement différencié selon les départements. L'État est-il encore capable de réduire l'inégalité des territoires ? La solidarité nationale n'est-elle pas en train d'être remplacée par un « chacun chez soi territorial », pour reprendre l'expression de Laurent Davezies, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) ?
Cette question renvoie en grande partie à la question de la compensation financière des allocations individuelles de solidarité (AIS), nous laissons à l'ADF le soin d'y apporter des éléments.
On peut néanmoins ajouter que la clause de compétence générale constitue un outil indispensable d'une logique de développement social. Sans ce moyen juridique, et sans les moyens financiers qu'une compensation au moins partielle des AIS apporte aux Départements, ceux-ci seraient pour le coup totalement cantonnés à un rôle de « guichet social », sans aucune possibilité d'agir sur les déterminants des difficultés.
Question : Au vu des sommes engagées et du « "millefeuille" de dispositifs devenus totalement illisibles », pour reprendre les termes du sociologue Camille Peugny, ne convient-il pas de poser avec encore plus d'acuité la question de l'expérimentation et de l'évaluation des politiques menées ?
Il serait en effet souhaitable que l'expérimentation retrouve sa véritable fonction, ce qui suppose que la généralisation ne soit pas annoncée avant l'évaluation des résultats ( cf RSA).
Quant à l'évaluation, sa montée en puissance est nécessaire mais force est de constater que la France accuse un certain nombre d'années (de dizaines d'années ?) de retard en la matière.