TROISIÈME TABLE RONDE :
AVEC QUELLE VALORISATION DE LA RECHERCHE ?

Mme Cécile Tharaud, présidente du directoire d'INSERM Transfert . Pour nous, professionnels du transfert de technologie, la médecine personnalisée est un enjeu important, tout autant qu'une énigme à ce jour. J'étais assez contente d'entendre le Pr Agnès Buzyn énumérer ses nombreuses questions. C'est assez rassurant. Nous ne sommes pas les seuls à ne pas savoir comment progresser. Je commencerais par des généralités sur le transfert de technologie. Je crois qu'elles sont importantes et s'appliquent aussi, et grandement, au domaine de la médecine personnalisée.

Le premier grand mouvement auquel on assiste aujourd'hui, et qui rend le transfert de technologie particulièrement crucial actuellement dans le domaine de la santé, est une ouverture des industriels petits, moyens, et grands, vers plus petit que soi quand il s'agit de partenariat entre une grande industrie pharmaceutique et une petite société de biotechnologie, ou d'un partenariat entre tous les acteurs privés et la recherche académique.

Pourquoi ce mouvement est-il si important ? La complexification des technologies est devenue le grand problème du développement en matière de santé en termes d'efficacité, plutôt que de rentabilité. Il en résulte qu'aucun industriel aujourd'hui ne peut prétendre s'en sortir tout seul et développer tout seul. Aussi existe-t-il un grand mouvement de recherche public-privé, privé-privé, en réseau, à l'échelle nationale, internationale, européenne, à tous niveaux. Ce mouvement d'innovation ouverte s'est formalisé en 2003 et commence maintenant à prendre forme, au-delà du concept, dans les industries de santé, bien qu'il soit plus développé dans d'autres secteurs industriels. Il représente pour la recherche académique et pour les offices de transfert de technologie une opportunité et un défi très importants.

Ce défi consiste à repenser de façon stratégique le métier du transfert de technologie, de façon à en faire un métier d'apport de valeur, c'est-à-dire transformer une découverte en un potentiel innovant, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Cela nécessite que les professionnels du transfert de technologie comprennent la demande industrielle, et la demande sociétale, les contraintes ou demandes ou nécessités réglementaires et de propriété intellectuelle ; cela fait de ce métier aujourd'hui, un métier stratégique assez complexe, mais qui se développe beaucoup. La France l'a compris, puisqu'elle a investi, notamment au travers des investissements d'avenir, plus d'un milliard d'euros dans le seul secteur du transfert de technologie. Cette généralité étant posée, je reviendrais à des tendances industrielles plus spécifiques pertinentes pour le sujet qui nous anime aujourd'hui.

En premier lieu, l'industrie, de la même façon que la recherche translationnelle, redéfinit ses efforts de R&D autour du patient. L'innovation est au coeur des questions que se pose l'industrie, depuis la compréhension de la maladie, vers la compréhension de la question posée en matière de diagnostic, de prévention, d'autres thérapeutiques ou de vaccin. Cette question, directement celle que soulève la médecine personnalisée, implique que le développement d'un produit se fasse avec accès au patient, et donc à des cohortes plus ou moins importantes. Depuis la définition et la compréhension des maladies de manière stratifiée, il n'existe plus maintenant un diabète où l'on ne cherche à comprendre les segments du diabète jusqu'à la définition de nouvelles cibles thérapeutiques ou de diagnostic.

Ainsi tout au long du développement du médicament, y compris en post-inscription d'AMM et donc en période de commercialisation, il y a un retour incessant aux populations de patients, de façon à répondre aux questions qu'ils se posent tout au long du développement et de l'utilisation du médicament. On en arrive au point où des structures comme l'INSERM aujourd'hui, -puisque nous sommes la structure de transfert de technologie de l'INSERM-, créent des partenariats avec leurs collaborateurs industriels tout au long du développement du médicament. Ce n'est plus seulement quand il s'agit de trouver de façon caricaturale un gène de maladie, mais bien tout au long de la chaîne de développement que nous tissons des partenariats, aussi bien en découverte qu'en développement, et aujourd'hui en post-inscription. Le transfert de technologie s'adresse aussi à la santé publique, et cela me paraît tout à fait pertinent quand on s'en réfère à la médecine personnalisée.

La demande que nous fait l'industrie est très claire : c'est la compréhension de la maladie, c'est-à-dire la stratification des maladies, puis la stratification des populations, de façon à dessiner des développements cliniques. Mais la première demande, est la compréhension fine des grandes pathologies qui sont les défis sociétaux aujourd'hui : la maladie d'Alzheimer, l'obésité, le diabète, la polyarthrite rhumatoïde. En transfert de technologie, nous ne sommes pas seulement challengés sur l'oncologie, où le sujet de la médecine personnalisée est assez avancé. Mais selon les mêmes pratiques, les mêmes concepts et les mêmes outils, l'un des derniers accords qu'on a par exemple signé consistait à passer une licence sur trois marqueurs génétiques a priori pertinents sur une particularité de réponse à un médicament sur la polyarthrite rhumatoïde. Ainsi, cela ne relève pas seulement du cancer, et c'est important.

L'offre académique est pléthorique. Quand un industriel vient nous voir aujourd'hui en médecine personnalisée, notre offre est pléthorique. Je dois dire qu'en médecine personnalisée, le biomarqueur est probablement le sujet sur lequel nous observons le plus grand nombre d'inventions sortir de nos laboratoires. C'est aussi le sujet sur lequel nous « tuons » le plus. Très peu de biomarqueurs sont d'un réel intérêt pour l'industrie, dans la mesure où l'on n'a pas répondu sur ces biomarqueurs à la série des 56 questions que nous a posées le Pr Agnès Buzyn. Le potentiel industriel est donc énorme, mais aujourd'hui on constate une grande immaturité sur l'offre académique.

J'en viens à ce qui paraît nécessaire de développer, et les points importants sur lesquels nous nous focalisons en transfert de technologie. C'est la preuve de concept, un mécanisme général sur tous les segments thérapeutiques, mais particulièrement en médecine personnalisée, puisque tous ces biomarqueurs n'ont pas fait la preuve de leur utilité et de leur robustesse.

M. Alain Claeys, député de la Vienne, rapporteur. Ce tri que vous faites au niveau de la recherche académique se fait-il en fonction des attentes des industries pharmaceutiques ou bien sur d'autres critères ?

Mme Cécile Tharaud. Quand je parle de tri, je considère qu'une invention dispose d'un potentiel intéressant pour entrer en collaboration de développement avec un partenaire ou en licence, quelle que soit la modalité finalement. Un industriel peut-il se préoccuper de valoriser, de déployer un effort de recherche sur ce biomarqueur à un instant T ? Il s'agit de décider si l'on dépose un brevet ou pas ou même s'il n'y aura pas brevet. Sur les biomarqueurs, on ne dépose pas forcément tout de suite, car la recherche sera très longue, et on peut rester sur du secret le temps d'avancer. Très peu de ces biomarqueurs sont assez signifiants, et assez proches dans leur utilisation, pour que l'industrie s'en occupe vraiment immédiatement. Donc quand j'explique que le biomarqueur est le sujet sur lequel on « tue » le plus, cela signifie gentiment qu'on a peu de potentiel de collaboration industrielle ou de type capital-risque à un instant T0.

Cela ne signifie pas qu'on ne s'occupe pas du marqueur. Le transfert de technologie aujourd'hui s'applique à trouver les modalités de développement supplémentaire pour obtenir une meilleure valeur sur cette hypothèse. Si cette hypothèse n'est pas prête, si elle présente encore trop de risque, ou une nécessité d'investissement trop forte, l'industrie ne s'en occupera pas, ce qui ne signifie pas que le secteur public ne doit pas s'en occuper. D'où l'investissement de l'État en preuve de concept de façon générale en valorisation, et d'où une nécessité de mettre un fort accent notamment sur les cohortes, puisque valider un marqueur implique très vite la nécessité de tester l'hypothèse sur quelques milliers de patients. Cela coûte bien plus cher que ce que l'on fait classiquement dans le cadre d'une recherche académique, ce qui n'est pas nécessaire pour montrer l'intérêt du marqueur.

Avant d'avancer dans un développement, il faut réunir nombre de preuve de concept pour valider les marqueurs, or on manque de financement de plateformes de prototypage. Ce manque est encore plus important que sur les cohortes, puisque les investissements d'avenir ont bien financé cette demande, qui était une demande conjointe du secteur académique et du secteur privé. Le financement de plateformes de prototypage, peut-être un peu moins financé, est pourtant très nécessaire aujourd'hui. Contrairement à l'Allemagne, la France n'est pas un pays bien équipé pour prototyper des tests de diagnostic. Pourtant cela permet d'avancer plus rapidement dans le développement et le transfert industriel de certains tests, quand le marqueur ou la série de marqueurs, est validée et en vaut la peine. Il faut donc encore financer les recherches amont du secteur industriel.

Sur la propriété intellectuelle, je laisserai la parole aux spécialistes, mais aujourd'hui, nous observons plusieurs écueils. La médecine personnalisée, est par essence un mélange d'éléments centrés sur le patient, ce qui soulève une première question de propriété intellectuelle qui ne sait pas tout à fait définir une revendication de propriété intellectuelle incluant le patient. Il faudra donc réussir à phraser l'objet de propriété intellectuelle sans attirer le patient dans cette définition, ce qui n'est pas encore très clair pour les praticiens.

Deuxièmement, les méthodes de traitement sont non brevetables en Europe. La médecine personnalisée est essentiellement comprise comme une méthode de traitement. Donc il faudra à nouveau que la jurisprudence évolue, de façon à ce que la médecine personnalisée prenne une forme concrète que les spécialistes du droit de la propriété intellectuelle arrivent à décrire selon leur arsenal juridique.

Troisièmement, une jurisprudence bien plus récente qui vient des États-Unis semble montrer que les États-Unis s'orientent vers le refus de breveter des méthodes de diagnostic qui seraient issues de l'observation de phénomènes naturels. Or dans le domaine des marqueurs on se trouve typiquement en train de développer du diagnostic qui reproduit, ce qui est issu de l'observation de phénomènes naturels. Cette jurisprudence est récente.

M. Alain Claeys. Que dit l'Office européen des brevets (OEB) sur cette question ?

Mme Cécile Tharaud. À ma connaissance, l'OEB n'a pas encore réagi sur ce point. En revanche, l'OEB contrairement à celui des États-Unis, ne permet pas aujourd'hui de breveter des méthodes de traitement. Or en médecine personnalisée, a priori le recours au test compagnon relève de la décision de prescrire un médicament basé sur un test de diagnostic. Au sens de la propriété intellectuelle européenne, on est encore face à une interrogation.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaitre, consultante, spécialiste de propriété industrielle. Les méthodes de traitement en tant que telles ne sont pas brevetables.

Mme Cécile Tharaud. De plus, le test compagnon, qui est une portion de ce que peut être la médecine personnalisée, n'a pas non plus, à ma connaissance, d'existence réglementaire très claire, au sens de la réglementation pharmaceutique. De nombreux industriels expliquent qu'aujourd'hui la route réglementaire est encore très aléatoire sur le principe du compagnonnage. Apparemment, c'est une forte demande pour eux.

Aujourd'hui en matière de développement industriel, quand des biomarqueurs ont montré la preuve de leur utilité, les premiers industriels à venir faire leurs courses sont malheureusement des industriels étrangers, pour lesquels les industries de service du diagnostic sont très développées. On se retrouve alors en amont, à donner une licence à de grands laboratoires qui vendent sous forme de services, un diagnostic relativement peu réglementé, avant que ne soit possible la commercialisation de tests sous une forme plus commerciale, -plus produits, plus kits-, par des industriels qui répondent à des contraintes réglementaires plus aiguës. Les industriels présents pourront commenter cela, mais il s'agit d'une vraie question en matière d'optimisation et d'enrichissement du tissu industriel français et européen, à partir d'une science foisonnante. Je soumets cette question à la sagacité des industriels ici présents.

Pr Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique de l'Institut Curie, professeur de génétique médicale à l'université Paris-Descartes, membre du Comité national consultatif d'éthique (CCNE). Mon propos portera en particulier sur la médecine génomique personnalisée. Je m'arrêterai aux tests génétiques. Pour moi, la médecine génomique personnalisée repose sur le fait que les caractéristiques génétiques permettront d'identifier des sous-groupes de malades atteints d'une maladie donnée, qui répondront mieux à un traitement, ou à l'inverse n'y répondront pas, ou présenteront une intolérance à ce traitement.

L'une des premières applications de la médecine génomique personnalisée concerne, on l'a souligné, le traitement des cancers, pour lesquels le génome étudié n'est pas le génome natif de la personne, mais celui de sa tumeur, la tumeur étant alors le siège d'altérations génétiques acquises, dont certaines lui confèrent son caractère malin.

La médecine génomique personnalisée concerne aussi la médecine prédictive, terme qui n'est pas très heureux, car il s'agit plutôt d'une médecine de prévision, et donc d'estimer le risque de survenue de telle ou telle maladie. Cependant, l'hypothèse fondatrice de la médecine prédictive repose sur le fait que le savoir permet de mettre en oeuvre des mesures de prévention. Nous savons que nous avons des capacités de prévision des maladies génétiques, sans pour autant toujours disposer de capacités de prévention, et cela peut générer un certain nombre de problèmes éthiques qui seront sans doute rediscutés plus tard. Un autre domaine est celui des tests sur le foetus. Il s'agit rarement de perspectives de traitement, puisque l'enjeu est plus souvent l'interruption médicale de grossesse. Les tests génétiques foetaux font-ils partie de vos préoccupations dans le cadre de la médecine personnalisée ? La question reste posée.

Depuis 2003, date du dépôt dans des bases de données internationales des 3 milliards de paires de bases du génome humain, à aujourd'hui, les capacités d'analyse des séquences ont augmenté d'un facteur 50 000. Le séquençage à très haut débit ou NGS ( Next-Generation Sequencing ) permet ainsi d'analyser, soit un grand nombre de gènes chez un grand nombre de personnes, soit le génome entier d'une seule personne, et de plus en plus le génome d'un grand nombre de personnes. Il est d'ailleurs probable qu'il sera bientôt plus facile de séquencer un génome entier plutôt que des gènes sélectionnés, ou des séquences ciblées, parce que la capture de ces gènes ou séquences est en fait complexe. Et il vaut mieux séquencer l'ensemble de ce qui se trouve dans le « tube », c'est-à-dire l'ADN entier de la personne.

Or ceci générera un très grand nombre de données dont beaucoup seront non interprétables. Le NGS possède une capacité formidable de génération des données, mais il y a un fossé, un saut, entre l'obtention facile de ces données et leur interprétation. Je ne voudrais cependant pas tout remettre en cause et dire que rien n'est interprétable, car notamment pour les maladies génétiques mendéliennes, ou mono-géniques, dont le déterminisme est relativement simple, les interprétations sont souvent solides. Il n'empêche, la génération de ce grand nombre de séquences soulève de nombreuses interrogations.

On pourrait identifier quatre situations. D'abord il existe des régions chromosomiques que nous possédons, en plus ou en moins. On parle alors de copy number variation, dont l'interprétation est complexe aujourd'hui, mais elle se simplifiera plus tard.

Deuxièmement, on trouve des mutations aux variations qui sont inactivatrices, qui introduisent un codon stop dans un gène. Mais aujourd'hui, ce gène n'est pas associé à une maladie particulière. Que penser du retentissement de cette protéine absente sur l'économie d'un individu ?

Troisième point, il existe des variations dans des gènes qui sont associées à une maladie connue, mais on ne sait pas que penser de cette variation. Est-t-elle associée elle-même à la maladie ? Ce problème occupe de nombreux généticiens aujourd'hui dans les laboratoires. Quel est le retentissement biologique de la substitution d'un acide aminé par un autre ? Ce changement a-t-il un rôle dans l'apparition de la maladie ?

Je rajouterais un quatrième point. En cancérologie, les cellules tumorales ont un génome très instable et donc génèrent un très grand nombre de mutations. Le cancer repose sur un modèle darwinien : de très nombreuses mutations surviennent, mais seulement quelques-unes sont sélectionnées par le processus tumoral car conférant un avantage sélectif à la cellule. Il s'agira de séparer les mutations driver , qui jouent un rôle direct dans le processus tumoral, et qui font l'objet de recherches intenses car ce sont des cibles potentielles de traitement des très nombreuses mutations passenger qui sont en quelque sorte le bruit de fond de l'instabilité du génome tumoral.

Voilà donc quelques exemples de la complexité de l'interprétation des données. Et c'est véritablement un défi qu'il faudra relever. En la matière, on dispose de deux grands outils : d'une part, la génomique fonctionnelle, une approche expérimentale qui examine in vitro puis in vivo le retentissement biologique de telle ou telle variation, et d'autre part, la génétique épidémiologique, qui est sûrement un enjeu très important, à travers notamment les études de cohortes de patients.

On a évoqué l'importance d'études de populations, de cohortes de patients. Cela signifie disposer non seulement d'un accès au génome de ces patients, mais surtout au phénotype, c'est-à-dire aux caractéristiques cliniques. De plus, on a également besoin de cohortes de sujets « normaux », en ayant leur phénotype. Or qui dit cohorte, dit suivi de ces personnes sur de nombreuses années.

Je crois qu'il faut faire un effort très important. Il a été fait en partie par le Grand emprunt. Mais il faut savoir que pour des maladies rares, un seul laboratoire, un seul pays, ne suffira pas pour avoir assez de puissance pour conclure à la signification de tel ou tel variant, à l'identification de facteurs génétiques modificateurs de telle ou telle maladie. Aussi voit-on naître des consortiums internationaux qui sont indispensables à la meilleure connaissance de ces maladies. Et puis se mettent en place des consortiums de consortiums, notamment un très beau projet international, le Human Variome Project , dont la vocation est de réunir toutes les données sur de nombreuses maladies génétiques.

Je citerai également des consortiums en cancérologie : TGCA ( The Cancer Genome Atlas ) aux États-Unis, ICGC en Europe ( International Cancer Genome Consortium ). Ces consortiums ont pour vocation de séquencer un très grand nombre de tumeurs. Ils ont un rôle majeur à jouer notamment dans la génération de nouveaux savoirs, et par là dans la génération d'une nouvelle organisation de la recherche, et donc dans l'élaboration de nouveaux modèles de propriété intellectuelle.

Nous en sommes, je crois, à l'ère du Data-Sharing, du partage des données. La généticienne que je suis espère sincèrement que le retour de la science et des nouvelles connaissances vers la société sera à un coût moindre que celui des monopoles et licences exclusives. À mon sens, la nécessité de se mettre à plusieurs pour générer ces nouveaux savoirs remet en question le système des brevets. Celui-ci repose sur un équilibre finalement fragile de l'investissement et du retour sur investissement, d'un inventeur ou d'un groupe d'inventeurs. Or dans ce domaine, le groupe d'inventeurs est énorme. Il est aussi important que celui vers lesquels vont se retourner les connaissances.

Le temps des brevets me semble donc compté. En 2010, un juge fédéral américain, Robert Sweet, a révoqué, après une plainte d'associations de citoyens, les brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 . Cette décision a été contrariée en appel. Elle est actuellement examinée par la Cour suprême. Il me semble que la tendance va vers une révocation des brevets. Maurice Cassier nous en dira plus. Les brevets individuels, sur les 23 000 gènes de notre génome, rendraient impossibles la médecine génomique personnalisée. De mon point de vue, c'est plutôt rassurant, mais tel n'est vraisemblablement pas le point de vue des industriels.

Pour conclure, même si on se situe actuellement vers bien plus de brevets sur les gènes, on voit se développer des formes insidieuses de dépendance vis-à-vis de la connaissance du génome. En fait, je voudrais évoquer les tests compagnons de la prescription de médicaments. Actuellement, dans le cadre d'essais cliniques utilisant par exemple en cancérologie un traitement ciblé, l'éligibilité à un essai peut reposer dans certains cas sur la mise en évidence de telle ou telle anomalie. Une société pharmaceutique a pu développer elle-même, ou faire une alliance avec une société de biotechnologie qui réalise le test. On l'a évoqué. Ce n'est pas avec un kit, c'est avec l'envoi du prélèvement dans cette société. Le coût du test vient s'associer à celui du médicament.

Tant qu'on se situe dans un essai clinique, cela me semble assez cohérent, car on a besoin d'une très grande homogénéité dans la réalisation des essais, dans la désignation des personnes porteuses de telle ou telle anomalie ou dans la caractérisation de telle ou telle lésion tumorale. Mais je m'interroge : qu'en sera-t-il plus tard, lorsque le médicament aura une AMM, l'efficacité du médicament sera-t-elle garantie par la modalité du test ? Si c'est le cas et que tests compagnons et médicaments sont intrinsèquement liés, alors aucune concurrence aucune perspective d'amélioration, et de baisse des coûts ne sera possible. Je m'interroge donc sur le développement des tests compagnons, car je crains qu'ils ne brident le développement de la médecine personnalisée.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaitre, consultante, spécialiste de propriété industrielle . Je traiterai de propriété industrielle, et particulièrement de brevets, matière difficile s'il en est, après les considérations scientifiques, éthiques, sociétales.

Je souhaitais vous faire part des revendications particulières à la médecine personnalisée, mais je ferai d'abord le point de la situation du diagnostic en Europe et aux États-Unis.

Les brevets européens sont délivrés pour des inventions brevetables, c'est-à-dire nouvelles, impliquant une activité inventive, et susceptibles d'applications industrielles. Ce sont des grands principes qu'il faut ensuite mettre en application.

Dans la nouvelle convention européenne sur les brevets, il y a un article important concernant les exceptions à la brevetabilité. Il est bien précisé que les brevets ne sont pas délivrés pour les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal, cette disposition ne s'appliquant pas au produit pour la mise en oeuvre d'une de ces méthodes. Donc ces méthodes en tant que telles sont non brevetables. Les produits pour la mise en oeuvre des méthodes peuvent être brevetés à condition bien sûr, d'être nouveaux et d'avoir une activité inventive.

En Europe, les choses sont à peu près claires : les méthodes de diagnostic sont non brevetables. Différentes décisions l'ont déjà précisé, et l'on peut dresser le bilan suivant. Les méthodes de diagnostic in vitro sont brevetables si elles apportent la nouveauté et l'activité inventive. Les réactifs sont brevetables. Les méthodes, dont le résultat permet directement de prendre une décision au sujet du traitement médical, ne sont pas brevetables, parce que c'est une analyse de données. Mais la méthode visant à obtenir des résultats ou valeurs intermédiaires a été considérée comme brevetable. Ces décisions ne sont pas issues de la grande chambre de recours pour le moment, et sont donc peut-être sujettes à interprétation ou aux différents points de vue des chambres de recours technique.

Aux États-Unis, dans une récente décision, les méthodes de diagnostic utilisant des phénomènes naturels n'ont pas été acceptées comme brevetables, considérant qu'une suite de phénomènes naturels conduisant à une décision ou à un constat, n'est pas brevetable.

Dans le domaine de la médecine personnalisée, plusieurs décisions au niveau de l'Office européen des brevets (OEB) ont été prises. Une revendication typique de ce domaine est la suivante : une substance X pour l'utilisation dans une méthode de traitement de la maladie Y, chez un individu ou un groupe d'individus possédant le biomarqueur Z.

La question principale pour les déposants et les offices de brevets est la nouveauté de l'invention. Car très souvent, le traitement du groupe de patients possédant le biomarqueur Z, dans cette nouvelle revendication, représente une limitation par rapport au traitement déjà connu dans l'art antérieur pour tous les patients, ceux qui possèdent le biomarqueur Z et ceux qui ne le possèdent pas. Y a-t-il nouveauté ?

L'OEB a décidé que, dans un test en deux étapes, s'il y a recouvrement en partie des groupes de patients, et que le nouveau groupe est arbitraire, il n'y a pas brevetabilité. La revendication n'est pas nouvelle. Il faut donc arriver à une solution qui permette de faire en sorte que le groupe de patients nouvellement traités avec ce biomarqueur n'est pas compris dans ou ne recoupe pas le groupe précédent.

Une décision de 1986 T19/86 appelée « Cochons 2 » portait sur un traitement prophylactique des animaux ; la brevetabilité a été reconnue car la population traitée était différente sur le plan immunologique.

La décision essentielle est la décision T 233/96. Elle a conclu que le groupe de patients n'était pas distinctif, et donc de ce fait, la revendication n'était pas acceptable. Le groupe de patients ne peut pas être arbitraire... L'OEB a proposé un test en deux parties pour juger de la nouveauté : les groupes de patients ne doivent pas se recouvrir et il doit y avoir une relation fonctionnelle entre le biomarqueur et le traitement thérapeutique. A ce moment-là, la brevetabilité est acceptée.

Trois décisions de 2001, 2004 et 2006 : T83/01, T1399/04 et T1642/06 concluent à la brevetabilité de ces traitements pour certains groupes de patients, parce qu'il y a une relation fonctionnelle entre le biomarqueur et le traitement thérapeutique. Ces décisions ne sont que des décisions de chambres de recours techniques. Nous restons donc pour l'instant un peu dans l'incertitude. Et nous attendons sans doute d'autres décisions à venir.

On peut faire un parallèle avec les décisions relatives au régime de dosage. Il a été accepté au niveau de l'OEB, dans une décision de la Grande chambre de recours, qu'une posologie particulière, avec une administration particulière, était brevetable. Malheureusement, les tribunaux nationaux en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne qui ont eu à traiter de brevets relatifs à telles posologies, n'ont pas tous pris les mêmes décisions. La France n'a malheureusement pas accepté ce brevet.

Pour ce qui est de la médecine personnalisée, il y a peu de décisions.

M. Maurice Cassier, sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (CERMES). De manière liminaire, je rappellerai que l'application du droit des brevets dans le champ de la médecine, dans le champ médical, a toujours été problématique et difficile. Le droit des brevets lui-même se limite, on vient d'en avoir un exemple quand le droit européen déclare que les méthodes de diagnostic ou les méthodes thérapeutiques appliquées au corps humain ne sont pas brevetables.

Le fondement de cette exclusion, était d'éviter des restrictions de circulation des technologies à l'intérieur du corps médical, pour que l'offre médicale ne soit pas restreinte. Les restrictions que peuvent faire courir les brevets sur l'offre de soins, sur l'offre de service médical, est à la racine des contestations qu'on observe depuis vingt-cinq ans, le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet et l'Institut Curie y ayant contribué en France et en Europe. Cela a fondé ce que la revue Nature a appelé « la révolte des généticiens européens », c'était le refus de restriction de l'offre médicale et de la pratique médicale dû à l'existence de brevets qui gênaient l'exercice des médecins.

Depuis vingt ans, on se trouve face à une continuité de ces interrogations et contestations. La particularité est que des discussions juridiques ont lieu à la fois à l'intérieur de l'Office européen des brevets et aujourd'hui aux États-Unis, où se déroule un procès sur la brevetabilité des gènes qui arrive à la Cour suprême ce printemps 2013. Ce qui est intéressant, c'est aussi l'engagement, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, des associations médicales, des médecins, dans la discussion de ces brevets et de leurs effets. Lors du procès américain sur les brevets de gènes, ce qui est étonnant, c'est la mobilisation de toutes les grandes associations médicales américaines. Toutes les sociétés de médecine moléculaire, alliées aux associations de patients, puisqu'il s'agit de brevets sur les gènes de prédisposition au cancer du sein, se sont portées plaignantes contre ces brevets pour demander leur annulation.

La question de la brevetabilité est donc à la fois une question juridique, mais aussi de politique de santé. Je rappelle qu'au début des années 2000, la question des brevets sur les gènes, et sur ces brevets qui arrivent devant la Cour suprême, a été évoquée à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale, en 2002, en 2003, dans des questions écrites. Lors de la révision de la loi de bioéthique, elle a même fait l'objet d'un amendement particulier. La licence obligatoire est en effet une sorte de dispositif de régulation du droit des brevets. La loi de bioéthique de 2004 prévoit une extension des mesures de licence obligatoire pour les tests biologiques.

M. Alain Claeys. Tout était parti de la transposition de la directive européenne.

M. Maurice Cassier. C'est cela. Mais c'est la conjonction, je pense, de la mobilisation des médecins en France et en Europe à cette époque, de plusieurs États qui se sont portés opposants contre ces brevets, et de la discussion sur la transposition qui a conduit à cet amendement.

M. Alain Claeys. Tout à fait.

M. Maurice Cassier. Je voudrais lister, de manière rapide, les moyens de régulation, ou éventuellement d'émancipation, du droit des brevets, qu'on peut utiliser, ou qui sont utilisés, dans le domaine de la génétique et des innovations médicales.

J'ai rappelé qu'en Europe, ce qui est fréquemment utilisé dans le domaine de la biologie, ce sont les procédures d'opposition. On l'a vu aussi pour des thérapies cellulaires. Des médecins se portent opposants pour demander l'annulation de brevets. Ils sont rejoints parfois par des ministères de la santé inquiets des conséquences à la fois sur le prix et sur la disponibilité de ces technologies. Ces procédures d'opposition ont été utilisées par les généticiens, par les médecins. C'est un moyen de régulation. Evidemment, la limite de ces dispositifs, est qu'on fait une opposition contre un brevet particulier, sur une technologie particulière. Il faudrait multiplier les actes d'opposition pour arriver à des régulations plus stables et plus durables.

Un autre moyen qui a été utilisé en Europe, c'est une fondation médicale qui prend un brevet sur un des gènes, et qui distribue gratuitement des licences à tous les laboratoires médicaux susceptibles de pratiquer des tests génétiques. Dans ce cas, les institutions médicales utilisent le brevet, en quelque sorte pour contrarier et empêcher ses effets nocifs.

Aux États-Unis, le procès en cours, est engagé depuis trois ans par les grandes associations médicales, et a connu plusieurs rebondissements. Il est devant la Cour suprême. On peut en tirer deux enseignements principaux. Ce procès vise en fait à mettre dans le domaine public les gènes en tant que produits de la nature. Le raisonnement est le suivant : dès lors qu'ils sont simplement isolés de leur environnement naturel, les gènes ne sont pas des inventions brevetables. Ce point a été acté par la décision d'un juge fédéral en 2009. La Cour d'appel du circuit fédéral, qui était plutôt favorable au brevet au cours de ces vingt dernières années, est revenue sur cette décision, mais avec un vote de deux juges contre trois. Or quand on lit les arguments des juges, la position de l'un des juges est extrêmement mitigée. Il pense effectivement que les gènes sont plutôt des entités naturelles non brevetables, mais en raison de l'histoire des biotechnologies aux États-Unis, de ces trente ans d'investissements passés, il se rallie à ces brevets. C'est donc un argument plus économique que juridique qui l'emporte.

On a fait référence à une méthode de dosage, où la Cour suprême a affirmé la non-brevetabilité des lois naturelles, des corrélations naturelles. La montée à la Cour suprême pourrait traduire ce mouvement. Il n'est pas impossible que la Cour suprême reconnaisse la non-brevetabilité des gènes comme entités naturelles.

En conclusion, je reviendrai sur une situation particulière. D'un côté on est face à la situation des monopoles, de l'autre face à la fragmentation de la propriété industrielle, c'est-à-dire qu'on a un très grand nombre de brevets sur un très grand nombre de marqueurs biologiques. Cette fragmentation et cette dispersion est susceptible de contrarier les nouvelles générations de tests évoqués à plusieurs reprises, c'est-à-dire des tests multi-marqueurs, multi-gènes, ou des tests de séquençage du génome complet. Dans ce cas-là, même certaines sociétés de biotechnologies aux États-Unis qui sont les plus engagées dans ces outils-là s'avèrent ouvertement opposées aux brevets sur les marqueurs biologiques, et font valoir que cela freine l'innovation dans ce domaine, alors que d'autres sociétés, qui sont également engagées, soutiennent les brevets en reconnaissant que cela leur pose des difficultés considérables.

Deux dispositifs sont proposés et expérimentés. Soit la Cour suprême annule les revendications de brevets sur les gènes, et dans ce cas-là, les gènes tombent dans le domaine public et les sociétés qui veulent développer des tests multiplex multi-marqueurs, pourront le faire librement. Soit on va vers un dispositif qui est en cours d'expérimentation aux États-Unis, à l'initiative des National Institutes of Health (NIH), et qui consiste à regrouper des pools de brevets à l'échelle de plusieurs grandes universités et d'instituts anti-cancéreux. Un pool a été monté à l'automne 2012. Au départ, il a rassemblé 500 brevets, pour favoriser justement, et avec le principe de licence non exclusive, la réunion, la collecte, la collection, d'un grand nombre de brevets et de marqueurs génétiques.

M. Alain Claeys. Y a-t-il beaucoup de brevets actuellement qui associent un gène ?

M. Maurice Cassier. Des comptes divers ont été effectués. On estime qu'entre 4 000 et 5 000 gènes sont brevetés, soit environ 20 % du génome humain.

M. Alain Claeys. Donc ces entreprises propriétaires de ces brevets peuvent revendiquer toute une série de brevets dépendants.

M. Maurice Cassier. C'est exact et c'est ce qui ennuie les industriels les plus engagés dans les tests multiplex et multi marqueurs. Il me semble qu'en France, ou en Europe peut-être, on pourrait réfléchir à la constitution de tels pools, pour autant qu'on ait des brevets sur des marqueurs et au niveau des Alliances, l'AVIESAN par exemple, on pourrait favoriser le regroupement de pools sur des marqueurs qui seraient mis en guichet unique pour des sociétés ?

M. Alain Claeys. Le ministère y travaille-t-il ?

Mme Cécile Tharaud. Non l'INSERM n'y travaille pas. Je pense qu'on a beaucoup appris, suite au séquençage du génome humain. Je veux rappeler que sur cette bagarre des brevets que M. Maurice Cassier mentionnait tout à l'heure -un gène est-il brevetable ou non ?- un beau jour les Américains ont mis l'intégralité de la séquence du génome en libre accès sur leur base de donnée ce qui rend le brevetage beaucoup plus complexe, c'est-à-dire qu'on a arrêté de déposer des séquences, des listings de séquences dans un carton. Personnellement, j'en ai déposé beaucoup, des cartons et des kilos de séquences d'ADN. J'étais chez Genset à l'époque. On avait développé une industrie qui était basée sur le pari que la jurisprudence évoluerait. La génomique fonctionnelle a eu son temps. Il me paraît important de comprendre, que les jurisprudences mettent vingt à vingt-cinq ans à évoluer, mais enfin, elles évoluent.

On n'est pas en train d`expliquer qu'on brevète une séquence aujourd'hui. Les brevets de gènes d'aujourd'hui ne sont ceux qu'on déposait en 2000, mais un non spécialiste de ces brevets ne s'en rend pas bien compte. On a l'impression qu'un brevet de gènes, c'est un simple brevet de gènes, alors qu'il exige une montagne d'expérimentations, de preuves, de descriptions de l'utilité de l'application qui en sortira, qui sont de plus en plus exigeantes.

On peut envisager plusieurs stratégies. Soit on dépose dans le domaine public pour forcer la jurisprudence à avancer d'un grand coup. C'est comme cela que les Américains ont réagi en mettant toute la séquence du génome en accès public, ce qui n'était pas le cas jusqu'au jour où ils l'ont fait. Soit on adopte la stratégie du patent pool groupement de brevets, mais elle ne sera jamais parfaite. On n'a jamais le bon marqueur dans l'hôpital d'à côté. Il faudrait créer une base de données sur un pool mondial, ce qui revient finalement à mettre l'ensemble sur une base publique. Le pool, c'est très empirique, et ça marche une fois sur on ignore combien...

M. Maurice Cassier. Pour terminer, et pour rester un peu dans la même logique, dans le domaine des marqueurs biologiques, on a l'expérience de consortiums qui ont marché au début des années 2000. Toute une série de consortiums sur des marqueurs biologiques ont adopté des licences open source , et qui ont mis également, au bout d'un certain temps, les données dans le domaine public. Ces consortiums-là ont effectivement été utilisés. Ils ont permis le développement d'outils de diagnostic mis au point par les sociétés de biotechnologies.

Dans ce cas-là, on va vers des stratégies de mutualisation via les consortiums, via les Patent pools , précurseurs éventuellement à des mises dans le domaine public. Les incertitudes sont grandes, avec plusieurs types d'initiatives. Mais le principe est plutôt la mutualisation et la mise dans le domaine public.

Mme Audrey Aboukrat, doctorante à l'école de droit de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne . Ma présentation portera sur les rapports entre médecine personnalisée et brevetabilité des gènes humains aux États-Unis. Comme cela a été évoqué, c'est une question d'actualité. Je vais retenir une acception large des brevets sur les gènes humains, comprenant d'une part les brevets qui portent sur les séquences d'ADN isolées et d'autre part les brevets qui portent sur les méthodes d'analyse ou de comparaison de ces séquences aux fins de diagnostic car ces deux types de brevets sont essentiels pour le sujet de la médecine personnalisée. L'un des champs privilégiés de développement de la médecine personnalisée est en effet celui de la pharmaco-génomique qui a pour fonction de déterminer les variations de réactions des individus par rapport à des médicaments en fonction de leurs différences génétiques. Pour déterminer ces variations, il est nécessaire de procéder à des tests génétiques permettant aux médecins et aux chercheurs d'analyser et de comparer les séquences génétiques des individus concernés. Or, si ces tests et/ou les gènes impliqués dans l'affection ou la susceptibilité recherchée sont brevetés, alors l'utilisation des tests sans autorisation (licence d'exploitation) est de nature à constituer un acte de contrefaçon.

J'envisagerai les rapports entre médecine personnalisée et brevetabilité des gènes humains selon deux questions. D'une part, celle de la brevetabilité des « gènes » humains aux États-Unis, puisque telle est la question que vous m'avez posée. Je m'interrogerai d'autre part sur le risque de blocage que les brevets sur les gènes peuvent constituer pour le développement d'une médecine personnalisée.

Posée à la section 101 du Patent Act américain, la brevetabilité d'une invention est définie en termes très généraux. C'est la jurisprudence américaine qui a façonné au fil du temps les éléments de définition du caractère brevetable ou non d'une création.

Dans le temps qui m'est imparti, il ne m'est pas possible de retracer toute l'évolution jurisprudentielle américaine relative à la question de la brevetabilité des gènes humains depuis le célèbre arrêt Diamond v. Chakrabarthy rendu par la Cour Suprême des États-Unis en 1980 et qui a constitué le « terreau » de ce que l'on appelle généralement la « brevetabilité du vivant ». Car déjà dans cette décision existait en germe le principe de la brevetabilité des gènes humains. La Cour Suprême y faisait de l'intervention humaine un critère important de la brevetabilité d'une création, permettant ce faisant la brevetabilité de séquences génétiques isolées ou modifiées par l'homme et cela, même si les séquences génétiques considérées existaient telles quelles dans la nature, dans la mesure où une intervention humaine était nécessaire pour les obtenir.

Alors même que les États-Unis avaient été parmi les initiateurs de ce principe de brevetabilité des gènes humains, c'est contre toute attente qu'une affaire actuellement pendante devant la Cour Suprême de ce même pays pourrait être le siège d'un revirement de jurisprudence important sur la question. Il s'agit de l'affaire dite Myriad Genetics qui oppose l'AMP (Association for molecular pathology) parmi nombre de demandeurs et l'Office américain des brevets et des marques (USPTO) ensemble avec Myriad Genetics , défendeurs.

Comment en est-on arrivés là ?

Myriad Genetics détient sept brevets aux États-Unis, couvrant un grand nombre de revendications relatives aux gènes BRCA1 et BRCA2. Sont notamment revendiquées les séquences d'ADN isolées correspondant à ces gènes et à certaines altérations ou mutations qui seraient associées à une prédisposition aux cancers du sein et des ovaires. Sont également revendiquées des méthodes d'analyse ou de comparaison de ces séquences aux fins de diagnostic d'une telle prédisposition. Parmi les nombreuses revendications couvertes par ces sept brevets, trois types d'entre elles ont été mis en cause. Tout d'abord, des revendications portant sur les gènes humains isolés BRCA 1 et BRCA 2 ainsi que certaines altérations ou mutations de ces gènes qui pourraient être associées à une prédisposition aux cancers du sein et des ovaires. Ensuite, une revendication de procédé portant sur les méthodes d'analyse ou de comparaison des séquences BRCA 1 et BRCA 2 du patient avec les séquences d'un patient sain dans l'objectif d'identifier la présence d'altérations ou de mutations prédisposant le patient aux cancers du sein et des ovaires. Enfin, une revendication portant sur une méthode d'identification de médicaments et de leur efficacité potentielle dans le traitement des cancers du sein et des ovaires.

En mars 2010, en première instance, le juge Robert Sweet invalide l'ensemble des revendications des brevets de Myriad Genetics sur le fondement de la section 101 du Patent Act 242 ( * ). Pour ce faire, il distingue entre d'une part les revendications qui portent sur les séquences d'ADN isolées et d'autre part les revendications qui portent sur les méthodes de diagnostic.

S'agissant des séquences d'ADN, le juge Sweet a retenu qu'elles n'étaient pas suffisamment distinctes des séquences existant dans la nature. Se référant notamment à des affaires décidées au 19 ème siècle, le juge explique que « la seule purification d'un produit de la nature ne suffit guère à transformer ce produit en invention brevetable ». Cette position est intéressante en ce qu'elle diffère de la position classique retenue en droit américain des brevets. La position classique consiste à analyser le gène comme un élément chimique et donc le seul fait de l'isoler du corps humain suffirait à le rendre brevetable, sous réserve du respect des autres conditions de brevetabilité. Le juge Sweet s'oppose à cette interprétation et considère que c'est la fonction biologique du gène qui est à prendre en considération pour juger de la brevetabilité, soit sa fonction en tant que porteur de l'information. Or, en l'espèce, la version isolée et la version « naturelle » des gènes BRCA 1 et BRCA 2 portaient toutes deux la même information génétique. Par conséquent, le juge Sweet a retenu que les revendications associées portaient sur des produits de la nature, exclus en tant que tels de la brevetabilité.

Sur les revendications relatives aux méthodes d'analyse et de comparaison des séquences d'ADN aux fins de diagnostic, ces méthodes ont également été jugées non brevetables. Le juge a retenu que celles-ci consistaient simplement en des opérations mentales abstraites n'impliquant aucune transformation physique, ne constituant rien de plus qu'une étape préparatoire de collecte des données. En ce sens, ces méthodes se trouvaient exclues de la brevetabilité.

La décision était donc plutôt sévère contre Myriad Genetics dont l'ensemble des revendications contestées a été invalidé. En particulier, la position du juge Sweet de retenir que les gènes humains et plus précisément les séquences d'ADN isolées des gènes BRCA 1 et BRCA 2 n'étaient pas brevetables en tant que telles aurait pu sembler être un combat perdu d'avance, tant le principe de brevetabilité des gènes humains est ancré dans la jurisprudence américaine. De fait, dans un arrêt rendu en juillet 2011, la Cour d'appel fédérale a cassé la décision rendue en première instance sur ce point. Si la Cour d'appel s'aligne sur la décision du juge Sweet en ce qui concerne les méthodes d'analyse et de comparaison des séquences d'ADN aux fins de diagnostic (retenant que ces méthodes constituent une opération mentale abstraite et sont donc exclues de la brevetabilité), elle revient en revanche à la position classique en ce qui concerne la brevetabilité des gènes, analysant ces derniers comme des éléments chimiques et concluant à la brevetabilité des séquences d'ADN isolées revendiquées par Myriad Genetics .

Toutefois, l'hésitation jurisprudentielle qui s'est fait jour a été de nature à faire resurgir comme une question de principe, aux plans juridique et politique, la question de la brevetabilité des gènes humains aux États-Unis. En décembre 2011, l'Association pour les libertés civiles aux États-Unis ( American Civil Liberties Union ) et la Fondation Publique des Brevets ( Public Patent Foundation ) ont donc adressé une demande à la Cour Suprême visant à ce que la Cour d'appel fédérale revoit sa décision. Le 26 mars 2012, la Cour Suprême, soit la plus haute institution juridictionnelle américaine, a favorablement accueilli leur demande et a annulé la décision rendue par la Cour d'appel fédérale, lui ordonnant de revoir sa décision à la lumière d'une autre décision rendue par la juridiction suprême en mars 2012 dans une affaire Mayo Collaborative Services v. Prometheus Laboratories 243 ( * ).

Pourquoi, à la lumière de cette décision, s'interroger une troisième fois sur la brevetabilité des gènes humains ? Dans l'affaire Mayo Collaborative Services v. Prometheus Laboratories , la Cour suprême s'était prononcée sur la validité de revendications portant sur une méthode d'optimisation de l'efficacité thérapeutique et de réduction de la toxicité associées à un traitement de troubles gastro-intestinaux. Pour trancher cette affaire, le juge Breyer, qui a écrit l'opinion majoritaire de la Cour suprême, a distingué entre une loi de la nature, non brevetable car elle constitue un phénomène naturel, et une application d'une loi de la nature qui, elle, est brevetable. En l'espèce, la méthode revendiquée visait à établir des corrélations entre les concentrations de certains métabolites dans le sang et la probabilité que le dosage du médicament se révèle inefficace ou trop toxique pour le patient. Le juge a déduit que de telles revendications ne suffisaient pas à transformer ces relations en application d'une loi de la nature. Ces simples corrélations tombaient ainsi dans la catégorie des lois de la nature.

Cette distinction entre une loi de la nature et l'application d'une loi de la nature est certes intéressante au plan de la brevetabilité, mais extrêmement complexe à mettre en oeuvre. On comprend mieux pourquoi la Cour suprême a voulu que la décision de la Cour d'appel fédérale soit revue à la lumière de cette distinction pour trancher la question de la brevetabilité des gènes humains. En pratique cependant et comme cela était prévisible, l'impact de l'affaire Mayo Collaborative Services sur l'affaire Myriad Genetics a été assez faible. En effet, dans l'affaire Mayo Collaborative Services v. Prometheus Laboratories , les brevets en cause portaient sur une méthode de diagnostic ; il s'agissait donc de brevets de procédé. Or, dans l'affaire Myriad Genetics , les revendications qui posaient vraiment problème et dont l'appréciation opposait la première instance et la Cour d'appel fédérale portaient sur les séquences isolées d'ADN, soit un produit, et non sur les méthodes de diagnostic. La solution retenue dans l'affaire Mayo Collaborative Services v. Prometheus Laboratories ne contrôlait donc pas la question de la brevetabilité des revendications relatives aux séquences d'ADN isolées dans l'affaire Myriad Genetics . Aussi la Cour d'appel fédérale a-t-elle retenu la même solution qu'initialement et confirmé que l'arrêt Diamond v. Chakrabarthy servait de référence pour décider de la brevetabilité des séquences d'ADN associées aux gènes BRCA 1 et BRCA 2 244 ( * ) . Plus précisément, la Cour d'appel fédérale maintient que les séquences d'ADN revendiquées ne constituent pas un produit de la nature mais plutôt résultent d'une intervention humaine. En effet, l'isolement des séquences d'ADN ne se limite pas à leur séparation de corps étrangers mais consiste également en une transformation des séquences en une entité moléculaire différente de celle qui existe dans la nature. En ce sens, la Cour d'appel fédérale a retenu que les séquences d'ADN revendiquées, quoiqu'obtenues à partir de produits existant dans la nature, résultaient de l'ingéniosité humaine et étaient donc brevetables.

En septembre 2012, la Fondation publique des brevets et l'Association pour les libertés civiles aux États-Unis ont demandé à la Cour suprême de se saisir de l'affaire véritablement pour réviser la solution retenue par la Cour d'appel fédérale. L'affaire Myriad Genetics est actuellement pendante devant la Cour Suprême qui entendra, le 15 avril prochain, les arguments oraux des multiples parties avant de rendre sa décision dans les mois qui suivent. Notons que le Gouvernement américain a pris position tout au long de l'affaire Myriad Genetics contre la brevetabilité des gènes humains. S'il est difficile de prédire la solution que retiendra la Cour Suprême, au moins est-il intéressant de constater que le monde judiciaire se ressaisit de la validité d'un principe - la brevetabilité des gènes humains - depuis vingt ans assis sur une construction politico-administrative, à savoir la pratique de l'USPTO (United States Patent and Trademark Office) qui est responsable de la délivrance de brevets dans ce domaine.

La deuxième question que j'annonçais concerne les risques de blocage, par les brevets sur les gènes humains, de la recherche en médecine personnalisée. En tant que juriste, je ne suis pas forcément la mieux outillée pour me prononcer, d'autant qu'en l'absence d'études de terrain sur cette question, il est difficile de trancher. Mais au moins peut-on dresser quelques constats.

Premier constat : aux États-Unis, les avis les plus divers se côtoient à propos de cette question. Certains considèrent qu'il existe un risque réel de blocage de la recherche par les brevets. On peut citer Michael A. Heller et Rebecca S. Eisenberg qui ont théorisé, à travers l'expression d'anti-communs, ce qu'ils estiment être un vrai risque de blocage de la recherche biomédicale par les brevets : appliquée au cas des gènes humains, cette position met en relief les dangers de brevets revendiquant de nombreuses fonctions de gènes et verrouillant de ce fait l'exploitation de ces fonctions par d'autres. Dans ce cas de figure, les incidences seraient néfastes pour les chercheurs en médecine personnalisée, dans le cadre notamment du séquençage du génome humain entier (lequel leur permet d'avoir accès à un plus grand spectre de l'information génétique d'un individu et de ses éventuelles variations pour déterminer avec plus de précision les relations entre la génétique et les réactions au traitement pour le personnaliser, l'adapter à l'individu). Si des brevets couvrent en effet l'ensemble des fonctions d'un gène humain, l'analyse et l'exploitation des variations du gène risque de constituer un acte de contrefaçon.

En contrepoint, d'autres auteurs estiment qu'un tel blocage n'est en rien écrit. Ils défendent la thèse selon laquelle de nombreux domaines (notamment celui des nouvelles technologies de l'information et de la communication) se caractérisent par un enchevêtrement de brevets conférant à leurs titulaires des monopoles étendus, ce qui n'empêche pas les concurrents d'avancer, notamment par le biais d'accords de licences croisées.

Si c'est effectivement bien le cas, on observera néanmoins que la multiplication des brevets sur les gènes peut entraîner d'importants coûts de transaction pour les opérateurs (s'informer des brevets délivrés et de l'étendue des monopoles conférés, déterminer la liberté d'exploitation laissée aux concurrents) et une fragilité importante pour tous ceux qui ne bénéficient pas de portefeuilles de brevets leur permettant de conclure des accords de licence leur permettant de continuer à travailler.

Deuxième constat : il est important de rappeler qu'aux États-Unis, comme en Europe, l'obtention d'un brevet est conditionnée à la vérification de plusieurs conditions : outre la mise en évidence d'une invention, il faut remplir un certain nombre de critères de brevetabilité, parmi lesquels le critère de l'applicabilité industrielle. Sur ce point, en 2001, l'Office américain des brevets et des marques (USPTO) a développé des directives pour l'examen des demandes de brevets sur des gènes humains, ajoutant des exigences pour la démonstration d'une applicabilité industrielle, laquelle doit désormais être spécifique, substantielle et crédible. Par exemple, il faut qu'aucune fonction du gène humain n'ait été identifiée auparavant pour que l'invention associée puisse être protégée par un brevet. Si davantage de recherches sont exigées pour identifier l'applicabilité industrielle de la séquence d'ADN identifiée, le brevet ne sera pas délivré. L'USPTO a donc ajouté des critères pour les seuls brevets sur les gènes humains, afin d'éviter que les brevets délivrés ne soient trop larges. Cette position permet d'éviter que l'étude puis l'exploitation d'une autre fonction du même gène, et même sa brevetabilité, tombent dans la dépendance d'un premier brevet. C'est un garde-fou important.

Toujours dans cette voie, notons que dans le cadre de la réforme très récente du droit américain des brevets qui a eu lieu en 2011, le Congrès a demandé à l'Office américain de mener une étude sur les tests génétiques de diagnostic pour formuler des recommandations concernant des moyens efficaces de garantir l'indépendance de l'activité de diagnostic en présence de brevets sur les gènes et de licences exclusives. Cette étude, en cours de réalisation, permettra de mieux comprendre la relation entre les brevets sur les gènes et les licences exclusives sur des tests génétiques d'une part et l'activité de diagnostic destinée à permettre au patient d'obtenir un second avis, indépendant de celui fourni par le test génétique protégé, d'autre part. Cette étude apportera sans doute des éléments de réflexion sur la question de savoir si les brevets sur les gènes ou les licences exclusives associées à des tests génétiques sont susceptibles de limiter l'accès des patients aux activités de diagnostic protégées.

Débat

Pr Philippe Amouyel. J'ai une remarque et une question. On n'a parlé que de la brevetabilité du génome. Notre séance est consacrée à la médecine personnalisée. Donc qu'en est-il de tous les diagnostics d'autre nature ? Si la séquence complète du génome se diffuse et se démocratise, parce que le prix baissera de façon absolument drastique, et que chacun pourra obtenir une séquence complète, et si les patients utilisent cette séquence avec leur médecin pour savoir si on trouve telle ou telle mutation, comment peut-on défendre un brevet ? Comment peut-on réclamer les droits du brevet ?

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître. Je ne comprends pas votre deuxième point.

Pr Philippe Amouyel. Si l'on prend l'exemple de Myriad Genetics , aujourd'hui des sociétés interdites en France, mais qui ont pignon sur rue sur le web et pratiquent des diagnostics de BRCA1, BRCA2, ne me semblent pas payer quelque redevance que ce soit à Myriad Genetics .

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître. J'ignore si Myriad Genetics exerce une surveillance totale de ce qui se passe.

M. Philippe Amouyel. C'est un exemple, mais il y en a des centaines d'autres. Ainsi sur le diabète existe-t-il plus de 60 gènes testables et sur Alzheimer on arrive à 25. Il y en a vraiment beaucoup. Cela va nécessiter une surveillance globale. Comment protéger ces découvertes ?

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître. Si Myriad Genetics le juge utile, je pense qu'elle poursuivra en contrefaçon. Mais elle attend surtout une décision très importante aux États-Unis, pour voir ce qu'elle peut faire. En Europe, il y a déjà eu une limitation très importante de ces revendications de brevets. Je pense que la surveillance est en cours et que peut-être on attend un peu. Il existe peut-être des accords qu'on ignore, des licences, même pas chères.

M. Maurice Cassier. Je pense qu'en Europe, Myriad Genetics s'est vu rétablir partiellement ses brevets en 2008 par l'Office européen des brevets. Mais ce rétablissement est très problématique. L'application des revendications est très difficile à faire, puisque c'est un certain type de mutations qui a été reconnu, et que pour pouvoir reconnaître ce type de mutation, il faut déjà pratiquer le test. Il faut voir aussi qu'en Europe, Myriad Genetics n'a rien réclamé, n'a poursuivi personne. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu un mouvement social extrêmement important de la part des professionnels de santé, des instituts anti-cancéreux, des hôpitaux, des laboratoires publics, des sociétés de génétique qui ont refusé ces brevets. Et donc Myriad Genetics ne poursuivra personne en Europe. En plus, il y a la menace d'une éventuelle licence obligatoire. Donc ils ne feront rien.

Aux États-Unis, s'il s'avère qu'un des acteurs concentrait un grand nombre de tests, des industriels pourraient éventuellement décider d'aller le voir. Ils ne s'en sont pas privés dans le passé, en allant voir un certain nombre de laboratoires hospitaliers pour demander la fermeture de leur service de tests ou pour leur imposer des licences.

Mme Audrey Aboukrat. Je souhaiterais répondre à la première question du Pr Philippe Amouyel. Il est vrai que notre propos concernait essentiellement les brevets sur les gènes, mais effectivement il y a d'autres types de brevets qui peuvent intéresser la médecine personnalisée. Aux États-Unis, des brevets ont été délivrés pour des médicaments « ethniques » et « raciaux ». C'est notamment le cas du BiDil, un médicament censé traiter l'insuffisance cardiaque et spécifiquement destiné à la population afro-américaine aux États-Unis. D'autres brevets sont donc susceptibles d'être associés à la médecine personnalisée, en sus des seuls brevets sur les gènes humains.

Mme Cécile Tharaud. Pour répondre à la question du Pr Philippe Amouyel, on demande nombre de licences à des sociétés américaines de services de diagnostic sur des séquences de gènes. Ces sociétés affichent, y compris dans la documentation financière, que 30 % à 60 % de leur marché potentiel, notamment européen, est « cannibalisé » par les structures hospitalières. Elles l'affichent d'autant plus tranquillement qu'il leur faudrait attaquer en contrefaçon, si tant est qu'une telle approche soit éthiquement recevable, autant de centres hospitaliers que de services pratiquant le diagnostic. Donc économiquement, ce n'est pas possible. Un lien s'est fait naturellement entre les équilibres économiques et un certain nombre de questions éthiques.

M. Vincent Fert, directeur général de Qiagen Marseille . En tant que représentant de l'industrie, je voudrais défendre les brevets sur le diagnostic. Pour un industriel, un brevet, c'est une façon de maîtriser son retour sur investissement. C'est le principe, que ce soit pour un médicament, les technologies de l'information, ou dans d'autres secteurs industriels. En ce qui concerne un test de diagnostic, la question est de savoir s'il nécessite un investissement particulier pour être utile au patient. Le débat ne portait pas sur ce point-là et donc et je voudrais le recentrer. On a l'impression qu'un test de diagnostic, une séquence par exemple, s'apparente à une suite de mots, et on imagine que Gutenberg aurait breveté l'impression. Mais en réalité ce n'est pas du tout cela. On ne peut pas breveter une suite de signes pour ensuite récupérer des royalties sur le dos des systèmes de santé.

En tant qu'industriels, nous développons des tests, nous démontrons leur validité clinique, nous explorons leur sensibilité, leur spécificité, nous regardons quel est le taux de faux positif et de faux négatif. Un faut négatif pour des mutations EGFR, c'est un manque de chance pour un patient. Nous insérons ces tests dans des systèmes automatisés de façon à ce qu'ils puissent être utilisés à des coûts raisonnables par le système de santé. On nous demande, à juste titre, notamment aux États-Unis, de démontrer ces performances dans des essais prospectifs. On se rapproche du coût de développement du médicament. C'est pourquoi je pense qu'attaquer le droit des brevets sur le diagnostic est dangereux pour l'innovation et pour le patient.

Pr. Philippe Amouyel. Les points qui ont été évoqués ne sont pas de cette nature. Aujourd'hui, vous pouvez envoyer de l'ADN au Beijing Institute of Technology à Pékin, ils le séquenceront, moyennant un coût qui n'est pas encore raisonnable, mais qui le sera bientôt. Je l'aurai donc à ma disposition, en tant qu'individu, et j'irai consulter mon médecin. Donc l'acte du diagnostic que vous avez évoqué sera finalement dilué. Quel sera le poids du brevet déposé sur la maladie d'Alzheimer par exemple, par rapport à quelqu'un qui aura sa séquence et qui ira directement lire cela sur son ADN pour 100 dollars et un micro-ordinateur ?

M. Vincent Fert. Est-ce nouveau ? Est-ce inventif ? Cela peut-il être appliqué industriellement ? Je crois que le droit des brevets est extrêmement bien fait de ce point de vue-là.

M. Alain Claeys. L'interprétation du droit des brevets sur le vivant est assez complexe. C'est pour la raison de tous ces débats aux États-Unis ou en Europe. Quand vous analysez les alinéas dans la directive européenne, de nombreux spécialistes expliquent qu'on peut y trouver une contradiction entre un alinéa et un autre. Ce n'est pas si évident que cela, et je comprends votre préoccupation.

Mme Cécile Tharaud. D'une façon générale, la valeur du brevet correspond à la valeur ajoutée que le brevet apporte. Le brevet de gène de la maladie d'Alzheimer est intéressant, parce qu'on a une potentialité de développer de la thérapeutique derrière ; ce n'est pas seulement intéressant parce que la séquence est jolie à regarder.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître. Ce sont les revendications dont j'ai parlé dans la deuxième partie de mon exposé : les substances pour le traitement avec biomarqueur. Comment distingue-t-on le groupe de patients par rapport au groupe de patients antérieur, s'il y a eu un groupe de patients antérieur ?


* 242 Association for Molecular Biology, et al. v. United States Patent and Trademark Office, et al . (U.S. District Court - Southern District of New York, 29 mars 2010)

* 243 Mayo Collaborative Services v. Prometheus Laboratories, Inc. (U.S. Supreme Court, 20 mars 2012)

* 244 Association for Molecular Biology, et al. v. United States Patent and Trademark Office, et al. (U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit, 16 août 2012)

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