QUATRIÈME TABLE RONDE :
AVEC QUELS MODELES DE RECHERCHE-DEVELOPPEMENT ?

Pr Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence, membre du collège de la Haute Autorité de Santé (HAS). Je vais m'exprimer au nom de la Haute Autorité de Santé (HAS), mais également au nom de l'Académie nationale de médecine comme prévu. Je crains d'avoir à donner pour cette dernière table ronde quelques petits coups de canif dans le conte de fée dont on nous parle depuis le début de cette audition. Malheureusement, je n'ai pas pu entendre les préliminaires.

M. Alain Claeys . On a aussi été critique ! (à l'assistance) Avez-vous eu l'impression d'entendre un conte de fée, pour ceux qui étaient là ce matin ? (réprobation) Non.

Pr Gilles Bouvenot. Je vais peut-être requalifier mon sujet en parlant de l'expérience de l'évaluation des thérapies ciblées, et uniquement des thérapies ciblées, par la HAS, entre 2002 et 2013. Cette expérience porte sur 18 produits 245 ( * ) . À propos de ces 18 produits, la commission de transparence n'a donné d'avis défavorable au remboursement en matière de thérapie ciblée qu'une seule fois, pour l'un de ces produits dans le cadre d'un traitement du cancer métastasé du pancréas, au motif que la performance thérapeutique ne consistait qu'en une prolongation de la survie moyenne de trois semaines par rapport au comparateur. Ce produit a d'ailleurs été admis dans une autre indication.

La commission de transparence de la HAS n'effectue qu'une l'évaluation médicotechnique. D'une certaine manière, il faut se réjouir de l'indépendance dans notre pays, entre l'évaluation médicotechnique pure, que je représente aujourd'hui, et l'évaluation médico-économique. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays. Le NICE ( National Institute for Health and Clinical Excellence), pour ce qui concerne l'Angleterre et le Pays de Galles, a par exemple refusé le Xalkori au motif qu'il n'est pas coût-efficace. Ce n'est pas encore le cas dans notre pays où il n'y a pas de rationnement, mais seulement des efforts, pas toujours efficaces, de rationalisation.

Tableau récapitulatif des spécialités dites « thérapies ciblées » évaluées par la CT de janvier 2002 à mars 2013

Spécialité (dci)

Indication

cible

SMR

ASMR

Population cible

ADCETRIS

(Brentuximab vedotin)

Traitement du lymphome hodgkinien (LH) CD30 positif récidivant ou réfractaire chez l'adulte :

1. après greffe autologue de cellules souches (ASCT) ou 2. après au moins deux traitements antérieurs quand l'ASCT ou une poly-chimiothérapie n'est pas une option de traitement. ADCETRIS est indiqué dans le traitement du lymphome anaplasique à grandes cellules systémique (LAGCs) récidivant ou réfractaire chez l'adulte.

Antigène CD 30

Important

ASMR III dans la prise en charge du lymphome hodgkinien CD30 positif

245 à 275 patients par an

CAPRELSA

vandetanib

cancer médullaire de la thyroïde agressif et symptomatique.

Mutation RET positive

Important

IV

70 à 130 patients par an

ERBITUX

(cetuximab)

Traitement des patients présentant un cancer colorectal métastatique avec gène KRAS de type sauvage exprimant le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR)


• en association avec une chimiothérapie,


• en monothérapie après échec d'un traitement à base d'oxaliplatine et d'irinotecan et en cas d'intolérance à l'irinotecan.

Gène KRAS

Important

- V en 1ère et 2éme ligne métastatique

- IV en 3ème ligne métastatique

7 400 à 12 300 patients par an pour toutes les lignes

GLIVEC

(imatinib)

- Leucémie myéloïde chronique (LMC) à Chromosome Philadelphie positif

- Tumeur stromale gastro-intestinale GIST Kit (CD117) positive

- le Chromosome Philadelphie positif dans LMC

- présence du KIT (CD117) pour les GIST

Important dans toutes les indications

- I dans LMC phase chronique et II dans les autres phases

- I GIST métastatique

- III dans le cadre du traitement adjuvant du GIST

LMC : 500 patients par an

GIST : 500 à 600 patients par an

HERCEPTIN

(trastuzumab)

- traitement adjuvant du cancer du sein avec HER positif

- traitement néo-adjuvant du cancer du sein avec HER positif

Surexpression du gène HER2

important

- I dans le traitement adjuvant

- IV en traitement néo-adjuvant

735 à 1 712 patients par an

IRESSA

(géfitinib)

cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) localement avancé ou métastatique avec mutations activatrices de l'EGFR-TK

Mutation du gène EGFR

Important

- V en 1ère ligne métastatique

- IV en 2ème ou 3ème ligne métastatique

5 600 patients par an.

MABTHERA

(rituximab)

Lymphome non-hodgkinien CD20 positif

Gène CD 20

Important

ASMR I

5 900 patients par an

TARCEVA

(erlotinib)

Cancer du poumon avec mutation du gène de l'EGFR

Gène EGFR

important

IV en première ligne de traitement du cancer pulmonaire métastatique

2 300 à 3 200 patients par an

Spécialité (dci)

Indication

cible

SMR

ASMR

Population cible

SPRYCEL

(dasatinib)

LMC à chromosome Philadelphie positif

Chromosome Philadephie

Important en seconde intention

SMR insuffisant en 1ère intention (tolérance : cancers secondaires)

II en phase chronique de la LMC

I en phase accélérée ou blastique

Sans objet

150 à 200 patients par an

Sans objet

TARCEVA

(erlotinib)

Cancer du poumon avec mutation du gène de l'EGFR

Gène EGFR

important

IV en première ligne de traitement du cancer pulmonaire métastatique

2 300 à 3 200 patients par an.

TASIGNA

(nilotinib)

LMC à chromosome Philadelphie positif

Chromosome Philadephie

Important en 2ème intention

SMR important en 1ère intention

II en phase chronique de la LMC

I en phase accélérée ou blastique

ASMR IV

100 patients par an.

600 à 1200 patients par an.

TYVERB

- cancer du sein, avec surexpression des récepteurs HER2 (ErbB2) en échec au trastuzumab

- cancer du sein avec surexpression des récepteurs HER2 (ErbB2) sans échec au trastuzumab

Surexpression du gène HER2

Important dans les 2 indications

ASMR III en cas d'échec au trastuzumab

ASMR V en situation de non échec au trastuzumab

4 000 et 4 800 patientes par an.

100 à 500 patientes par an

VECTIBIX

(Panitumumab)

cancer colorectal métastatique exprimant le gène KRAS non muté (type sauvage)

gène KRAS

ASMR V

11700 à 14000 patientes par an

ZELBORAF

(vemurafenib)

Mélanome métastatique avec mutation BRAF V600

Gène BRAF

Important

ASMR III

1 200 patients par an

XALKORI

(crizotinib)

Cancer du poumon non à petites cellules anaplastic lymphoma kinase (ALK) positif

Mutation ALK

Important

ASMR III

630 patients par an.

KALYDECO

(ivacaftor)

Traitement de la mucoviscidose chez les patients âgés de 6 ans et plus, porteurs de la mutation G551D du gène CFTR (mutation CFTR-G551D

Mutation G551D du gène CFTR

Important

ASMR II

Maximum 80 patients

NEXAVAR

(sorafenib)

- Carcinome hépatocellulaire

- Carcinome rénal

Inhibiteur tyrosine kinase et anti angiogène

Important

Important

ASMR IV

ASMR II

1 500 patients

3 400 patients par an

AVASTIN

(bevacizumab)

- Cancer colorectal

- Cancer du sein

- Cancer du rein

- Cancer Poumon petites cellules avancé ou métastatique

- Cancer de l'ovaire

Anti VEGF

Important

Faible

Important

Important

Important

ASMR II

ASMR IV

ASMR V

ASMR IV

ASMR V

ASMR IV

18 000 patients par an

3 300 patients par an

---

5 500 patients par an

6 500 à 6 900 patients par an

3 460 patients par an

JAKAVI

(ruxolitinib)

Splénomégalie myéloïde

Inhibiteur JAK / SAT

Important

ASMR III

500 patients par an

SUTENT

(sunitinib)

- Tumeur neuroendocrine pancréas

- Cancer du rein avancé

- Tumeur stromale G.I.

Anti angiogène

modéré

Important

Important

ASMR V

ASMR III

ASMR II

170 patients par an

5 440 patients par an

230 patients par an

Les 18 produits représentant concernant des thérapies ciblées ne sont pas tous accompagnés. D'ailleurs le mot « test compagnon » m'a toujours posé problème. Le test compagnon, pour la commission de la transparence de la HAS, c'est le test quasiment fourni par l'industriel dans le cadre d'un kit, afin de permettre la bonne identification du patient présentant la cible. Or ce que la commission observe dans les dossiers, c'est l'existence d'une cible, et par conséquent l'existence d'un produit qui a été mis au point pour toucher la cible. Il ne m'appartient pas de faire cette différence, peut-être byzantine, entre le test compagnon et tout simplement l'existence d'un biomarqueur mis en évidence et qui est utilisé.

Quel est le conte de fée ? On présume d'une meilleure efficacité de ces produits, et on comprend très bien pourquoi. On présume de leur meilleure tolérance, ce qui reste à discuter, j'y reviendrai. On présume éviter grâce à eux de prescrire des traitements inutiles, et alors là on en est à peu près certain, et par conséquent, d'imposer un certain nombre d'effets indésirables, superfétatoires, à des patients. Mais il faut nuancer, en rappelant que tant que ces produits ne seront pas des produits de première ligne, -à supposer qu'ils le deviennent rapidement-, ils interviennent soit en deuxième ligne chez des patients ayant déjà subi les méfaits des chimiothérapies, ou en association avec des chimiothérapies, et on aboutit alors à une sommation des effets indésirables.

Enfin, probablement parce que le traitement est bien ciblé, et que ne reçoivent le traitement que ceux qui sont susceptibles d'y répondre, on arrive probablement, dit-on, et c'est l'élément essentiel du conte de fée, à un coût diminué pour la solidarité nationale. En tant que citoyen, je n'en suis pas persuadé. Pour l'instant, l'objectif est que les thérapies ciblées entrent dans le cadre de ce que nous appelons très improprement la « soutenabilité », c'est-à-dire la possibilité de s'offrir ces produits, et ce, de manière pérenne. J'évoque évidemment la solidarité nationale.

Quelques notions en termes d'efficacité. La commission de transparence a pour mission de noter les produits. Elle note leurs progrès thérapeutiques de 1 à 5 : 1 pour un progrès majeur. 5 pur une absence de progrès. Sur les 18 produits que nous avons évalués, seuls 3 d'entre eux ont eu la note 1, c'est-à-dire progrès majeur. Ainsi pour les 15 autres produits, le progrès, le bénéfice, est assez minime. Il est quelquefois très notable, mais enfin, il n'est pas toujours très important. La prolongation de survie est de l'ordre de deux à trois mois. Notez bien que nous sommes confrontés à un problème : la plupart des dossiers ne nous donnent pas d'idée sur le gain véritable de prolongation de la vie des patients, mais seulement de la survie sans progression.

Ces produits ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) de caractère un peu mixte, à la fois une AMM d'organe et une AMM de cible. Deviendra-t-elle un jour une AMM ubiquitaire de cible ? C'est possible, mais nous n'en sommes pas là. Nous en sommes encore à la mixité. Par ailleurs, ces dossiers montrent que la plupart des essais qui ont conduit ces produits à l'AMM ont été interrompus par des comités scientifiques ou des comités d'éthique, considérant qu'à partir d'un certain moment, il n'y avait pas lieu de poursuivre l'essai, et que les patients qui n'étaient pas dans le bon groupe, c'est-à-dire dans le groupe thérapie ciblée, auraient une perte de chance en poursuivant leur participation à l'essai. Pour nous, évaluateurs, ceci obère de manière très notable ce que nous pensons de la qualité des produits et très probablement, sous-estime, on peut l'imaginer et on l'espère, leur efficacité. Cette efficacité est loin d'être aussi importante que le concept pourrait le laisser présager. Nous en sommes absolument désolés, mais c'est ainsi.

Et puis il y a des résistances. Nous les observons aussi bien en cours d'essais que dans la vie réelle. Nos amis scientifiques, des sciences fondamentales, de la génétique, de la génomique, savent bien quelles sont les grandes causes de ces résistances, pas seulement l'existence de cellules stromales qui entourent la cellule cancéreuse, mais aussi peut-être, et c'est là le problème, l'existence d'autres cibles, sur lesquelles on n'intervient pas, et qui pourraient interférer avec la cible sur laquelle on intervient. Soyons humbles, nous observons un certain nombre de biomarqueurs prédictifs, mais la plupart du temps, nous le savons bien, il faudrait des « polymarqueurs », et on n'en dispose pas. Outre qu'on n'intervient pas sur eux, il est probable que certains interfèrent dans le mauvais sens avec ceux sur lesquels on intervient.

Une autre réflexion qu'on peut faire quand on évalue des thérapies ciblées, c'est qu'on aimerait que pour ces thérapies ciblées, comme pour tout traitement onéreux, on dispose de règles d'arrêt précises. Quand doit-on arrêter le traitement ? Quand doit-on penser qu'il n'y a pas lieu de le poursuivre et que le patient n'en tire plus de bénéfices, mais seulement des effets indésirables non négligeables ? On aurait pu croire que les effets indésirables des thérapies ciblées seraient moins importants, moins graves, que les effets indésirables des chimiothérapies, mais ce n'est pas le cas.

Mes sources dans le domaine sont aussi celles dont sont issues les publications de l'INCa, et l'INCa, à juste titre, comme nous, se préoccupe des effets indésirables encore inconnus. Il n'est probablement pas anodin d'introduire dans l'organisme des substances qui agissent sur un récepteur, sur une cible que nous connaissons, mais probablement aussi sur d'autres que nous n'avons pas identifiées, et dont les effets à long terme pourraient être préoccupants. Je ne parlerais pas de bombe à retardement. Ce ne serait pas un coup de canif, ce serait un coup de poignard, et je n'en suis pas là. Mais méfions-nous. Il faut exercer une surveillance, probablement prolongée si tant est que ce type de patients puisse bénéficier une surveillance prolongée quand on prescrit ces thérapeutiques.

Tout n'est donc pas rose dans le domaine des résultats des thérapies ciblées, parce que le profilage des patients est encore insuffisant. Mais il est permis de penser que des progrès arriveront, que des associations de thérapies ciblées verront le jour et se posera le problème de la prise en charge par la solidarité nationale de traitements ciblés associés. On n'en restera pas seulement au traitement avec son test compagnon. On en viendra à un ou deux traitements ciblés associés, avec évidemment les éventuels tests compagnons.

Telle est l'expérience de l'évaluation de ces médicaments. Nous la prenons très au sérieux, nous tentons, autant que faire se peut, de permettre la mise à la disposition aux patients de ces médicaments. Il n'y a pas, dans les avis de la commission de transparence, la moindre arrière-pensée médico-économique. Non pas qu'il ne faille pas en avoir une, mais il n'appartient pas à la commission de transparence de la HAS d'en avoir. Ainsi pour ce qui concerne la France, nous n'avons pas à rougir : 18 médicaments présentés, 18 acceptations. Alors bien sûr, comme les notes que nous attribuons ne sont pas toujours très valorisantes, il en résulte qu'en aval de nous, les négociations de prix par le comité économique des produits de santé peuvent être difficiles, pour ne pas dire très difficiles.

En tout cas, l'objectif de l'évaluation par la commission de transparence est de donner à ces produits la note qu'ils méritent, ni plus, ni moins, sans se préoccuper, en aucune manière, des conséquences économiques, ou comptables, de nos avis.

M. Alain Claeys. Cette intervention est importante. Certains veulent-ils réagir ? Non. Alors continuons.

Pr François Ballet, président du comité R&D de Medicen Paris région . Je traiterai des modèles d'organisation qu'on peut proposer pour favoriser le développement de la médecine personnalisée. Mon propos sera orienté du point de vue des industriels. Il est important de rappeler que le champ de la médecine personnalisée est extrêmement vaste. Il y a l'aspect médicament mais aussi l'aspect détermination de facteurs de risque chez le sujet sain pour permettre de mettre au point des stratégies de prévention adaptées et individualisées, et de pouvoir faire un diagnostic précoce, voire ultra-précoce dans les populations à risque qu'on aura ciblées. On a également la possibilité de stratifier les malades pour mieux déterminer leurs facteurs de risque, leurs facteurs de gravité et enfin la possibilité de déterminer la meilleure molécule pour le patient, en termes d'efficacité et de toxicité.

Deuxièmement, j'évoquerai les bases de la susceptibilité individuelle, qui expliquent mieux les différents types d'activité qu'on doit inclure pour développer cette activité. Prenons par exemple le problème de la toxicité du médicament, les effets secondaires. On sait que l'un des problèmes majeurs actuellement dans le cadre du développement des médicaments est la toxicité idiosyncratique, la toxicité rare, qu'on n'est pas capable de détecter, ou très difficilement, dans les essais cliniques. Sur l'animal, c'est impossible à détecter. Très souvent, cette toxicité, compte tenu de sa très faible incidence, n'apparaît que lorsque la molécule est sur le marché.

Il est extrêmement frustrant, pour un laboratoire pharmaceutique qui développe une molécule très active, d'être obligé d'arrêter son développement en raison d'un effet indésirable chez 1 % ou 2 % des patients, alors que chez 98 % des patients, la réponse est très bonne et la tolérance est parfaite. On perçoit bien l'intérêt de détecter à l'avance les patients à risque, afin de les exclure du traitement. On connaît mieux les bases de cette susceptibilité. Dans un premier temps, on a pensé que les facteurs génétiques pouvaient l'expliquer. On s'aperçoit maintenant que ce n'est pas le cas. Les polymorphismes génétiques peuvent expliquer une partie très faible de cette susceptibilité, mais le reste de la susceptibilité dépend de facteurs externes, environnementaux, particuliers à l'hôte, la maladie sous-jacente, son immunité, son micro-biote intestinal, etc .

Pour pouvoir prédire le risque in fine , il faudrait non seulement des tests biologiques, mais également d'autres paramètres, bien plus difficiles à maîtriser, et aussi des algorithmes permettant réellement de prédire le risque. Ce qui paraissait relativement simple au début, quand on a pu séquencer le génome, est en réalité bien plus complexe. La toxicité des médicaments est un bon exemple. C'est exactement la même chose pour la susceptibilité des maladies. La maladie apparaît lorsqu'il y a une convergence de facteurs individuels, génétiques, mais également environnementaux, externes, etc.

Ces données permettent de comprendre deux notions importantes. Si l'on veut encourager le développement de la médecine personnalisée, premièrement, il faut favoriser les approches multidisciplinaires, rapprocher de nombreuses compétences permettant de développer vraiment une approche de médecine translationnelle, c'est-à-dire multidisciplinaire, centrée sur le malade, en rapprochant les chercheurs, les cliniciens et les industriels. C'est un élément extrêmement important pour aborder des problématiques aussi complexes que celle-là.

Deuxièmement, on s'aperçoit que le champ industriel et les industries qu'il est nécessaire de mobiliser pour développer des projets de médecine translationnelle, sont finalement extrêmement divers. Sans diagnostic, on ne peut pas faire de médecine personnalisée, mais il est des domaines industriels auxquels on ne pense pas forcément, et qui sont également extrêmement importants.

Par exemple, au niveau du dispositif médical, l'une des formes particulières de la médecine personnalisée, est d'être capable d'adapter un les doses d'un traitement, aux paramètres de logique du patient. Le pancréas artificiel, qui est un système permettant de délivrer des doses d'insuline parfaitement adaptées à la glycémie du patient, est une approche thérapeutique de médecine personnalisée. Les industries qui développent ces systèmes ne sont ni les laboratoires pharmaceutiques traditionnels, ni les laboratoires de diagnostic, mais les laboratoires de dispositifs médicaux. Les technologies de l'information et de la communication, et l'e-santé sont aussi très importantes pour le développement de la médecine personnalisée. Il en va de même pour les d'algorithmes prédictifs de risques, c'est encore une autre industrie qui devra les développer.

La chirurgie personnalisée est en train de se développer, c'est un domaine auquel on ne se réfère pas. À l'IRCAD (Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif à Strasbourg), on développe des méthodes d'imagerie virtuelle permettant d'étudier, avant d'opérer l'anatomie spécifique, la vascularisation de du foie par exemple du patient, de façon à pratiquer des hépatectomies réglées bien plus précises qu'avant. L'imagerie médicale, et l'industrie du numérique, sont extrêmement importantes pour développer ces approches.

Un autre domaine industriel auquel on ne pense pas est celui de l'industrie agroalimentaire. Un concept assez révolutionnaire est en train de se développer actuellement, c'est le micro-biote intestinal comme facteur prédictif de maladie et en même temps comme paramètre important susceptible de moduler l'immunité. La flore intestinale de chaque personne est différente. On s'aperçoit qu'en fonction de sa composition, on peut être sensible à telle ou telle maladie. Cela peut donc constituer non seulement un biomarqueur de risque, mais on peut imaginer qu'en modulant ce micro-biote intestinal, on pourra éventuellement prévenir l'apparition de certaines maladies, voire éventuellement les traiter.

Or le développement de pro-biotiques, c'est-à-dire d'agents alimentaires susceptibles de modifier la flore intestinale, particulière à chaque malade, est une approche qui est actuellement développée par Danone Research , dont le centre de recherche est en région parisienne, en collaboration avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), dans le cadre de grands projets européens. Ce sont également des approches de médecine personnalisée extrêmement intéressantes.

Je représente le pôle Medicen Paris région, un pôle de compétitivité qui a pour objectif de fédérer les différents acteurs de l'innovation dans une région donnée. Un pôle de compétitivité est un acteur très important pour développer la médecine personnalisée, parce qu'il est précisément capable, et c'est son objectif, de rapprocher les différents acteurs de la recherche, les chercheurs académiques, les cliniciens, les industriels grands et petits, et également de rapprocher différents champs industriels qui n'ont pas forcément l'habitude d'échanger.

Au moment où la médecine personnalisée s'est développée, il n'était pas si simple de faire discuter le monde du diagnostic avec le monde de la pharmacie, le monde de la pharmacie avec l'industrie du dispositif médical, ou des technologies de l'information et de la communication, ou avec l'industrie agroalimentaire. En réalité, on s'aperçoit que c'est la mise en réseau de tous ces mondes qui permettra de parvenir à des solutions innovantes, pour vraiment réaliser la révolution de la médecine personnalisée. Ils représentent des opportunités de business , de création et développement d'entreprises extrêmement importants, très largement au-delà du cercle classique de la médecine personnalisée qui est celui du médicament et de la pharmacogénétique.

M. Alain Claeys. Pr Gilles Bouvenot, on voudrait avoir une précision sur le problème de notation. Quel est l'objet de la notation ? Vous avez dit de 1 à 5. Mais lorsque vous analysez un test, soit il est efficace, soit il ne l'est pas, soit il comporte des risques, soit il n'en comporte pas, soit on le met sur le marché, soit on ne peut pas. Cela ne sert pas uniquement à fixer un prix.

Pr Gilles Bouvenot. Nous ne revenons jamais sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) qui ont été octroyées à ces produits, quelques mois auparavant, par l'EMA (Agence européenne des médicaments). Il n'en est pas question et ce n'est pas notre mission. Il nous est demandé essentiellement trois choses. La première, c'est de préciser l'intérêt thérapeutique du nouveau médicament, en le classant dans l'une des catégories suivantes : intérêt thérapeutique important, modéré, faible ou insuffisant. On ne peut proposer au remboursement des produits d'intérêt thérapeutique insuffisant.

Nous quantifions donc cet intérêt thérapeutique, en sachant que le taux de remboursement est corrélé au niveau d'intérêt thérapeutique attribué (important, modéré, etc. ) Á noter toutefois qu'en ce qui concerne les thérapies ciblées, sur les 18 produits, 17 produits tiennent au cancer et aux hémopathies malignes et un tient à la mucoviscidose. Il s'agit donc d'affections de longue durée dont la prise en charge par la solidarité nationale est de 100 %.

Notre deuxième mission est au moins aussi importante, en particulier pour les thérapies ciblées, puisqu'il nous revient de dire quels progrès ces nouveaux produits apportent par rapport à ceux dont on dispose déjà. Pour ce faire, nous attribuons une note de progrès thérapeutique allant de 1 à 5. 1 : c'est un progrès majeur, une vraie révolution thérapeutique comme, par exemple l'a été le Glivec dans la leucémie myéloïde chronique. Et quand nous attribuons 5, c'est qu'il n'y a pas de progrès thérapeutique.

La fixation du prix, à la suite de négociations entre les firmes et le comité économique des produits de santé (CEPS), dépend d'un certain nombre de facteurs, dont le niveau de note que nous avons attribué. Le Comité économique des produits de santé est le seul à pouvoir vous dire la pondération qu'il accorde à la note donnée par la commission de la transparence dans le contexte général de fixation des prix. En matière de thérapies ciblées, seuls 3 produits sur les 18 examinés, ont été qualifiées de progrès majeurs, avec la meilleure note.

Enfin nous avons une troisième mission, non négligeable elle aussi. Les pouvoirs publics nous demandent en effet de déterminer la population cible des patients justiciables des nouveaux traitements. Il nous revient donc de déterminer si tel nouveau produit va intéresser 200, 500, 1 000 ou 10 000 patients. À la lecture de la liste des populations cibles, on voit qu'elles dépassent rarement quelques milliers de patients. Dans le cadre d'accord prix-volume entre les pouvoirs publics et les firmes pharmaceutiques, cette estimation a son importance sur la fixation du prix.

M. Alain Claeys. Quand vous proposez la note 5, proposez-vous aussi le déremboursement ?

Pr Gilles Bouvenot. Non : en matière de progrès thérapeutique (ASMR), la note 5 indique seulement que le produit n'apporte pas de progrès et ne doit donc pas être à l'origine de surcoût par rapport aux produits qui existent déjà. Encore une fois, j'ai occulté délibérément la première partie de notre mission liée à l'intérêt thérapeutique, considérant qu'elle n'est pas vraiment concernée dans le cadre des traitements ciblés, qui pour l'instant, touchent les malades ayant un cancer ou une mucoviscidose. Ces produits, il les leur faut, sauf si évidemment ils avaient obtenu des AMM indues, ce qui n'est jamais arrivé. C'est la note de progrès thérapeutique, - celle que vous lisez quelquefois dans la presse sous le nom d'amélioration du service médical rendu (ASMR) - qui compte. C'est elle qui a de l'influence sur la fixation du prix et influe aussi ceux qui lisent les avis de la HAS. Quand un produit a obtenu la note 1, cela signifie qu'il est un progrès majeur. Quand il a eu 5, cela signifie qu'il n'est sûrement pas le meilleur.

M. Pierre Attali, directeur général délégué, stratégie & affaires médicales, BioalliancePharma. Combien de produits ont eu les ASMR notées 5, quel en est le pourcentage ? Finalement, comme vous l'avez expliqué fort justement, l'ASMR est très fortement reliée au prix. Pour faire simple, avec une ASMR 5, vous n'avez pas de prix, et tout le coût de votre développement tombe à l'eau.

Pr Gilles Bouvenot. Il est extrêmement difficile de répondre à la question que vous me posez. Pourquoi ? Je vais être bref, mais j'aimerais être clair. Il est fait de nos avis un certain nombre d'usages que nous ne contrôlons pas. Je vais prendre un exemple trivial : en fonction des notes que nous attribuons, les produits peuvent être ou pas inscrits sur la liste en sus. Mais il nous faut absolument résister à l'idée que si nous ne donnons pas une très bonne note à tous ces produits, il y aura quelques difficultés dans les négociations de prix ultérieurement. Nous devons rendre des avis purement scientifiques.

Une mission médico-économique a été attribuée à la HAS. Le Parlement nous a fixé le seuil du 1 er septembre 2013 pour rendre désormais un double avis pour ce type de produits : un avis de la commission de la transparence qui ne sera que médicotechnique et un avis d'une commission médico-économique. Les deux avis iront conjointement au comité économique des produits de santé.

Votre question c'est probablement : quand la commission de la transparence attribue une ASMR de niveau 5, le produit est-il mort ? Je ne le crois pas. Quand on donne une ASMR 5, c'est-à-dire pas de progrès thérapeutique, le code de la sécurité sociale est clair. Quand la commission de transparence n`attribue pas une note de progrès, autrement dit quand elle donne 5, l'introduction du médicament est possible, mais elle doit induire des économies pour l'assurance maladie. Pour ce type de produits, quand nous donnons 5, cela signifie que l'industriel ne pourra pas exiger un surcoût par rapport à la concurrence, mais je ne suis pas sûr que le prix fixé l'empêche de le mettre à la disposition des patients.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Nous allons poursuivre avec le Pr Philippe Monteyne, vice-président R&D France de Sanofi, qui intervient pour Les entreprises du médicament (LEEM).

Pr Philippe Monteyne, pour Les Entreprises du Médicament (LEEM), vice-président R&D France de Sanofi . En préambule, j`indiquerai qu'en vous donnant le point de vue de l'industrie, je vous décevrai peut-être, ou vous rassurerai, je l'espère, dans le sens où je ne vais pas vous apporter des éléments très nouveaux ou très différents de ce que vous avez pu déjà entendre... En particulier, je vous confirmerai plutôt que le point de vue de l'industrie n'est pas si loin du monde académique ou du monde de la science.

Voltaire disait que « les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien ». Ce à quoi l'on veut parvenir aujourd'hui, c'est exactement l'inverse, c'est comprendre beaucoup mieux les maladies, les malades, et bien entendu les médicaments qu'on administre, très tôt dans le développement. Nous prônons de plus en plus ce que nous appelons chez Sanofi une médecine des « 4P » : préventive, prédictive, personnalisée, participative. C'est une vision à long terme qui couvre tout le modèle R&D, et c'est ce vers quoi nous voulons aller.

Une médecine préventive, car on a déjà pu prévenir de nombreuses maladies infectieuses, mais progressivement on doit aussi pouvoir, dans l'industrie, participer à la prévention de maladies non infectieuses. Certaines maladies font le lien entre les deux. Par exemple, le vaccin anti-HPV protège contre des lésions précancéreuses, et de façon ultime, contre le cancer de l'utérus. Il y a donc des liens entre l'infectieux et le non-infectieux, et progressivement on doit pouvoir, y compris pour un industriel du médicament, se diriger vers une prévention de pathologie non infectieuse.

Une médecine prédictive, parce que c'est très important de prédire le risque et d'intervenir en fonction du risque prédit. Une médecine personnalisée, et vous l'avez déjà entendu, avant d'arriver à la médecine personnalisée, beaucoup d'entre nous pensent qu'il y a une étape intermédiaire, celle de la médecine stratifiée. Nous allons tous dans le sens d'une médecine personnalisée, qui est probablement l'étape ultime. Une médecine participative, parce que cela ne peut se faire qu'avec la participation du malade à la prise en charge de sa santé.

En ce qui concerne la médecine stratifiée, nous travaillons de plus en plus avec ce qu'on appelle la médecine translationnelle, c'est-à-dire en ayant accès à du matériel humain, en rapprochant le lit du malade de la paillasse, et inversement. Depuis les années 90, sans doute dans le monde scientifique en général, y compris dans l'industrie, on a attaché beaucoup trop d'importance aux modèles animaux. On a cru que les modèles de souris résoudraient tous les problèmes et on s'est lancé dans de grands développements, en sorte que parfois on se retrouvait en phase 3 en ne connaissant pas assez le mode d'action du médicament, parce qu'une trop grande partie de cette connaissance était basée sur des modèles animaux. De plus en plus, on se rend compte qu'il faut aller vers du matériel humain, il faut beaucoup plus tôt comprendre la maladie chez l'homme.

On ira progressivement vers une médecine stratifiée, de l'aval, c'est-à-dire du traitement symptomatique, vers l'amont, c'est-à-dire vers le mode d'action des maladies, et finalement vers la génétique quand il y a une base génétique. En agissant de la sorte, on doit découper les maladies. C'est de cette manière qu'on s'aperçoit que des maladies comme le diabète par exemple, ne sont probablement pas une seule maladie ; dans le cancer il y a probablement plus de deux cents maladies, et c'est aussi le cas des maladies rares. Par exemple, un traitement contre la mucoviscidose a été découvert l'année dernière, mais il y a plus de 500 mutations, et ce traitement ne s'adresse qu'à 4 % des 70 000 patients atteints de mucoviscidose dans le monde.

On perçoit bien qu'il faudra aller vers une médecine fortement stratifiée, avec des outils de médecine translationnelle, avec un accès à des matériels humains, et avec des biomarqueurs. Pour les industriels, l'accès à des matériels humains signifie qu'ils doivent se rapprocher beaucoup plus du monde académique et du monde hospitalo-universitaire, en particulier pour accéder à du matériel humain, mais aussi à l'innovation. C'est pourquoi, on évoque de plus en plus l'innovation ouverte, mais certaines entreprises, ont historiquement un système d'innovation beaucoup trop fermé. Cela n'implique pas que nous voulons externaliser notre recherche. Nous continuerons à faire de la recherche en interne, mais nous devons être beaucoup plus ouverts sur le monde académique et sur le monde hospitalo-universitaire, en particulier très tôt dans le développement.

D'où l'intérêt de l'écosystème, des regroupements. En France, les regroupements sont plus que bienvenus. On vient d'avoir l'exemple avec le Pr François Ballet, de Medicen Paris région. Les pôles de compétitivité sont un aspect très important de l'écosystème. Au niveau des regroupements hospitalo-universitaires, en région parisienne, on a la chance d'avoir l'Assistance Publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui est un bel exemple.

Quant à Sanofi, où nous sommes en train de réorganiser notre recherche /développement (R&D),a première raison de cette réorganisation tient à la baisse de productivité de la R&D, dans la santé et dans l'industrie en général. Nous considérons que pour un dollar investi, nous avons 70 cents de retour sur investissement. Évidemment, ce modèle n'est pas viable à long terme. Face à cette réalité, on peut améliorer la productivité en diminuant l'attrition. C'est ce qui explique notre intérêt pour la médecine translationnelle. Nous voulons mieux comprendre les malades et les maladies, et avoir accès à du matériel humain pour mieux percevoir les risques dès le début du développement.

Dans l'équation de la productivité, cela jouera essentiellement sur les chances de succès, car ce sont tous les échecs qui pèsent énormément sur les retours sur investissement, et coûtent très cher. Si on n'a moins d'attrition, par définition le retour sur investissement va augmenter. Il nous faut donc diminuer l'attrition, être plus efficaces et nous regrouper. Sanofi est très ancré en France et nous avons la volonté de le rester. La moitié de la R&D de Sanofi regroupe 6 000 collaborateurs en France. Nos unités thérapeutiques sont regroupées sur un minimum de sites en fonction de l'écosystème. Donc dans l'industrie, on s'adapte à ce modèle.

Pour conclure, je citerais sept défis majeurs, et éventuellement obstacles, que nous avons identifiés pour ce modèle R&D à long terme, en particulier pour la médecine stratifiée et la médecine personnalisée.

Premier défi, il faut effectuer des études cliniques dès la phase zéro, avant même d'avoir un médicament en développement, pour mieux comprendre le malade, pour avoir accès à des échantillons. Et il faut d'ailleurs que le patient donne son autorisation pour qu'on utilise le matériel de façon assez large.

Deuxième défi, il faut une épidémiologie, une bonne connaissance des populations de malades. Le Pr Gilles Bouvenot parlait de profilage des patients. C'est exactement ce à quoi je fais allusion.

Le troisième défi, c'est la propriété intellectuelle. Vous en avez largement débattu dans la troisième table ronde. La propriété intellectuelle doit couvrir des aspects beaucoup globaux que ce qui est couvert aujourd'hui, si l'on veut une approche globale.

Le quatrième défi, ce sont les difficultés pour un grand industriel de faire face à des exigences réglementaires qui sont malheureusement trop souvent différentes entre la Food and Drug Administration (FDA) et l' European Medicines Agency (EMA), pour ne citer que celles-là, malgré toutes les communications qui sont mises en place entre les deux agences.

Cinquième défi, il y a un modèle économique qui n'existe pas aujourd'hui. Si l'on veut faire une médecine plus personnalisée, avec une prise en charge globale, qui ira de la prévention, au diagnostic, au traitement, et dans ce traitement une partie classique sur prescription, une partie prise en charge du malade, avec des aspects de santé grand public hors prescription, cela doit former un ensemble devant faire partie d'un modèle économique qui n'existe pas aujourd'hui. Il faudra sûrement y travailler.

Le sixième défi est très français, c'est notre fameux « principe de précaution » qui constitue un défi majeur. Il faut absolument construire et bâtir la confiance dans le médicament, et avoir une confiance dans les traitements et les vaccins qui sont développés. Nous connaissons tous l'exemple typiquement français du vaccin contre l'hépatite B, dont la réputation souffre encore aujourd'hui de ce qui s'est passé dans les années quatre-vingts dix.

Le septième défi, provient des systèmes de remboursement dans le monde entier. Même si le président de la commission de la transparence de la HAS a bien expliqué que cela n'entrait pas dans sa fonction, on y a fait beaucoup allusion. Les systèmes de remboursement dans le monde entier datent de l'après-Seconde Guerre mondiale, et ne sont sûrement pas adaptés à une médecine du futur, laquelle doit être une prise en charge plus globale du malade, où le malade fait partie du modèle économique. Il faudra repenser la façon dont on rembourse par une approche globale, sur la base d'une performance et d'une qualité, plutôt que sur un médicament unique. L'industriel, nous l'espérons, aura alors un apport bien plus global.

Mme Corinne Blachier-Poisson, directrice de l'accès au marché et des affaires publiques d'Amgen . Je représente un laboratoire américain leader des biotechnologies et un des rares à avoir mis sur le marché un exemple de médicament de médecine personnalisée.

Je commencerai par donner un exemple pratique illustrant à la fois le succès et les échecs qu'on peut rencontrer dans le développement de ces médicaments. Cette molécule, dont le nom ne vous intéressera sans doute pas, appartient à une classe d'anti-cancéreux. Comme il a été expliqué, la grande majorité des médicaments utilisés dans la médecine personnalisée le sont uniquement pour le cancer, à une exception près. La molécule dont je souhaite vous parler, a commencé à être développée dans le cancer colorectal métastatique. L'essai clinique laissait apparaître une réponse très variable des patients. À la fin de l'analyse, les statisticiens se sont rendu compte qu'il y avait vraiment de grandes différences entre les répondeurs et les non-répondeurs. A posteriori, ils ont analysé le lien entre certains biomarqueurs et la réponse au traitement, et se sont alors aperçus qu'on pouvait stratifier les patients en deux groupes : ceux dont le gène KRAS était non muté étaient répondeurs, et ceux dont le gène KRAS était muté ne répondaient pas du tout au traitement, n'avaient que des effets secondaires et ne tiraient aucun bénéfice de ce médicament.

Ces résultats ont conduit à l'enregistrement d'un essai clinique basé sur des données d'analyse a posteriori , ce qui n'est pas classique dans le développement des médicaments. Habituellement, on part d'une hypothèse, que l'on veut tester et si l'on ne vérifie pas cette hypothèse, on n'a pas le droit de travailler les données a posteriori . Cela soulève déjà la question de l'analyse statistique des essais de ces médicaments dans la médecine personnalisée. On est obligé de tester plusieurs biomarqueurs pour savoir quel est celui qui va a posteriori avoir un lien.

Dans un deuxième temps, on a suivi la recommandation de cliniciens spécialistes de cancers de la tête et du cou, où il existe très peu de médicaments disponibles, et qui avaient testé en phase 2 ce médicament, considérant qu'il avait une efficacité. De nouveau, on a effectué une analyse des statistiques des essais cliniques disponibles. En fait, il s'est avéré impossible de trouver un biomarqueur qui soit prédictif et permette d'obtenir une réponse cliniquement significative. On a donc arrêté le développement dans cette indication, à la grande déception de certains cliniciens. Clairement, un besoin existait, et il semblait qu'il y avait un bénéfice, mais on n'était pas capable de trouver le gène permettant d'identifier les répondeurs. C'était un exemple pour montrer qu'en effet, l'histoire n'est pas un conte de fée, pour reprendre les propos du président Gilles Bouvenot.

La médecine personnalisée peut certainement bien nous aider et faire évoluer notre modèle de R&D, mais elle ne règlera certainement pas tous les problèmes, les principaux, étant les coûts. Le coût de développement d'un médicament a énormément augmenté ces deux dernières décennies. Il y a vingt ans, on disait qu'il fallait en moyenne 250 millions de dollars pour mettre un médicament sur le marché. Aujourd'hui on parle d'1 milliard de dollars. Ce sont toujours des calculs assez difficiles à établir, mais cela donne à peu près une idée des proportions.

Naturellement, au sein des laboratoires, toutes les directions R&D cherchent à diminuer ce coût. Cela passe par une accélération des essais cliniques, par une diminution de l'attrition comme cela a été expliqué en s'adressant tout de suite à la population chez laquelle on trouvera le plus grand bénéfice.

La médecine personnalisée paraît être la réponse idéale pour faire évoluer le modèle. D'une part, elle permettra de s'adresser à des pathologies souvent rares, ou peu fréquentes, pour lesquelles il existe un fort besoin médical et peu de solutions thérapeutiques. C'est vrai qu'en général on préfère arriver sur un marché dans lequel on trouve peu de comparateurs, car on a plus de chances de démontrer un plus grand bénéfice. D'autre part, cette médecine permettra de s'adresser à des prescripteurs et des médecins moins nombreux, pour lesquels on pourra mieux encadrer l'information et la pharmacovigilance. C'est important car on maîtrise certainement plus la pharmacovigilance d'un médicament quand il est prescrit par 1 000 médecins que par 60 000 médecins généralistes. C'est donc aussi pour nous, une façon de diminuer le risque d'une mauvaise utilisation, et de minimiser la toxicité.

Cependant la médecine personnalisée n'a pas que des avantages. Elle soulève aussi certaines difficultés que j'ai listées, sans être exhaustive. Au niveau du recrutement des médecins qui vont mener les études, il faut bien voir que ces médecins ne seront pas seuls, ils seront dans des centres. Comme il a été dit, ces centres regroupent de nombreuses compétences et doivent donc être multidisciplinaires. La recherche clinique sera donc restreinte à certains centres apportant toutes les garanties en termes de respect des protocoles de recrutement des essais, lesquels sont extrêmement stricts. En cas de non-respect de ces protocoles, les patients ne sont pas inclus dans les essais, et même, les centres peuvent être exclus des essais cliniques à venir.

Au niveau du recrutement des patients, on se trouvera avec des pathologies où il y a peu de patients à recruter. Il est plus facile de faire des essais dans l'hypertension où, en France, dix millions de personnes sont concernées, que dans le cancer de l'ovaire par exemple, qui concerne 9 000 personnes sur une année, réparties dans différents sous-groupes. De plus, nous sommes plusieurs industriels à chercher dans ces cancers assez rares. Il existe donc une concurrence dans le recrutement de ces patients.

L'aspect du co-développement en parallèle avec le test diagnostic est très nouveau pour nous. Nous sommes un peu dans une situation de dépendance par rapport aux tests. Il faut que le test soit bien fait si l'on veut que le bon traitement soit donné au bon patient. On le savait déjà avec certains médicaments basés sur les tests, mais les biomarqueurs demandent une certaine compétence. En France, dans le domaine du cancer, on a la chance que tout cela soit bien géré par l'INCa. C'est fait par des plateformes agréées et contrôlées.

Par exemple, dans le test du gène KRAS, on n'a eu aucun problème de qualité en France. En revanche, dans d'autres pays européens, c'est un vrai souci et cela peut être un obstacle à notre AMM. Les autorités européennes, quand elles ont évalué notre médicament, étaient très réticentes à donner une AMM, parce que certains États membres faisaient état d'une mauvaise qualité des tests dans leur pays. Finalement, l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament devient liée à celle d'un test diagnostic. La majorité des laboratoires, à de rares exceptions près, ne conduisent pas à la fois une activité diagnostique et une activité pharmaceutique. Ce n'est pas du tout le même mode de fonctionnement. Comme l'a expliqué le Pr Philippe Monteyne, ce nouveau mode de fonctionnement nous oblige à travailler de manière pluridisciplinaire, ce qui est très nouveau pour l'industrie pharmaceutique.

Ensuite, se pose la question de la nécessité d'identifier les bons gènes qui demande de faire de l'épi-génétique et donc d'avoir accès à de larges cohortes de patients. Il n'est pas toujours facile de disposer de bonnes qualités de données. Il se trouve que mon laboratoire a décidé d'acquérir une base de données islandaise qui réunit tous les génotypes et les phénotypes de toute la population islandaise. L'objectif est de pratiquer toutes les analyses de liens entre la génétique et la maladie. Clairement, il faut donc accéder à certains types de données de l'épi-génétique qui ne sont pas si nombreuses, ni si faciles d'accès.

Je terminerai sur un point déjà été mentionné. En matière de thérapie ciblée, une fois que nous obtenons l'AMM pour ces médicaments et que nous sommes passés par la commission de la transparence, le sort du médicament est lié à celui du test. Or, le remboursement et le prix de ces tests ne suivent pas du tout le même circuit administratif. Aujourd'hui, les pouvoirs publics ont une vision qu'il faudra très certainement revoir en tenant compte de cette nouvelle approche.

La commission de la transparence, le Comité économique des produits de santé (CEPS) ont des règles de fonctionnement et des délais auxquels les industriels tiennent beaucoup. Mais le remboursement d'un test dépend de la nomenclature de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), laquelle n'a absolument aucune obligation légale en matière de délai administratif. La CNAM inscrit les tests sur la liste dans un délai qui peut aller de un à trois ans, voire jamais ce qui pose un problème de cohérence. Il y a certainement à travail à faire du côté des administrations pour s'assurer que les deux, et le test et le médicament, arrivent en même temps sur le marché, sinon les patients français ne pourront pas bénéficier de la médecine personnalisée, même si tout a été accompli du côté du médicament.

Dr Frédéric Eberlé, responsable médical de Roche Diagnostics France . Je vous présenterai le modèle de développement du Groupe Roche dans la médecine personnalisée. Le groupe Roche est l'une des rares industries de santé qui possède deux divisions Roche Pharma et Roche Diagnostics. Chacune a son indépendance, mais comme nous le verrons, elles ont de très fortes synergies, notamment dans le cadre de la médecine personnalisée. La division Pharma est largement représentée dans le monde, avec des centres d'expertise essentiellement en Europe et aux États-Unis. C'est également le cas de la division Diagnostics. Le siège du groupe Roche est à Bâle.

Comme le Dr Christophe Le Tourneau l'a exposé, le Trastuzumab a été une révolution il y a une dizaine d'années. Après le Glivec en oncohématologie, l'Herceptin a fondé la médecine personnalisée dans les tumeurs solides. Pour mémoire, dans 20 % des cancers du sein, il y a une amplification du gène HER2 au niveau du noyau, qui se répercute au niveau membranaire par une surexpression du récepteur. L'Herceptin est un anticorps monoclonal qui bloque le récepteur et les voies de signalisation, en déclenchant également un phénomène de réaction immunitaire appelé ADCC ( Antibody Dependent Cellular Cytotoxicity ).

Le médicament peut être prescrit lorsqu'il y a une forte surexpression (3+) de la protéine à la surface de la cellule. Ce sont les anatomopathologistes qui réalisent ces tests. Dans les cas de surexpression (2+), une deuxième technique devra être mise en oeuvre : l'hybridation in situ par fluorescence ou par chromo génie. Il y a une dizaine d'années, l'Herceptin a donc été lancé avec des tests compagnons réalisés par une autre société que Roche.

Il existe deux nouveaux développements de médicaments chez Roche pour bloquer HER-2. Le premier concerne le Pertuzumab qui empêche la dimérisation du récepteur. Le deuxième (T-DM1) consiste à greffer une chimiothérapie sur le corps de l'anticorps monoclonal thérapeutique qu'est l'Herceptin. Ce faisant, le Pertuzumab d'une part ciblera la molécule tumorale HER-2 positive (comme l'Herceptin), et en outre délivrera la chimiothérapie dans la cellule. L'an dernier, un accord a été passé entre le groupe Roche et le groupe Areva pour greffer sur le corps de l'Herceptin, non pas une chimiothérapie, mais un radionucléide (plomb 212 d'Areva), ce qui permet de faire une irradiation ciblée intracellulaire des cellules tumorales.

Trois modes de développement de médecine personnalisée peuvent être décrits. Le premier (en 1998) fut l'Herceptin avec un test compagnon qui n'était pas celui de Roche. Le deuxième (années 2004-2008) décrit par Mme Blachier-Poisson, portait sur le Panitumab qui a obtenu une AMM avant qu'un test compagnon (KRAS) ne devienne obligatoire. Enfin, le troisième exemple, le plus récent, concerne le mélanome métastatique, où le Zelboraf (molécule de Roche Pharma), a été développé en parallèle avec le test compagnon cobas BRAF (de Roche diagnostics). Les études cliniques conduites en vue de l'obtention de l'AMM du Zelboraf l'ont été avec ce seul test, ce qui permet de dire que le test cobas BRAF est cliniquement validé. Il est aussi marqué CE in vitro diagnostic (CE-IVD), c'est-à-dire conforme à la directive européenne pour répondre aux « exigences essentielles » pour garantir la sécurité des patients et des utilisateurs.

Le Zelboraf est absolument révolutionnaire. Il fait partie des médicaments qui ciblent une mutation précise (« driver mutation » dont a parlé le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet), c'est-à-dire une mutation causale nécessaire et suffisante au développement du cancer. L'article de G. Bollag publié dans Nature 2010 a montré des résultats spectaculaires entre J0 et J15. En général, les thérapies ciblant une « driver mutation » présentent des résultats initiaux très impressionnants. La photo de l'article de N. Wagle publié dans le Journal of clinical oncology en 2011 montre un patient sur lequel on observe énormément de métastases à J0. En seulement 15 jours, le Zelboraf a « nettoyé », expression d'usage chez les médecins, les métastases. Malheureusement ce patient va rechuter en semaine 23, à cause d'une mutation acquise de la protéine MEK située en aval de BRAF. Donc le modèle peut être résumé comme suit : un test diagnostic identifiant une « driver mutation » confère l'éligibilité des patients à une thérapie ciblée efficace. Cela n'exclut pas l'apparition ultérieure de mutations de résistance et sans doute faudra-t-il aller vers des bithérapies.

Roche Diagnostics, dispose d'un large panel d'instruments et de réactifs. Roche Diagnostics est très connu des biologistes dans les disciplines de l'immunologie, la biochimie et la biologie moléculaire, avec les tests PCR (Polymerase Chain Reaction), tel le test cobas BRAF marqué CE-IVD précédemment décrit. Nous avons également des instruments de séquençage à haut débit. Pour la cancérologie où les tests réalisés par les anatomopathologistes sont fondamentaux (hybridation in situ et immunohistochimie), Roche Diagnostics apporte aussi des techniques automatisées de coloration, des techniques d'imagerie (scanner de lames).

Les deux divisions de Roche travaillent donc en grande synergie. Les biomarqueurs peuvent être identifiés par des experts académiques ou par nos propres chercheurs. Mais le véritable savoir-faire de l'industrie pharmaceutique, est de développer le test compagnon en tant que réactif de laboratoire standardisé détectant le biomarqueur d'intérêt accompagnant la thérapie ciblée. Roche Diagnostic vise à obtenir un marquage CE-IVD conjointement à l'AMM du médicament (comme cela a été fait pour le Zelboraf).

Roche comprend la société Genenteche en tant qu'entité travaillant avec une grande autonomie. La R&D de Genentech porte sur de nombreux médicaments, notamment en oncologie, dont plus de la moitié sont développés conjointement avec un test diagnostic compagnon de type moléculaire ou histologique ou biochimique ou immunologique. Du côté de la R&D intrinsèque à Roche Pharma, 80 % des molécules sont accompagnées du développement d'un test diagnostic compagnon. Nous venons de décrire les molécules en phase précoce de développement.

S'agissant des molécules lancées d'ici deux ans, six nouveaux traitements sont accompagnés d'un test compagnon sortiront. Je ne reviens pas sur le Pertuzumab et le T-DM1 en oncologie. Pour les cancers bronchiques non à petites cellules, le MetMAb est un anticorps monoclonal anti-cMET pour lequel la surexpression de la protéine MET sur les prélèvements bronchiques sera recherchée par un test Roche Diagnostics. Pour le traitement de l'hépatite virale C, le Danoprevir est une anti-protéase et la Mericitabine une anti-polymérase. Les patients concernés sont suivis par les mesures de leur charge virale (qui sont donc de véritables tests personnalisés). Ces tests ont été développés chez Roche Diagnostics il y a une vingtaine d'années.

L'interleukine 13 (IL-13) peut être particulièrement impliquée dans l'asthme sévère et le Lebrikizumab développé par Roche est une thérapie ciblée ant-IL-13 présentant un potentiel très intéressant. Administré à des patients non sélectionnés, la réponse au Lebrikizumab peut apparaître comme modérée (je cite un article de J. Corren du New England Journal of Medicine de septembre 2011). En revanche, administré à des patients présentant une forte implication de l'IL-13, le traitement apparaît comme efficace. Un moyen indirect d'évaluation de l'implication de l'IL-13 est de doser le taux sanguin de périostine sur un instrument de type cobas. L'article cité confirme la preuve de concept d'une stratification des patients asthmatiques par leur taux sanguin de périostine comme critère prédictif de réponse au traitement.

Roche présente une politique volontariste de partenariats de R&D. En France, 56 partenariats sont en cours, avec des partenaires académiques. 22 millions d'euros ont été investis depuis 2009 dans ces partenariats, avec un modèle collaboratif en vue de bénéfices mutuels.

Pour conclure, l'accès des patients aux traitements très innovants de médecine personnalisée que nous avons présentés est fondamental au vu des résultats cliniques observés, mais on ne peut nier que la sélection des patients par un test compagnon complique la stratégie thérapeutique pour les industriels, les cliniciens et les autorités de santé. L'industriel a la charge d'évaluer simultanément le test-compagnon et le médicament pour viser l'inscription du test aux nomenclatures des actes de biologie médicale ou des actes d'anatomopathologie et l'AMM du médicament. Il doit également s'enquérir de la bonne maîtrise de la réalisation des tests par les centres de prise en charge des patients. Roche Diagnostics accompagne très fortement ses clients au niveau de la détection de HER-2. L'an dernier, nous avons soutenu le contrôle de qualité (CQE) des tests BRAF effectués en France. C'était une préoccupation majeure de Roche en vue d'une dispensation juste du Zelboraf. Cette préoccupation est aussi partagée par l'INCa, qui en 2013 met en place des contrôles de qualité au niveau de l'EGFR, BRAF et KRAS.

Dr Jérôme Garnier, directeur en oncologie de Roche France . Évidemment, je m'inscris complètement dans la ligne de présentation du Dr Frédéric Éberlé. Je voudrais insister sur la nécessaire qualité, exercice difficile, mais qui est absolument fondamental dans la recherche de tests. J'en veux pour exemple le MetMAb, anticorps qui cible la protéine cMET exprimée à la surface des cellules de cancers bronchiques ou de cancers gastriques, ainsi que dans un grand nombre de tumeurs. Des résultats d'études de phase 2 ont été présentés il y a bientôt deux ans dans un congrès américain. Ils ont clairement montré que lorsque le médicament est administré à la population de patients qui expriment fortement cMET, le bénéfice est vraiment significatif en survie globale et en survie sans progression. À l'inverse, lorsque le médicament est administré à une population atteinte des mêmes cancers bronchiques et qui n'expriment pas la protéine cMET à la surface des cellules, le résultat est totalement inverse, décrémental par rapport au standard of care .

Cela montre bien qu'on est vraiment là dans une recherche quasi absolue de la perfection dans la présence de cette protéine, de sorte qu'on l'administre qu'à la population qui en bénéficiera, et bien sûr pas à la population qui n'exprime pas la protéine. Dans ce cas, celle-ci serait non seulement exposée aux effets indésirables du médicament, mais de surcroît, on lui rajouterait un effet délétère. Cet exemple très précis est d'autant plus important à prendre en considération qu'il ne s'agit pas de biologie moléculaire, à savoir de réalisation des tests sur les plateformes de génétique moléculaire des cancers de l'INCa, mais de réalisation de test dans tous les laboratoires d'anatomie pathologique sur le territoire. L'enjeu de la qualité du test est forcément très fort quand on l'associe aux médicaments.

En outre, lorsqu'on développe un médicament en vue d'un enregistrement, en tant qu'industriel on ne s'arrête pas là dans la production de connaissances. Il est absolument crucial d'accompagner les prescripteurs dans la meilleure compréhension possible des mécanismes associés, telle que la résistance primaire ou secondaire aux médicaments, et de mieux comprendre en vie réelle ce qui se passe chez les malades. Il y a une nécessaire collaboration entre le monde industriel et le monde académique après le lancement des médicaments.

Cela rejoint ce que mon collègue précisait précédemment à propos de la médecine translationnelle. Finalement, ce sont ces allers-retours entre le malade et la paillasse qui permettront de mieux comprendre les mécanismes des médicaments. La publication très importante du New England Journal of Medicine daté d'avril 2012 a montré très clairement l'hétérogénéité tumorale et l'instabilité génétique des tumeurs. Cela signifie qu'il peut y avoir des écarts entre un prélèvement réalisé sur un cancer dans l'organe primitif et la situation mutationnelle dans les métastases. Donc se fier à des résultats obtenus sur l'organe primitif pour pouvoir ensuite administrer un traitement dit ciblé, c'est probablement faire une erreur.

L'instabilité génétique des tumeurs a été illustrée par le Dr Frédéric Éberlé. Quand on expose un patient porteur d'un mélanome métastatique BRAF muté à un inhibiteur BRAF, il y a des voies de contournement de ce blocage de BRAF, avec entre autres l'expression par exemple de MEK, ou l'amplification de BRAF. La tumeur a un grand nombre de possibilités pour contourner ce blocage, et donc il est absolument nécessaire de poursuivre encore la recherche, pour mieux comprendre ce qu'il faut faire. Il faut peut-être associer des médicaments ou mieux les utiliser au cours du cursus du malade.

Mme Christine Guillen, directrice du programme ADNA « Avancées Diagnostiques pour de Nouvelles Approches thérapeutiques », Institut Mérieux . Je vous remercie de nous donner l'opportunité de présenter un programme fédéré par l'Institut Mérieux. Ce programme, dédié à la médecine personnalisée, a été initié par Christophe Mérieux en 2005 avec la volonté de promouvoir et d'améliorer la médecine personnalisée dans le domaine des maladies infectieuses mais également des cancers et des maladies génétiques rares. Ce programme s'appelle ADNA : Avancées Diagnostiques pour de Nouvelles Approches thérapeutiques. Il fédère des partenaires d'horizons différents et en cela il illustre ce qui vient d'être discuté. Il réunit des industriels qui développent des produits thérapeutiques ou des tests de diagnostic tout en s'appuyant sur l'expertise de nombreux cliniciens. Le programme, centré sur le patient, a pour principal objectif de réaliser le meilleur diagnostic et le meilleur suivi de la pathologie, mais également d'identifier des biomarqueurs permettant d'établir les traitements les mieux adaptés aux patients.

En 2013, ADNA est entré dans sa septième année. Il bénéficie du soutien de l'État français (par l'intermédiaire d'OSEO) dans le cadre des Programmes Mobilisateurs à l'Innovation Industrielle. Il a permis de mettre autour de la table des partenaires scientifiques de cultures différentes qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble. Ils ont appris des uns et des autres pour aboutir à la mise sur le marché de produits diagnostiques et thérapeutiques innovants.

En complément à ce qui a été mentionné précédemment sur l'identification d'un biomarqueur, je prendrai l'exemple de notre partenaire Transgene qui développe un vaccin thérapeutique dans le traitement du cancer du poumon « non à petites cellules ». La société dispose déjà d'un test immuno-histochimique pour identifier si l'antigène d'intérêt est exprimé par les cellules tumorales chez les patients à traiter. Transgene a réalisé une étude de phase 2B à l'issue de laquelle il a identifié de manière rétrospective l'existence d'un marqueur complémentaire. Il s'agit d'un marqueur lié à des cellules immunitaires, et plus précisément à la présence d'un taux de cellules TrPAL (Triple positive activated lymphocytes) prédictif de la réponse au traitement des patients. Cela a permis de poser l'hypothèse que ce biomarqueur permettrait de sélectionner les patients avant l'administration du traitement. Comme l'hypothèse de départ de l'étude clinique n'intégrait pas la sélection des patients en fonction du niveau d'activation de ces cellules, Transgene a donc consulté différentes agences réglementaires afin de définir le design de la phase clinique suivante. Les réponses ont été différentes suivant les agences, mais il est apparu clairement qu'il fallait mener une nouvelle étude clinique combinant non plus seulement un test compagnon mais deux tests compagnons avec des technologies extrêmement différentes, afin de valider ces biomarqueurs.

Le premier test compagnon est un test immuno-histochimique robuste et standardisable, facile à développer, qui a pu être mis au point dans le cadre des essais cliniques de Transgene sans trop de difficultés. En revanche, le deuxième test compagnon repose sur une technologie de cytométrie en flux, très difficilement automatisable et surtout très variable selon le centre clinique qui la met en oeuvre. Le partenaire Transgene a donc été amené à travailler très tôt avec des spécialistes du domaine car ce type de test ne pouvait pas être développé en interne. Ils se sont alors heurtés à deux difficultés : premièrement, la durée de développement de ce genre de test est différente de celle d'une phase clinique et deuxièmement, les discussions réglementaires liées à l'enregistrement de ce test compagnon sont à mener en parallèle à celles du produit.

Ce deuxième test permet la stratification des patients, suivant le taux de cellules NK activées. Il permettrait de distinguer deux populations : celle ne tirant malheureusement pas de bénéfice du traitement en raison d'un taux élevé de cellules NK activées, et celle en tirant un bénéfice. La phase 2B en cours doit valider la pertinence de ce biomarqueur pour la sélection des patients.

Dans le cas de notre partenaire bioMérieux et de ses partenaires (CEA/Leti, ST Microelectronics, Hospices Civils de Lyon et CNRS), ceux-ci prévoyaient, lorsque ce programme a démarré, la mise sur le marché d'un certain nombre de biomarqueurs en oncologie et dans les maladies infectieuses. Sept ans plus tard, un taux d'attrition important a été observé, en cohérence avec les résultats de l'ensemble des acteurs du domaine, en raison en particulier des performances cliniques insuffisantes des marqueurs candidats. Nous savons aujourd'hui que la recherche et la validation de biomarqueurs ayant une vraie valeur médicale ajoutée sont extrêmement longues et difficiles. BioMérieux prévoit néanmoins la validation de biomarqueurs pour le dépistage du cancer du foie, le pronostic et le diagnostic du sepsis, et pour la détection des maladies nosocomiales liées, entre autres, à la ventilation artificielle. Chez le partenaire bioMérieux, la plateforme de diagnostic automatisée initialement envisagée a été revue en raison de l'évolution rapide des technologies.

Par ailleurs, dans le cas des maladies rares, notre partenaire Généthon lance un essai clinique pour l'évaluation d'un traitement de thérapie génique pour la myopathie de Duchenne. L'ensemble des patients atteints par cette pathologie portent des mutations dans le gène de la dystrophine et dans un premier temps le produit développé par Généthon s'adresse à une sous-population de patients porteurs d'une mutation précise. Son objectif à terme toutefois est de développer des produits pouvant s'adresser au plus grand nombre. Ce développement pionnier d'une biothérapie innovante pour une maladie mortelle chez l'enfant et l'adolescent présente de nombreux défis, dont celui de produire selon des normes pharmaceutiques et à grande échelle un traitement particulièrement complexe. Ainsi, des méthodes de production ont été mises au point, « inventées » par Généthon, à l'occasion de ce projet, et pourront servir pour d'autres produits en particulier pour le traitement d'autres maladies rares mais aussi fréquentes. En parallèle, une réflexion doit être menée concernant la prise en charge par la société de ce type de traitement dans un souci de maîtrise des dépenses de santé. Aujourd'hui, nous réfléchissons aux problématiques à la fois réglementaires, économiques et de remboursement.

En conclusion, l'identification et la validation des biomarqueurs sont les points communs de tous les partenaires du programme dans leurs domaines respectifs : maladies infectieuses, diagnostics de cancers et leur traitement ciblé, maladies génétiques rares. Certaines études ou activités se sont avérées prometteuses comme dans le cas de la société GenoSafe avec une pérennisation de ses tests d'immuno-monitoring qui répondent aux besoins de développement de produits de médecine personnalisée.

S'il fallait tirer les grandes leçons de ce programme, sur le fond, nous avons été confrontés aux difficultés propres aux approches innovantes, sur la forme, nous avons assisté à de nombreux échanges de compétences, de savoir-faire entre des partenaires de cultures et d'expertises différentes mais tous mobilisés autour d'un objectif partagé.

Pour terminer, il faut réfléchir au modèle de propriété industrielle. Aujourd'hui, il est extrêmement compliqué de gérer le modèle standard de copropriété. Dans ADNA, nous avons réussi à faire émerger un modèle adapté aux projets issus des synergies nées entre les partenaires. Nous apprenons à gérer cette question de propriété industrielle afin qu'elle ne soit pas un facteur de blocage pour la valorisation, qu'elle aboutisse à un bénéfice pour les patients et qu'elle valide ainsi l'approche de médecine personnalisée.

M. Vincent Fert, directeur général de Qiagen Marseille . De même que le Dr Fréderic Éberlé, je représente l'industrie. Le groupe Qiagen, basé en Allemagne, est une société de taille mondiale, dont le chiffre d'affaires est d'1,2 milliard d'euros. Il est représenté aux États-Unis, en Europe, en Asie. Ses centres de recherche sont répartis dans le monde entier. C'est l'un des acteurs importants de la médecine personnalisée.

On a entendu aujourd'hui que sans tests de diagnostic, il n'y avait pas de médecine personnalisée. Qiagen est l'une de ces sociétés engagées de façon très volontariste dans ce domaine via des outils essentiellement d'analyse des acides nucléiques, d'extraction d'échantillons, d'automatisation de ces extractions, d'analyse des séquences d'ADN via des technologies PCR ou de pyro- séquençage. Et puis récemment, nous avons investi dans les technologies de séquençage de nouvelle génération qui permettent d'analyser un génome complet en quelques jours.

Je vous décrirai comment Qiagen aborde le domaine de la médecine personnalisée. Nous proposons aux industriels de la pharmacie des outils et des solutions pour le développement de leurs molécules. À ce jour, Qiagen a une quinzaine de partenariats avec les plus grands groupes pharmaceutiques. Qiagen a notamment lancé l'an dernier un test KRAS dans le cancer du côlon, en collaboration avec Bristol-Myers-Squibb et Lilly pour le cetuximab. C'était le premier test KRAS enregistré. Cette année, nous allons probablement obtenir le label de la Food and Drug Admnistration (FDA) pour le test EGFR dans le cancer du poumon, en collaboration avec une autre société pharmaceutique.

Pour une société de diagnostic, les collaborations avec l'industrie pharmaceutique sont vraiment un domaine émergent. Comme on l'a entendu, que ce soit au niveau réglementaire ou à celui de l'accès au marché, beaucoup reste à faire. Plusieurs éléments sont importants pour une société pharmaceutique qui développe une thérapie ciblée. D'abord le diagnostic ne doit pas peser sur le développement en termes de délais. À l'exception des molécules faites rétrospectivement dans le cancer du côlon (notamment le cetuximab), tous les développements, sont effectués de façon synchrone avec le médicament. On collabore à partir des phases 2 pour définir les prérequis du test. On fige un test à l'issue des phases 2, de façon à ce qu'en phase 3 du médicament, on puisse valider ce test et l'enregistrer de façon conjointe. Ce sont évidemment les prérequis appliqués dans le système américain au niveau de la FDA. Mais c'est un système dominant qu'en général les sociétés pharmaceutiques appliquent pour les autres pays.

L'industrie pharmaceutique veut parvenir à un développement de test compagnon abordable qui au final, ne doit pas être un frein au niveau de la commercialisation en termes de prix. Le bras de fer est assez inégal entre l'industrie pharmaceutique et l'industrie du diagnostic, néanmoins, nous sommes engagés dans ces discussions et des collaborations. Du coup, et c'est très nouveau pour nous, l'industrie du diagnostic subit de plein fouet, les taux d'attrition de ces molécules. Les industries pharmaceutiques adoptent les biomarqueurs et les projets tests compagnons diagnostiques de plus en plus tôt dans le développement, à partir de la phase 1. Nous sommes donc associés à des projets de phase 1, et nous savons très bien que le taux d'attrition est important et que nous le subirons.

Je prendrai deux exemples particuliers par rapport au sujet de cette table ronde consacrée aux modèles de R&D. Le premier exemple est un test développé à partir d'une découverte faite à l'Institut Gustave-Roussy. Il s'agit d'une mutation dans le gène JAK2 qui permet de porter un diagnostic des syndromes myélo-prolifératifs qui est un excellent exemple de cercle vertueux de l'innovation. Notre partenaire l'Institut Gustave-Roussy a été un très bon partenaire, mais cela aurait aussi bien pu être l'INSERM.

En 2005, une publication dans Nature de l'équipe du Pr William Vainchenker au sein de l'Institut Gustave-Roussy démontre l'existence de cette mutation qui permet de classer ces leucémies pour lesquelles on ne disposait pas réellement d'outils de diagnostic. En 2006, nous avons fait l'acquisition d'une licence exclusive et mondiale sur ce test. En 2007, un test marqué CE est lancé sur le marché. Ce test a représenté 50 % des revenus de la société qui était à l'époque Ipsogen et qui est aujourd'hui Qiagen Marseille, société toujours en activité et en croissance. Cette licence a été exploitée sous forme de produits qui ont été diffusés, et qui le sont encore, mondialement. Nous avons un projet pour enregistrer ce test à la FDA et des licenciés l'utilisent dans d'autres pays. Chaque année, je verse à l'Institut Gustave-Roussy (IGR) une somme qui représente le montant des redevances payées sur les revenus de ce test. Ce montant est partagé, puisque c'est une découverte collégiale qui implique l'INSERM et l'AP-HP.

J'ai fait un petit calcul que j'avais présenté il y a deux ans pour le dixième anniversaire de la structure de valorisation de l'IGR. Il montre que les redevances que nous reversons aux instituts de recherche pour ce test financent largement les tests JAK2 réalisés en France. Il faut savoir que ces redevances proviennent à 75 % des États-Unis, où l'on respecte le droit des brevets sur les diagnostics, jusqu'à aujourd'hui.

C'est donc un bon exemple de cercle vertueux de l'innovation. Cet argent sert à financer la recherche publique. Mais comme je le disais tout à l'heure de façon un peu volontariste, je pense que le diagnostic, et notamment le compagnon diagnostic, nécessite des investissements importants en termes de développement, d'essais cliniques, et d'une certaine façon, le droit des brevets est utile dans notre domaine.

Le deuxième exemple est un test que nous avons développé parallèlement au succès du Glivec qui est l'archétype des médecines personnalisées, pour lequel l'amélioration du service médical rendu (ASMR) n'est pas équivoque. En 2003, nous avons développé un test en collaboration avec un réseau européen d'experts académiques, avec qui il faut dans notre domaine, collaborer de façon très large. Nous sommes le leader pour ce genre de test. Il consiste à mesurer assez précisément le taux de transcrits, d'anomalies moléculaires dans le sang, de façon à suivre l'efficacité du Glivec qui maintenant devient un traitement chronique. Certains patients sont sous traitement au Glivec depuis dix ans. C'est finalement le même modèle que les anti-HIV.

Avec l'arrivée des molécules de deuxième génération, plus efficaces, le taux de cette anomalie dans le sang chute encore, et on arrive aux limites de sensibilité. Par ailleurs, on se demande si ces patients peuvent soutenir l'arrêt du traitement. Cela permettrait d'éviter au système de santé de payer des médicaments inutiles et pour les patients des toxicités. Des essais cliniques sont en cours, avec des résultats encourageants. Mais pour que ces essais cliniques puissent être conduits, il faut un test plus sensible que nous développons actuellement.

Je conclurai sur le problème de l'accès au marché. En ce qui concerne la réglementation, la directive CE en Europe est extrêmement différente en termes de prérequis par rapport à ce que nous demande la FDA. Ces marchés de médecine personnalisée sont mondiaux. La France représente seulement 10 % du chiffre d'affaires d'un test comme JAK2 ou BRCA. L'harmonisation des réglementations est donc extrêmement nécessaire, en particulier dans le domaine du test compagnon diagnostic, puisque les exigences de la FDA sont celles que j'ai citées tout à l'heure.

En ce qui concerne l'évaluation, il n'y a pas d'ASMR dans le diagnostic. Elle existe pour le médicament, mais pas pour le diagnostic. Il serait nécessaire qu'on en ait une pour le diagnostic. C'est une demande que j'adresse formellement. Si nous avons des ASMR pour le diagnostic, nous pourrons peut-être être acteurs du remboursement. Aujourd'hui, un industriel du diagnostic n'est pas qualifié pour soumettre un dossier de remboursement à la CNAM ou ailleurs. C'est un point extrêmement important.

Dr Pierre Attali, directeur général délégué stratégies et affaires médicales de BioalliancePharma . Chez BioAlliance, nous sommes dans une situation qui est un peu différente de celles décrites dans cette table ronde. Nous sommes une petite société de biotechnologie française, cotée en bourse. Pour développer nos produits, nous n'avons pas du tout les mêmes revenus et donc les mêmes facilités que les grands groupes et les multinationales.

Quelques rappels très brefs déjà été évoqués : qu'entend par « médecine personnalisée » ? Des modalités diagnostiques adaptées à chaque maladie, avec un traitement adapté à chaque malade, ce qui veut dire théoriquement un diagnostic précoce, une efficacité améliorée, pas ou peu d'effets indésirables. Ce n'est pas du tout ce qui passe aujourd'hui. Cela a des implications pour la R&D dans les domaines du diagnostic et pharmaceutique en raison de la complexité liée à au moins deux « facteurs » : le malade lui-même et la maladie .

En ce qui concerne les malades, chaque malade a son propre profil génétique individuel et cela implique des conséquences thérapeutiques. En tant que praticien à l'Assistance publique, je vais donner des exemples. En hépatologie, on connaît bien le problème des hépatites virales C chroniques G1 et l'on sait que la réponse thérapeutique varie de 25 à 80 % en fonction du polymorphisme génétique des patients. Il y a donc vraiment une efficacité qui dépend du profil génétique propre. Il existe aussi une tolérance qui dépend du profil génétique, avec une adaptation des doses selon le métabolisme individuel. Par exemple, l'anémie liée à la ribavirine en fonction du métabolisme individuel.

En ce qui concerne les maladies, pour les agents infectieux par exemple, on sait qu'il existe des sous-types viraux ou bactériens qui vont répondre plus ou moins aux traitements, avec des résistances innées (Anti-protéases et HCV G3) ou acquises (pour les agents bactériens).En cancérologie, il y a des récepteurs et des voies de signalisation intracellulaires qui diffèrent selon les cancers (sein, poumon, mélanome. Elles diffèrent même au sein d'un même type de cancer (poumon, etc .), avec une ou plusieurs voies de signalisation surexprimées ou inhibées, avec des modifications de profil de ces maladies, en fonction de la pression thérapeutique.

Cela intervient de façon importante pour la R&D, car cette complexité est accrue par cumul des facteurs intrinsèques et extrinsèques. Finalement, à force de restreindre et d'individualiser les traitements, on individualise les malades, mais on individualise aussi les maladies orphelines. On risque de rentrer très rapidement dans les maladies orphelines et ultra-orphelines. Pour les maladies orphelines, la définition est bien connue : en Europe, une prévalence 5/10 000 sujets, avec une contribution majeure à la santé publique. Pour les maladies ultra-orphelines, c'est-à-dire finalement un nombre de patients extrêmement restreint, il n'y a pas de définition. Certaines définitions courent « sous le manteau » : moins de 20 000 patients dans le monde et une prévalence en Europe inférieure à 1/50 000 sujets. En Grande-Bretagne, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) les définit à moins de 1 000 patients. Si vous reportez ce chiffre à la population européenne, vous obtenez une prévalence inférieure à 1/50 000 sujets.

On se situe dans des systèmes de R&D où l'on développe des médicaments pour des populations extrêmement restreintes. C'est complètement différent de tout ce qui a déjà été fait en développement. Jusqu'à présent, on développait des produits pour de larges populations, avec accès à des marchés colossaux, un nombre de malades colossal. Actuellement c'est l'inverse qui se passe. On restreint de façon considérable le nombre de patients à traiter pour des coûts qui ne sont pas diminués.

Sur l'aspect diagnostic, le modèle de R&D vis-à-vis du malade doit faire intervenir le secteur académique et le secteur industriel, avec une collaboration indispensable entre les deux. Celle-ci n'existe pas toujours. Vis-à-vis des maladies, les collaborations sont importantes. Comme le faisait remarquer le Pr François Ballet, elles ne sont pas uniquement nécessaires entre le secteur académique et le secteur industriel, mais aussi avec un ensemble d'autres acteurs, en particulier l'imagerie médicale, les produits de contraste, toutes ces méthodes vraiment très importants dans ces modèles de R&D en train de changer avec la médecine personnalisée.

Sur l'aspect thérapeutique, le développement de thérapeutiques ciblées intervient dans les produits classiques des entités chimiques, des protéines, des acides nucléiques. Mais on rentre aussi dans la thérapie génique, qui est vraiment de la médecine personnalisée, et qui pose un certain nombre de problèmes en termes éthiques et de développement pour l'industrie pharmaceutique. On rentre dans les domaines de transplantation de cellules souches, de nano médicaments, de vaccins thérapeutiques.

Cet ensemble est beaucoup plus compliqué, parce que les modèles expérimentaux n'existent pas aujourd'hui. Il faut parfois en créer, avec des animaux transgéniques, des bi-transgéniques, et j'en passe. Ces développements doivent être adaptés, aussi bien en préclinique qu'en clinique à des maladies orphelines ou ultra-orphelines, avec des « médicaments » qui sont innovants ou ultra-innovants, et où tout est à faire.

Nous sommes donc en train d'explorer des voies, ou de créer des chemins qui ne sont pas bien connus. Si c'est déjà compliqué pour de grandes sociétés, vous imaginez les difficultés que rencontrent des petites sociétés comme la nôtre de 55 personnes, et pourtant, elles font l'innovation de demain.

Première difficulté : les durées de développement sont longues. Il ne faut pas croire que dans les maladies orphelines ou ultra-orphelines, la mise au point des modèles se fera très rapidement. Par définition, il n'y a pas beaucoup de malades, il faut les chercher un peu partout, en Europe et aux États-Unis, en Asie. Deuxième difficulté : les coûts sont très élevés (essais mondiaux, durée de vie prolongée, ...).Troisième difficulté : nous sommes parfois obligés de recourir à des combinaisons de thérapeutiques ciblées (ex : mélanome, ...). Pour cela, nous devons faire appel à d'autres acteurs, à d'autres sociétés pharmaceutiques pour co-développer le produit, ce qui complique encore le système.

Enfin, en écho à ce qu' expliquait le Pr. Gilles Bouvenot, nous avons un petit nombre de malades et donc nous sommes obligés de prendre des engagements, pour l'enregistrement et en post enregistrement, de suivi, d'études particulières de pharmacovigilance, etc. Quand on a l'enregistrement, et qu'en plus on a la chance d'avoir un prix, on n'est même pas arrivé au bout de nos peines.

Le système est complexifié par la multiplicité des acteurs. On fait régulièrement appel aux acteurs académiques (instituts de recherche, hôpitaux) et parmi les acteurs industriels, il y a la biotechnologie ( drug discovery ), les sociétés de service (formulation, préclinique, clinique), les sociétés pharmaceutiques. Les pouvoirs publics sont également importants pour nous. D'une part, ils peuvent nous faciliter les communications entre les différents acteurs publics ou privés. D'autre part, l'ensemble des agences qui évaluent nos produits, que ce soit en France, en Europe et dans le Monde (USA, Japon, BRICS et pays émergents), doivent nécessairement être à peu près d'accord sur ce qu'il faut faire. Par exemple, dans le domaine de la pédiatrie, on a des demandes européennes et américaines d'études pour tous les nouveaux médicaments. Pour une société comme la nôtre, développer un médicament, c'est déjà difficile. Les développer en pédiatrie, c'est compliqué. Et quand les agences ne vous demandent pas les mêmes choses, c'est encore plus compliqué.

Pour conclure, nous avons besoin d'établir des partenariats stratégiques de long terme, avec des rôles et des responsabilités de chacun des acteurs bien définis. Le cadre de la propriété intellectuelle doit être clarifié. C'est important, car sans propriété intellectuelle, il n'y a pas de rentabilité. Il faut arrêter de penser qu'on peut demander 10 % de royalties à des produits qu'on prendra dans les hôpitaux ou dans les instituts de recherche, parce que cela obère tout accord de licence pour les petites sociétés de biotechnologie, donc être trop gourmand, cela tue les projets

En ce qui concerne les financements, nous avons besoin de subventions. à ce titre, la France fait bien son travail. J'en profite pour remercier tous ces acteurs : Oseo, FSI, auxquels nous faisons largement appel. Les subventions européennes sont également les bienvenues, mais c'est beaucoup plus difficile pour les PME d'y avoir accès. L'administration de ces consortiums européens est très compliquée. Je vous garantis, pour y avoir participé, que ce n'est pas commode à gérer et à manager au quotidien.

Dernier point, et c'était l'objet de ma question au Pr. Gilles Bouvenot, c'est le problème de la rentabilité. Il est nécessaire pour nous d'avoir des prix élevés car nos investissements, à ce niveau, sont très importants. Et il est nécessaire aussi d'avoir des remboursements. Ainsi dans le domaine anti-infectieux, à force de vouloir obtenir des prix peu élevés, de saboter les remboursements, on a abouti aujourd'hui à l'absence d'antibiotiques nouveaux, et d'antituberculeux. Je tire la sonnette d'alarme. On finit par détruire totalement des pans de recherche entiers dans des domaines où existent des besoins. Les agents anti-infectieux en sont une démonstration formelle. Le soutien des pouvoirs publics est nécessaire dans un certain nombre de domaines qui ne font plus aujourd'hui l'objet de la R&D. On a certes beaucoup évoqué le cancer aujourd'hui, mais il n'y a pas que cette pathologie, même si BioAlliance est aussi largement positionné en cancérologie.


* 245 Voir tableau ci-après.

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