APRÈS-MIDI

PROPOS INTRODUCTIFS

Pr Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa). Je remercie l'OPECST de m'avoir donné l'opportunité de participer à cette réflexion et d'anticiper les problèmes à venir, et surtout de présenter le point de vue de l'INCa. Historiquement, la médecine personnalisée a été un axe majeur du deuxième Plan Cancer 2009-2013. C'était probablement l'un des premiers volets de la « médecine 4P » telle qu'on l'envisageait à l'époque : prédictive, préventive, personnalisée, participative.

L'objectif affiché de ce deuxième Plan Cancer était double : d'une part, favoriser l'accès aux thérapeutiques ciblées, qui étaient développées en premier dans le cancer, en particulier dès les années 2000 avec l'arrivée de l'Imatinib ; d'autre part, favoriser une meilleure compréhension de l'oncogenèse des tumeurs, et puis apporter des marqueurs pronostiques ou prédictifs de certaines tumeurs. Grâce à ce Plan Cancer, à l'INCa, nous avons décliné cette médecine personnalisée par la création de plateformes dédiées, dont une partie est financée par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) du Ministère de la santé, une autre partie par l'INCa, et certaines le sont avec une participation de l'industrie pharmaceutique.

Les premiers types de plateformes ont été dédiés à l'oncogénétique, avec des consultations d'oncogénétique associées, ciblant les facteurs de risque du cancer du sein et du cancer colorectal, afin de mieux identifier les familles à risque et donc les individus à haut risque de cancer.

Le deuxième type de plateformes a été dédié à la génétique somatique. 28 plateformes de génétique moléculaire permettant de donner une signature génétique de la tumeur de chaque patient, et de rationnaliser la prescription face à des traitements innovants et très coûteux. L'idée était de rationaliser la prescription des médecins sur cette signature génétique, et d'améliorer l'accès aux thérapies ciblées.

Actuellement, nous avons 17 thérapies ciblées dans le cancer, et donc sur ces 28 plateformes labellisées INCa, nous effectuons les tests compagnons nécessaires à ces 17 thérapies ciblées. Le principe repose sur une égalité d'accès à ces tests sur tout le territoire français. Tous les patients atteints de tumeur en France, qu'ils soient pris en charge dans le privé ou dans le public, ont accès à ces tests. Ils sont fiables, reposent sur un contrôle qualité, et ces plateformes ont un objectif de réactivité, c'est-à-dire que les tests compagnons doivent être prêts dès qu'une nouvelle thérapeutique est sur le point d'obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans une indication donnée.

Pour l'instant en 2011, nous assistons à une montée en charge qui continue sur ces plateformes, avec plus de 55 000 patients testés au diagnostic. Il faut monter jusqu'à 155 000 patients testés chaque année si l'on considère à la fois le diagnostic et le suivi moléculaire de certaines hémopathies.

A ce stade, nous pensons cependant que le mot « médecine personnalisée » est un peu dévoyé. Pour nous, il s'agit pour l'instant d'une médecine stratifiée, c'est-à-dire basée sur le démembrement des cancers fréquents en cancers rares, qui ont une signature génétique particulière. Par exemple, 2 % des cancers du poumon vont avoir une mutation d'ALK donnant accès au crizotinib. Les enjeux sont nombreux pour l'avenir. En ce qui concerne la génétique somatique, nous sommes actuellement en train de pratiquer des monotests, un test compagnon est développé par thérapie ciblée. Avec l'arrivée du séquençage à haut débit, et la diminution du coût du séquençage, on peut imaginer pouvoir effectuer des multitests pour une tumeur donnée, et cesser de tester spécifiquement chaque anomalie génétique. Ce séquençage à haut débit pourrait cibler des zones de mutation, ou plus largement s'adresser à la totalité du génome ( whole genome sequencing ). On pourrait également imaginer ne séquencer que les exomes.

Mais nous nous demandons si rechercher simplement des mutations sur des voies de signalisation suffit pour interpréter la vie moléculaire d'une tumeur. Faut-il également réaliser systématiquement un transcriptome pour observer l'impact de ces mutations sur d'autres voies de signalisation et des hyper expressions de gènes ? Et puis quelle place aura l'épigénétique dans tout cela ? Très vraisemblablement, il faudra s'intéresser également à ce domaine.

Une autre question que nous nous posons : à quel rythme implémenter ces plateformes de génétique moléculaire avec du séquençage haut débit, s'il le faut réellement ? Est-ce qu'il faut s'intéresser uniquement à la tumeur, au diagnostic ou suivre l'évolution des métastases qui peuvent présenter des évolutions clonales avec d'autres anomalies génétiques apparaissant au fur et à mesure de la « vie de la tumeur » ? Quelle sera la soutenabilité à la fois technique et en ressources humaines de bio-informatique de ces plateformes ? Quelle sera la capacité des professionnels de santé à comprendre ces signatures ? Quel sera le niveau de formation à atteindre pour interpréter ces données ? Je pense que le Doyen Patrick Berche en traitera. Quelle sera la soutenabilité financière, à la fois pour l'INCa en termes d'équipements, et pour la société en termes de coût ? Enfin, cela générera énormément de données, de connaissances. Quelles capacités aurons-nous, collectivement, à stocker l'ensemble de ces données pour favoriser la recherche française ? Cela nécessitera des équipements extrêmement lourds, et aura aussi un coût.

En ce qui concerne la génétique constitutionnelle, d'autres enjeux m'apparaissent. Celui de la pharmacogénétique, qui est encore relativement peu implémentée. Peut-on imaginer des développements de la connaissance de la pharmacogénétique pour chaque individu et de l'adaptation des drogues à ces profils ? Y a-t-il un impact de la génétique constitutionnelle sur l'addiction à certaines drogues, telles que le tabac ? Ceci nécessiterait pour nous de repenser autrement les messages de prévention vis-à-vis de l'addiction au tabac ou à l'alcool ce qui est également un champ d'action de l'INCa. Quel sera l'impact de la génétique dans la prévention et dans les dépistages ? Peut-on imaginer des dépistages plus à la carte, et pas uniquement ciblés sur des tranches d'âge, comme c'est le cas actuellement pour les dépistages organisés du cancer du sein ou du cancer colorectal ?

Enfin, en ce qui concerne les biomarqueurs, les marqueurs pronostiques, on sait bien qu'ils émergent actuellement mais qu'ils sont étroitement liés à des protocoles cliniques, à des usages de certains médicaments. En outre, ils ne sont pas forcément reproductibles d'une population à l'autre. À l'INCa, nous restons extrêmement vigilants sur l'implémentation de ces facteurs pronostiques en routine, - que ce soit des tests génétiques, ou biomarqueurs -, et dans l'appréciation des facteurs de risque des patients face à la maladie.

Ainsi pour l'INCa, les enjeux sont extrêmement nombreux. Nous nous posons beaucoup de questions, et nous considérons que nous n'en sommes qu'aux balbutiements de la médecine personnalisée. Aujourd'hui, ce terme reste un abus de langage. Il s'agit pour l'instant d'une médecine stratifiée. Les systèmes deviendront de plus en plus complexes, pour aller vers une vraie personnalisation de la prise en charge, fondée à la fois sur la génétique constitutionnelle et sur la génétique somatique. De plus, nous considérons qu'actuellement on confond médecine personnalisée et médecine basée sur la génétique. Cela nous semble un peu réducteur. Du point de vue de l'INCa, la médecine personnalisée doit s'envisager plus largement, et doit transcender la signature génétique. Un individu, une personne, demeure au-delà de sa signature génétique.

Nous souhaitons vraiment replacer l'individu et son parcours de vie, puis de santé, au coeur de la réflexion. C'est la raison pour laquelle nous essayons également de personnaliser les parcours de santé sur des caractéristiques de l'individu qui ne sont plus seulement des caractéristiques génétiques. Par exemple, nous organisons des parcours de santé autour des tranches d'âge, gériatrie ou pédiatrie, autour de certains types de cancer. Nous avons par exemple organisé des réseaux de cancers rares pour s'adapter à des prises en charge très complexes et spécifiquement adaptés à des cancers extrêmement rares.

Nous souhaiterions également personnaliser les messages de prévention. Actuellement, ces messages sont très généraux et mal entendus par la population. Par exemple, quand on s'adresse à des adolescents, il est clair que pour leur éviter de rentrer dans le tabagisme, le message ne sera pas le même que celui face à un chômeur qui fume depuis 30 ans. Je rappelle que plus de 50 % des chômeurs sont tabagiques. Il faut donc personnaliser la prévention primaire et les préventions secondaires, c'est-à-dire les dépistages organisés. Nous envisageons, sous le terme de médecine personnalisée, un concept qui va bien au-delà de la simple génétique.

Le troisième point que je souhaite soulever, c'est qu'il faut développer la médecine personnalisée pour le bénéfice des individus. Nous sommes attentifs aux risques de stigmatisation face à une signature génétique de haut risque de cancer par exemple, ou de haut risque d'addiction. Cela pose des problèmes éthiques que nous ne sommes pas capables à l'INCa de résoudre seuls. Une réflexion comme celle d'aujourd'hui participe à la nécessité de réfléchir collectivement, et bien en amont, à toutes ces problématiques, en particulier éthiques, qui se posent autour de la personnalisation.

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Pr Patrick Berche, doyen de la faculté de médecine de Paris-V Descartes . La médecine est en transition. Elle connaît actuellement une phase d'explosion de connaissances qui va poser beaucoup de problèmes à la formation médicale dont je vais vous faire un bref exposé. Moi non plus je n'aime pas ce terme de « médecine personnalisée », puisque par définition la médecine est personnalisée, tout du moins il faut l'espérer. Je l'appellerai plutôt « médecine prédictive ». Mais « médecine stratifiée » me convient assez bien.

La médecine prédictive a un caractère dual. D'un côté, prédire l'avenir d'un bébé à la naissance en disant qu'il aura un risque de diabète ou de cancer, cela pose un problème difficile de sciences humaines et sociales. C'est la possibilité d'une dérive vers l'eugénisme ou le mercantilisme. Mais d'un autre côté, prédire qu'une tumeur va être sensible à telle chimiothérapie comme on le fait pour les antibiotiques, ou prédire la toxicité d'un médicament par la pharmacogénétique sera un apport considérable.

Il faut replacer les progrès continuels de la médecine, comme d'autres sciences, en tenant compte de l'acceptation et de la compréhension par les citoyens de ces avancées. La population les ressent d'une façon ambiguë, entre la crainte et l'espoir. Aussi faut-il absolument remettre tous les progrès médicaux dans le contexte économique et sociétal pour essayer de faire mieux comprendre les enjeux à la population.

L'un des écueils de la formation médicale aujourd'hui est donc cette explosion énorme du corpus de connaissances. Personne n'est plus capable d'appréhender l'ensemble des connaissances médicales. Cela a deux conséquences. D'une part, il y a une nécessité pour l'enseignement multidisciplinaire de la médecine. D'autre part il y a une nécessité de faire des choix pour adapter les programmes. Mais quels choix ? Qu'est-ce qui est essentiel ?

Quelles sont les forces et les faiblesses de l'enseignement médical en France ? Il y a indubitablement un certain nombre de forces. La qualité de la formation clinique est excellente : trois ans de formation à mi-temps pour les externes, et quatre ou cinq ans de formation à plein temps à l'hôpital. L'apprentissage par compagnonnage est, je crois, le point fort des études médicales en France. Et puis les facultés acceptent volontiers les nouvelles techniques de communication : Internet, simulations sur mannequin, jeux électroniques, E-learning, cours en ligne...

Mais faiblesses sont nombreuses. C'est d'abord l'obsolescence des programmes actuels. L'approche est très souvent mono-disciplinaire. La formation scientifique est médiocre, confinée souvent à la première année commune aux études de santé (PACES), et encore. L'absence des Sciences Humaines et Sociales (SHS) est absolument aveuglante : quelques 30 ou 40 heures dans le programme officielles pour les six ans de premier et deuxième cycles. On peut aussi relever une faiblesse de l'enseignement concernant certains domaines de la médecine qui sont très importants ; par exemple la médecine préventive, la douleur, les soins palliatifs, les addictions, les maladies chroniques, le handicap et le vieillissement ne sont pas réellement bien traités au cours des études de médecine.

De plus, ces études sont encadrées par deux concours archaïques. On a d'abord le concours de la PACES suivi du concours de l'examen commun national (ECN). Pour sélectionner les futurs médecins dont les qualités essentielles pour moi sont l'empathie et la capacité à travailler en équipe, le concours initial n'est pas satisfaisant. Quelques 50 000 étudiants se présentent au PACES, et 7 000 sont admis à poursuivre des études de médecine. Les autres ont perdu leur temps. L'ECN est un héritage du consulat. Il a été créé en 1801. C'est un classement de 7 000 étudiants sur un concours national au mérite, c'est-à-dire que pour quelques centièmes de points, on impose le choix d'une spécialité à un étudiant pour le reste de la vie, parfois au hasard. Le cursus actuel des études médicales en France, encadré par deux concours apprend aux étudiants la compétition, sûrement pas l'empathie, ni l'esprit d'équipe.

Pour moi, il est évident que ce système doit être réformé. En s'inspirant partiellement du système américain, on pourrait proposer la mise en place d'un premier cycle sous forme d'une licence de santé de haut niveau de trois ans, incluant des sciences médicales (anatomie, physiologie, biochimie, biophysique...), des sciences fondamentales (physique, chimie, statistiques...) et l'introduction des SHS pour au moins un tiers du programme. Ensuite, on pourrait classer les étudiants par les notes cumulées pendant les trois ans de cursus. Et les meilleurs d'entre eux seraient soumis à des interviews l'admission par des jurys d'enseignants, d'étudiants et de psychologues. Nous sommes le seul pays en Occident où il n'y a pas d'interviews des étudiants en médecine. Étant chargé de les gérer pendant tout leur cursus, je peux vous dire que l'interview serait fort utile. Exit le concours de la PACES.

Le 2 ème cycle des études médicales serait de quatre ans d'externat
(D1-D2-D3-D4), ce qui rallonge les études d'un an, mais je rappelle que 85 % des étudiants redoublent la PACES. Avec cet externat de quatre ans à mi-temps (tous les matins à l'hôpital), on leur apprendrait un programme minimum, essentiellement clinique, axé sur les pathologies et les urgences courantes, et la façon de les prendre en charge. Un tel programme laisserait du temps de libre à chaque étudiant pour construire, s'il le désire, un cursus personnalisé, en fonction de sa motivation. Le déroulement du nouveau cursus des études médicales en France serait le suivant : trois ans de licence, avec une approche multidisciplinaire, notamment avec l'addition de SHS, mais aussi de sciences médicales et sciences fondamentales (renforçant la formation scientifique des étudiants français), un externat de quatre ans, et un internat de quatre ans, comme c'est le cas actuellement. S'y ajouteraient des enseignements modulaires complémentaires, puisqu'en étalant l'enseignement clinique sur quatre ans, les étudiants auront plus de temps à leur consacrer. Ces enseignements modulaires complémentaires optionnels (diplômes universitaires, master, thèse d'université...) seraient validés par l'Université ou le Ministère et comptés sous forme de bonus.

La construction d'un cursus personnalisé est une idée inspirée directement de l'École de médecine de Harvard. C'est un enseignement parallèle précoce, orientant vers les filières. Vous voulez être médecin, chirurgien, biologiste, santé publique, psychiatre, pourquoi vous imposer d'apprendre la psychiatrie pour être chirurgien, ou vice-versa ? La validation de modules d'enseignement selon l'orientation souhaitée aurait lieu pendant le temps libre, les modules pouvant être acquis au sein des facultés (de médecine, des sciences, de SHS, psychologie, droit, sciences po, etc. ) ou d'Instituts de recherche (psychologie, sociologie, santé publique, économie, recherche...).

On pourrait même créer des pôles pédagogiques (virtuels) qui dépasseraient les institutions sur des problématiques particulières. Par exemple, on pourrait imaginer mettre en place un enseignement sur la maladie d'Alzheimer, ou sur le diabète ou sur le cancer, qui rassemblerait sur l'ensemble de la France ou d'une région, des neurologues, des psychiatres, des gériatres des ergothérapeutes, des infirmières, des spécialistes de santé publique, des économistes de la santé, des sociologues, etc . Ces « instituts virtuels multidisciplinaires » délivreraient une attestation ou un diplôme à travers leurs Universités. Ce melting-pot améliorerait les études de médecine et donc la qualité de l'enseignement. Cet enseignement pourrait être multi-université dans les TICE ou sous forme d'un enseignement en présentiel pendant de courtes périodes.

Ainsi pourrait-on supprimer le concours de l'internat et le remplacer par un examen régional, associé à un numerus clausus pour la région. Cet examen régional anonyme serait segmenté par discipline (médecine, chirurgie, psychiatrie, santé publique, biologie...), chaque discipline ayant son numerus clausus défini par le Ministère de la santé en fonction des besoins régionaux. Au terme de l'examen, les étudiants auraient, disons, une note sur 20. Si le numerus clausus pour accéder à une discipline est par exemple de 14, les étudiants ayant validé un bonus pourraient incrémenter leur note, se hissant ainsi au-dessus de la barre. Les étudiants pourraient se présenter à plusieurs examens régionaux et à plusieurs disciplines. Exit le concours de l'internat.

Quelles sont les leçons de l'histoire ? Au regard des différents systèmes qui fonctionnent dans les pays en Occident depuis des décennies, aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre et en France, on s'aperçoit de l'importance de l'enseignement clinique par apprentissage, ce qui est habituellement bien fait en France. La formation de médecins de qualité, capables de compléter toute leur vie leurs connaissances, nécessite un enseignement scientifique de bon niveau et conjointement une approche plus approfondie des sciences humaines et sociales, deux domaines qu'il faut renforcer dans le système français. Ceci implique bien sûr une forte intégration des facultés de médecine dans l'université pluridisciplinaire. Il faut enfin insister sur l'importance de la recherche clinique et fondamentale comme moteur à la fois de la qualité des soins, de la pédagogie et du progrès médical.

Enfin, pourquoi ne pas affirmer la nécessité d'une sélection précoce et rigoureuse des étudiants, tenant compte de leurs qualités et de leurs mérites ? De même que cela devrait être le cas pour les enseignants. Est-ce une utopie que de supprimer les deux concours qui encadrent les études de médecine ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, député, rapporteur. Depuis ce matin on entend parler des tumeurs, des mutations génétiques et des traitements spécialisés. Peut-on considérer que les tumeurs sont homogènes ? Au sein d'une même tumeur, ne peut-on trouver des cellules tumorales mutées et d'autres qui ne le sont pas ? Et le fait de proposer un traitement ciblé sur une certaine mutation ne risque-t-il pas au contraire de présélectionner d'autres types de cellules ?

Pr Agnès Buzyn. La réponse était dans votre question. Les tumeurs sont extrêmement hétérogènes. Elles ont déjà une hétérogénéité intra-clonale au moment du diagnostic. En fonction de la pression que vont exercer certaines thérapies ciblées, des clones résistants via des activations de nouvelles voies de signalisation émergeront, et c'est en cela que la médecine personnalisée va se compliquer. Il faudra non seulement étudier la tumeur au moment du diagnostic, son hétérogénéité clonale, analyser ce qui est vraiment prépondérant, mais aussi être capable de suivre l'évolution de ces clones qui vont émerger, sous pression, et c'est une pression sélective, ce qui a un coût et est extrêmement complexe à interpréter. C'est pourquoi, j'estime que nous n'en sommes qu'aux balbutiements. Aujourd'hui, on effectue un mono-test pour rechercher une anomalie génétique prépondérante dans une tumeur, ce qui est excessivement réducteur par rapport à l'univers qu'on pourrait découvrir par le séquençage à haut débit de la totalité du génome.

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